Le chouchou de l’été 2016

Beaucoup de chroniques, j’aurais publié beaucoup de chroniques. Trop, diront certains … En tous cas, j’ai aimé tous les romans dont j’ai publié les avis. Et forcément, il est très difficile d’en choisir un pour le titre honorifique de chouchou de l’été.

Honneur aux coups de cœur pour commencer, puisqu’ils sont au nombre de deux. Le condor de Stig Holmas (Sonatine) est un roman magnifique qui fait partie de mes dix meilleures lectures de tous les temps et rien que pour ça, je ne peux que vous conseiller de vous le procurer. Rien ne se perd de Chloe Mehdi (Jigal) est le deuxième roman d’une jeune auteure, écrit avec une justesse de ton et une sensibilité rares. Voilà deux romans exceptionnels.

Cet été, j’aurais fait de belles découvertes, comme Disparu de Didier Jung (ETT) qui est un roman policier qui nous propose de visiter la Corse et de rencontrer ses habitants. Le club de Michel Pagel (Moutons électriques) quant à lui nous fait voyager dans notre enfance et fait revivre le Club des Cinq en imaginant ce qu’ils sont devenus.

Pour alléger les bagages, je vous ai aussi proposé des lectures électroniques de chez Ska, toutes remarquables dans des styles différents. Il y a eu pelle mêle : Ballon de Catherine Fradier, Bad Trip de Gaetan Brixtel, Echouée de Jérémy Bouquin, et Un clou chassant l’autre de Damien Ruzé.

Cet été, j’aurais aussi chroniqué des premiers romans : Moi, président de Mathieu Janin (Serpent à plumes) nous propose une intrigue cynique sur l’entre-deux tour des élections présidentielles de 2017. Le cri du cerf de Joanne Seymour (Eaux Troubles) est un thriller plutôt classique avec un nouveau personnage récurrent à suivre. Dodgers de Bill Beverly (Seuil) est remarquable par son style sur une intrigue classique. Money Shot de Christa Faust (Gallmeister) a une intrigue qui en fait trop mais un style efficace qui incite à suivre cette auteure. Le verger de marbre d’Alex Taylor (Gallmeister) est tout simplement magnifique dans sa relecture du mythe d’Abel et Caïn.

Cet été, j’aurais chroniqué des auteurs qui confirment leur talent. 220 Volts de Joseph Incardona (Mylady Bragelonne), roman précédemment édité chez Fayard est un roman fantastique. Un zéro avant la virgule de James Holin (Ravet Anceau) est le deuxième roman de cet auteur de romans policiers plein de promesses à venir. Sous la ville de Sylvain Forge (Toucan) confirme que cet auteur a plein de choses à dire et qu’il nous invente des scènes intimistes extraordinaires.

Cet été, j’en aurais profité pour lire les derniers romans des auteurs que j’adore. Condor de Caryl Ferey (Gallimard) malgré des personnages stéréotypés, nous emmène au Chili pour un discours humaniste qui me parle. Le lagon noir d’Arnaldur Indridason (Métaillié) est une nouvelle fois une réussite et nous parle de la présence américaine sur le sol islandais, vécu comme une invasion. Battues d’Antonin Varenne (Manufacture de livres) est un roman noir une nouvelle fois extraordinaire d’un auteur extraordinaire. Les deux coups de minuit de Samuel Sutra (Flamant noir) est bien plus qu’une blague de plus, c’est une géniale intrigue comique de la part d’un auteur au talent immense. Tu ne manqueras à personne de Alexis Aubenque (J’ai lu) est un roman à suspense comme lui seul sait les faire. De force de Karine Giebel (Belfond) n’est peut-être pas le meilleur de cette auteure, mais qu’il est bon de se laisser mener dans ce huis-clos psychologique.Une brève histoire du roman noir de JB.Pouy (Points) est une source inépuisable de conseils sur les lectures de romans noirs, à ne pas rater.

Le titre de chouchou du mois revient donc ce mois-ci à Sois belle et t’es toi de Jérémy Bouquin (Lajouanie) parce que ce personnage mi-homme mi-femme est écrit avec tellement de justesse, son intrigue est déroulée au cordeau et cet auteur ne cessera pas de me surprendre.

Je vous donne rendez vous le mois prochain. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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Le verger de marbre de Alex Taylor

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons

Une nouvelle fois, la collection NéoNoir des éditions Gallmeister fait fort, en dénichant le premier roman d’un auteur à la plume si rare que je n’ai pas honte à la comparer à celle de Donald ray Pollock. D’ailleurs, celui-ci écrit en exergue sur ce roman : « L’une des proses les plus belles et brillantes que j’ai jamais lues. Ce livre est un incroyable tour de force. »

Dans le Kentucky, Clem Sheetmire conduit une embarcation permettant de faire traverser la Gasping River à ses passagers. Cela lui permet de faire vivre sa famille, Derna sa femme et Beam son fils. Depuis qu’il était adolescent, Beam assurait la relève de son père pour les traversées de nuit. Ce matin là, un homme l’appela de l’autre coté de la rivière. Beam négocia la traversée à 5 dollars.

« Des spasmes de clair de lune traversaient la cime des arbres. La lune elle-même se reflétait dans la rivière, son double tremblant dans les eaux noires, et partout flottait une sérénité qui semblait permanente, un calme qui donnait forme à l’immensité de la nuit. »

Au milieu de la rivière, l’homme de forte corpulence annonça à Beam qu’il n’avait pas 5 dollars à lui donner. Alors qu’il faisait demi-tour, l’autre lui dit qu’il plaisantait. La discussion s’engagea. L’autre semblait connaitre le coin et ses gens, il trouvait que Beam ne ressemblait pas à un Sheetmire. Puis l’autre le menaça de prendre la caisse. Alors, Beam le frappa au front avec une clé à griffe. L’autre tomba, mort. Au port, le bateau emboutit l’embarcadère car Beam n’avait plus sa tête à lui.

Beam alla chercher Clem. En voyant le corps, Clem lui demanda de fouiller le corps. Beam trouva 20 dollars dans le portefeuille. Clem regarda l’homme, annonça à Beam qu’ils n’appelleraient pas la police, mais que Beam devait faire ses bagages et partir, sans plus d’explications. Car Clem avait reconnu en l’homme le fils de Loat Duncan, le plus grand truand du coin.

Le lendemain, le sheriff Elvis Dunne se dirigeait avec ses deux adjoints vers la Gasping River. Un corps a été retrouvé dans les chaines de bucheron. Le coroner annonça qu’il avait été jeté à l’eau hier. Les bucherons le reconnurent, il s’agissait de Paul Duncan, le fils de Loat. Ne restait plus qu’à Elvis à aller voir le père …

Les auteurs américains ne cesseront pas de me surprendre. Il faut dire que ce pays regorge de paysages qui donnent des possibilités infinies pour des intrigues les plus noires dans des décors les plus enchanteurs. Dès les premières lignes de ce premier roman, hormis le prologue qui m’a paru de trop, la plume d’Alex Taylor remplit les yeux, éclate de beauté devant l’évocation de cette nature à la fois belle et mystérieuse, enchanteresse et menaçante. Dans ce décor sauvage, l’auteur y a placé des personnages, tous forts et impressionnants et ayant autant d’importance les uns que les autres.

Clem est un homme effacé, un dur au mal, un pauvre gars qui veut faire vivre sa famille. Derna est une ancienne prostituée qui a travaillé pour Loat Duncan, un tueur implacable. Beam dans sa fuite rencontrera un homme qui vit dans les bois, un propriétaire de bar sans bras. Dans cette galerie, on peut y rajouter un sheriff qui essaie de ménager tout le monde pour rendre la justice la plus équitable possible et un curieux homme toujours habillé en costume.

Le clou de cette intrigue est que Paul Duncan s’avère être le frère de Beam, alors que celui-ci ne le sait pas. Et les relations entre les différents personnages vont nous être dévoilées petit à petit, entrecoupées de scènes très violentes mais jamais démonstratives. Si l’on ajoute à cela des dialogues formidables, des digressions basées sur des histoires du cru racontées par les personnages eux-mêmes qui sont toutes plus géniales les unes que les autres, on tient là un grand livre, de ceux qu’on n’oublie pas. Même si j’ai trouvé sur la fin (surtout après la scène de bataille dans la maison perdue au fond des bois) que ça tournait un peu en rond, le dernier chapitre est tout simplement génial !

Dans cette histoire en forme de métaphore, on devine l’intention de l’auteur de faire revivre le mythe d’Abel et Caïn, mais aussi celui de Sisyphe, avec Beam dans le rôle titre ; sauf qu’au lieu de pousser un rocher, il cherche à partir mais se retrouve toujours dans le même coin. On peut aussi voir dans le personnage de l’homme au costume l’image du Diable, avec qui chacun va passer un pacte pour leur plus grand malheur.

C’est donc un roman avec plusieurs lectures que nous propose Alex Taylor, un roman d’une noirceur infinie dans un paysage à la fois idyllique et mystérieux, écrit avec un style imagé et presque poétique. C’est un grand et beau premier roman, l’une des lectures à ne pas rater pour cette rentrée littéraire 2016. Et je tire mon chapeau au traducteur !

 

Condor de Caryl Ferey

Editeur : Gallimard

Comme beaucoup de lecteurs de polars, j’aime Caryl Ferey. J’aime Caryl Ferey pour ses intrigues. J’aime Caryl Ferey pour ses personnages. J’aime Caryl Ferey pour son humanisme. J’aime Caryl Ferey pour son honnêteté. J’aime Caryl Ferey pour ce qu’il nous montre du monde et de l’état dans lequel il est. Avec Condor, nous faisons étape au Chili.

Santiago du Chili. La manifestation étudiante fait rage Plaza Italia. Gabriela parcourt les rangs, armée de sa camera pour faire un reprortage qu’elle postera sur le Net. Elle y retrouve son amie Camila Araya, la présidente de la Fédération des Etudiants de l’université du Chili. La manifestation défend l’éducation pour tous, depuis que le Chili s’est libéré de la dictature de Pinochet pour plonger dans l’ultralibéralisme et des universités payantes qui coutent le salaire d’un ouvrier.

A 67 ans, Stefano a toujours la passion du cinéma et celle de partager la culture. Il héberge Gabriela depuis quatre ans, et lui propose de venir voir The Getaway de Sam Peckinpah à la Victoria, où ils rejoindront le Père Patricio. En pleine projection, la sœur Maria Inès leur demande venir voir le drame qui se déroule sur un terrain vague tout proche :

Quelques policiers tentent de maitriser la centaine de badauds qui observent le corps d’un jeune adolescent mort. Enrique, le fils de 14 ans du rédacteur en chef de Senal3 est étendu là, mort. Gabriela filme tout, car elle a remarqué des traces de poudre blanche. C’est le quatrième corps d’adolescent que l’on retrouve comme cela. Gabriela sait que la police ne fera rien pour élucider les morts de jeunes pauvres. On lui conseille alors de contacter un jeune avocat spécialiste des causes perdues Esteban.

Après la Nouvelle-Zélande («Haka», 1998, «Utu», 2004), l’Afrique du Sud («Zulu», 2008), et l’Argentine («Mapuche», 2012), Caryl Ferey pose ses valises au Chili. C’est l’occasion pour lui de montrer en 400 pages un pan de l’histoire de ce pays marqué par une dictature adoubée par les plus grands pays économiques, sous prétexte de lutter contre le communisme. Le pendant de cela, c’est que ce pays est tombé dans un ultralibéralisme, qui creuse les écarts entre les pauvres et les riches, et qui foule aux pieds le moindre humanisme. Il était donc logique que Caryl Ferey y installe son intrigue.

Si on peut regretter qu’au fil des pages, le personnage de Stefano disparaisse quelque peu, ce roman est bel et bien porté par ses deux personnages principaux Gabriela et Esteban. Ce sont deux personnages aussi opposés qu’on puisse l’imaginer, Gabriela étant une révoltée sans le sou et Esteban un avocat issu d’une famille immensément riche mais se battant pour les pauvres. Comme d’habitude, Caryl Ferey démontre tout son humanisme à travers ces personnages, et surtout faisant de son roman un reportage sur un pays où le seul leitmotiv est de faire toujours plus d’argent.

Pour autant, l’intrigue n’est pas en reste puisqu’elle se déroule gentiment, jusqu’à dévoiler le sujet véritable du roman dans les dernières pages, sujet que l’on est bien incapable de trouver auparavant. Avant, nous aurons eu droit à un très bon polar, avec des scènes de suspense haletantes, des dialogues formidables et surtout un contexte des plus noirs, choquant, révoltant, scandaleux.

Je dois dire que ce roman m’a passionné mais que j’ai regretté que les personnages soient aussi stéréotypés (les gentils sont très gentils, les méchants sont très méchants) et qu’un peu plus de subtilité m’aurait poussé à mettre un coup de cœur. Et puis, il m’a manqué un peu de folie, un peu de passion, que je n’ai pas ressenti à la lecture, et qui est une des raisons pour lesquelles j’adore cet auteur. Ceci dit, ce roman n’est en aucun cas décevant pour moi, car c’est encore une fois un formidable voyage dans une contrée mal connue, pourrie par le règne de l’argent eu détriment des hommes et des femmes, présenté par des formidables personnages inoubliables.

Le lagon noir d’Arnaldur Indridason

Editeur : Métaillié

Traducteur : Eric Boury

Depuis quelques romans, Arnaldur Indridason fait un retour sur le passé de son inspecteur fétiche et récurrent Erlendur Sveinsson. Le précédent épisode (Les nuits de Reykjavik) nous montrait un personnage d’Erlendur débutant, ne faisant pas encore partie de la police criminelle, mais réussissant tout de même à résoudre une affaire de meurtre d’un clochard. Trois ans plus tard, Erlendur a décidé de suivre le conseil de Marion Briem et de rejoindre la police criminelle. Le lagon noir raconte la première véritable enquête de Erlendur.

En compagnie de Marion, Erlendur est en plein interrogatoire avec les deux frères Ellert et Vignir, qui ont été placés en détention préventive. Suite à une dénonciation anonyme, la police a découvert plusieurs kilos de haschich et des litres de vodka américaine. Les deux frères nient être impliqués, affirment être des victimes d’un piège, alors qu’ils ont les cadenas de la remise où ont été trouvés ces produits.

C’est alors que l’on vient annoncer à Marion que l’on vient de découvrir un cadavre dans un lagon, près de la centrale géothermique de Svartsengi. C’est une jeune femme qui l’a découvert, en prenant un bain pour calmer son psoriasis, sur les conseils de son dermatologue. Son visage est en bouillie ; A croire qu’il a été battu … ou bien que le mort est tombé d’une grande hauteur comme s’il s’était suicidé. Mais alors pourquoi a-t-on retrouvé le corps dans ce lagon ? Et puis, le corps portait des bottes américaines …

En parallèle des ces deux affaires, Erlendur est obsédé par la disparition d’une jeune adolescente Dagbjört. Un matin comme un autre, il y a vingt cinq ans de cela, elle sort de chez elle pour aller au collège. Personne ne l’a jamais revue. Cette disparition devient une obsession pour Erlendur et il va se forcer à trouver une explication pour la famille qui vit dans l’incertitude.

Je ne vais pas en rajouter avec Arnaldur Indridason, parce que vous le connaissez tous et toutes, et qu’il a un succès largement mérité. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il prend le temps d’installer son intrigue et ses personnages et que son écriture est emplie d’humanisme et de respect, de sensibilité et d’émotions. C’est pour toutes ces raisons que j’adore cet auteur et que je ne rate aucun de ses romans.

Comme je le disais ci-dessus, cette enquête est la première, ou l’une des premières de Erlendur, et on sent qu’il a déjà cette fibre sensible, cet intérêt pour les autres qui fera sa grande force par la suite. On le découvre aussi maladroit dans certains de ses interrogatoires ou questionnements, mais on sent qu’il va tirer les leçons de ses erreurs. Même après 11 romans policiers dont 8 avec la présence de Erlendur, Arnaldur Indridason arrive à me surprendre par la finesse psychologique qu’il démontre.

Evidemment, le rythme est lent, comme dans tous ses romans, et le déroulement de l’enquête est d’une évidence qui en ferait pâlir beaucoup. Indridason va nous parler de la présence des troupes américaines sur le sol islandais pendant la guerre froide. Il ne va jamais prendre position, et sortir d’ailleurs Erlendur du sujet en lui faisant dire qu’il n’aime pas toutes les guerres. Par contre, il va montrer les Américains dans toute leur arrogance, allant même jusqu’à avoir des attitudes de Maîtres du Monde, et avoir des réactions d’envahisseurs. Indridason nous dit aussi que ce sont les Américains qui ont apporté le crime, la drogue, l’alcool, dans un pays qui ne voulait que vivre tranquillement sans embêter les autres. Une nouvelle fois, c’est un coup de maître que ce nouveau polar qui nous étonne et nous démontre une nouvelle fois qu’Arnaldur Indridason a encore beaucoup de choses à nous dire.

Ne ratez pas l’avis de Wollanup sur l’excellent site Nyctalopes

Battues de Antonin Varenne

Editeur : La manufacture de livres

Avec un peu de retard, je vous propose mon avis sur un auteur que j’adore et qui a une saveur particulière pour moi, puisque Fakirs était le premier coup de cœur estampillé Black Novel. Pour Battues, Antonin Varenne plante sa tente dans la campagne française profonde pour une histoire bien noire.

Michèle Messenet est de retour à R., petite ville de province, où la fermeture des usines a irrémédiablement engendré sa décadence. Depuis, le chômage a augmenté, les jeunes sont partis à la grande ville, et ne restent que ceux qui ont bien voulu rester … ou qui n’ont pas pu faire autrement … Michèle Massenet a ouvert une boutique en ville, où elle vend un peu de tout. Cela fait 8 ans qu’elle est partie, faisant du trafic de drogue pour se payer la sienne. Elle est surtout partie pour quitter cette ville maudite. Depuis qu’elle est revenue, le sort semble s’acharner sur la ville, la malédiction s’est déclenchée.

Michèle Messenet est interrogée par le gendarme Vanberten. Elle explique comment les Courbier ont tenu la ville entre leurs mains, grace au commerce du bois. Elle décrit comment les Messenet détiennent une part du pouvoir grace à leur exploitation agricole. Elle cache, mais pas longtemps, qu’elle est revenue aussi pour Remi Parrot, le garde-chasse, qui a été défiguré lors d’un accident, et dont elle attend une déclaration. Elle connait les guerres de clans, les inimitiés qui ont engendré bien des malheurs, et qui vont à nouveau déclencher un cataclysme dans cette petite ville bien tranquille.

Avec une histoire d’amour matinée de rédemption, Antonin Varenne nous construit un roman à mi-chemin entre Romeo et Juliette et La Belle et la Bête, où les hommes se débattent avec le pouvoir qu’ils croient avoir et où le personnage féminin se révèle être le seul à avoir la tête sur les épaules. Alternant entre les différents personnages, l’auteur s’amuse à créer un canevas complexe pour faire avancer son histoire, entrecoupant différents passages ayant lieu dans le passé ou le présent, par des interrogatoires dans le bureau du gendarme.

Cette histoire se révèle très noire, sorte de peinture désenchantée d’une campagne oubliée, où les seules usines qui apportaient un peu de travail et de valeur ajoutée ont disparu, et où il ne reste plus qu’aux hommes à profiter de la nature qui leur tend ses joues. On a donc à faire avec de superbes personnages de dégueulasses, qui utilisent à leur profit les derniers restes de la nature, les terres étant exploitées à fond, les forêts déracinées pour revendre le bois. Ce roman se révèle une fable noire sur la sur-exploitation de la nature, et pointe les hommes en tant que coupables, sans aucune hésitation.

Cette histoire violente et dramatique va se découvrir petit à petit ; on va en apprendre un peu plus sur le passé des protagonistes, et découvrir que ceux qui ont le pouvoir et l’argent n’en ont encore pas assez, puisque le dénouement de ce déchainement de violence pousse au dégout devant les événements tragiques qui vont survenir. Cette histoire montre aussi de façon formidable la lutte des clans dans les petits villages, les histoires de famille qui passent de génération en génération sans jamais s’éteindre, car l’odeur du sang est reconnaissable entre toutes et les tâches ne s’effacent pas.

Cette histoire est servie par une plume magnifique, mais concernant cet auteur, j’y suis habitué. A tel point que quand j’en parle autour de moi, tout le monde me dit : « Ah oui, et ça doit être bien écrit ». Eh bien, ce n’est pas bien écrit, c’est superbe, cela semble tellement facile, tellement fluide, les dialogues sont tellement évidents, que l’on plonge avec délice dans cette jungle, peuplé d’hommes revenus au règne animal, luttant pour leur parcelle de pouvoir comme s’il s’agissait de survie. Vous l’aurez compris, une fois de plus, je suis sous le charme de l’écriture d’Antonin Varenne.

Money shot de Christa Faust

Editeur : Gallmeister

Collection : Néo-Noir

Traduction : Christophe Cuq

Dans la collection Neo-Noir, jusqu’à présent, je n’ai jamais été déçu, bien que je ne les aie pas tous lus. C’est donc naturellement vers ces couvertures noires que je me tourne quand je cherche un roman noir … Voici mon avis sur l’une des dernières parutions

Après avoir été actrice dans des films pornographiques pendant une dizaine d’années, Angel Dare a créé une agence de mannequins où elle propose des prestations qui vont de l’Escort-girl jusqu’à la prostitution ou des actrices de films X. Son ami et presque mentor Sam Hammer l’appelle au téléphone. C’est en effet lui qui a travaillé à sa renommée en tant que réalisateur. Sam Insiste pour qu’elle vienne tourner une scène avec la célébrité du moment : Jesse Black. Evidemment, elle ne peut résister à l’appel d’un ami !

Arrivée sur place, elle est rapidement ligotée au lit par deux malfrats, un grand violent et un petit vicieux. Ils la frappent puis demandent à Jesse Black de la violer. Leur seule question est simple : Une jeune femme est passée dans l’après midi avec une mallette et ils veulent récupérer cette mallette. Angel se rappelle bien dune Lia qui est passée cet après-midi mais elle ne peut en dire plus.

Ils abandonnent donc Angel à Jesse qui peut donner libre cours à sa violence. Après l’avoir copieusement frappée, il finit par la laisser pour morte avec plusieurs balles dans le corps. Par chance, elle parvient à appeler un ancien flic Lalo Malloy qui lui rend parfois quelques services. Angel et Malloy viennent de mettre le doigt dans un engrenage infernal.

Ceux qui pensent qu’en lisant ce roman, ils vont avoir droit à des scènes croustillantes, vont être bien déçus. Bien que le contexte soit très clairement orienté dans le film X, les scènes sont toutes très sages. Christa Faust nous montre l’envers du décor, d’un monde souterrain, et pour le coup, Angel et Lalo vont faire le tour de tout ce qui se fait dans le monde du porno des hétéros aux homos, des SM aux acteurs ou réalisateurs sans nous asséner des scènes inutilement démonstratives.

Globalement, pour un premier roman, je trouve que c’est bien écrit, à la première personne, avec une volonté de ne pas en rajouter sur les sentiments. Ce qui fait que je n’ai ressenti ni sympathie, ni pitié pour ce qui arrive à Angel Dare. Ce qui m’a le plus gêné, c’est que l’auteure a voulu en faire trop dans son roman, surtout dans le traitement de son intrigue.

Un exemple : Angel Dare se fait tabasser, violer et finit dans un coffre de voiture avec quelques balles dans le corps. Eh bien, elle trouve la force ( !?!) d’appeler son copain flic sur son portable. Et le lendemain, elle est d’attaque pour commencer son enquête. Tout cela, n’est pas très sérieux, absolument pas crédible, alors que le sujet de fond de son roman est autrement plus sérieux. Même la fin, qui veut nous faire passer Angel pour un ange m’a paru maladroite.

Je ne vais pas vous dire que je n’ai pas éprouvé de plaisir à cette lecture, parce que c’est quand même bien écrit. Je pense surtout que Christa Faust a voulu en faire un peu trop, alors qu’elle n’en avait pas besoin. Je pense aussi qu’elle a pris un contexte scabreux et qu’elle a évité bien des écueils. Et que donc, c’est une auteure dont je vais lire le prochain roman, car je pense qu’elle a des choses importantes à nous dire. A suivre, auteure à suivre …

 

Le club de Michel Pagel

Editeur : Les moutons électriques

Je pense qu’un grand nombre d’entre nous, adeptes aujourd’hui de polars, a passé un grand nombre d’heures à lire les aventures du Club des Cinq d’Enyd Blyton. C’est le challenge que relève Michel Pagel, en imaginant nos quatre amis revenir aujourd’hui, adultes. Le résultat s’avère autant intéressant que déconcertant.

Quatrième de couverture :

Longtemps, ils avaient été CINQ.

François, Claude, Mick, Annie et Dagobert, quatre enfants et un chien, ont autrefois formé un Club et vécu bien des aventures extraordinaires. Trente ans plus tard, le chien est mort depuis longtemps quand trois membres du Club, devenus adultes, séparés par la vie, sont invités par le quatrième à l’endroit même où ils passaient leurs vacances dans leur enfance.

Bientôt, alors que la maison est isolée par d’importantes chutes de neige, la vieille mère de Claude est assassinée… Mick est-il le responsable, comme semble le penser François ? À moins qu’un assassin se dissimule dans les environs enneigés ? Et pourquoi Claude se retrouve-t-elle régulièrement projetée sur un rivage anglais, à la rencontre d’enfants et d’un chien ressemblant singulièrement à ceux qu’ils étaient autrefois, elle et ses cousins ?

Dans un huis clos étouffant, écrit comme un thriller, une fable magistrale sur l’imaginaire de l’enfance, nos peurs, nos doutes.

Mon avis :

Hasard de mes lectures, c’est au moment où ma fille commençait un roman du club des cinq que je me suis attaqué à ce roman de Michel Pagel, que j’ai acheté rien qu’en lisant la quatrième de couverture. Car un flot de nostalgie m’a inondé en repensant aux romans que j’achetais dans les bouquineries proches de la gare du Nord, pour 1 Franc à l’époque. Et donc, j’ai lu toutes les aventures du club des cinq avant de passer à Bob Morane puis Agatha Christie. J’ai tellement aimé ces aventures à l’époque, que je me demande ce que je pourrais en penser aujourd’hui.

Finalement, Michel Pagel reprend le flambeau et nous présente des quarantenaires qui se retrouvent dans le château de leur enfance. Dans une première partie, l’auteur va nous présenter ce qu’ils sont devenus, et franchement, leur vie a connu bien des drames. Et l’auteur a respecté toute la psychologie de nos 4 héros. Puis, au milieu du roman, nous avons quelques chapitres qui montrent le club aux prises avec leur passage à l’adolescence et en particulier, les premières règles de Claude et Annie. C’est tellement bien écrit que l’on se croirait revenu 40 ans en arrière, à lire un roman du club des cinq.

Puis nous attaquons la dernière partie, avec le meurtre de la mère de Claude. A partir de ce moment là, l’auteur fait un parallèle entre les héros de la vraie vie d’aujourd’hui qui se mélangent avec nos héros d’hier.  Les personnages se mélangent, les époques fusionnent si bien qu’on ne sait plus si on est dans le présent ou dans un imaginaire, fut-il celui de l’un de nos personnages. Si la réflexion est intéressante, comme a pu nous l’offrir Woody Allen par exemple (Dans La rose pourpre du Caire), la lecture s’avère déconcertante. Et comme c’est très bien écrit, j’ai accepté ce jeu, m’amusant finalement jusqu’au bout de ce roman, mais sans vraiment en comprendre ni la conclusion ni la fin.

Ne ratez pas l’avis de L’Oncle Paul 

Les deux coups de minuit de Samuel Sutra

Editeur : Flamant noir

Dire qu’on en est déjà à la sixième aventure de Tonton et sa bande … et que j’en redemande. J’ai la chance de les avoir tous lus, et de les avoir tous adorés. Tonton et sa bande, c’est un peu Dortmunder écrit par Michel Audiard, pour résumer rapidement le genre, bien que je n’aime pas les catégories. Tonton, c’est un voleur de grande classe et de grand âge, entouré par une équipe de bras cassés, qui se retrouve toujours dans des coups de haut vol qui ne finissent pas tout à fait comme il l’avait imaginé au départ.

C’est l’ancien mari de Donatienne, la bonne de Tonton, qui vient leur proposer un coup en or, facile comme pas deux. Le baron de Gayrlasse, qui habite Île-et-Mourut, en région parisienne leur propose, pour une commission raisonnable (forcément, il manque de fraiche !) de dévaliser un gang de Salvadoriens qui doivent échanger des armes lourdes contre des sacs non moins lourds d’argent, en plein palace du Royal Monceau.

Tonton prépare l’affaire, et déguise Bruno en groom. Au moment d’entrer dans l’ascenseur, le groom, le vrai se fait assommer en même temps qu’une vieille dame qui logeait à l’hôtel. Dommage collatéral, diront certains ! Bosses assurées diront les autres. Malgré ce contretemps et ce léger retard, (il fallait bien ramener la pauvre vieille, équipée d’un gros revolver tout de même, à sa chambre), la bande à Tonton braque les Salvadoriens et n’embarquent que les sacs de fric.

Rentré dans la splendide demeure de Tonton, à Saint Maur, les bouteilles se vident. Donatienne en profite même pour sortir la liqueur qu’elle fabrique elle-même. La nuit passe, et tout le monde a mal à la tête. Tonton se réveille dans le lit de Donatienne. Il trouve sa maison sens dessus dessous, sans dessous puisqu’il est nu comme un verre (pardon, un ver). Les sacs ont disparu, et un mort git sur la table du salon. D’ailleurs, Bruno et Donatienne manquent à l’appel. Que s’est-il donc passé ? Pourquoi a-t-on fouillé sa maison ? Qui a pris l’argent ? Et qui est le mort (vite enterré dans le parc attenant) ?

Une fois de plus Samuel Sutra fait mouche. J’ai l’impression que chaque roman qu’il écrit est meilleur que le précédent. Sa plume est pleine d’une verve humoristique que beaucoup n’ont pas (d’ailleurs je ne connais pas d’auteur aussi doué dans l’humour décalé à la Audiard). Plus la série des Tonton avance, et plus j’ai envie d’en lire. On est déjà au sixième épisode et j’ai l’impression de lire à chaque une nouvelle aventure, sans répétition aucune.

Donc je vous garantis que vous allez rire, sourire, vous esclaffer même (et cela m’arrive souvent en plein transport en commun, ce qui occasionne des regards étonnés des autres transportés. En fait, la plume humoristique de Samuel Sutra vous oblige à lire chaque mot, chaque phrase, car on y trouve dans chacune une expression ou une façon de décrire qui pousse au rire.

Mais ce roman ne se résume pas à un amoncellement de bons mots, d’excellents mots. Le scenario, une fois de plus, puisque j’avais été enchanté du précédent, est construit avec minutie, minuté de façon stricte, si bien qu’il est formidablement bien trouvé, et formidablement bien amené. L’auteur fait preuve d’une imagination sans borne, et il en fallait pour créer cette histoire. C’est tout simplement génial !

Si vous connaissez Tonton, vous devez déjà l’avoir lu. Si vous ne connaissez pas, jetez vous dessus, c’est du divertissement haut de gamme, un scenario diabolique, construit de telle façon que vous allez comprendre à la fin de quoi il en retourne, et vous allez passer un excellent moment.

Ne ratez pas l’avis de Yv et Unwalkers

 

Dodgers de Bill Beverly

Editeur : Seuil

Traduction : Samuel Todd

Voici un premier roman, ce qui a l’art d’attirer mon oeil et de titiller ma curiosité. En plus, on y voit un bel hommage de Donald Ray Pollock. Je me devais donc de voir de quoi il en retourne …

De nos jours, à Los Angeles. Les maisons dans lesquelles les drogués viennent se ravitailler, voire consommer la drogue qu’ils viennent d’acheter s’appellent des Taules. Celles-ci sont gardées par des sortes de gardiens, de guetteurs, qui sont bien souvent des mineurs du quartier que le Big Boss paie pour leurs heures de surveillance. Dans notre histoire, le Boss s’appelle Fin et le personnage principal est un guetteur du nom d’East.

East doit surveiller la Taule, et pour cela, il est à la tête d’une petite bande, qui doivent être aux aguets contre tout ce qui pourrait être anormal. A force d’arpenter le trottoir d’en face, il a déjà remarqué la petite fille qui joue dans le jardin : c’est attendrissant. Un jour, un incendie se déclare un peu plus loin, dans un autre pâté de maisons. Cela suffit à attirer son attention, et à négliger un flot de voitures qui débarquent : Il a affaire à une descente de police.

Il se cache derrière une voiture, alors que les tirs fusent. La petite voisine continue à jouer et East voudrait bien la sauver. Quand elle est touchée par une balle perdue, il ne lui reste plus qu’à fuir. Fin, forcément, demande des comptes. Il lui accorde un sursis s’il lui rend un service : aller tuer un témoin gênant, qui n’est autre qu’un juge, qui passe la semaine dans sa maison de campagne dans le Wisconsin. Pour cela, on lui adjoint trois acolytes : Michael Wilson agé de 20 ans, Walter agé de 17 ans et Ty le frère d’East agé de 13 ans. Le périple peut commencer.

Le roman peut se découper en trois parties : Dans la première, on y voit le voyage de 3000 km qui va durer presque 200 pages. Les jeunes gens vont se connaitre, visiter des lieux, rencontrer des gens, des normaux, des frappés, et chacun va, en fait, faire son nid, se positionner par rapport au groupe. Cette partie, qui ne bouge pas trop, puisque la majeure partie se déroule dans la voiture, est plutôt bien faite, bien écrite, et surtout psychologiquement subtil … même si c’est un long.

Puis, tout cela va s’enchainer sur la deuxième partie, qui va concerner la mission proprement dite puis sur la troisième partie qui va être les conséquences de cette mission et les réactions d’East par rapport à cela. Si la mission est redoutablement efficace, et constitue le meilleur morceau de livre à mon avis, la troisième partie voit la rencontre entre East et des gens normaux … et je dois dire que j’ai moins accroché.

Car en fait, cette sorte de rédemption, après les nombreux événements qui sont survenus avant ressemble à quelque chose de déjà vu, de déjà lu et surtout en décalage avec la mission proprement dite. Alors, je me dis que cette partie, qui devait être l’apogée de ce roman, tombe un peu à plat par rapport à ce qu’on aurait pu attendre. Certes, il y a bien un coté manipulation derrière tout cela, mais cela ne m’a pas enlevé ce gout d’inachevé, de presque trop facile vis à vis de la fin.

Quoiqu’il en soit, pour un premier roman c’est très prometteur et Bill Beverly a réellement un superbe plume et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je lirai son prochain roman. Par contre, en ce qui concerne la phrase d’accroche signée de Donald Ray Pollock, je trouve que c’est un peu exagéré : « Avec son rythme soutenu et son intrigue impeccablement maîtrisée, un des plus grands polars littéraires que vous lirez jamais. ».

Nota : Le titre fait référence aux Tshirts que les 4 jeunes portent tout au long de leur voyage. Ils doivent être habillés comme des fans de l’équipe de Baseball de Los Angeles pour ne pas attirer l’attention.

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