Editeur : Seuil (Grand format) ; Points (Format poche)
En cette année 2020, sur Black Novel, nous fêtons les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier.
Quand ce roman est sorti à l’automne 2006, j’étais déjà un grand fan de Thierry Jonquet et sa faculté à analyser notre société. L’auteur avait commencé son roman avant les émeutes de 2005 et l’affaire du Gang des Barbares, et je me rappelle qu’à l’époque, il avait fait scandale, étant taxé de raciste quant à son propos. J’avais acheté le livre à ce moment là, et comme à chaque fois qu’on parle beaucoup d’un livre, je préfère laisser passer les débats passionnés et le lire bien plus tard.
Thierry Jonquet est une des figures majeures du Roman Noir, prouvant pour chacun de ses écrits que le polar et le Roman Noir ont des choses à dire. Comme pour chacun de ses romans, il va décrire ce qu’il connait, puisqu’il a été instituteur dans les banlieues Nord de Paris, ayant eu en charge une section d’éducation spécialisée. Ce livre est un roman, et son titre est un terrible alexandrin d’un texte intemporel de Victor Hugo sur les Communards : A ceux qu’on foule aux pieds, que mon ami Jean le Belge a inséré dans son billet.
Thierry Jonquet invente une ville du 9-3, la séparant entre différents quartiers pour imager son message, faire un bilan de la répartition territoriale et créant ainsi des communautés. Cette façon de faire s’apparente à une caricature, brossant d’un trait bien épaissi les trafics qui ont lieu dans cette ville, au demeurant bien paisible … en apparence. Au milieu de cette géographie francilienne, chacun possède son trafic.
A Certigny-Nord, la cité des Grands-Chênes abrite le clan des frères Lakdaoui, maître du shit et des pièces automobiles volées, caché derrière une pizzeria tranquille. A Certigny-Est, La cité des Sablières est le domaine de Boubakar, d’origine sénégalaise et roi incontesté de la prostitution. A Certigny-Ouest, la cité du Moulin est le quartier des musulmans et a vu naître une mosquée dans un entrepôt désaffecté. A Certigny-Sud, la cité de la Brèche-aux-Loups renferme un jeune aux dents longues Alain Ceccati qui développe la vente d’héroïne. Et, au-delà, derrière le parc départemental de la Ferrière, Certigny cédait la place à Vadreuil, une petite ville faite de pavillon en pierres meulières habitée par une communauté juive.
Dans ce décor explosif, Thierry Jonquet y place des personnages communs qui vont tous subir l’abandon dans lequel les laisse les responsables de tous bords, politiques, judiciaires et autres. Anna Doblinsky est une institutrice apprentie qui débarque à la Cité scolaire Pierre-de-Ronsard ; elle y rencontre des élèves typés, comme Moussa, fort en gueule ou Lakhdar Abdane, handicapé de la main droite suite à une erreur médicale et très intelligent. Il y a aussi Adrien Rochas, un adolescent renfermé sur lui-même, suivi par un psychiatre et sa mère qui n’est pas mieux. Enfin, Richard Verdier, substitut du procureur de Bobigny, rêve de faire le ménage dans son secteur. Il suffit donc d’une étincelle pour que tout explose dans cette zone sous tension.
On peut lire ce roman à différents niveaux, mais on ne peut pas lui reprocher d’aborder un sujet épineux avec ce qu’il faut de détachement, de distance pour tenter d’éviter des polémiques inutiles. Et pourtant, ce roman, à sa sortie, et même encore récemment, n’est pas exempt de coups bas, alors qu’il est juste parfait dans sa manière de traiter ce sujet.
Avec son ton journalistique, ce roman balaie à la fois les différentes actualités mondiales que nationales et leurs implications au niveau local. Certes, Certigny est une caricature de ville banlieusarde mais elle illustre fort bien le propos. Et puis, il y a tous ces personnages qui vivent avec ce quotidien pesant, imposé par une force supérieure et contre laquelle ils ne peuvent rien.
Ces personnages justement, formidablement illustrés par Anna qui veut bien faire son boulot et qui se heurte à la lourdeur de sa hiérarchie ou Lakhdar, victime d’une erreur médicale, qui se retrouve condamné à vie à être handicapé et va plonger dans l’extrémisme. Et devant ce mastodonte qu’est l’état et toutes ses ramifications, personne ne sait ce qu’il doit faire pour faire avancer les choses dans le bon sens.
Tout le monde en prend donc pour son grade, de l’éducation nationale à la justice, de la police aux services médicaux, des trafiquants aux religieux. Le but n’est pas de prendre parti pour les uns ou pour les autres, mais de faire un constat d’échec sur une société qui a parqué les gens dans des cages dont les animaux eux-mêmes ne voudraient pas et qui ne veut pas assumer ses erreurs et surtout pas ses conséquences. L’état a donc divisé ses compétences en services qui deviennent tellement gros qu’ils sont ingérables. Comme cette vision est encore d’actualité !
Les excités du bulbe de tous genres pourront soit détourner des passages de ce roman pour alimenter leur philosophie nauséabonde soit insulter l’auteur ou descendre le livre parce qu’il va trop loin. Je le répète, ce livre est un roman, c’est de la littérature, de l’excellente littérature noire qui, si elle ne propose pas de solution, a le mérite de mettre les points sur les i, de façon brutale mais aussi avec beaucoup de dérision. Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte a le mérite d’être explicite et malheureusement intemporel. Il est l’illustration même de ce que doit être un roman social, dramatique et noir. Superbe !
Super chronique, ça donne envie de le lire
J’aimeJ’aime
Merci pour ce compliment, il faut dire que c’est un roman où il y a tant de choses à dire. Je ne vais pas dire que c’est le meilleur de Thierry Jonquet car c’est mon auteur favori et j’aime tous ses romans. mais il est dans le peloton de tête. N’hésite pas, cours l’acheter. Bonne lecture
J’aimeJ’aime
Bonjour Pierre,
Et l’auteur dans sa fiction « journalistique » fait le tour de la terre et comment cela se passe aussi ailleurs. Tu te souviens du livre d’Olivier Norek Entre deux Mondes. Une plongée dans ce type de société d’excursion où l’être humain est obligé de se débrouiller pour survivre. Je ne cautionne aucun trafic, humains, armes, organes et autres.
Excuse-moi si je rabâche, G,J Arnaud dans sa saga décrit très bien les mêmes dérives sous forme d’anticipation.
Ta chronique me plaît beaucoup. Et je pense que ce livre je vais l’acheter. Le propos se tient sur le territoire Français, comme il pourrait se passer dans certaines communes de la ville de Bruxelles (capitale aussi) où vivent les plus démunis, les laisser pour compte, et ceux qu’abandonnent l’Etat et/où la Monarchie. Merci Pierre et bonne journée. Bizz Geneviève
J’aimeAimé par 2 personnes
Salut Geneviève, je suis content que ce livre ait de l’écho, ici et sur FB. Pourtant, j’ai mis du temps à écrire ce billet pour éviter des discours inutiles et tellement à coté du sujet. Jonquet, comme à son habitude, montre une situation inexcusable et scandaleuse, grossit le trait, caricature, insère un moment d’humour léger quand il le faut, pour soulager le propos. c’est pour cela qu’il est unique et était indispensable. Quant à la compagnie des glaces, les tomes 15 et 16 sont géniaux ! Voilà, tu as raison de lire ce roman de Jonquet et je te conseille de lire les autres. Mon auteur français préféré de romans noirs, indiscutablement. BIZ
J’aimeAimé par 2 personnes
Bonsoir Pierre,
Merci à toi. Avec tous les livres achetés d’occasion j’ai en face de moi une belle pile 😀et j’ai presque la totalité de la Compagnie des Glaces en Fleuve Noir et une petite partie chez Pulp Fiction. J’ai déjà ces deux derniers tomes achetés d’occasion. Les prix montent depuis le décès de l’auteur. Il y a des différences d’éditions entre 1999, 2000.
Pour ce qui concerne ce livre, il me plaira certainement 😀🙏 Merci Pierre et bonne soirée, w.e, et de beaux jours qui s’annoncent. Bizzz.
J’aimeJ’aime
Il est dans une de mes biblios et une fois de plus, je n’ai pas eu le temps de le lire (faites-le graver sur ma pierre tombale, merci). À lire quand la tête est prête à le lire… Je savais qu’il était sombre et pour ce qui est des polémiques, il y en a certain qui en feraient avec n’importe quoi 🙂
J’aimeJ’aime
Celui-ci a vraiment eu son lot de critiques à la sortie. Et aujourd’hui, avec le recul, c’est un livre vraiment important. Quand tu auras le temps …
J’aimeJ’aime
superbe chronique qui me rappelle que ce roman m’avait marquée lorsque je l’ai lu il y a … longtemps je crois
J’aimeJ’aime
C’est un roman difficile à oublier, je crois. Et qui est toujours d’actualité. Merci pour le compliment. A bientôt
J’aimeAimé par 1 personne
Je suis un grand fan de Jonquet, mais j’avais été très déçu par ce roman trop caricatural (la scène de l’IUFM, notamment : il se trouve que je suis passé par un IUFM, et Jonquet ne grossit pas seulement le trait, il en fait des tonnes). J’attendais son prochain roman pour voir s’il pouvait atteindre à nouveau les sommets des Orpailleurs et de Moloch, malheureusement Jonquet est mort en laissant un livre inachevé.
J’aimeJ’aime
Salut Zorglub, j’ai des retours comme le tien, venant de gens de l’éducation nationale ou affiliés. Je suis d’accord avec toi, il en fait des tonnes, et pour les autres métiers, c’est pareil. Mais avec le recul, peut-être devrais tu le relire aujourd’hui. Ce n’est que mon avis, bien sur, conseil gratuit. Quand à Vampires, son livre inachevé, je ne l’ai pas lu … encore. Merci d’être passé. A bientôt
J’aimeJ’aime