L’enfer de Church Street de Jake Hinkson (Gallmeister)

Attention, coup de cœur !

Gallmeister vient de lancer une nouvelle collection depuis le mois de mars 2015. Son nom est Neo Noir. Trois romans sont sortis en un mois : Pike de Benjamin Whitmer, Exécutions à Victory, de S. Craig Zahler et L’enfer de Church Street de Jake Hinkson. C’est par ce dernier que j’ai commencé et pour moi, c’est un pur joyau noir. Le narrateur du premier chapitre est un repris de justice. Puis la narration passe la main à Geoffrey Webb.

Un ancien repris de justice travaille dans une usine de plastique, quand le contremaitre le traite de connard fainéant. Le mot de trop. Une bagarre éclate et le contremaitre finit avec la tête en bouillie. Alors le meurtrier décide de fuir. Sauf que pour cela, il faut de l’argent. Il décide alors de braquer le premier venu, qui viendra chercher de l’essence à la station toute proche. Il récupérera alors une voiture et de l’argent. Sauf qu’il tombe sur Geoffrey Webb.

De loin, Geoffrey Webb a tous les traits d’une victime. Il déplace difficilement son quintal, et marche la tête baissée comme s’il attend des coups. Sauf que quand on le braque, il accepte de donner l’argent qu’il a à une condition : que son ravisseur écoute son histoire, comme une sorte de confession au Dieu Revolver.

Geoffrey Webb est né au fin fond de l’Amérique, dans une famille où le père alcoolique battait sa femme et ses gosses. Quand il décide de partir de la maison, à 16 ans, il erre jusqu’à arriver à Little Rock. Il se découvre alors un talent : celui de parler aux autres, de leur dire ce qu’ils veulent entendre et ainsi d’obtenir ce qu’il veut sans que les gens s’en rendent compte. Et le meilleur domaine où il peut exceller est la religion.

« Cela me frappa de plein fouet, comme une inspiration divine. La religion est le boulot le plus génial jamais inventé, parce que personne ne perd jamais d’argent en prétendant parler à l’homme invisible installé là-haut. Les gens croient déjà en lui. Ils acceptent déjà le fait qu’ils lui doivent de l’argent, et ils pensent même qu’ils brûleront en enfer s’ils ne le paient pas. Celui qui n’arrive par à faire de l’argent dans le business de la religion n’a vraiment rien compris. »

Il devient alors aumônier pour les jeunes gens de l’église baptiste. Ses talents d’orateur font que tout le monde l’apprécie et en particulier le responsable local de l’église. Quand il rencontre la fille du pasteur, xxxx, il en tombe amoureux. Et sa soif de pouvoir et de manipulation s’en trouve mise à mal. Mais le destin veut que l’histoire se complique, surtout quand Geoffrey rencontre le sheriff local.

Ce roman est génial, et je vais essayer de vous le faire lire !

C’est un premier roman et la maitrise montrée aussi bien dans le style que dans la narration est tout simplement époustouflante. Chaque phrase est d’une justesse incroyable, chaque dialogue sonne juste, et les événements s’enchainent tant et si bien que quand vous avez ouvert le roman, vous ne pouvez pas le lâcher. Car dès le deuxième chapitre et le début de la confession, le lecteur est positionné en confident, voire même en pasteur écoutant le monologue d’une âme égarée.

Je peux vous dire que quand on lit une telle confession, il est difficile de ne pas endosser sa panoplie de juge. Et c’est là que le livre devient génial. On commence par découvrir un homme redoutablement intelligent, qui se découvre un talent qui va lui permettre d’assouvir son envie et son besoin de pouvoir. Il est inutile de vous dire que ce personnage de Geoffrey Webb ne nous est pas sympathique. On se demande même où l’auteur veut nous emmener, va-t-on avoir le droit à un homme qui va devenir un pédophile, un obsédé sexuel, un truand ? Les possibilités sont infinies.

C’est aussi là que Jake Hinkson est fort. Vous vous posez des questions sur ce qui va arriver ? Vous imaginez tous les scenarii possibles. Et Jake Hinkson prend son lecteur à contre-pied. A chaque fois, on est surpris par la créativité développée par l’auteur. Et je peux vous dire que cela va advenir tout au long du roman, jusqu’à la dernière page ! Donc, revirement de situation, Geoffrey Webb tombe amoureux.

Cet événement m’a mis bigrement mal à l’aise. Tout d’abord, la fille du pasteur est grosse et d’une mocheté qui ferait se retourner les passants. Mais tout le monde la respecte puisqu’elle est la fille du pasteur. D’un point de vue psychologique, je me suis retrouvé à me poser plein de questions. J’hésite entre plusieurs hypothèses : est-il réellement amoureux ? ou joue-t-il un jeu pour grimper plus vite dans la hiérarchie de l’église ? Comme nous écoutons un témoignage, la vérité restera toujours floue. Nous sommes en fait la proie de ce qu’il veut bien nous raconter.

La narration de Geoffrey Webb reste floue, et nous, en tant que lecteur, oscillons entre dégout du bonhomme et sympathie pour cet amour. Mais rien n’est jamais aussi simple que l’on pourrait le croire … car c’est bien un des autres points forts de ce roman, Jake Hinkson s’amuse à nous asséner des rebondissements et nous prend à chaque fois à revers. Vers le milieu du roman, on se retrouve au milieu d’une bande de tarés et on est à nouveau surpris et remis en cause dans nos certitudes.

C’est donc le lecteur que Jake Hinkson s’en prend. Il nous montre que nos croyances sont basées sur des apriori comme les croyances religieuses. Il nous réécrit un remake des fables de Jean de la Fontaine, entre La mouche qui voulait se faire plus grosse que le bœuf et Le corbeau et le renard, sans oublier la blague de l’arroseur arrosé. Et c’est avec de grosses claques dans la figure qu’il nous l’assène,    avec un cynisme jouissif, avec un humour décalé et une charge contre les hypocrisies de toutes sortes.

En ce sens, j’ai retrouvé dans ce roman tout ce que j’aime dans les romans de Jim Thompson. Sans vouloir comparer Jake Hinkson au Maître du roman noir, les thèmes abordés en sont proches, le style en est proche sans pour autant faire une copie ou une parodie. A croire que Jake Hinkson est une réincarnation de Jim Thompson. Pour un premier roman, c’est très fort, imparable, intemporel aussi, et on ne peut qu’attendre encore mieux à l’avenir.

Coup de cœur !

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22 réflexions sur « L’enfer de Church Street de Jake Hinkson (Gallmeister) »

  1. Des mois qu’il trônait sur ma pile à lire, et à la faveur du temps des vacances, me suis lancée.
    D’accord avec ta chronique.
    Il m’a happée et en deux jours, plié ! Je me suis demandé moi aussi à quel gros pervers j’avais à faire. Jusqu’à retourner un peu casaque quand il rencontre la famille de dégénérés. Pas d’empathie pour Webb. Mais tu as l’impression que dès lors qu’il a gouté au goût du sang,, s’en est fini de lui…. La spirale est infernale.

    Pssssst, Pierre,  » le condor  » est sur ma pile depuis peu !!!

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