Le chouchou de l’été 2019

Allez, finies les vacances ! Il va falloir retourner au boulot. Avant que les nouveautés ne débarquent, même si quelques unes sont déjà sorties, voici un petit récapitulatif des avis publiés cet été qui devrait vous permettre de trouver votre bonheur. Comme l’année dernière, j’ai classé les titres par ordre alphabétique de leur auteur et trouvé un adjectif pour qualifier chacun d’eux. A vous de choisir :

La colombienne de Wojciech Chmielarz (Agullo) : Addictif

Ecouter le noir – Recueil de nouvelles – Collectif (Belfond) : Polyphonique

L’aigle des tourbières de Gérard Coquet (Jigal) : Albano-irlandais

Du sang sur l’autel de Thomas H.Cook (Gallimard) : Religieux

Cool killer de Sébastien Dourver (La Martinière) : Dérangeant

Le chant de l’assassin de RJ.Ellory (Sonatine) : Littéraire

Le pays des oubliés de Michael Farris Smith (Sonatine) : Désespéré

Au nom du bien de Jake Hinkson (Gallmeister) : Dénonciateur

Telstar de Stéphane Keller (Toucan) : Algérien

La vie en rose de Marin Ledun (Gallimard) : Populaire

Escalier B, Paris 12 de Pierre Lunère (Harper & Collins) : Divertissant

Les enchainés de Jean-Yves Martinez (Seuil) : Mystérieux

Janvier noir d’Alan Parks (Rivages) : Sombre

Après les chiens de Michèle Pedinielli (Editions de l’Aube) : Energique

Le tueur en ciré se Samuel Sutra (Alter Real) : Burlesque

Cirque à Piccadilly de Don Winslow (Galimard) : Juvénile

Le titre du chouchou de l’été 2019 revient donc à Après les chiens de Michèle Pedinielli (Editions de l’Aube) pour l’énergie qu’il dégage, pour son personnage principal extraordinaire, pour son intrigue qui a l’air d’être improvisée, et pour ses valeurs humanistes.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous souhaite un bon courage pour la reprise et vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Publicité

Cool killer de Sébastien Dourver

Editeur : Editions de la Martinière

Normalement, je n’aurais pas parlé de ce roman, s’il n’y avait des thèmes qui m’ont interpellé. C’est un premier roman, et l’auteur, qui travaille dans les média, a montré toute sa passion dans ce sujet.

Alexandre Rose rentre chez lui, retrouver sa femme et ses enfants qu’il n’aime pas. Quand un adepte de la trottinette arrive en face de lui, il fait un petit pas de coté et lui assène un coup d’épaule. Le passager perd l’équilibre et tombe sur la voie chaussée, au moment où un camion arrive et l’écrase. Alexandre jette un coup d’œil, vérifie qu’on ne l’a pas vu et rentre chez lui, comme si de rien n’était.

Sur les chaines d’information continue, Infononstop tient le haut du pavé. Une journaliste stagiaire l’appelle au téléphone pour avoir son témoignage. Elle a surement eu son numéro grâce à la police. L’accident a été filmé par des touristes et la vidéo a été vue par des millions de personnes. Immédiatement, il vérifie qu’on ne le voit pas sur la vidéo et se rassure. D’ailleurs, il aimerait bien en savoir plus sur cette journaliste, Clothilde Collard.

Alexandre Rose est un génie de l’informatique, et travaille dans une entreprise qui propose aux internautes des liens ou vidéo en les adaptant à leurs goûts et leurs besoins, à l’aide de l’algorithme génial qu’il a créé. Il décide de démissionner et de créer un forum où les gens peuvent se lâcher en écrivant des scènes de meurtres envers les gens qu’ils n’aiment pas. Il appelle son entreprise Cool Killer. Quand des meurtres reproduisent ce que les internautes, son succès est immédiat. Mais son objectif est d’aller bien au-delà.

Ce roman est le genre de roman où on est clairement dérangé, mis à mal dans notre confort. D’un style méchant et hargneux, il pousse le vice jusqu’à nous mettre dans la peau de complices de ses inactions. Entendons nous, Alexandre Rose ne va pas se salir les mains et faire agir les autres en les manipulant. Et cela devient une manipulation qui va bien au-delà de ce que l’on peut imaginer.

Clairement, ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains, et flirte souvent avec la ligne jaune. Entre apologie de la violence et dénonciation de l’utilisation d’Internet, voulue ou non, l’auteur va dérouler son intrigue en flinguant Internet mais aussi les politiques et les médias. Et son explication est, je dois l’avouer, convaincante ; c’est bien ce qui est inquiétant dans ce roman.

Aujourd’hui un site qui est capable de récupérer toutes vos données, vos photos, vos vidéos, peut vous proposer l’objet idéal que vous cherchez. Laissez aller votre imagination … le voisin qui vous fait chier, vous les mettriez bien dans une fosse emplie de crocodiles. Ce roman montre et démontre toute l’inhumanité du monde quand on lui donne l’occasion de se lâcher et d’effacer toutes les limites.

C’est un roman extrêmement dérangeant, qui rappelle Fight Club de Chuck Palaniuk par son coté anarchiste. Le monde est en pleine décadence et il faut mettre un gros coup de balai. Celui qui va s’y atteler s’appelle Alexandre Rose et ce roman sulfureux fait froid dans le dos, ne se posant aucune limite dans l’horreur sans pour autant avoir une scène gore. Il laisse juste notre imagination imaginer l’inimaginable. Je ne peux pas dire que j’ai aimé, mais je l’ai lu très vite, il m’a fait réagir et je ne risque pas de l’oublier. Car j’en ai retiré beaucoup de questions dérangeantes. Avis aux amateurs …

Après les chiens de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera, son premier roman, il me fallait absolument lire la suite, et retrouver Diou, cette formidable détective privée, faite en béton armé. Si Bocannera était très bon, celui-ci m’a paru encore meilleur.

Ghjulia « Diou » Boccanera est toujours détective privée à Nice, et elle a décidé de prendre un peu plus soin de sa santé. Fini l’alcool, bonjour le sport … enfin, un petit footing le matin. Elle a accepté de garder le chien de ses amies Dagmar et Klara qui sont parties pour des vacances en famille en Suède. Et Scorsese la réveille tous les matins à 6 heures pour la promenade matinale ! Après un café expéditif, direction le mont Boron pour une escapade forestière au calme.

Sauf que ce n’est pas le calme que Diou va trouver mais un cadavre au détour d’un chemin. A première vue, il s’agit de toute évidence d’un étranger, un SDF, qui a été méchamment tabassé à tel point que son visage ne ressemble plus à rien. Malgré sa première tentation, elle appelle son ami et ex-amant le commandant Jo Santucci. Santucci ne se fait pas trop d’illusions, Diou va vouloir mettre son grain de sel dans cette affaire.

Pourtant, Diou va être occupée par une autre affaire : Colette, la patronne du restaurant Aux Travailleurs lui annonce que quelqu’un a besoin de ses services. La fille de Marina, qui tient le salon de thé rue de la Boucherie a disparue depuis quatre jours. La police ne peut rien faire, la disparition de Mélodie Feuillant n’est pas prioritaire puisqu’elle est majeure. Les affaires reprennent pour Diou.

Même si Après les chiens constitue la deuxième enquête de Diou, on peut lire cette enquête indépendamment de la précédente. Jamais je n’ai ressenti le besoin de me rappeler ce qui s’était passé précédemment. Par contre, dès les premières pages, on est emporté par le rythme et la vivacité du personnage principal, Diou, qui tient cette intrigue à bout de bras. Cette femme forte, blindée, mène ses enquêtes et sa vie à un rythme d’enfer et ne s’en laisse pas conter. Et ce n’est pas parce qu’elle est d’apparence forte qu’elle n’a pas aussi ses faiblesses, ses cicatrices qu’elle trimbale comme un sac poubelle derrière elle.

Ce roman, s’il comporte tous les ingrédients d’un polar, va lorgner du coté des migrants et de ceux qui ont font la chasse, sous le prétexte de conserver un pays propre. Entre nazillons et racistes de tous poils, Michèle Pedinielli va aborder ce thème social fort sans être lourdingue, en positionnant ce thème en tant que contexte. C’est d’une remarquable intelligence. D’autant plus qu’elle fait un parallèle avec l’exode de juifs pendant la deuxième guerre mondiale, pour montrer que ces gens ne veulent rien d’autre qu’essayer de vivre un peu plus longtemps. Et qui est assez inhumains pour leur refuser ça ?

Mais il y aura aussi d’autres sujets qui vont parcourir ce roman comme ceux qui font les trafics d’animaux et leur maltraitance, comme des pistes qui peuvent sembler fausses mais qui vont chacune ajouter une pièce au puzzle d’ensemble. Et ce roman va devenir un roman foisonnant où on accepte de suivre Diou dans ses affaires pour son énergie inépuisable, mais aussi parce qu’on a l’impression de suivre une intrigue improvisée, de la même façon que Diou mène sa vie.

Encore une fois, on va se balader dans les quartiers de Nice, en évitant les quartiers touristiques pour s’attarder dans ces rues au charme du Sud. Encore une fois, on va avoir droit à des portraits de personnages secondaires formidables. Encore une fois, l’émotion va nous serrer la gorge alors que le style est plutôt « Rentre-Dedans ». Encore une fois, c’est une très grande réussite, et comme je l’ai déjà dit : Je suis prêt à suivre Diou au bout du monde !

Ne ratez pas l’avis de Psycho-Pat

Le chant de l’assassin de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteurs : Claude et Jean Demanuelli

Depuis sa première parution avec Seul le silence, je dois dire que je prends un plaisir à lire les histoires que cet auteur nous invente, avec toujours comme décor les Etats Unis, pas celui clinquant tout beau tout propre mais celui des campagnes.

Henry Quinn a été élevé seul par sa mère, secrétaire dans une bibliothèque, et n’a donc jamais connu son père. Juste avant sa majorité, ayant bu trop d’alcool, il s’amuse à tirer avec une arme à feu sur un tonneau. Pour son malheur, une balle rebondit et va parcourir plusieurs centaines de mètres avant de tuer une jeune femme, en train de préparer son petit déjeuner dans sa cuisine.

Accusé puis condamné juste après ses 18 ans, il en prend pour 5 ans au pénitencier de Reeves, sort au bout de 3 ans pour bonne conduite. S’il s’en sort en un morceau, c’est grâce à Evan Riggs, son compagnon de cellule. Condamné à la prison à vie, Evan lui demande de retrouver sa fille qu’il n’a jamais connue, pour lui donner une lettre. Henri ne peut qu’accepter ce service envers celui qui l’a sauvé et qu’il considère comme un père naturel.

Après une visite éclair auprès de sa mère, toujours aussi alcoolique, Henri prend la route de Calvary, où il devrait pouvoir retrouver la trace du frère d’Evan, Carson, qui en est le shérif. Le moins que l’on puisse dire est que l’accueil est froid, aussi bien de la part du shérif que des habitants de Calvary. Il semblerait même que tout le monde veuille oublier Evan et sa fille. Mais quel est le secret qui est enfermé dans cette petite ville ?

Je ne vais pas vous redire tout le bien que je pense du style hypnotique de Roger Jon Ellory, ce talent à créer des personnages forts, cette faculté à nous plonger dans un autre lieu et un autre espace-temps. Pour ce roman-là, il va mener en parallèle deux histoires : l’une contemporaine sur la recherche de la fille d’Evan, l’autre concernant la vie d’Evan, son crime et comment il en est arrivé là.

Pour la première fois, Roger Jon Ellory lier ses deux passions dans un seul roman : écrire une histoire simple et la musique. Evan est en effet un musicien maudit, créateur des Whiskey Poets (comme par hasard le nom du groupe réel de Ellory) et Henry un musicien doué. En entourant le tout de plusieurs questionnements et mystères bien épais, vous avez les ingrédients de ce roman une nouvelle fois réussi.

Les deux histoires vont alternativement se dérouler, tranquillement, pour nous amener à lever le voile sur la vérité, les vérités. D’un côté, l’enquête d’Henry qui montre une ville renfermée sur elle-même et qui veut éviter les étrangers. De l’autre, la vie d’Evan faite d’erreurs, de mauvais choix, d’hésitations, de moments de joie mais aussi de moments dramatiques. Ellory nous raconte une vie plongée dans l’Histoire américaine.

Comme à chaque fois, n se retrouve emporté dans un roman plein, complet, dans lequel on a beaucoup de plaisir à plonger parce qu’on a l’impression de côtoyer des personnages ordinaires au destin ordinaire qu’Ellory nous transforme en extraordinaire. Si on ressent beaucoup de maitrise et de retenue, dans les scènes émouvantes par exemple, c’est probablement parce qu’il a écrit là son roman le plus personnel, qui le touche le plus dans ses passions. Et avec ce roman-là, il n’a jamais été aussi proche de la littérature blanche. C’est encore un grand roman très réussi de la part de cet auteur dont je ne me lasse pas.

Le pays des oubliés de Michael Farris Smith

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

J’avais beaucoup aimé son précédent roman, Nulle part sur la Terre, donc je me devais de lire celui-ci. Il nous emmène une nouvelle fois aux Etats-Unis parmi les gens qui n’ont rien, les oubliés du rêve américain.

Jack Boucher n’a pas eu de chance : abandonné dès sa naissance, il est passé de famille d’accueil en famille d’accueil, jusqu’à arriver chez Maryann, une jeune femme célibataire. Il s’aperçoit que sa force tient dans ses mains gigantesques, et se découvre l’âme d’un combattant. Il part donc à 17 ans, vivre sa vie, gagner son argent lors de combats extrêmes. Pour améliorer ses gains, il parie aussi sur ses victoires.

Aujourd’hui, il a dépassé la quarantaine, et est la proie à de terribles maux de tête. Il essaie de se soigner avec l’alcool et des drogues. Il doit impérativement trouver de l’argent pour rembourser Big Momma Sweet mais aussi payer les dettes que Maryann a auprès de l’état avant que sa maison soit saisie. Et comme Maryann est atteinte de la maladie d’Alzheimer, Jack va se lancer dans sa croisade personnelle.

Le personnage de Jack est clairement la pierre centrale de ce roman, au milieu d’un décor de désolation. Michael Farris Smith ne nous présente pas son pays comme un monde de gentils Bisounours décorés de paillettes. Nous sommes ici en plein dans l’Amérique profonde, faite de misère et de violence, entre bars crasseux et fêtes foraines désolées. Le décor est d’une laideur à pleurer.

Autour de Jack vont graviter de beaux personnages secondaires, au fur et à mesure de l’itinéraire de Jack, comme autant de balises vers son destin funeste. On ne peut qu’être ébahi par la justesse de ces scènes, même si on peut se dire pour certaines d’entre elles, qu’elles auraient leur place dans un recueil de nouvelles, car elles sont peu liées à la trame du livre. Jack est, d’ailleurs, le seul personnage humain de cette histoire, voulant réparer ou essayer de réparer les erreurs de son passé.

Enfin, par son style imagé, Michael Farris Smith dresse un constat de l’Amérique d’aujourd’hui, celle des pauvres, des oubliés, de ceux qui luttent pour survivre dans le pays le plus riche du monde. Sans jamais juger, sans jamais imposer son avis, l’auteur nous balade de coin sale en sous-sol crasseux pour suivre Jack et son issue que l’on imagine dramatique. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler la fin, qui, je vous l’assure, se déroule dans un décor grandiose et est très réussie.

Les enchainés de Jean-Yves Martinez

Editeur : Seuil

On n’avait pas de nouvelles de Jean-Yves Martinez depuis 2008 et Le fruit de nos entrailles. Plus de dix ans après, voici un roman original autant que mystérieux, qui propose sans imposer plusieurs sujets de réflexion.

David Sedar Ndong débarque dans un petit village du Vercors, Hauterives. On n’a pas l’habitude de voir débarquer des noirs dans ce coin là, et Sedar est Sénégalais. Il entre dans le bar du village et demande après Denis Vignal. On le regarde de travers, on lui demande ce qu’il leur veut, aux Vignal. David Sedar Ndong leur répond qu’il doit rapporter à Denis Vignal un pendentif qu’il lui a confié quand il était là-bas.

La maison des Vignal est isolée du village, placée sur une colline, juste à coté d’un étang. C’est Diane qui accueille Sedar, la femme de Denis. Quand il demande après lui, elle lui annonce que Denis a disparu. Mais avec la température négative, la neige qui recouvre les sols et le peu de vêtements qu’il a sur le dos, elle lui propose d’entrer se réchauffer. Commence alors une quête : celle de comprendre où est Denis, ou peut-être s’agit-il de savoir qui est Denis ?

Si l’intrigue tient sur un post-it, la façon de le traiter est bien originale, toute en finesse et en suggestions. Entre l’ambiance bien particulière imposée par un décor de moyenne montagne enneigée, au milieu des forêts sombres et inquiétantes, il n’est pas sur que la maison de Diane soit le refuge idéal.

Et la question que se posent les personnages reste la même tout au long du roman : Où est Denis ? Qui est-il ? Puis, petit à petit, par les réactions de Sedar et Diane, on se demande qui ment ? Qui manipule qui ? C’est le genre de roman à propos duquel on pourrait imaginer un millier de fins mais certainement pas celle que nous propose Jean-Yves Martinez, après qu’il nous ait franchement mis mal à l’aise.

Et puis, il évoque, plus qu’il creuse, les thèmes du racisme des gens du village qui n’ont jamais vu un étranger, mais aussi les ONG, les volontaires qui, à force de côtoyer la misère, se posent la question de l’utilité du don de leur temps et de leur vie, voire même l’honnêteté intellectuelle de chacun, et donc de leur hypocrisie.

Je ne suis pas sur d’avoir bien compris là où voulait en venir l’auteur, mais il tire quelques traits sur sa toile, nous laissant y réfléchir sans donner de clés, tout en concoctant une fin inattendu, dans un roman original de bout en bout. On aime ou on n’aime pas.

Ne ratez pas les avis de Nyctalopes, Claude Le Nocher et Jean Marc qui n’a pas aimé.

Ecouter le noir – Recueil de nouvelles

Sous la direction d’Yvan Fauth

Editeur : Belfond

Yvan Fauth s’est lancé un défi, donner la voix à l’art de la nouvelle. Pour cela, il a réuni 13 auteurs pour former un recueil de 11 nouvelles autour d’un seul et même thème : l’ouïe, thème qui lui est cher. Si le défi de ce blogueur et ami est relevé, voyons dans le détail de quoi il retourne :

 

Deaf de Barbara Abel et Karine Giebel :

D’un coté, nous avons deux adolescents qui s’aiment et qui vont fuir le centre qui accueille des malentendants. De l’autre, nous avons une jeune mère qui revient de la pharmacie avec un médicament pour son bébé et qui est prise en otage par des braqueurs de bijouterie. Les deux itinéraires vont finir par se rencontrer dans un final d’une noirceur et une cruauté aussi rare que surprenant.

Quand deux auteurs phares du thriller psychologique, cela ne peut que nous donner une lecture réjouissante. Evidemment, le sujet est bien mis en place, évidemment, la tension va monter jusqu’à nous laisser un espoir, évidemment la fin est surprenante. La seule petite remarque est que je suis arrivé à déterminer certains passages écrits par l’une ou l’autre, Karine Giebel ayant un style tranché, haché et Barbara Abel s’étendant sur les aspects psychologiques. Cette nouvelle est une lecture plaisir bien stressante.

 

Archéomnésis de Jérôme Camut et Nathalie Hug :

Nous sommes en l’année 2945. Le narrateur se souvient quand il restait encore des humains sur Terre. Depuis que l’Intelligence Artificielle a pris le pouvoir, il vit reclus. Il se rappelle les réunions avec Adhara, Niels et Irma. Ces moments de nostalgie sont les seuls parcelles d’humanité qu’il lui reste.

Voilà un bel exercice de style que nous offrent ces deux grands auteurs de thrillers, à 10 000 parsecs de leur univers. C’est une belle réussite avec une fin bien triste.

 

Tous les chemins mènent au hum de Sonja Delzongle :

Paul est un père de famille comme les autres. Sa vie aurait pu être simple avec Emma sa compagne, Salomé, Timéo et Julie leurs enfants. Mais soudain, un bruit sourd assaille ses oreilles, incessant, constant, grave. Un bourdonnement. A force, on n’entend plus que cela et c’est gênant, assommant, assourdissant. Gêné et hésitant à en parler à sa famille, il va voir son docteur qui lui parle du projet HAARP.

Vingt pages, pas plus, c’est ce qu’il fait à Sonja Delzongle pour nous proposer une nouvelle mystérieuse, entre énigme scientifique et chronique familiale dramatique. Ce qui est remarquable dans cette nouvelle, c’est cette facilité à nous plonger dans une histoire complète en aussi peu de pages, avec une fin aussi surprenante.

 

Ils écouteront jusqu’à la fin … de François-Xavier Dillard

Abel Van Houffen est un virtuose du violon, adulé par le tout Paris, lors de ses concerts avec l’orchestre philharmonique de Paris. Dès la fin du concert, il prend l’avion pour Saint Pétersbourg où on lui promet un document exceptionnel. Arrivé rue Sadovaïa, un vieil homme l’emmène à la cave où réside un coffre fort. A l’intérieur, Abel découvre la dernière œuvre de Tchaïkovski pour violon, une partition mythique que personne n’a jamais vue. Mais au moment où il met les mains dessus, du bruit se fait entendre dans le couloir …

Il y aurait plusieurs façons de traiter ce début de roman. François-Xavier Dillard nous plonge dans un genre fantastique avec un scénario que Stephen King aurait adoré. Même si cette nouvelle ne fait qu’une trentaine de pages, il n’en reste pas moins que sans effusion de sang, il fait monter le stress et la mayonnaise de façon remarquable. C’est une de mes nouvelles préférées dans ce recueil.

 

Bloodline de Roger Jon Ellory :

Traducteur : Fabrice Pointeau

Carol et janine, deux jumelles inséparables, comme toutes les jumelles. Janine est sourde et Carol lui a servi de guide dans ce monde de fous, fait de violence et de sang. Devenues adultes, elles ont pris des chemins différents, mais elles sont liées par des liens indéfectibles pour toujours.

D’une construction complexe, pleine de mystère, cette histoire ancrée dans le réel va suivre une ligne directrice faite de sang et de larmes. Carol se retrouve sur le lieu d’un accident de la route, un homme va se vider de son sang et cela va être l’occasion pour elle de renouer les liens avec sa sœur. Cette nouvelle et sa chute sont juste magnifiques, 30 pages de pur plaisir par un auteur qui sait faire passer les sentiments comme peu le savent.

 

Un sacré chantier de Nicolas Lebel :

Avec tout ce boucan, sur le chantier, on ne peut rien entendre. Sandra a rendez vous avec le lieutenant Laimery pour la reconstitution d’un crime, le viol par son propre patron. Parole contre parole.

En très peu de pages, cette nouvelle pleine de bruit se lit comme du petit lait, et bénéficie d’une fin inattendue, très inattendue.

 

Zones de fracture de Sophie Loubière :

Scène banale, celle d’une agression. Delphine Savet, la cinquantaine a rencontré un homme de dix ans son aîné, et c’est devenu l’amour fou. Mais en rentrant chez elle, un vol à la sauvette, elle tombe, se fracasse la tête contre le trottoir et c’est le drame. Face à ce genre d’agression, il y a peu de chances de trouver le vrai coupable.

L’air de rien, Sophie Loubière nous construit en 5 chapitres un véritable roman choral, passant d’un personnage à l’autre. Cette histoire, ancrée dans un quotidien normal de banlieue, s’avère une excellente nouvelle dont la chute vous laissera évidemment ébahi, tant elle est bien amenée et bien trouvée.

 

Echos de Maud Mayeras :

Charlie a 7 ans. Depuis tout petit, il entend des bruits. Peut-être sont-ils vrais, peut-être ne parlent-ils que dans sa tête ? Alors Charlie est un peu isolé à l’école, subissant les moqueries de ses camarades de classe. Charlie avait un frère, Lucas, mais il est mort l’année dernière, écrasé par un chauffard. Pourtant, il entend des bruits dans la chambre de Lucas. Mais il n’a pas assez de courage pour aller voir …

Cette histoire racontée par Charlie, mais à la troisième personne du singulier, est juste un pur morceau de tendresse, emplie d’incompréhensions et des peurs de l’enfance. Se déroulant tout doucement au rythme d’événements familiaux douloureux, c’est un pur morceau de sucré glacé, une histoire fondante et noire à déguster comme il se doit, avec un café bien fort, et en serrant les dents. C’est ma nouvelle favorite de ce recueil.

 

La fête foraine de Romain Puértolas :

Romain et Patricia ont décidé de se prendre quelques jours de vacances aux Canaries. Laissant leur enfant chez les grands-parents, ils dégotent un appartement calme en bord de mer. Mais dès le premier jour, ils sont assaillis par un bruit infernal, venant de la fête foraine toute proche.

Seul auteur inconnu pour moi de ce recueil, je dois dire que je me suis beaucoup amusé à lire les mésaventures de ce couple, venu pour trouver un peu de calme et qui se retrouvent en plein enfer. D’un ton humoristique, la fin est un vrai éclat de rire. C’est la seule nouvelle qui ne soit pas ouvertement noire.

 

Quand vient le silence de Laurent Scalese :

Xavier Deckard voit sa vie partir à vau l’eau : viré de son boulot, il écrase une jeune fille en rentrant chez lui. Puis il apprend que sa femme le quittera après leur week-end à la montagne. La descente aux enfers ne fait que commencer.

D’un ton noir et volontairement cruel, ce personnage désagréable et assassin va subir nombre de tortures sous la plume de Laurent Scalese. C’est la seule nouvelle de ce recueil que j’ai trouvé trop courte, en demandant un peu plus pour être plongé dans sa psychologie.

 

Le Diable m’a dit … de Cédric Sire :

Joan est auteur de thrillers. 12 ans auparavant, sa femme Dahlia, l’amour de sa vie, a disparu. Depuis, il a connu le syndrome de la page blanche … jusqu’à ce que son dernier roman connaisse un succès phénoménal. Mais le Diable, le ravisseur de Dahlia revient et l’enlève à son tour …

Cédric Sire nous offre là une excellente nouvelle toute en tension avec un vrai scénario et des personnages plus vrais que nature. Moi qui ne suis pas fan de ses romans, car ce n’est pas mon genre, je dois dire que je me suis laissé prendre par cette histoire diabolique jusqu’à la dernière page.

Oldies : Du sang sur l’autel de Thomas H. Cook

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Madeleine Charvet

Tous les billets de ma rubrique Oldies de 2019 seront dédiés à Claude Mesplède

Quand j’ai créé cette rubrique, j’avais aussi dans l’idée de lire les premiers romans de mes auteurs favoris. C’est une façon de voir le chemin parcouru et pour moi, la possibilité de me rassurer sur mes gouts. Je n’ai pas trouvé le premier roman de cet auteur que j’adore tant alors voici son deuxième paru en France.

Merci infiniment à Spider Bruno pour le cadeau !

L’auteur :

Thomas H. Cook est né à Fort Payne le 19 septembre 1947.

Originaire de l’Alabama, Thomas H. Cook a fait ses études au Georgia State College puis au Hunter College d’où il est ressorti avec un Master en Histoire américaine. À la Columbia University, il obtient également un Master de philosophie.

Ainsi armé, Thomas H. Cook enseigne l’Anglais et l’Histoire, de 1978 à 1981, au Dekalb Community College de Géorgie et devient rédacteur et critique de livres pour l’Atlanta Magazine (19878-1982). À la même époque, Thomas H. Cook commence à écrire et à être publié. Au rythme d’un roman annuel à peu près. Unanimement reconnu, il a reçu un Edgar Allan Poe Award de la Mystery Writers of America en 1997 pour The Chattam School Affair. La même année, Andrew Mondshein a adapté au grand écran Evidence of Blood.

Thomas H. Cook se partage actuellement entre Cap Code et New York City avec sa petite famille.

(Source Klibre)

Quatrième de couverture :

Dans Salt Lake City, capitale économique et religieuse des Mormons, un dément, qui se prend pour un Illuminé, tue, pour régler de vieux comptes qui remontent à l’époque des premiers Mormons, des personnalités de la ville. Tandis qu’un flic romanesque et cafardeux, qui a quitté New-York par dégoût, ne réussit pas à s’acclimater. Ce sera cependant lui qui démasquera le dément.

Mon avis :

Un homme arrive au Paradise Hotel de Salt Lake City et passe un coup de fil. Il demande une prostituée, une négresse. Quand Rayette Jones arrive, elle se déshabille, il se place derrière elle et l’étrangle. Tom Jackson est inspecteur de police, en provenance de New York. Il est rare d’avoir des cas de meurtres dans cette petite bourgade tranquille. Le médecin légiste lui indique que le corps de Rayette a été lavé puis habillé. Tom trouve rapidement le souteneur qui a organisé cette passe et comme tout a été géré pat téléphone, il va être difficile de trouver le coupable. Quelques jours après, c’est un célèbre journaliste du coin, Lester Fielding qui est abattu d’une balle dans la tête.

Si ce pur roman policier respecte tous les codes du polar, il a aussi la forme des romans que l’on pouvait lire dans les années 80, fait à base d’interrogatoires. On y trouve donc beaucoup de dialogues qui vont nous lancer sur beaucoup de pistes qui vont s’avérer très loin de la résolution finale. Mais ils vont nous en apprendre beaucoup sur la psychologie de chacun et c’est un des points essentiels de ce roman.

Car en tant qu’un des premiers romans de Thomas H. Cook, c’est bien la psychologie des personnages qui domine et en particulier celle de Tom Jackson, présenté comme un « étranger » qui débarque dans une ville détenue et gérée par les Mormons. D’une nature discrète mais redoutablement tenace, c’est un personnage solitaire qui souffre de cette solitude et de ce sentiment de ne rien faire de sa vie.

Tout le monde va lui rappeler de ne pas faire de vagues, de ne pas ébranler la communauté qui fait vivre la ville. Et ce roman va s’avérer bien plus subtil qu’il n’en a l’air, avec comme Tom Jackson, cette sensation de ne pas vouloir appuyer là où ça fait mal. Et pourtant, ce roman, dans son dénouement s’avérera non pas une dénonciation mais un plaidoyer humaniste envers des gens qui sont sensés véhiculer un message d’amour. Du sang sur l’autel s’avère un très bon roman policier de la part de cet immense auteur.

Ne ratez pas l’avis de Yan (lors de la réédition chez Points) et de l’Oncle Paul