Editeur : Gallimard
Après la lecture de Zulu, il est difficile de ne pas être fan des écrits de Caryl Ferey. Je suis tombé dedans quand j’étais petit, et j’ai donc acheté Paz le jour de sa sortie. Après l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Chili, nous prenons la route de la Colombie.
Lautaro Bagader est réveillé très tôt ce matin-là et ce n’est pas une bonne nouvelle : un corps vient d’être découvert dans une fontaine publique, atrocement mutilé. Il est obligé de réveiller la femme qu’il a rencontré la veille et avec qui il vient de passer la nuit et aller rapidement sur les lieux du crime. Depuis la mort de sa fiancée, il ne rencontre les femmes que par des sites de rencontre ; cela évite de s’attacher.
Diana Duzan est journaliste. Elle exerce cette passion pour rendre hommage à son mentor Sonia Enriquez qui s’est fait violer après un enlèvement lors d’une enquête sur les prisons. Elle se bat pour la justice depuis que son père s’est fait abattre arbitrairement alors qu’il n’était que professeur d’université. A 45 ans, elle n’a ni attache, ni amant, passant par des sites de rencontres éclair. En partant de chez son amant de la nuit, elle a noté son nom, Bagader.
Elle n’en revient pas ! elle vient de coucher avec le chef de la police criminelle de Bogota. Son père, Saul Bagader, est le procureur de la Fiscalia, organisme chargé de ramener la paix en Colombie, et le meilleur ami d’Oscar de la Pena, qui est en lice pour les élections présidentielles. Lautaro avait un frère Angel, enlevé par les FARC et jamais retrouvé, ni vivant, ni mort.
Saul Bagader a orchestré la lutte armée contre les FARC avant de participer activement aux négociations menant à un accord de paix et la fin de la guerre civile sanglante. Le corps retrouvé dans la fontaine n’est pas le premier : de nombreux morceaux de cadavres ont été retrouvés à travers le pays, au moment où la paix semblait promise. Mais qui veut donc plonger la Colombie à nouveau dans le sang ?
Caryl Ferey revient dans sa veine voyageuse, et il nous parle cette fois-ci de la Colombie, de ce pays déchiré par une guerre civile, opposant les conservateurs à la gauche libérale. Cette période d’ultra violence, appelée la Violencia, a vu la mort de 300 000 personnes sur 15 millions d’habitants. (Source Wikipedia). Enlèvements, viols, attentats, exécutions arbitraires, sont le lot commun du peuple colombien dans des massacres atroces. Pour financer cette révolution, la production de drogue a vu le jour et donné lieu à la création des FARC.
Le roman se situe dans une période plus apaisée, puisque des négociations de paix sont en cours de discussion. Les découvertes de morceaux de corps disséminés à travers le pays vont jeter le trouble auprès de la police et des politiques qui œuvrent pour un cessez-le-feu, dont Saul Bagader. Le contexte va donc jouer un rôle primordial dans ce roman et être la première énigme à résoudre, à savoir, qui veut saboter le processus de paix ?
Comme à son habitude, Caryl Ferey va bénéficier d’une documentation impressionnante, et nous l’exposer petit à petit, sans jamais être ni démonstratif, ni grandiloquent. Il va donc rajouter une trame sur ce contexte qui est la famille Bagader et ses drames, entre l’enlèvement d’Angel, le rôle de Lautaro dans les combats contre les FARC puis son travail actuel, la présence continuelle et omnipotente de son père, à l’un des plus hauts sommets de l’état : autant de fissures qui minent la vie de cette famille.
Il va y ajouter aussi une journaliste, l’un des personnages féminins forts de ce roman, Diana Duzan, sorte de chevalier de la vérité, bravant à elle seule les menaces, aidée par son fidèle destrier Jefferson, photographe de presse. Si cela peut sembler classique, j’ai trouvé que Caryl Ferey a apporté beaucoup d’application dans la construction de son intrigue et qu’il a probablement écrit là son meilleur scénario, le plus implacable aussi.
Et puis, Caryl Ferey m’a surpris, par son évolution de style. Lui qui était engagé, rageur, capable d’envolée lyriques et violentes se révèle ici posé, distant, froid dans les phrases, dans ses descriptions. Toujours juste, dans ses situations, ses décors ou ses dialogues, il se place en retrait pour ne pas en rajouter. Il l’explique d’ailleurs à la fin de roman, dans ses notes, en disant clairement que les scènes de violence du roman sont en dessous de la vérité et qu’il n’a pas voulu en rajouter.
On retrouve donc dans ce roman le combat qu’il mène depuis le début de sa carrière, montrer, démontrer l’inhumanité de l’humain, et la terrible impuissance des pauvres gens face à des fous à qui on donne la carte blanche pour développer leur imagination en termes de massacre. Caryl Ferey ne se complaît jamais dans les scènes décrites, il y a tant d’autres moments puissants à savourer dans ce roman, de la description des campagnes, des villes, des conditions de vie des gens, déplorables, et de leur sentiment de fatalité plus que de peur, puisqu’ils savent qu’à tout moment, on peut les assassiner.
J’ai adoré ce roman, car il a pleinement rempli mes attentes. Il m’a plongé dans un pays miné par ses combats, au détriment de toute vie humaine. Il m’a montré le quotidien des gens, et l’insoluble situation de deux clans (ou plus) qui s’entre-déchirent sur le dos des Colombiens. Alors, oui, c’est violent, mais oui, c’est humain. Comme je l’ai déjà dit, pour moi, Caryl Ferey est un héraut de l’humanisme moderne. Il le démontre une nouvelle fois avec ce roman puissant, dévastateur, avec une force peu commune.
Magnifique chronique à la hauteur de ce roman écrit avec passion, amour et objectivité.
J’adore
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Merci Kris, j’ai laissé moins de temps entre ma lecture et la publication de cet avis car j’avais envie de partager la force de ce roman. Merci encore de ton compliment.
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Je suis en plein dedans; et je pense que cela va beaucoup de me plaire. Difficile ne ne pas aimer les romans noirs de Caryl Ferey.Il va bien falloir que je m’attaque à sa saga maorie….
En attendant direction (livresque) la Colombie, et pour de vrai, le Chili dans quelques semaines……
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Alors, je te souhaite une bonne lecture et de bonnes vacances.
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L’ai presque fini ! ….
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Je dis rien mais la fin va te réserver une belle surprise
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Fini. Oui belle surprise mais il ne faut pas oublier que Caryl Ferey est un bel humaniste 😉
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Quelle chronique , à partir d’un matériau nécessairement superbe , du Ferey dans toute l’expression de son talent qui est immense ( voir l’une de mes toutes dernières chroniques sur http://polarmaniaque.e-monsite.com concernant l’impétrant !) mais un blogueur au sommet de son art . Donc forcément , ça ne peut donner que du GRAND .
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Merci Jean-Michel. Il est vrai qu’il est facile d’écrire un avis avec un tel roman ! Personnellement, je ne suis pas forcément satisfait de ce que j’écris et je me contente de partager mon amour des grands romans comme celui ci ! Caryl Ferey fait fort avec Paz, renouant avec ce qu’il sait faire de mieux, parler des Hommes et des Femmes dans des pays gangrenés par la violence. Merci d’être passé. Amitiés
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Ferey avait présenté son livre à LGL et je n’ai pas pu résister, même si j’ai du retard dans mes lectures de cet auteur (toujours pas lu « mapuche » et non, pas frapper, pas frapper).
Il nous fait voyager mais c’est pas du Club Med avec lui.
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Non, pas le club med ! Mais juste ce dont j’ai besoin pour appréhender un pays ! Le polar ou le roman noir est la meilleur façon d’en apprendre sur un pays. Il faut lire Zulu ….
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Lu Zulu, et Haka et Utu. Deux destinations en moins pour les vacances ! 😆
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PS : tu as raison, lire des romans noirs permettent d’en apprendre plus sur un pays.
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Je sais que tu vas bientôt sauter dessus, le livre je veux dire. Je l’ai raté à LGL mais je ne pouvais pas rater Paz, du niveau de Mapuche. J’attends ton retour. BIZ
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Si tu attends mon retour, prends de quoi patienter, j’ai beaucoup à lire ! 😛
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Oui, tu as raison, pour patienter, je vais attaquer La frontière de Don Winslow dès demain !
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Punaise, j’ai pas encore lu « cartel » !!! Il est temps que je me tienne à mes listes urgentes, moi ! 😆
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Bonjour !
Aficionado de Ferey, j’avoue laisser volontairement un peu plus de temps entre chaque opus. Point positif : j’ai retrouvė le scėnariste des dėbuts avec la saga maorie. Point nėgatif : je ne retrouve pas la fraîcheur du style qui m’a fait aimer cet auteur à ses débuts.
Vivement le prochain voyage et en attendant un petit Mc Cash, Monsieur Ferey ?
Amicalement, bonne lecture à tous !
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Salut, en ce qui me concerne, je l’ai trouvé bon, voire très bon au niveau du scénario. Quant à McCash, n’ayant pas aimé le dernier Plus jamais seul, je me demande s’il faut continuer la série … Pourquoi pas une nouvelle série ? Amitiés
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