Le chouchou du mois d’octobre 2020

Rares sont les mois où je suis pleinement satisfait de mes lectures. Ce mois d’octobre 2020 sera donc à marquer d’une pierre blanche tant, quelque soit le genre abordé, les émotions que j’aurais ressenti auront été fortes, très fortes. Dans ces cas-là, le choix du chouchou s’avère une torture pour moi ; pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ?

Heureusement, dans la liste des huit romans en lice, j’ai décerné un coup de cœur pour un roman qui, malgré ses 600 pages, m’a transporté dans le Hollywood des années 50, parmi les stars vieillissantes du grand écran et les jeunes qui rêvent d’un avenir parmi le paradis qu’elles imaginent et dont elles rêvent. Il s’agit bien entendu de Avant les diamants de Dominique Maisons (La Martinière) et je pourrais encore en parler pendant des heures tant le scénario et les thèmes abordés sont nombreux. Envoutant !

Dans ma rubrique Oldies, j’ai décidé de ressortir une vieillerie dans le but de mettre sous les projecteurs un auteur trop injustement oublié avec Paperboy de Pete Dexter (Points). En racontant une affaire judiciaire sur fond de racisme anti-noir, ce roman se veut surtout une défense du droit de parole et du travail des journalistes, raconté comme une affaire familiale. J’adore cet auteur !

Je ne suis pas un grand lecteur de nouvelles. Pourtant, quand elles sont si bien faite parce que simples (en apparence) et fouillant notre quotidien, cela en devient un régal. Un accident est si vite arrivé de Sophie Loubière (Pocket) va prendre des petits moments de l’existence pour créer toute une histoire en quatre pages seulement. Un sacré tour de force.

Du polar coréen, j’en connais surtout les films, pas du tout les romans. Une toute nouvelle maison d’édition prend le pari de nous faire découvrir des romans en provenance de ce pays si peu connu chez nous. Le jour du chien noir de Song Si-Woo (Matin Calme) est une charge contre les médicaments prescrits pour le traitement de la dépression et en cela, il est frappant. Il permet aussi de découvrir un pays, ses habitants et sa culture, cette pression constante faite sur ses travailleurs pour qu’ils réussissent car l’échec n’est pas imaginable. A découvrir d’urgence.

Comme j’ai adoré Candyland ! Je ne pouvais décemment pas passer au travers de Les lumières de l’aube de Jax Miller (Plon). Oh surprise ! ce n’est pas un roman mais ce que les Anglo-saxons appellent un True Crime, un compte-rendu de l’enquête de l’auteure à propos d’une affaire de disparition de deux adolescentes, qui a obsédé Jax Miller. Bien que ce ne soit pas mon genre de prédilection, j’ai été pris par la passion que l’auteur met dans son écriture, jusqu’à la folie.

Parmi les auteurs dont je ne rate auquel roman, et que je défends, il en est un qui a l’art de construire des intrigues simples de personnages qui cherchent à sortir de la fange. Ange de Philippe Hauret (Jigal), puisque c’est de lui dont je parle, malmène ses deux personnages en s’amusant à flinguer le monde des médias. On y ressent de la rage, de la hargne mais aussi de la compassion envers Ange et Elton que le destin n’épargne.

Lui aussi, je pourrais en écrire des tonnes, en termes de maitrise de l’intrigue policière. Larmes de fond de Pierre Pouchairet (Filatures) reprend deux personnages rencontrés dans ses précédents romans, rajoute une connexion avec un autre polar (Tuez les tous …) et donne une cohérence à son œuvre, qui décrit les magouilles de notre société au travers d’une intrigue menée sur un rythme palpitant.

Le Chouchou de ce mois revient donc à Nickel boys de Colson Whitehead (Albin Michel), une histoire juste hallucinante sur un jeune homme enfermé à tort dans une « maison de correction » parce qu’il est noir. Outre l’histoire, magnifique et dure, il y a la vérité d’une école qui n’a fermé ses portes qu’en 2011 et un style simple et naïf qui, pour moi, en fait un Candide moderne. C’est un roman utile, indispensable, obligatoire.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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Le jour du chien noir de Song Si-woo

Editeur : Matin Calme

Traducteurs : Lee Hyonhee et Isabelle Ribadeau Dumas

Ce roman va être l’occasion de deux découvertes, celle des polars coréens et une toute nouvelle maison d’éditions dédiée à la littérature de ce pays de l’Asie du Sud-est. Ce roman s’avère une excellente surprise, une lecture intelligente et instructive.

Contre toute attente, Jeon Hak-soo devient un assassin. Tout commence avec une bousculade dans un escalier avec son voisin, Ra Sang-pyo. Puis, la voiture de Ra Sang-pyo étant mal garée, Jeon Hak-soo lui envoie un coup de poing. Déséquilibré, la tête de Ra Sang-pyo cogne contre une marche. La suite devient plus confuse et incompréhensible puisque Jeon Hak-soo s’acharne sur l’homme à terre jusqu’à en faire de la bouillie.

Dong-choon promène son chien dans une forêt quand ce dernier s’enfonce dans les fourrés. Il l’appelle mais l’animal ne répond rien, jusqu’à ce qu’il entende un aboiement. Quand il rejoint enfin son animal, ce dernier remue la queue, tout content de montrer à son maître sa trouvaille : un corps enterré.

Effectuant son stage chez son oncle, Park Shim est reconnaissable à cause de ses épais sourcils qui barrent son front. Son oncle Park Gap-yeong le charge d’enquêter sur Jeon Hak-soo dont il doit assurer la défense, et en particulier de déterminer si sa dépression a pu jouer un rôle dans le meurtre.

Lee Pyeong-so, commandant de la brigade criminelle de Suwon est chargé de l’enquête sur le corps que l’on a retrouvé dans la forêt du mont Paldal. Grâce aux empreintes digitales, l’identité du corps ne fait aucun doute : Sol Lisa, jeune étudiante. La perquisition à son domicile ne montre qu’un oiseau mort de faim, enfermé dans sa cage.

Comme je le disais, je crois bien que ce roman est ma première incursion dans le polar coréen. Pour avoir vu quelques films coréens, j’ai commencé ma lecture avec de l’appréhension en regard de la potentielle violence. En fait, ce roman est un vrai polar psychologique qui ne comporte aucune scène sanguinolente puisque l’intrigue va suivre l’enquête en parallèle de Lee le commissaire et Park le stagiaire avocat. Par leur fonction, ces deux personnages vont adopter une démarche et un raisonnement différents. Et en tant que roman policier, l’histoire va surtout avancer à l’aide d’entretiens avec les personnages qui gravitent autour de ces deux affaires criminelles étranges.

D’un côté on a une personne d’apparence totalement normale qui péter un câble et frapper un homme à terre, uniquement parce qu’il l’a bousculé dans l’escalier. De l’autre, le corps d’une jeune femme enterré est retrouvé dans une forêt. Le seul point commun que les enquêteurs vont trouver est de souffrir de dépression, le chien noir du titre, repris par une expression de Winston Churchill quand il décrivait sa maladie.

Comme à chaque fois que l’on lit un roman étranger, il faut s’habituer aux noms afin de s’y retrouver entre les différents personnages. Par exemple, le nom vient avant le prénom. De même certaines façons de réagir sont liées à la culture du pays. Contrairement à certains pays asiatiques, les dialogues et les façons de s’exprimer peuvent paraitre brutales, sans prendre de gants.

Et l’auteur va, au travers de certains entretiens, nous décrire des scènes de la vie quotidienne et nous expliquer ou tenter de trouver une explication au fait que la Corée est le pays où il y a le plus de suicides au monde. Entre manque de considération, pression sociale et obligation de résultat, nous découvrons un pays où les gens sont en constante compétition les uns contre les autres et où l’échec ne peut pas exister. Ces passages, bien introduits, sont très intéressants et pas du tout lénifiants.

L’autre aspect que l’auteure aborde concerne la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur cette maladie, et le désintérêt qu’ils affichent face à des médicaments aux effets secondaires graves pouvant mener les malades à un suicide. Le sujet est très documenté et présenté de façon tout à fait didactique, en appuyant sur des points scandaleux quand, par exemple, des psychiatres donnent ce genre de pilules à des enfants de 12 ans ou quand les laboratoires se gardent d’avertir des dangers d’arrêter le traitement brutalement.

Réellement surprenant et totalement bluffant, ce roman nous invite à un voyage dans un nouveau pays, dans une nouvelle culture et rend donc le discours passionnant. Si l’enquête est bien faite, et le dénouement bien trouvé, ce sont bien les aspects sur le traitement pharmaceutique de la dépression qui rendent ce livre intelligent et instructif. Je ne peux que vous encourager de plonger dans la vie coréenne au travers de cette enquête policière.

Les lumières de l’aube de Jax Miller

Editeur : Plon

Traducteur : Claire-Marie Clévy

Comme j’ai adoré Candyland ! Forcément, je me devais de lire Les lumières de l’aube, le dernier roman en date de Jax Miller.

Le 30 décembre 1999, La ville de Welch dans l’Oklahoma est balayée par un vent glacial. La famille Freeman habite un mobil-home à l’extérieur de la ville, que l’on peut rejoindre en suivant un chemin rocailleux. Ashley Freeman fête son dix-septième anniversaire. Pour l’occasion, elle a invité son amie Lauria Bible à passer la nuit chez elle, ainsi que deux copains, avec l’accord de ses parents Danny et Kathy. Ces deux-là partiront en fin de soirée, laissant les deux filles allongées dans le canapé devant la télévision.

Le lendemain matin, une fumée dense s’élève de la colline. Le mobil-home est en feu et les pompiers mettront plusieurs heures pour circonscrire l’incendie. A l’intérieur, ils découvriront un cadavre, allongé sur le lit, écrasé par des briques qui avaient été entassées sur le toit et qui sont tombées à cause de la chaleur, quand tout n’est devenu que ruine. On ne retrouve aucune trace de Ashley et Lauria. Le corps étant féminin, tout le monde pense que Danny a enlevé les filles et est responsable de l’incendie.

Le shérif boucle rapidement le périmètre mais les habitants, regroupés autour du sinistre voient bien que l’affaire est gérée avec du laisser-aller. Le lendemain, Lorene Bible, la mère de Lauria est surprise de voir que les flics ont levé le camp. En fouillant aux alentours du mobile-home, ils découvrent un autre corps, celui de Danny, à moitié brûlé et tué d’une balle dans la tête. De toute évidence, la police a fait de nombreuses erreurs, volontaires ou non, mais une question demeure : où sont les filles ?

Il m’aura fallu une cinquantaine de pages pour comprendre où Jax Miller voulait en venir (je ne lis que rarement les quatrièmes de couverture). Pourtant, la mise en place du scénario se conforme aux règles du polar, avec des chapitres très descriptifs et centrés sur la psychologie des personnages. L’auteure passe alors en revue les filles, les parents et les voisins en y insérant des anecdotes qui amènent de l’épaisseur à l’intrigue.

Puis, les mystères s’épaississent avec les négligences de la police, les rumeurs de vengeance liées à de potentiels trafics de drogue et la mort du frère dont on n’a pas parlé au début. Malgré cela, le ton employé m’a laissé comme un goût de manque, a marqué une trop grande distance … jusqu’à ce que je comprenne le livre : Jax Miller a été obsédée par cette affaire et a mené elle-même l’enquête en se rendant sur place en 2015. D’ailleurs elle se met elle-même en scène en parlant de ses obsessions.

Et donc, ce roman n’est pas un polar au sens premier du terme mais plutôt le compte rendu minutieux de plus d’une dizaine d’années de recherche. Ce procédé fort prisé chez nos amis anglo-saxons est dénommé True crime. Chez nous, francophones, il semblerait que nous préférions des émissions du genre Investigations et autres. Je ne pense pas utile de vous préciser que j’abhorre ces émissions et préfère la lecture.

Donc, nous avons affaire à un True Crime, que l’on pourrait traduire par roman d’enquête criminelle. Car des meurtres, il va y en avoir alors que le début du roman ne nous le laissait pas présager. Jax Miller a organisé le roman pour appâter le lecteur de polar, une construction qui fait une large place sur la vie de campagnards américains avec ce qu’il faut de rumeurs, de mauvaises langues et de policiers qui ne veulent pas s’emmerder. Et elle arrive à faire passer à la fois sa passion et son obsession pour cette affaire. Franchement, les essais (ou documents) ne sont pas ma tasse de thé. Mais je dois reconnaitre que l’auteur sait vous attirer dans ses griffes, pour vous plonger dans un monde rural brutal sans autre loi que celle du plus fort. Et puis, on sent dans ces lignes la passion de l’auteure pour cette affaire, on y ressent comme une connexion directe avec ce qu’elle est, comme une communion autour d’une affaire bigre

Ange de Philippe Hauret

Editeur : Jigal

Dès qu’un nouveau roman de Philippe Hauret sort, je saute dessus. J’adore ses histoires simples, ses personnages si réels et son style d’apparence évidente mais si expressif. Le petit dernier en date est encore une fois une belle réussite.

Ayant des attraits féminins irrésistibles, Ange a vite compris le bénéfice qu’elle pouvait en tirer auprès de la gent masculine. Elle a rendez-vous au Georges Five avec le PDG d’une start-up pour une soirée tarifée. Après le repas, ils prennent la direction de la suite de monsieur et Ange verse un somnifère apte à endormir un éléphant dans la coupe de champagne. Comme il se montre pressé avec un ton violent, elle lui ordonne de s’allonger sur le lit et le menotte. Il finit par rejoindre les bras de Morphée et en profite pour lui faire les poches consciencieusement.

Quand elle rentre chez elle, son colocataire Elton s’est endormi dans le canapé. Elton remplit ses journées à ne rien faire, scotché devant la télévision ou à jouer. Elton annonce la bonne nouvelle du jour : il doit se présenter pour un entretien d’embauche chez LIDL. Ce poste lui permettra de lui procurer de l’argent pour assouvir sa procrastination. L’entretien est un succès, Elton doit commencer dès le lendemain.

Ange se rend à un vernissage et est surprise de sentir dans son dos Thierry Tomasson, le présentateur vedette provocateur de la télévision. N’étant pas dupe, elle l’écoute attentivement, surtout quand il lui annonce chercher des chroniqueurs qui attirent la caméra par leur regard pour sa nouvelle émission. Comme elle ne couche pas le premier soir, ils se retrouvent quelques jours plus tard, mais Tomasson fait trainer sa décision.

Une nouvelle fois, Philippe Hauret s’intéresse à des gens communs dont le seul espoir réside dans le moyen de trouver de l’argent. Et à chaque fois qu’ils ont l’impression de décrocher la timbale, ils vont tomber sur un os (c’est de l’humour noir, et quand vous lirez le livre, vous comprendrez). Philippe Hauret ne montre pas des personnages entamant une descente aux enfers, mais plutôt comment le destin malmène ceux qui n’ont rien demandé à personne.

Muni d’un scénario en béton, rempli d’imagination, ce roman est un pur plaisir de lecture par la volonté de l’auteur de flinguer les images des vedettes du petit écran. On s’aperçoit vite que leur statut de « star » cache en fait de bien sombres secrets que l’on est loin d’imaginer. Sans en rajouter plus que ça, Philippe Hauret adore se moquer de ces personnes intouchables avec un plaisir communicatif et vicieux.

Au milieu de ces gens plein de fric, nos deux héros, Ange la forte et Elton le faible, vont subir mais toujours trouver des solutions (souvent mauvaises) et prendre des décisions (souvent mauvaises). J’ai aussi particulièrement apprécié les personnages secondaires, que ce soient les deux truands Ariel et Malo, mais aussi Melvil, le flic qui ressemble à s’y méprendre à Colombo.

J’ajouterai enfin que chaque chapitre porte le titre d’une chanson populaire, qu’elle soit française ou étrangère et illustre parfaitement le sujet. Cela donne une cohérence d’ensemble à ce roman qui se révèle un vibrant hommage à la culture populaire, où l’on ne juge pas les gens, où l’on rit beaucoup, une lecture jouissive et cynique. Ce roman est une nouvelle fois une belle réussite.

Nickel boys de Colson Whitehead

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

« Même morts, les garçons étaient un problème. »

Pour son Noël 1962, Elwood Curtis reçut un cadeau qui allait changer sa vie : un disque appelé Martin Luther King at Zion Hill. Les mots gravés sur la galette de vinyle lui apportèrent une vérité : un homme noir a autant de droit qu’un homme blanc. Elwood, jeune noir, se rendit compte qu’il valait autant que n’importe qui. Elevé par sa grand-mère Harriet, il travailla dès l’âge de neuf ans à l’hôtel Richmond à la plonge.

Dans sa volonté d’exister, il chercha à devenir le meilleur à la plonge. Alors que les cuistots organisaient un concours d’essuyage d’assiettes, Elwood fut opposé à Pete, un petit nouveau. Pour le vainqueur, le prix était une encyclopédie complète qu’un représentant avait oubliée dans sa chambre. Elwood gagna et eut toutes les peines du monde à ramener les 10 tomes par le bus. Rentré à la maison, fier de sa victoire, il se rendit compte que seul le premier tome était complet, les neuf autres ne comportaient que des feuilles blanches.

Persuadé de faire la différence par son intelligence, Elwood lisait beaucoup. Les années passèrent et il vit sa chance arriver quand les écoles s’ouvrirent aux jeunes noirs, avec l’arrêt Brown vs Board of education. Elwood avait quitté l’hôtel Richmond pour le bureau de tabac de M.Marconi. Ce dernier l’aida à économiser son argent si bien qu’un jour, Elwood fut capable d’aller à l’université. Alors qu’il faisait du stop pour s’y rendre, une voiture s’arrêta. Il monta sans arrière-pensée. Quand la voiture fut arrêtée par la police, le conducteur noir et Elwood furent accusé d’avoir volé la voiture. Les deux passagers étant noirs, le juge n’hésite pas : ils iront en prison pour vol ; et comme Elwood est mineur, il sera envoyé à la Nickel Academy, une maison de correction chargée de remettre les jeunes noirs sur le bon chemin.

Quelle histoire ! Quel roman ! Ce roman, qui a valu son deuxième Prix Pulitzer à son auteur, m’a ouvert les yeux sur un écrivain hors norme. A la fois engagé pour la cause noire, mais aussi et surtout humaniste, Colson Whitehead construit une histoire hallucinante en prenant le recul nécessaire pour ne pas être accusé de partisanisme, tout en montrant les incohérences qui en deviennent des évidences, des anormalités qui devraient relever du simple bon sens.

On peut donc être surpris par ce style froid, factuel, qui se contente de dérouler les scènes, sans y insérer le moindre dialogue (il y en a moins d’une dizaine dans le roman). Personnellement, j’ai eu l’impression de relire Candide de Voltaire, une version moderne autour d’un combat d’un autre âge, la lutte des noirs pour leurs droits civiques. Le style se veut simple, et les conclusions de chaque scène sont ponctuées de remarques, que même un enfant de dix ans comprendrait et en déterminerait le ridicule.

On peut dès lors trouver un ton de cynisme dans l’écriture de Colson Whitehead, voire même trouver certains passages drôles tant cela nous parait ridicule. Par exemple, quand ils se font arrêter par la police à bord d’une Plymouth Fury 61, le juge en déduit qu’un noir ne peut pas conduire une telle voiture et que c’est donc forcément une voiture volée. C’est aussi dans ces évidences que le roman tire sa force, une force dévastatrice.

A la fois combat pour une cause de toute évidence juste, et malheureusement toujours contemporaine (il suffit de regarder les journaux télévisés), ce roman décrit aussi la perte de l’innocence mais aussi la naïveté d’une partie de la population, par l’écart gigantesque entre les discours officiels et la réalité. Et le retour à la réalité sont illustrés par des scènes de punition (non décrites dans le détail) qui sont autant de rappels sur le chemin qui reste à faire.

En conclusion du roman, Colson Whitehead explique le pourquoi de son roman, nous donne les pistes pour comprendre que ce genre de maison de correction a existé et qu’il s’est inspiré de la “Arthur G. DozierSchool for Boys”, qui a fermé ses portes en 2011 ! D’une puissance rare, ce roman est un vrai plaidoyer rageur contre un combat qui n’est pas fini, et que la lutte doit continuer.

Si vous êtes anglophones, je vous joins l’article du Tampa Bay Times, sinon, je vous joins le billet de Hugues de la librairie Charybde

Larmes de fond de Pierre Pouchairet

Editeur : Filature(s)

Au rythme où Pierre Pouchairet publie ses romans, je dois avouer que j’ai du mal à suivre. J’avais le choix entre lire les deux petits derniers de la série Les trois brestoises, achetés lors de mes vacances estivales, ou bien lire celui-ci qui sort dans une toute nouvelle collection. On retrouve dans ce roman toutes les qualités que j’adore chez cet auteur.

Quimper. Yvonnick Oger tient une petite boutique de réparation informatique. Au moment de fermer, une sexagénaire lui apporte, affolée, son ordinateur qui n’a pas apprécié la dernière mise à jour. Rentré chez lui, il retrouve sa compagne Sandrine avec qui il partage son amour de la plongée sous-marine. Un coup de fil va abréger sa soirée : on a besoin de lui pour une mission pour récupérer un conteneur en forme de torpilles sous l’eau, de la part d’un de ses clients qui penche du coté des fachos.

Quimper. Jean de Frécourt a dépassé les soixante-dix ans après avoir magouillé auprès de tous les politiques de tous bords. En rentrant chez lui, un livreur lui amène un paquet, avant de le malmener avec un couteau. Puis on lui met une cagoule sur la tête et il atterrit dans le coffre d’une voiture, puis dans un bateau. Il doit se rendre à l’évidence, il vient de se faire enlever et se demande ce que ses ravisseurs lui veulent.

Brest. En ce dimanche matin, Léanne se réveille difficilement après le bœuf qu’elle a fait la veille au soir avec ses deux amies Sandrine et Elodie. Après un footing, direction le commissariat central où elle est sure de ne trouver personne. Elle en profite pour passer en revue ses écoutes téléphoniques en cours sur un jeune geek potentiellement livreur de drogue et un homme d’affaires douteuses. Les discussions sur le téléphone de de Frécourt montrent sa femme Gisèle affolée : elle est persuadée que l’on a enlevé son mari.

Divisé en trois parties, ce roman va réunir les deux sœurs que les habitués des romans de Pierre Pouchairet connaissent bien. La première est consacrée à Léanne, la deuxième à Johanna et la troisième se nommant Deux flics peut se passer de commentaires. L’intrigue commence donc en Bretagne, fait ensuite un détour à Nice puisque Johanna vient d’y être nommée commandant.

Deux lieux différents, deux enquêtes différentes, mais deux personnages de femme flic qui ont les mêmes qualités : une force humaine hors du commun. Toutes deux ont leurs failles, leurs cicatrices, faute à un passé tumultueux et à des regrets pesants : Léanne a vu son mari mourir et Johanna est affublée d’un boitement suite à une affaire précédente. Toutes deux ont plutôt tendance à être des têtes brulées.

Même si on n’a pas lu les enquêtes précédentes, Pierre Pouchairet nous explique brièvement les affaires précédentes, non pas pour spolier les histoires mais pour justifier la psychologie de ses personnages. Et ces enquêtes-là, qui vont se rejoindre, vont encore une fois malmener nos deux héroïnes et mettre à jour des complots qui démontrent une fois de plus l’étendue de l’imagination de l’auteur. En fait, Pierre Pouchairet donne à son œuvre une cohérence globale avec ce roman qui fait le lien entre le cycle des trois Brestoises, Tuez les tous et La prophétie de Langley.

Comme bien souvent, quand l’auteur a exercé le métier de flic, l’intrigue suit scrupuleusement les étapes d’une enquête, ce qui donne un accent vrai à l’histoire et c’est grandement appréciable. Et encore une fois, on se retrouve avec un super polar, au rythme trépident qui ne vous lâchera pas du début à la fin. Les romans de Pierre Pouchairet sont comme une drogue dure : quand on y a goûté, on ne peut plus s’en passer et on ne rêve que d’une chose, en reprendre un autre.

Avant les diamants de Dominique Maisons

Editeur : Editions de la Martinière

Attention, coup de cœur !

Après toutes les bonnes critiques parues sur ce roman, je me joins aux autres … avec un peu de retard … pour vous inciter à acquérir et à dévorer ce roman qui nous plonge dans le monde d’Hollywood de 1953. Le plaisir et l’immersion sont totaux.

17 mars 1953, Nevada Test Site, Mercury, Comté de Nye. Plusieurs invités viennent assister à la démonstration de force organisée par l’armée américaine. La bombe Annie vient confirmer la prédominance des Etats-Unis dans la course aux armes atomiques. Convoqué par le général Trautman, le major Chance Buckman se voit confier une mission de la plus haute importance : Comme le Maccarthisme s’essouffle, l’armée doit subventionner des producteurs indépendants des grands studios qui diffuseront des messages démontrant la grandeur de l’Amérique. A l’avenir, chaque pays aura deux cultures : la sienne et la culture américaine. Pour cette mission, il sera secondé par l’agent Annie Morrisson.

17 mars 1953, Lone Pine, Comté d’Inyo, Californie Larkin Moffat, producteur maniable de westerns à petits budgets, travaille au bouclage de son dernier film en date, avec une figure vieillissante du cinéma américain, Wild Johnny Savage. Il est obligé d’aller chercher la star dans sa roulotte car le tournage des scènes va bientôt démarrer. Il découvre un acteur épuisé, endormi dans ses vapeurs de drogue. Sans hésiter, le producteur sans scrupules appelle un docteur pour qu’il lui injecte un remontant pas tout à fait légal, de quoi lui faire tourner les scènes du jour. Puis il va passer ses nerfs sur sa compagne, Didi, à coups de ceinturons, avant de la violer. C’est le prix à payer pour devenir une Star.

17 mars 1953, Little Church of the West, Las Vegas, Nevada. Le père Santino Starace a réussi à faire fructifier son église et devient incontournable au sein de la Legion of Decency,  une ligue de vertu donnant des étiquettes de visionnage très strictes aux films pour préserver la morale du peuple américain. Ayant terminé sa journée, il retrouve son amant Juanito, qui a la moitié de son âge et qui rêve de devenir acteur. Quand Buckman et Morrisson le contactent, il accepte de faire l’intermédiaire avec Jack Dragna, qui gère les affaires du mafioso Mickey Cohen, incarcéré depuis peu pour évasion fiscale. En échange, le père Starace négocie des papiers en règle pour Jancinto. Dragna y voit l’occasion de diversifier les investissements de la mafia et la possibilité d’un rendement extraordinaire.

Je ne sais pas ce qu’il en est de vous, mais je suis passionné par le cinéma américain d’après-guerre. C’est aussi le cas de Dominique Maisons, dont chaque ligne de ce roman est écrite avec passion. Et c’est un vrai grand beau roman noir auquel on a droit avec ce pavé de 500 pages, comme une sorte de voyage enchanté dans un monde féérique, mais aussi superficiel et irrémédiablement violent.

La comparaison en quatrième de couverture avec les grands auteurs contemporains est flatteuse (James Ellroy, Robert Littell ou Don Winslow) et ce roman n’a pas besoin de ces références pour se situer au-dessus du lot. Ce roman formidablement évocateur, possède sa propre identité et se place parmi les meilleurs romans évocateurs de cette période. Car, avec une plume érudite et une puissance évocatrice, le lecteur que je suis a fait un voyage dans le temps, et découvert l’envers du décor imprimé sur la toile de cinéma.

L’auteur n’avait pas besoin de parsemer son histoire de personnages illustres (on y croise entre autres Errol Flynn, Clark Gable, Gary Cooper, Franck Sinatra, ou HedyLamarr) pour sonner vrai. Et pourtant, ils sont tellement bien utilisés dans l’intrigue qu’ils se fondent dans le décor. On y sent l’odeur de la peinture fraiche, on y entend les caméras tourner, on y voit des acteurs ou actrices malades se transformer dès qu’on entend le mot « Moteur ».

Et puis, derrière les fastes exhibés devant la caméra, l’ambiance tourne au scénario le plus noir que l’on puisse imaginer. Des luttes d’influence aux relations entre l’armée, le cinéma et la mafia, des actions violentes perpétrées pour assouvir un besoin sexuel, ou une envie de meurtre ou juste un besoin de vengeance, quand ce n’est pas pour éliminer une concurrente, ce roman ne nous épargne rien, tout en restant en retrait, factuel comme un témoin de cette époque apparemment idéale mais en réalité si cruelle et immonde.

Pour illustrer ces aspects, des personnages fictifs vont émailler cette intrigue, Didi, Liz, Juanito, Buckman, Annie, Moffat, Storance, et tous sont justes, vrais, psychologiquement impeccables, tout au long de cette année 1953 que parcourt cette histoire. Ils vont tous être tour à tour innocents, coupables, bourreau et victimes. Hollywood vend du rêve mais l’envers du décor ressemble plutôt à une machine à broyer des êtres humains.

Avec son scenario en béton, sans oublier sa fin apocalyptique, avec ses personnages formidables, avec sa puissance d’évocation, et son style si fluide et hypnotique, Dominique Maisons a écrit un grand livre, que je ne suis pas prêt d’oublier. Il a aussi garder sa passion intacte, ne jamais faiblir tout au long des 500 pages, et nous offrir un grand moment de littérature, tout simplement.

Coup de cœur !

Si j’ai lu (dévoré) ce roman, c’est surtout grâce aux billets de Laulo et Yvan

Un accident est si vite arrivé de Sophie Loubière

Editeur : Pocket

Ce recueil de nouvelles possède tous les ingrédients pour en faire un plat de choix. Alors qu’elles ne dépassent que rarement quatre pages, ces scènes quotidiennes ont l’avantage de présenter des personnes de tous les jours face à leur destin, se dirigeant vers une chute, la plupart du temps, funeste et dramatique. J’ai beaucoup apprécié la simplicité du style mais aussi la méticulosité à résumer une vie en quelques lignes et à décrire un décor en quelques adjectifs. Et puis, on y trouve quelques joyaux bien jouissifs, bien noirs. Mais, trève de plaisanterie, voici mon avis sur ces histoires noires :

Cuisine italienne : Roberto Danza tient une pizzeria. Monique est sous la douche. Il a une dizaine de minutes pour s’absenter, mettre le feu à la pizzeria pour toucher les 50 000 euros de l’assurance. Mais tout ne se passe pas comme prévu … Une histoire bien construite avec une chute rigolote.

Ondes de choc : A partir d’une bagarre entre deux demi-frères, Benoît et Doudou, l’auteure écrit une nouvelle glaçante qui fouille les relations familiales.

Le million : Juliette et Pascal Courtier se sont mariés jeunes, pleins d’illusions; mais le vie en a décidé autrement, et seule la roue d’un jeu télévisé peut leur apporter l’espoir du Million. Avec un style distant, Sophie Loubière créé en seulement trois pages, toute une vie de déceptions et de rancoeur dans un petit bijou de noirceur. Cela confine au génie.

Régulation : Au bistrot de Saint-Médard, les chasseurs du coin s’y rejoignent pour regretter les lapins qu’ils ont ratés. Jean-François en profite pour leur annoncer qu’il va arrêter de fumer pour son bébé à venir … Sophie Loubière n’a pas son pareil pour narrer un fait-divers dramatique.

Vernissage : Lucienne Parisot fête ses 79 ans et sa fille Lucienne est inquiète du retard de versement de sa pension. Voici un voyage chez les gens désespérés qui vont jusqu’à l’impensable pour survivre.

Sleeping with Brad Pitt : Jean-Paul Gardoni, sosie de Brad Pitt, va suivre son itinéraire en utilisant sa qualité auprès de la gent féminine.

0,1% : Martine, conseillère à la Société Générale, s’est toujours mise au service de ses clients. Un soir, un coup de téléphone lui annonce qu’elle va mourir dans quelques jours, selon des statistiques officielles de son assurance vie. Digne d’une nouvelle de Stephen King, l’auteure y ajoute l’humour noir nécessaire pour en faire un petit joyau.

De façon accidentelle : Depuis l’accident de la route de son mari, l’épouse se retrouve avec deux personnes en fauteuil roulant, en comptant sa belle-mère. Comme elle juge que cela ne peut plus durer, elle songe à se débarrasser des deux handicapés.

Les beignets de miss Jewell : Après une journée bien chargée, l’agent de la police de la Nouvelle Angleterre Stefan Murray doit encore arrêter Harold Walt avec de pourvoir profiter des beignets de Miss Jewell. Une histoire classique mais hilarante.

Ma photo dans le journal : Elle avance dans son trotteur quand la famille arbore fièrement le portrait du père à la une du journal pour sa prise à la pêche. Elle aussi aura sa photo dans le journal. Alors que l’on s’attend à une histoire enfantine, c’est bien un fait divers noir auquel on adroit, terrible dans sa conclusion.

Sri Sûria Narayana : Rajni, de la tribu des Bohpas, ne veut pas être mariée à un garçon de treize ans qu’elle ne connaît pas. Alors, elle prie le Dieu du Soleil Sri Sûria Narayana et se dirige vers la voie de chemin de fer. Et Sophie Loubière nous offre une nouvelle d’une beauté éclatante aux teints orangés comme un soleil qui se couche.

Allez directement à la case Départ : Huguette Acard est déjà tombée plusieurs fois chez elle et son docteur l’a prévenue : la prochaine fois, ce sera l’EHPAD. Pourtant, ce matin-là, elle bute sur une plaque d’égout … Cette nouvelle semble nous caresser par sa gentillesse avant de nous asséner un coup derrière la tête.

Le poisson : Quand Sophie Loubière s’essaie au genre fantastique, c’est pour nous parler de l’adoption d’un thon. Et la magie s’opère, on y croit, on est ému jusqu’à cette fin irrésistiblement drôle qui nous fait revenir sur Terre.

Accident de parcours : Suite à un accident de moto, Daniel s’est retrouvé à l’hôpital, dans le coma. La fin de sa vie doit s’envisager dans un fauteuil roulant. Une nouvelle courte et cruelle.

Compartiment 12 : Quand une sexagénaire s’installe dans le compartiment de train, le voyage promet d’être un enfer. C’est une nouvelle très courte mais bigrement jouissive, qui donne son titre à ce recueil.

L’arbre qui cachait la forêt : Tommy Joplin a été réveillé par des coups de feu. Il a ensuite découvert ses deux parents, abattus par des balles de calibre 264. Le shérif Lupton est surpris par la sauvagerie de la scène. Qui avait perpétré ce double crime ? Ce qui pourrait s’apparenter à un Whodunit classique s’avère être une histoire terrible racontée avec beaucoup de détachement dans un style quasi-clinique.

Oscar m’a tuée : Un acteur mondialement célèbre assiste à l’enterrement d’une camarade de classe à Plaisir. Pour exaucer le dernier voeu de la défunte, il doit lire une lettre, une lettre terrible, qui donne une nouvelle effroyablement bien faite.

Elagage d’automne : Une vieille dame sort son chihuahua et découvre dans le jardin de son voisin d’habitude si méticuleux une branche d’olivier.

Bandit Panda : Les flics débarquent chez les Dos Santos : ils viennent pour Michael, qui vient de ramener 5 kilos de beuh, soit disant. Une nouvelle hilarante.

Bruce Willis n’est pas n’importe qui : Il n’a pas hésité pour défoncer la porte et sauver les enfants des flammes qui dévoraient l’appartement. Une nouvelle bien cynique.

Le meilleur ennemi de l’homme : A Metz, Rolande a perdu sa chatte Chouquette. Puis c’est toute la France qui est touchée par la disparition de félins. Une nouvelle à ne pas faire lire aux protecteurs des animaux.

Mauvaise blague : Catherine Denis explique à son fils de 11 ans Tristan, la différence entre connaitre et reconnaitre quelqu’un. Il doit se méfier de l’inconnu qui est assis au parc. Cette nouvelle très drôle se moque de l’excès de paranoïa en même temps qu’elle rappelle l’utilité du rire et de l’innocence.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Yvan !

Paperboy de Pete Dexter

Editeur : Editions de l’Olivier (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Traduction : Brice Matthieussent.

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. 

Ce mois-ci, j’ai décidé de mettre à l’honneur un grand auteur de romans noirs dont on ne parle pas assez à mon goût. Lisez , relisez Pete Dexter.

L’auteur :

Pete Dexter, né le 22 juillet 1943 à Pontiac dans le Michigan, est un écrivain, journaliste et scénariste américain. Il a reçu le National Book Award en 1988 pour son livre Paris Trout (Cotton Point en France).

Il travaille comme journaliste d’investigation, chroniqueur et éditorialiste pour le Philadelphia Daily News de Philadelphie, le The Sacramento Bee de Sacramento et le Sun Sentinel de Fort Lauderdale avant de se consacrer à l’écriture. Il débute comme romancier en 1984 avec le roman noir God’s Pocket. Il obtient le National Book Award en 1988 pour le roman Paris Trout (Cotton Point en France).

Pete Dexter travaille également comme scénariste, il participe notamment aux adaptations de ses romans. Stephen Gyllenhaal réalise Paris Trout d’après le roman éponyme en 1991, Walter Hill se base sur Deadwood pour réaliser Wild Bill en 1995 et Lee Daniels réalise The Paperboy en 2012 d’après le roman du même nom.

Il a par ailleurs collaboré à l’écriture des films Rush, Les Hommes de l’ombre, Michael et Sexy Devil.

Pour la création de la série télévisée Deadwood, David Milch s’est inspiré du roman Deadwood.

Quatrième de couverture :

Dans une cellule de la prison de MoatCounty, en Floride, Hillary Van Wetter attend la mort. I lest accusé d’avoir assassiné – ou plus exactement éventré – le shérif local. Pendant ce temps, une certaine Charlotte Bless adresse une lettre au Miami Times, expliquant que le condamné va être exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis. Flairant une affaire juteuse, le journal décide d’envoyer ses deux meilleurs reporters, James et Acheman, enquêter sur place.

Mon avis :

A Lately, dans le Comté de Moat, Hillary Van Wetter croupit en prison dans l’attente de son procès pour meurtre. Il est accusé d’avoir tué le shérif Thurmond Call, après que celui-ci ait tué à coups de pieds Jérôme Van Wetter, lors d’une arrestation. Le shérif Call n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a déjà tué seize jeunes noirs en trente-quatre ans d’exercice.

Jack James est le fils du propriétaire du MoatCounty Tribune. Son frère Ward a pris son envol et est devenu une star du Miami Times, avec son acolyte YardleyAcheman. Le procès de Hillary est l’occasion pour Jack de retrouver son frère puisqu’il va être embauché comme chauffeur pour lui. Une dénommée Charlotte Bless, serveuse et nymphomane de son état, leur demande de prouver l’innocence de son futur fiancé …

Jack va nous raconter cette enquête vue du côté des journalistes comme s’il déposait en tant que témoin dans un procès. Il va donc décrire chaque scène et le roman va avancer par de petites scènes ne dépassant que rarement deux pages. On ne peut qu’être ébahi par l’imagination de l’auteur mais aussi par la rigueur qu’il montre dans le déroulement de l’intrigue. Et on peut se dire que Pete Dexter a décidé de se ranger derrière son histoire, mais ce serait mal connaitre ce grand auteur.

Petit à petit, les scènes fortes vont se dévoiler, montrant les largesses de la justice, l’impunité des shérifs qui ont tous les droits et l’aveuglement et la culpabilité des policiers et de la population. Je pensais lire une charge contre la peine de mort, et je trouve une charge contre le système américain, avec au premier plan la façon dont on (mal) traite les journalistes, seuls êtres impartiaux, à la recherche de la vérité dans un système pourri jusqu’à la moelle.

Dès lors, la critique de la société américaine se fait autant acerbe que subtile, par petites touches, à travers des anecdotes à première vue anodines. J’en veux la réaction de la gouvernante noire du père du narrateur qui n’apprécie pas que ce dernier affiche sa sympathie envers les gens de couleur ; ou bien quand Ward devenu journaliste à succès a tout le temps d’étudier le lieu d’un accident d’avion de ligne, de compter le nombre de victimes, parce que les secours avaient une mission plus urgente : intervenir sur un incident d’un avion privé.

Décidément, ce roman s’avère plus subtil, plus intéressant que ce qu’il peut paraitre au premier abord. Et puis, si je peux vous donner un dernier conseil, en plus de celui de lire tous les romans de Pete Dexter. N’allez pas voir le film qui n’a retenu que les scènes trash pour totalement gommer l’aspect progressiste du roman.