Bilan de l’année 2018 … et bonne année à tous

Faut-il ou non faire un bilan de l’année ? J’ai hésité à le faire cette année, et puis, je me suis dit qu’il fallait que je laisse une trace de mes lectures de cette année, et en particulier de mes coups de cœur qui auront été nombreux. Pour moi, une bonne année, c’est quand je finis l’année avec 3 ou 4 coups de cœur. 2018 en comporte 6 ; elle restera donc pour moi un excellent cru.

Je me plie donc à l’exercice du bilan, comme beaucoup de mes collègues blogueurs. Mais avant tout, je tiens à vous souhaiter à tous une excellente année 2019, que celle-ci vous apporte pour vous et vos proches tout le bonheur que vous souhaitez, et que vous trouviez dans vos lectures de quoi nourrir votre soif de culture.

Cette année, j’aurais dépassé le millier de billets, ce qui me rend fier du travail accompli. J’aurais aussi donné plus de visibilité aux livres en format poche avec une nouvelle rubrique Des poches pleines de poches. J’aurais aussi moins publié, ce qui fait que beaucoup d’avis sont passés à la trappe.

Et puis, le plaisir de partager est toujours là, même si je n’aurais fait qu’un seul salon cette année : celui de Saint Maur. Par contre, je suis toujours heureux de participer au Prix des Balais d’Or qui a consacré encore cette année d’excellents romans et dont la 9ème édition est en cours. Et puis, ma rubrique Oldies aura mis à l’honneur la collection Rivages Noir que j’affectionne particulièrement. Et si 2019 était celle de la Série Noire de Gallimard ? Nous verrons …

J’en profite pour faire un gros poutou spécial 2019 à mes amis Bruno, Richard, Yvan, Jean le Belge, Vincent, Jeanne. Et un énorme merci pour leurs chroniques tentatrices à Claude, Paul, Belette, Yan et Jean-Marc.

Je disais donc 6 coups de cœur, qui m’auront enthousiasmé, bouleversé, ému et choqué. 6 romans inoubliables pour moi, qui j’espère le seront pour vous aussi :

Sans lendemain de Jake Hinkson (Gallmeister)

L’homme-craie de CJ.Tudor (Pygmalion)

Power de Mickaël Mention (Stéphane Marsan)

Le sexe du ministre d’Olivier Bordaçarre (Phébus)

La guerre est une ruse de Frédéric Paulin (Agullo)

My absolute darling de Gabriel Tallent (Gallmeister)

Il ne faut pas oublier dans cette liste de romans ceux qui m’auront touché aussi et qui sont passés à un doigt du coup de cœur :

Xangô de Gildas Girodeau (Au-delà du raisonnable)

Par les rafales de Valentine Imhof (Rouergue)

Kisanga d’Emmanuel Grand (Liana Levi)

Racket de Dominique Manotti (Les arènes)

Les incurables de Jon Bassoff (Gallmeister)

Les ombres de Montelupo de Valerio Varesi (Agullo)

Pour services rendus de Iain Levison (LIana Levi)

Empire des chimères d’Antoine Chainas (Gallimard Série Noire)

Rouge Parallèle de Stéphane Keller (Toucan)

La dernière couverture de Matthieu Dixon (Jigal)

Dans les angles morts d’Elisabeth Brundage (Quai Voltaire)

Corruption de Don Winslow (Harper & Collins)

Je chronique peu de bandes dessinées mais je tenais à en signaler deux qui m’ont beaucoup plus. La guerre des Lulus de Régis Hautière et Hardoc (Casterman) en 5 tomes qui parle de l’itinéraire de cinq enfants orphelins livrés à eux-mêmes pendant la première guerre mondiale, une histoire touchante et passionnante. Et Il faut flinguer Ramirez tome 1 de Nicolas Petrimaux (Glénat) qui a un vrai scénario passionnant et qui fait preuve d’un humour bienvenu dans un environnement noir. Du vrai polar écrit et dessiné de façon très visuelle, cinématographique.

Il est temps pour moi de vous laisser, je vous souhaite à nouveau une excellente année 2019, pleine de bonheur, pleine de lectures et plus que jamais, n’oubliez pas le principal, lisez !

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Rebonds de Roland Sadaune

Editeur : Editions Sydney Laurent

J’avais plutôt l’habitude, depuis quelques années, de lire de la part de Roland Sadaune, des romans noirs et sociaux, montrant des facettes de la société des aspects peu montrés et peu montrables. Il nous revient cette fois ci avec un pur roman policier.

La finale de l’Euro 2016 vient de se terminer. La France a été battue chez elle, par le Portugal. A la sortie du stade, les supporters sortent du stade, les uns heureux, fous de joie, les autres déçus. Il y a bien quelques échauffourées, mais il y a toujours dans ces cas-là des gens qui cherchent la bagarre.

Quelques jours plus tard, on découvre dans le canal de Saint Denis un filet de ballons de football, dans lequel est emprisonnée une tête d’homme. Marie Layne, qui est journaliste culturelle, est d’un journal régional à un journal local. Elle doit aussi faire face aux congés de ses collègues et se retrouve missionnée pour faire un article sur le sujet. Elle apprend par un collègue Philippe Myros que c’est un SDF Yvon qui a fait cette macabre découverte. Elle va donc partir à sa recherche et tombe sur un autre SDF, avec un surnom amusant : La Barbouille.

De son coté, le lieutenant Frédéric Lacoste est confronté à un sacré problème : trouver l’identité du mort et trouver le reste du corps. A part la tête, la brigade fluviale n’a rien trouvé d’autre. Apparemment, la décapitation a eu lieu ailleurs, c’est tout ce qu’il peut en déduire. Le légiste lui annonce que la tête est restée une dizain d’heures dans l’eau. Alors qu’il rentre chez lui, il trouve sur sa voiture un flyer avec un portrait annonçant la disparition d’un homme.

Comme je le disais, Roland Sadaune change de registre, du moins pour ce que je connais de ses romans, et nous livre un roman policier classique dans la forme et dans les portraits des personnages. Nous avons deux personnages principaux, une journaliste et un lieutenant de police, entourés par pléthore de personnages secondaires. On y trouve aussi des chapitres, en italique, mettant en scène un personnage étrange dont on devine qu’il va être impliqué dans cette affaire. De même, le style se fait moins violent, moins direct et plus fluide, comme s’il fallait se fondre dans l’enquête.

On a droit tout de même à quelques visites de quartiers du 9-3, qui une nouvelle fois s’avère dans leur approche d’une réalité criante. On y voit les SDF coucher dans des maisons en carton (heureusement, nous sommes en juillet et ils ne souffrent pas du froid), on y voit des parents délaisser leur rôle de parents, et nombre de trafiquants faisant leur commerce sans être inquiétés. Mais cela ne reste qu’un décor.

Par contre, le scénario est très bien fait, nous plongeant dans un sacré brouillard, à tel point que je me suis demandé qui pouvait être le coupable. Et pendant ce temps là, les cadavres continuaient à s’accumuler. Même s’il y a un ou deux indices voyants, on passe un bon moment. Et je rassure les futurs lecteurs : non, ce roman n’est pas un roman anti-supporter de foot … quoique. Ce sera à vous de le découvrir.

Au même moment, je tiens à vous informer que Roland Sadaune est un peintre de talent et qu’il sort un recueil de ses œuvres, ciblées sur le polar. Un bien beau petit livre avec de superbes toiles. Cela s’appelle Seul dans la nuit, et c’est édité par Val d’Oise Editions.

Ne ratez pas l’avis de L’oncle Paul

Claude Mesplède (1939-2018)

C’est avec une grande tristesse que nous apprenons la disparition du « pape du polar ».

On dit que les blogueurs sont les fils de Claude Mesplède.

Eh bien oui, Claude Mesplède était mon père du polar.

Le polar est encore un peu plus noir aujourd’hui.

Mes pensées vont à Ida et à toute sa famille

MESPLEDE  POLAR
DDM THIERRY BORDAS TOULOUSE LE 11MAR2014 PORTRAIT DE CLAUDE MESPLEDE SPECIALISTE ET PAPE DU POLAR

Au 5ème étage de la faculté de droit de Christos Markogiannakis

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Anne-Laure Brisac

Ce roman fait partie de la sélection 2019 du Grand Prix des Balais d’Or. C’est pour la raison que je me suis penché dessus et c’est encore un choix judicieux qu’a fait mon ami Richard, avec ce roman policier respectant à la lettre les codes du genre.

Lundi 13 février. Il est plus de 23 heures quand Anghelos Kondylis, doctorant de 29 ans, arrive à la faculté de droit de l’université d’Athènes. Il vient de Paris où il a réalisé des études pour sa thèse. Quand il sort de l’ascenseur au 5ème étage, il a du mal à se repérer à cause de l’éclairage défaillant. Au bout du couloir, il bute sur quelque chose, et s’aperçoit que c’est un corps. Il se penche, puis sent un mouvement. Quand il relève la tête, il se retrouve face au canon d’un révolver. Quelques secondes après, il est mort.

Christophoros Markou a brillamment suivi ses études à la faculté de droit d’Athènes avant d’entrer dans la police. C’est lui qui va être en charge de cette affaire de double meurtre et est bien placé puisqu’il connait bien les lieux. Outre le doctorant, l’autre victime se nomme Irini Siomou, professeure et maître de conférence, surnommée la Vipère pour sa sévérité et son humeur agressive. Il semblerait qu’Anghelos Kondylis soit une victime collatérale dans cette affaire.

Très organisé, Christophoros Markou s’organise pour ses interrogatoires. Il passera donc en revue La professeure Danéli, directrice de la thèse de Kondylis, Ioannis Vellis dit le Bouddha, professeur émérite, Nikolaos Mavridis maître de conférence et Nikoleta Strobakoou la secrétaire du département. Christophoros Markou va donc avoir beaucoup de travail pour démêler les fils de cette affaire.

Les amateurs de romans policiers dans la plus pure tradition vont prendre leur pied avec ce roman. Basé sur la psychologie des personnages, avançant grâce à des interrogatoires, ce roman est divisé en trois parties : la première est la prise de connaissance du contexte, la deuxième va nous fournir différents scénarii avant de conclure cette affaire par une réunion regroupant tous les protagonistes.

D’une lecture facile et très agréable, ce roman est écrit et construit avec beaucoup d’application. Et cette lecture s’avère passionnante par son efficacité et la justesse dans la description des psychologies. On en vient à plaindre le pauvre Christophoros Markou car il va devoir passer de nombreuses nuits blanches pour essayer de comprendre ce qui s’est passé cette nuit là.

Ce roman n’est donc ni révolutionnaire, ni extraordinaire (au sens qui sort de l’ordinaire), mais il comblera les amateurs d’Agatha Christie ou de Sir Arthur Conan Doyle pour son intrigue, sa construction et le plaisir qu’il procure à sa lecture.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Claude

Evasion de Benjamin Whitmer

Editeur : Gallmesiter

Traducteur : Jacques Mailhos

Troisième roman de Benjamin Whitmer, troisième lecture pour moi. J’avais adoré Pike, un peu moins Cry father, que j’avais trouvé moins fort, moins recroquevillé. Pour autant, je ne peux m’empêcher de me plonger dans son dernier roman en date.

A la veille de la nouvelle année, 12 prisonniers s’échappent de la prison de Old Lonesome, perdue au fin fond du Colorado. Alors qu’un blizzard va bientôt s’abattre sur la région, ils se séparent, prenant chacun une direction différente. Parmi eux, Mopar décide de prendre tout le monde par surprise, et évite de se diriger vers Denver ou le Mexique. Il décide de se faire oublier quelques jours, avant de rejoindre Molly, qui n’est jamais venue le voir en prison..

Cyprus Jugg le directeur de la prison prend les choses en main et envoie ses hommes à la recherche des évadés. Homme de peu de pitié, il n’espère qu’une chose : que chaque prisonnier reviendra les pieds devant. Car il a deux buts dans la vie : rassurer les habitants de la ville et garder une Jim est gardien de prison ; s’il retrouve les prisonniers, il aura peut-être une chance de devenir chef d’équipe.

Dayton, surnommée la Hors-la-loi est revendeuse de drogue. Elle va tout faire pour retrouver son cousin, Mopar Horn. En tant que témoins de toute cette affaire, Stanley et Garret sont les deux journalistes qui vont suivre cette traque. Ils s’aperçoivent qu’ils vont surtout être là pour éviter qu’il y ait un massacre. Tout ce petit monde va converger en un seul endroit pour un final explosif.

Comme les deux précédents romans de Benjamin Whitmer, nous sommes au fin fond des Etats-Unis, parmi ceux qui ont regardé passer la réussite de la grosse machine économique, sans aucun espoir de la rattraper un jour. Tous les personnages ont tous une raison de vivre mais pas d’objectif ni d’espoir. On est donc en plein dans la pure tradition du roman noir, qui nous présente une course poursuite en vase clos : en effet, comme chez David Joy, les personnages semblent enfermés dans leur région, tournant en rond, sans jamais pouvoir s’échapper de leur enfer.

Sous la forme d’un roman choral, offrant un chapitre par personnage principal, Benjamin Whitmer va nous faire suivre cette course de l’intérieur dans un paysage d’apocalypse. Cela nous donne droit à des scènes spectaculaires, même si la plupart du roman tourne autour de scènes intimistes basées sur des dialogues, souvent brillants. On y trouve peu d’humour mais un réel talent dans la construction de psychologies fortes, avec toujours cette philosophie simple : tant qu’on a une raison de se battre, il faut rester vivant.

Si l’intrigue est simple, si certaines scènes sont époustouflantes, si la fin est phénoménale, il n’en reste pas moins que, à certains moments, je n’ai pas été intéressé par ce qui se passait. Jim le traqueur et Mopar tiennent pour moi le devant de la scène et font de l’ombre à Jugg et Dayton. C’est donc un roman que j’ai apprécié en dents de scie, que j’aurais aimé plus resserré, plus rapide, plus direct.

 

La nuit des écluses de Bernard-Marie Garreau

Editeur : Envolume

Je vous propose la découverte d’un nouvel auteur et d’une petite maison d’édition, à travers un roman dont la trame est policière, et la forme littéraire. Amis de la littérature, ce roman est pour vous. Voici donc Un flic en soutane saison 3, le sous-titre de ce roman.

Nous sommes en 1969, à Sarveilles. Le père Jean est en pleine séance sportive : Sophie est en train de le menotter au lit. Le téléphone sonne et le réveille. Mais qui donc vient lui enlever un rêve aussi sympathique ? Une voix étouffée par un mouchoir lui annonce qu’il doit se rendre du coté de l’écluse et qu’il y trouvera des victimes de meurtre. Ayant fait durer l’appel plus de trois minutes, il va pouvoir demander à son ami le commissaire Marcel Durand de tracer l’appel.

En guide de victimes, ce sont bien deux corps qui attendent le Père Jean et le commissaire Marcel, un couple uni dans la mort, tué par balles. Juste à coté, il y a une cabane où habite un ivrogne du nom de Kaizer. Celui-ci, bien aviné, assure n’avoir rien entendu. L’autopsie des corps les laisse perplexe : les deux jeunes gens n’ont pas été tués au même moment, mais avec quelques heures d’écart.

Le titre pourrait faire penser à un épisode des Mystères de l’Ouest. Le personnage principal pourrait rappeler celui de Stanislas Petroski, Requiem. Et dans la présentation du livre, il y est fait mention de San Antonio. Il faut être clair, ce roman n’est pas un western, et si le personnage est bien un abbé, il est moins porté sur la gaudriole que Requiem. Enfin, en ce qui concerne la référence à San Antonio, la plume de l’auteur montre un véritable amour de la langue française et de l’argot.

L’une des grandes forces de ce roman, c’est de nous faire découvrir une enquête avec des personnages qui ont déjà connu deux épisodes précédents sans que l’on soit gêné ou déboussolé. On entre vite dans le vif du sujet et on a l’impression d’avoir toujours connu le Père Jean et Marcel. Quant à l’intrigue, elle est linéaire, faite d’allers-retours au gré des rencontre des personnages secondaires tous aussi farfelus les uns que les autres. Le final, avec les aveux du coupable donne un ton suranné à l’ambiance générale.

Pour les fans de romans policiers purs et durs, le scénario paraîtra léger. Par contre les amoureux de la langue française y trouveront leur compte. Cet auteur a une plume littéraire et très érudite. Il a l’art de parler culture, littérature et philosophie avec le recul et la dérision qu’il faut pour instruire en amusant. Agrémenté de mots d’argot, mais pas trop, cela donne une ambiance années 60-70 agréable. J’ai trouvé dans ce roman une filiation avec Franz Bartelt dans l’art de peindre des personnages décalés avec une plume explicite.

En termes d’érudition, nous allons croiser l’évocation d’Albert Camus, René Char, Paul Claudel ou même Astérix le Gaulois. Il y a des scènes de digression qui sont juste hilarantes, dont celle du cours de lettres qui tourne à la philosophie sur la vie. On y trouvera peu d’anticléricaux à Sarveilles, mais plutôt des originaux, qui vont faire avancer en vivant leur vie. Plus que pour l’intrigue, ce roman est destiné aux amoureux de la langue française.

Un diplôme d’assassin- un Flic en Soutane Saison 1

Litanies pour des Salauds – un Flic en Soutane Saison 2

 

My absolute darling de Gabriel Tallent

Editeur : Gallmeister

Traductrice : Laura Derajinski

Attention, coup de cœur !

Bénéficiant d’avis dithyrambiques, je m’étais gardé ce roman pour la fin de l’année. Et quand j’ai ouvert le livre, j’avais un peu peur, peur de passer à coté, peur de ne pas être touché, peur d’être déçu. Bon sang … quel roman !

Elle s’appelle Julia, se surnomme elle-même Turtle. Son père Martin l’appelle Croquette. Elle a 14 ans et n’a de cesse de se construire. Ce matin-là, elle nettoie son arme à feu, avant que son père ne lui demande de venir s’entraîner au tir. Quand il entre dans la cuisine de leur petite maison, en face de l’océan, elle braque l’arme sur lui. Va-t-elle tirer ? Non, pourtant il le faudrait. Son père insiste sur la nécessité de se défendre, d’être forte pour se préparer quand le monde se détruira. Car le point de non-retour est atteint. Après la séance de tir, son père la frappe, ou la viole. Turtle le déteste pour ça, mais elle l’aime aussi. Il est le seul qui prend soin d’elle, qui le protège contre le monde, qui la prépare au pire.

Julia fait ses devoirs avec son père, mais n’y arrive pas. Car elle est persuadée de ne pas y arriver. Alors il finit par s’énerver puis, philosophe, sait que cela ne sert pas à grand-chose : Bientôt seules les armes parleront. Au collège, Turtle n’a pas d’amis, pas même de « relations ».  Anna, sa professeure de langue voudrait bien l’aider, car elle sait que Julia peut y arriver. Mais Turtle est persuadée qu’elle va faire des erreurs. Et quand le directeur demande à voir son père, c’est un dialogue de sourds, car Martin refuse qu’elle voie un psychologue.

Turtle va souvent voir son grand-père avec qui elle joue aux cartes. Son grand-père n’a pas le même message que Martin, lui incitant à s’instruire et à s’ouvrir. Mais Turtle ne comprend pas ça, ne veut pas comprendre ça. Elle préfère s’évader, faire de longues marches dans la forêt, qu’elle arrive à dominer, à maîtriser. Elle est capable de survivre pendant plusieurs jours en totale autarcie, de se trouver de quoi manger, boire, se soigner et aménager des endroits pour dormir. Sa rencontre avec deux jeunes gens du lycée va bouleverser les certitudes que Turtle a mises en place dans la tête de Julia.

Rares sont les romans qui, dès le premier chapitre, vous chavirent à ce point. Dans ce premier chapitre, je suis passé de la tendresse à l’amour, des larmes à l’horreur. Dès ce premier chapitre, je savais que j’allais adorer ce roman, que j’allais laisser Turtle me prendre par la main, et me guider dans son monde, noir, terrible, réaliste, dur et impitoyable, comme un long tunnel entrecoupé par moments de quelques étincelles de lumières.

Car ce roman va nous faire voyager dans l’esprit d’une adolescente qui doit se construire, qui doit apprendre des autres sur elle-même, entre les certitudes qu’elle se forge, les vérités qu’on lui assène, et les interprétations qu’elle doit faire. Pour elle, la vie est un combat, contre la nature, contre les gens qui l’entourent, contre elle-même, qu’elle doit gagner, pour ne pas se perdre.

Alors il y a Julia, son prénom officiel, qui ne veut plus rien dire pour elle. Il y a Croquette, surnom affectueux que lui donne son horrible père, et qui est le seul lien affectif qu’elle entretient avec le monde. Et puis, il y a Turtle, cette tortue, qui représente si bien ce qu’elle est : une tortue qui, tout au long de ce roman, va sortir ses pattes, sa tête, prudemment, en ayant toujours la prudence de ne pas se blesser, de se protéger, de survivre. Car pour elle, la vie est une lutte de tout instant et elle ne peut se permettre de se laisser aller, à de l’amour, de l’amitié ou même juste une conversation.

La plume de ce tout jeune auteur est tout simplement incroyable, tout en finesse et en légèreté, bien que le sujet soit difficile et l’intrigue d’une noirceur et d’une cruauté énorme. La cohérence de son roman, alors qu’il a mis 8 ans à l’écrire est incroyable. Les personnages qu’il a inventés sont d’une réalité incroyable. En fait, ce roman est incroyable de force, de poésie, de rage, de beauté, de violence. Ce roman est de ces romans qu’on n’oublie pas, de ceux dont on veut garder une trace, une cicatrice. On lit un roman de cette force une fois tous les 10 ans. La dernière fois que j’ai ressenti une telle vague d’émotions, c’était pour Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock. Gabriel Tallent a écrit le roman des années 2010, le meilleur roman que j’ai lu depuis longtemps, mon roman de cette décennie.

Coup de cœur !

Dans les angles morts d’Elizabeth Brundage

Editeur : Quai Voltaire

Traductrice : Cécile Arnaud

Je ne sais pas si ça vous intéresse, mais je vais vous parler d’une habitude, d’une manie que j’ai, pour le choix de mes lectures. Chaque année, il y a des romans dont je sens qu’ils vont me plaire, ou tout du moins, des romans qui ont tout pour me plaire. Cela peut aller de l’auteur au sujet en passant par la lecture de la première page dans une librairie ou même un article de blog. Dans ces cas-là, je les achète, les mets de coté et les lis tous pendant le mois de décembre.

Ce roman là, je l’ai mis de coté suite aux nombreux billets élogieux chez les collègues, et surtout grâce à celui de Christophe Laurent. Et si je l’ai lu en novembre, c’est parce que ce titre est sélectionné pour le Grand Prix des Balais d’Or 2019 organisé par mon ami Richard. Autopsie des habitants de la campagne américaine.

Chosen est une petite ville perdue du Nord-Est des Etats-Unis, qui vit en autarcie. Les habitants n’aiment pas les gens de la ville, de New York, trop hautains pour eux. A Chosen comme dans toute petite ville, tout le monde sait tout, personne ne dit rien. Les Clare se sont installés à Chosen après avoir quitté New York. Ils ont acheté la ferme des Hale, suite à la saisie par la banque pour manquement de paiement. George Clare est professeur au collège et Catherine était peintre mais a abandonné son travail pour élever leur fille.

23 février 1979. La famille Pratt est en train de préparer à manger quand les chiens se mettent à aboyer. Dehors, leur voisin, George Clare se dirige vers leur maison, avec sa petite fille Franny dans les bras. George a l’air choqué, et la petite fille annonce : « Maman a bobo ». June Pratt demande à son mari Joe d’appeler la police. Une demi-heure plus tard, le shérif Travis Lawton débarque. Lawton décide d’aller sur place avec George. Dans la chambre conjugale, le corps de Catherine Clare git avec une hache plantée dans la tête.

George est immédiatement emmené au poste du shérif pour interrogatoire. La veille, ils ont mangé, comme d’habitude, se sont couchés à 11 heures. George est parti au travail à sept heures. Il part tôt depuis qu’il est devenu directeur du collège. Jusque là, tout était normal. Quand il est revenu, il a découvert sa femme morte, sa fille en train de jouer au rez de chaussée. A la réaction de Travis, George sent bien qu’il va avoir besoin d’un avocat. Mais que s’est il donc passé dans la ferme des Hale, puis des Clare ?

Il me faut prévenir le lecteur ou la lectrice : ce roman n’est pas pour les amateurs de thriller sanglant, ni pour celui qui cherche une écriture directe. Ce roman est tout simplement un beau roman de pure littérature, le genre de roman dont la plume va vous plonger dans un autre monde et vous bouleverser, vous hanter longtemps. Plonger, c’est le bon terme, car il va placer au centre d’un décor étrange et mystérieux des personnages et décortiquer, autopsier leurs réactions.

Ce roman est découpé en cinq parties, dont chacune va faire avancer l’intrigue, tout en en découvrant des aspects différents mais toujours avec la même pureté. Après avoir présenté le meurtre de Catherine, il va revenir un an auparavant, lors de l’arrivée des Clare, puis nous présenter la précédente famille propriétaire, les Hale, dont leurs trois fils ont été élevés par leur oncle et tante. Puis, les voisins, les habitants de cette petite ville vont apparaître, ayant chacun leur rôle à jouer dans cette histoire.

Dès la première partie, dès le début en fait, on est pris par la main, on est envoûte par l’écriture toute en finesse, toute en précision de l’auteure. Le fait qu’elle ne signale pas les dialogues ne gêne la lecture mais ajoute un supplément de vérité par la réaction de celui ou celle qui parle. Et c’est une aura de mystère qui plane sur cette histoire, avec l’interaction des acteurs avec la ferme mais aussi avec la nature environnante.

Puis on change de registre dans la deuxième partie, en dévoilant les dessous de l’intimité des différentes familles qui nourrissent ce roman. La tension monte, l’horreur du quotidien devient pesante alors que l’écriture se veut toujours aussi précise, mais plus analytique, distante. Et plus on avance dans le roman, plus cette tension devient intolérable au fur et à mesure que l’on s’attache aux personnages.

Le but d’Elizabeth Brundage n’étant ni de faire un roman policier, ni un roman fantastique, elle parsème son histoire d’un peu de chaque genre avec toujours autant de classe. Cela en fait un roman tout simplement inclassable, hors genre, et ceux qui veulent creuser un sillon entre littérature blanche et littérature noire seront bien embêtés quand il s’agira de parler de ce roman. Car ce roman est tout simplement un grand roman, et probablement le roman le mieux écrit de tous ceux que j’aurais lu cette année. Vous vous devez de le lire, il comporte des centaines de phrases qui trouveraient leur place dans un recueil de citations, il contient des personnages inoubliables, des scènes incroyables. Et cette écriture est tout simplement magique.

Ne ratez pas aussi l’avis de mon ami Denis

Des poches pleines de poches

Pour ce nouvel épisode consacré aux livres de poche, j’ai choisi d’être éclectique, de mélanger un livre ancien et un livre récent.

Noyade en eau douce de Ross MacDonald

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Une jeune femme se présente au bureau de Lew Archer. Maude Slocum apparaît choquée, arguant que quelqu’un cherche à détruire sa famille. Elle a, en effet, surpris une lettre dans le courrier de son mari annonçant qu’il était cocu. La lettre a été posté juste à côté de là où ils habitent. James son mari travaille dans le théâtre en tant qu’acteur et n’est pas riche, au contraire de sa mère, qui est très riche. Mais quand Lew Archer débarque lors d’une réception donnée par la “reine” mère, un meurtre va très vite changer la donne.

Dès le début, Ross MacDonald nous prend à froid, nous mettant de suite dans le feu de l’action, avec son humour cinglant qui accroche immédiatement. Et après ce premier chapitre, on s’attend à un roman d’enquête standard, avec un détective privé qui plonge ses yeux dans ceux d’une femme fatale, mais qui va trouver la solution après maintes péripéties, cascades et tutti quanti.

Que Nenni ! on retrouve le thème favori de l’auteur, à savoir la famille et ses différentes ramifications, et surtout les traîtrises. L’intrigue se révèle particulièrement nébuleuse et malgré cela, terriblement simple à suivre. C’en est impressionnant. Les dialogues sont d’une intelligence rare, alternant entre humour et indice caché, quand ce n’est pas l’évocation d’un trait psychologique.

Et puis, il y a ce dénouement que je n’avais pas vu venir, qui montre qu’encore une fois, Lew Archer arrive à s’en sortir dans un monde d’apparences et de menteurs. De ci de là, j’ai lu que ce roman était le meilleur de l’auteur. Je confirme : c’est un excellent polar, un classique du genre, à lire, relire ou découvrir.

Mauvais genre d’Isabelle Villain

Editeur : Taurnada

1993. Hugo Nicollini est un jeune garçon de 12 ans qui n’est bien qu’en présence de sa mère. Il subit les railleries de ses camarades de classe et il n’est pas rare qu’il rentre à la maison en pleurant. Quand son père revient du travail saoul, une dispute éclate entre ses parents et son père frappe sa mère … comme d’habitude. Mais cette fois-ci, les coups seront mortels.

2016. Rebecca de Lost est commandant à la police judiciaire. Elle a perdu son mari, assassiné par un psychopathe et s’est jurée de ne plus tomber amoureuse. Mais Tom, capitaine dans un autre service l’a fait craquer. Ce matin là, ils sont appelés sur le lieu d’un meurtre : une jeune femme a été poignardée chez elle. Tout semble orienter les recherches vers son entourage proche jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent que la jeune fille est en fait une transexuelle. Angélique Lesueur, la victime, se nomme en réalité Hugo Nicollini.

A la lecture de ce roman, on sent bien que l’auteure a assimilé et appliqué les codes du polar. C’est donc un roman policier de facture classique auquel on a droit, bien écrit avec des chapitres ne dépassant pas les 10 pages, ce qui donne une lecture agréable. Dans la première partie, on y parle des transsexuels et de leur difficulté à vivre avec un sexe qui n’est pas en adéquation avec ce qu’ils ressentent. Cette partie là est remarquablement bien faite et peu traitée dans le polar.

A la moitié du roman, apparaît une deuxième affaire, liée à une enquête précédente. Le déroulement du scénario devient plus classique, avec une accélération du rythme. Mais l’intrigue est redoutablement bien déroulée. C’est un vrai plaisir à lire, Et là où on pense que tout se terminerait bien, l’auteure se permet une fin noire et bien énigmatique.

C’est donc une belle découverte pour moi. Malgré le fait que je n’ai pas lu les précédentes enquêtes du groupe de Lost, je ne me suis jamais senti perdu et ce roman policier, même s’il n’innove pas dans la forme, s’avère intéressant dans le fond tout en réservant quelques heures de bon divertissement.

La dernière couverture de Matthieu Dixon

Editeur : Jigal

Ne me dites pas que ce roman est un premier roman ! Franchement je n’y croyais pas, à tel point que j’ai du poser la question à l’éditeur Jimmy Gallier. Accrochez vous, ce roman, c’est une bombe, du vrai polar, serré comme un ristretto, servi sans sucre ni crème. Amer, quoi !

Raphaël est un jeune homme, photographe indépendant, qui s’apprête à être papa pour la première fois. Passionné par son métier, il délaisse un peu sa vie de famille pour se concentrer sur des photos qu’il pourra vendre aux différents médias. En cela, il est aidé et éduqué par Bernard, un vieux de la vieille dont tout le monde s’arrache les images. Bernard, c’est le mentor, le père en quelque sorte de Raphaël.

Ce soir-là, Bernard fait appel à Raphaël, pour une affaire qui va faire grand bruit. Ils seront tous les deux aux aguets pour la photographie qu’il ne faut pas rater. Raphaël accepte de jouer le jeu et ils s’installent tous les deux à une table différente du Maskirovka, le restaurant à la mode et attendent leurs victimes. Quelle n’est pas la surprise de Raphaël de voir débarquer une journaliste vedette du 20H et le ministre de l’industrie, flirtant comme des adolescents !

A coté de ces photos chocs qui valent une belle position dans un journal, Raphaël s’adonne aussi à des photos de starlettes pour boucler ses fins de mois, quitte à ce que cela se termine par une séance de sexe à l’arrière d’un taxi. Quelques jours après, Raphaël rejoint Bernard qui doit rejoindre Juan-les-Pins dans son hélicoptère personnel, et vient toucher son argent. Mais Raphaël ne fait pas attention aux remarques énigmatiques de Bernard, et il est d’autant plus choqué d’apprendre que son hélicoptère a pris feu le lendemain. De ce jour, il va se croire investi d’une mission : comprendre la mort de son mentor.

On peut dire ce que l’on veut, la multiplication des médias et leur fonctionnement est un thème passionnant ; la façon dont est organisée, distribuée, affichée, cachée l’information aussi. Et quelques polars ont d’ors et déjà choisi ce thème prometteur pour nous offrir des intrigues palpitantes. Il est vrai que la théorie du complot ou de la manipulation des masses a toujours passionné, qu’on l’appelle désinformation ou propagande.

Si au premier degré, ce n’est pas le sujet de ce roman, le fond de l’histoire est là. On est en plein dans la mélasse, dans les photos bien attrayantes ou dégueulasses, qui prennent la place d’autres qui pourraient être beaucoup plus informatives mais aussi dangereuses pour certaines personnes. Il faut s’y faire : nous sommes dans le monde de l’immédiateté, où l’info du jour sera remplacée par une autre dès le soir même ; nous sommes dans un monde où les premières pages sont squattées par les stars, leur mort, leur divorce, leur héritage, les résultats sportifs et les dernières à la pollution, au chômage, aux guerres, aux crises financières créées de toutes pièces … Vous pouvez rayer les mentions inutiles du jour. N’y voyez pas de ma part de la démagogie mais juste un état de fait.

Ce roman est un pur joyau noir, du vrai polar pur et dur, resserré comme il faut en 180 pages, autour d’un personnage qui va centraliser toute l’attention, d’abord parce qu’il est le narrateur, mais aussi parce qu’il est le naïf catalyseur, celui qui va soulever pour nous le tapis, sous lequel sont en train de pourrir quelques rats crevés. Et on y croit à fond parce que c’est simplement fait, simplement écrit, et étayé par des exemples connus ou pas du grand public mais éloquents.

Alors, Jimmy Gallier me dit que c’est le premier roman de Matthieu Dixon. Eh bien, moi je signe d’emblée pour lire le second roman de ce jeune auteur, en espérant y retrouver cette passion pour son sujet, cette fougue dans l’expression, cette rigueur dans le déroulement de l’intrigue, cette véracité dans la construction du personnage. Et peut-être aurons nous aussi un sujet tout aussi passionnant ? En tous cas, chapeau M.Dixon, chapeau bas, et un grand merci pour avoir commis celui-ci.

Ne ratez pas l’avis de Jean le Belge, Yves et 404