My absolute darling de Gabriel Tallent

Editeur : Gallmeister

Traductrice : Laura Derajinski

Attention, coup de cœur !

Bénéficiant d’avis dithyrambiques, je m’étais gardé ce roman pour la fin de l’année. Et quand j’ai ouvert le livre, j’avais un peu peur, peur de passer à coté, peur de ne pas être touché, peur d’être déçu. Bon sang … quel roman !

Elle s’appelle Julia, se surnomme elle-même Turtle. Son père Martin l’appelle Croquette. Elle a 14 ans et n’a de cesse de se construire. Ce matin-là, elle nettoie son arme à feu, avant que son père ne lui demande de venir s’entraîner au tir. Quand il entre dans la cuisine de leur petite maison, en face de l’océan, elle braque l’arme sur lui. Va-t-elle tirer ? Non, pourtant il le faudrait. Son père insiste sur la nécessité de se défendre, d’être forte pour se préparer quand le monde se détruira. Car le point de non-retour est atteint. Après la séance de tir, son père la frappe, ou la viole. Turtle le déteste pour ça, mais elle l’aime aussi. Il est le seul qui prend soin d’elle, qui le protège contre le monde, qui la prépare au pire.

Julia fait ses devoirs avec son père, mais n’y arrive pas. Car elle est persuadée de ne pas y arriver. Alors il finit par s’énerver puis, philosophe, sait que cela ne sert pas à grand-chose : Bientôt seules les armes parleront. Au collège, Turtle n’a pas d’amis, pas même de « relations ».  Anna, sa professeure de langue voudrait bien l’aider, car elle sait que Julia peut y arriver. Mais Turtle est persuadée qu’elle va faire des erreurs. Et quand le directeur demande à voir son père, c’est un dialogue de sourds, car Martin refuse qu’elle voie un psychologue.

Turtle va souvent voir son grand-père avec qui elle joue aux cartes. Son grand-père n’a pas le même message que Martin, lui incitant à s’instruire et à s’ouvrir. Mais Turtle ne comprend pas ça, ne veut pas comprendre ça. Elle préfère s’évader, faire de longues marches dans la forêt, qu’elle arrive à dominer, à maîtriser. Elle est capable de survivre pendant plusieurs jours en totale autarcie, de se trouver de quoi manger, boire, se soigner et aménager des endroits pour dormir. Sa rencontre avec deux jeunes gens du lycée va bouleverser les certitudes que Turtle a mises en place dans la tête de Julia.

Rares sont les romans qui, dès le premier chapitre, vous chavirent à ce point. Dans ce premier chapitre, je suis passé de la tendresse à l’amour, des larmes à l’horreur. Dès ce premier chapitre, je savais que j’allais adorer ce roman, que j’allais laisser Turtle me prendre par la main, et me guider dans son monde, noir, terrible, réaliste, dur et impitoyable, comme un long tunnel entrecoupé par moments de quelques étincelles de lumières.

Car ce roman va nous faire voyager dans l’esprit d’une adolescente qui doit se construire, qui doit apprendre des autres sur elle-même, entre les certitudes qu’elle se forge, les vérités qu’on lui assène, et les interprétations qu’elle doit faire. Pour elle, la vie est un combat, contre la nature, contre les gens qui l’entourent, contre elle-même, qu’elle doit gagner, pour ne pas se perdre.

Alors il y a Julia, son prénom officiel, qui ne veut plus rien dire pour elle. Il y a Croquette, surnom affectueux que lui donne son horrible père, et qui est le seul lien affectif qu’elle entretient avec le monde. Et puis, il y a Turtle, cette tortue, qui représente si bien ce qu’elle est : une tortue qui, tout au long de ce roman, va sortir ses pattes, sa tête, prudemment, en ayant toujours la prudence de ne pas se blesser, de se protéger, de survivre. Car pour elle, la vie est une lutte de tout instant et elle ne peut se permettre de se laisser aller, à de l’amour, de l’amitié ou même juste une conversation.

La plume de ce tout jeune auteur est tout simplement incroyable, tout en finesse et en légèreté, bien que le sujet soit difficile et l’intrigue d’une noirceur et d’une cruauté énorme. La cohérence de son roman, alors qu’il a mis 8 ans à l’écrire est incroyable. Les personnages qu’il a inventés sont d’une réalité incroyable. En fait, ce roman est incroyable de force, de poésie, de rage, de beauté, de violence. Ce roman est de ces romans qu’on n’oublie pas, de ceux dont on veut garder une trace, une cicatrice. On lit un roman de cette force une fois tous les 10 ans. La dernière fois que j’ai ressenti une telle vague d’émotions, c’était pour Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock. Gabriel Tallent a écrit le roman des années 2010, le meilleur roman que j’ai lu depuis longtemps, mon roman de cette décennie.

Coup de cœur !

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22 réflexions sur « My absolute darling de Gabriel Tallent »

  1. Croquette… je surnommais mon chien ainsi car ma soeur trouvait qu’il avait la couleur d’une croquette de pomme de terre passée à la friteuse (quand il était plus jeune). Le voir donné à une gamine était assez difficile à lire.

    Un roman noir, très noir, trop noir ? Je le savais avant et j’ai eu peur aussi de passer à côté. Je me suis sans doute trop blindée au départ.

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      1. Et bien, j’ai ressenti plus d’émotions dans « la vraie vie » que dans « my absolute…. ». C’est grave docteur ??? Me suis trop blindée au départ sachant où j’allais alors que j’étais vierge pour l’autre ??

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  2. Je n’ai pas lu celui-ci (Mais j’ai lu la vraie vie même si je ne peux pas encore en parler). J’ai peur d’y plonger à cause d’un éventuel tsunami émotionnel, et en même temps, je me dis que vu les avis qui fleurissent sur la toile, je ne peux pas passer à côté !

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  3. Avec du retard j ai fini ce roman. Ce roman nous prend littéralement aux tripes et ne nous lâche pas jusqu au final. Quelle oeuvre sombre et puissante qui ne laisse pas le lecteur indifférent. J adore. J en profite pour te conseiller un petit bijou de 100 pages que j ai lu recemment : La Maladroite d Alexandre Seurat. C est l histoire d une gamine maltraitée par ses parents en prenant le point de vue des personnes qui auraient pu faire quelque chose. C est simple dans le style mais puissant sur le thème, l angle abordé, et le rôle des institutions. C est vraiment à lire.

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  4. Après avoir lu ta suggestion suite au livre sur …… les écrevisses …. j’en oublie les titres. Je l’ai pris et me souviens avoir lu ce livre. Dès le début j’ai revu les scènes imaginées par les mots et ai parcouru le livre. Ce livre me rappelle dans la même catégorie Né d’aucune femme. Je pense avoir éliminé ce livre après lecture, celui-ci ne m’a strictement rien apporté eu égard à d’autres livres noirs (voir Rivages Noirs) bien au-dessus de cette noirceur là. J’aime un roman noir, mais pas dans cette complaisance que je trouve sadique dans les descriptions de certaines scènes pouvant être raccourcies tout en gardant l’idée du discours. Je pense que l’un n’empêche pas l’autre. Je parviens à dépasser ma vie personnelle puisque ce livre, j’ai pu le lire entièrement à l’époque. Je respecte l’avis des uns et des autres et ils m’intéressent. Ton analyse est empreinte de tes ressentis personnels qui sont à fleur de peau. Il est clair que pour toi et d’autre cela soit le choc à la lecture du talent de l’auteur dans cette écriture. Merci de m’avoir lue. J’espère que tu ne m’en veux pas pour ma franchise ? Si je ne dors pas, insomnies occasionnelles. Bises Geneviève qui baille

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    1. Je te comprends parfaitement Genevieve et je ne t’en veux pas. Les avis consensuels ne m’intéressent pas. J’aime qu’on discute et partage nos avis. Effectivement, ce billet ne représente que mon avis comme tous les autres. Merci d’avoir partagé le tien. Nous ne sommes pas d’accord ? Eh bien tant mieux ! On se retrouvera sur un prochain. BIZ

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