Le chouchou du mois de janvier 2021

C’est reparti pour une nouvelle année de polars ! je ne sais pas si toute l’année va continuer sur cette lancée, mais quand je regarde les avis que j’ai publiés, j’ai noté la présence de beaucoup de romans français et beaucoup de premiers romans.

Cette année, la rubrique Oldies sera consacrée aux 15 années d’existence des éditions Gallmeister. Nous avons commencé par L‘insigne rouge du courage de Stephen Crane (Gallmeister), un classique du 19ème siècle de la littérature américaine qui nous plonge dans la guerre de Sécession. Le style flamboyant nous emporte par son évocation du front, faisant appel à tous nos sens.

Autre roman américain, Ohio de Stephen Markley (Albin Michel) fut très remarqué l’année dernière et je dois dire qu’il m’a impressionné par l’image qu’il donne de la société. L’auteur nous montre, de façon subtile, que toute personne non politiquement correcte se retrouve confrontée au Système institutionnel qui se charge de le laminer. Bien qu’un peu bavard, ce premier roman, roman choral qui plus est, étonne et détonne.

A part ces deux romans américains, tous les autres romans chroniqués sont français. Et signe des temps (Sign’ o’ Times), j’aurais chroniqué deux romans humoristiques, Tantum Ergo de Maurice Daccord (L’Harmattan) qui inaugure une série par une enquête originale, fort bien construite et fort drôle, et La route coupée de Guillaume Desmurs (Glénat), deuxième enquête se déroulant dans la station de ski fictive de Pierres-Fortes, meilleure à mon avis que la première. Les deux racontent une recherche d’un tueur en série, mais pas comme les thrillers américains, avec classe. Si vous cherchez à vous changer les idées, à faire des provisions de bons mots, de jeux de mots et de phrases incontournables, tournez-vous vers ces deux romans là.

En termes de premiers romans, les curieux vont être comblés avec Les Abattus de Noëlle Renaude (Rivages), un roman social d’un homme né dans une famille pauvre qui voit des morts apparaitre dans son entourage. Ce roman possède un vrai ton original et mérite qu’on se penche dessus. Avec Nos corps étrangers de Carine Joaquim (Manufacture de livres), l’auteure réalise une très belle autopsie d’un couple en crise, avec une plume simple mais bigrement expressive.

Depuis quelque temps, je me penche de plus en plus souvent sur des nouvelles. Dans Il y a un ange dans le garage de Daniel Pasquereau (Zinedi), l’auteur, au lieu de nous présenter des scènes, nous peint des pans de vie qu’une décision fait basculer. Ce recueil possède quelques pépites autant dans le polar que dans le genre fantastique.

Parmi les auteurs que je suis, par pur plaisir, Solitudes de Niko Tackian (Calmann-Lévy) est un roman qui apparait très personnel. Ecrit pendant le premier confinement, l’auteur choisit de jouer sur une opposition entre enfermement (intérieur) et grands espaces (l’action est située dans le Vercors dans des paysages neigeux grandioses). Les âmes sous les néons de Jérémie Guez (La Tengo) est paru après sept années d’absence depuis Le dernier tigre rouge. Roman noir mais aussi poésie brillante, cette histoire simple est constituée de paragraphes ne comportant qu’une phrase et nous emporte dans un monde sans pitié au détriment de la loyauté et l’amitié.

Le titre de chouchou du mois revient donc Rosine une criminelle ordinaire de Sandrine Cohen (Editions du Caïman), un premier roman que j’ai adoré. En démarrant par un fait divers horrible, l’auteure met au-devant de la scène Clélia, enquêtrice de personnalité, dont le travail consiste à comprendre les raisons et les causes de ce drame. Sandrine Cohen choisit de nous faire vivre une femme forte et sans concession, en utilisant une écriture vive et rapide, qui donne à ce roman une originalité et le rend impossible à lâcher.

J’espère que ces avis vous aideront à choisir vos lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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La route coupée de Guillaume Desmurs

Editeur : Glénat

Avec La revanche des hauteurs, Guillaume Desmurs inaugurait une série de romans policiers humoristiques ayant pour cadre la station de ski de Pierres-Fortes. Je me suis beaucoup amusé l’année dernière avec cette lecture. La deuxième (més) aventure, La route coupée, est encore plus drôle !

Si vous n’avez pas lu le premier tome, l’auteur, ayant pensé à vous, présente ses trois personnages principaux dans le prologue. Et comme je suis gentil, je vous résume ça de suite. Alix est une jeune journaliste stagiaire à Savoie-Matin ; Marc-Antoine, médecin généraliste, ne fait pas de ski mais est venu avec sa femme avant de s’installer à Pierres-Fortes. Jean-Marc, directeur de l’office de tourisme, fait tout pour que rien ne se voie, afin de garder son Audi de fonction. La route coupée raconte la saison de ski suivant La revanche des hauteurs.

Alors qu’une tempête de neige s’abat sur Pierres-Fortes, les touristes se ruent par dizaines de milliers vers cette petite station de ski, en empruntant une minuscule départementale, engendrant des kilomètres de bouchon. Dans le sens inverse, Michael, le fils du maire, descend à bord du fourgon de convoyeur de fonds. Perpendiculairement au fourgon, une camionnette le percute, l’envoyant dans le ravin dans une belle double explosion. De l’autre coté de Pierres-Fortes, sous le poids de la neige, la montagne s’écroula en une impressionnante avalanche.

La saison s’annonce bien, les touristes affluent en masse et Jean-Marc a organisé les Rencontres internationales de la Bienveillance, qui bénéficiera de la présence de Jean-Christ, le gourou du yoga aux 800 000 fans sur You tube. Mais les pompiers s’aperçoivent qu’il n’y a plus d’argent dans le fourgon, et des cadavres commencent à faire leur apparition, plantés sur le bord de la route comme des fleurs.

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais personnellement, je ne passerai jamais mes vacances à Pierres-Fortes ; d’abord parce que je ne pars pas aux sports d’hiver, ensuite parce que le taux de mortalité y est trop élevé. Après les dizaines de morts lors du premier tome, voici une nouvelle série de corps qui parsèment la station de ski, sans aucun lien les uns avec les autres.

Par rapport au premier tome, déjà excellent et fort drôle, celui-ci relève le pari en nous proposant une enquête et donc une intrigue plus minutieuse. L’auteur passe d’un personnage à l’autre, sans que l’on se doute du (ou des) coupables, et la solution se révèle aussi logique qu’inattendue. Pour les amateurs de romans policiers, ce roman se situera au niveau de la très bonne surprise.

Dans le ton légèrement décalé, dans l’amoncellement de scènes logique, dans les remarques cyniques mais aussi cultivées et faisant appel à des références contemporaines, toujours dans le but de faire sourire voire rire. Les descriptions, les remarques doucement cyniques nous tirent toujours vers un humour intelligent, ne se gênant pas pour appuyer sur quelques travers de notre société.

J’ai trouvé ce deuxième tome plus drôle, plus minutieux mais aussi mieux mené, comme si l’auteur avait trouvé sa voie, sa voix dans la description d’un microcosme toujours plus ridicule alors qu’il représente bien les gens d’aujourd’hui obnubilés par les jeux vidéos, les réseaux sociaux et les scoops toujours plus sensationnels. Avec ce roman, Guillaume Desmurs démontre que c’est par l’humour que les messages passent le mieux, et je signe de suite pour les prochaines enquêtes d’Alix, Marc-Antoine et Jean-Marc.

Solitudes de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Levy

Depuis Toxique, j’essaie de suivre le rythme de parution annuel de Niko Tackian, les achetant dès leur sortie, avec l’assurance de lire un polar costaud. Comme ce roman a été écrit pendant le premier confinement, la façon de dérouler l’intrigue est forcément particulière.

Garde-nature dans le massif du Vercors, Elie Martins s’apprête à affronter une violente tempête de neige. A la poursuite d’un loup, il remarque des traces et se demande qui peut bien se promener dehors par ce temps. L’apparition de traces de sang le pousse à continuer son exploration jusqu’à un vieux pin au tronc fendu. En en faisant le tour, il découvre un corps pendu et appelle la police.

La lieutenante Nina Melliski est immédiatement convoquée sur place, et elle doit faire deux heures de route depuis Grenoble. Quand elle arrive, l’endroit est déjà sécurisé par des rubalises et elle assiste au décrochage du corps. Il s’agit d’une jeune femme, et sur son dos, l’assassin a gravé à même la chair un mot en grec ancien : αλήθεια, ce qui signifie Vérité. A la vue de ce mot, Elie est troublé.

Elie Martins a connu une histoire peu commune : quelques années auparavant, quelqu’un lui a mis un sac en plastique sur la tête, avant de lui tirer une balle dans la tête. Lors de l’autopsie, le médecin légiste a vu sa main bouger et s’est rendu compte qu’il était vivant. Après une longue période de coma, Elie a survécu, conservant la balle dans sa tête, mais avec une amnésie totale quant à son passé.

Elie est-il victime ou coupable ? Le corps de cette jeune femme est-il son œuvre ou un message qui lui est destiné ?

A côté des enquêtes de son enquêteur récurrent Tomar Kahn, Niko Tackian nous offre des romans orphelins tels que celui-ci. Ce doit être l’occasion pour l’auteur de sortir d’un cadre qu’il a créé, de laisser libre cours à son imagination. En tous cas, ce roman écrit pendant le premier confinement montre clairement la nécessité de la liberté de l’esprit devant l’enfermement obligatoire pour des causes sanitaires.

Cela a dû être une sorte de délivrance pour Niko Tackian que d’écrire ce roman, et on sent bien son besoin de retrouver un lien avec la nature, sa joie de retrouver de grands espaces, ici des paysages montagneux et enneigés, couverts d’une nature forestière à la fois belle mais aussi inquiétante et mystérieuses. Car pour rajouter du stress à son intrigue, il ajoute une tempête de neige aussi violente que rare.

J’ai retrouvé dans ce roman tout ce que j’aime dans les romans de Niko Tackian, une intrigue rigoureuse, fort bien menée, une écriture très visuelle et une angoisse parfaitement travaillée. On y trouve peu d’action, beaucoup de descriptions des décors et paysages mais les chapitres courts ne dépassant que rarement 4 pages permettent une rapidité de lecture et une sensation de vitesse dans le déroulement de l’intrigue.

Enfin, les personnages sont très finement travaillés, minutieusement construits ; ce sont même probablement les mieux faits de tous les romans que j’ai lus de lui. Même peu nombreux, chacun comporte des psychologies et a des réactions parfaitement en lien avec ce qu’il est. Ce sont eux qui portent le message d’une sorte de dualité antinomique, un enfermement intérieur face à une nature grandiose, d’où le titre Solitudes.

J’attendais de ce roman un polar costaud, il l’est assurément.

Message Personnel : Merci Coco

Tantum Ergo de Maurice Daccord

Editeur : L’Harmattan

L’arrivée d’une nouvelle collection de romans policiers aux éditions de L’Harmattan, appelée sobrement Noir, se fête au même titre qu’une nouvelle série mettant en scène deux enquêteurs aux noms rigolos. Une lecture festive.

Proche de la retraite après avoir passé plusieurs années dans la compagnie d’assurances Le Parapluie, Eddy Baccardi décide de changer de vie et de travailler à son compte. Il s’aperçoit bien vite que les couples ne sont pas faits pour durer et ouvre une société d’écoute de futurs divorcés. Essayant d’arrondir les angles, de prodiguer des conseils de pseudo-psychologue, sa clientèle s’étoffe rapidement par un efficace bouche à oreille grâce à ses qualités d’écoute.

Un matin, un commandant de gendarmerie au nom étrange, Léon Crevette, le convoque au poste. Une femme a été trouvée égorgée avec une gravure sur le ventre : Tantum Ergo. Dans les papiers de la défunte, le commandant a déniché les coordonnées de Baccardi. Effectivement, il s’agit bien d’une de ses clientes mais, code de déontologie oblige, il ne peut guère aider le gendarme sur la vie privée de la dame.

Mais en quelques jours, les cadavres s’amoncellent. On retrouve une puis deux puis … toutes des femmes et presque toutes clientes de Baccardi. Les deux hommes vont allier leurs forces pour dénicher le coupable.

Ni le thème du serial killer, ni celui de la vengeance ne vont révolutionner le genre. La trame de ce roman est classique et le couple dissonant d’enquêteurs des éléments déjà rencontrés dans le polar. On peut même y trouver des indices qui tombent du ciel et font avancer l’enquête comme par hasard. on ne va pas y chercher ici une révolution du genre, mais plutôt une variation doucement virevoltante.

Et pourtant, si je parle de ce roman, c’est bien parce qu’il possède un ton fantasque, amusant, léger et bigrement humoristique, sans faire dans la lourdeur. J’ai particulièrement aimé les clins d’œil au genre, et les sous-entendus qui font sourire car placés au bon endroit. Il faut dire que Maurice Daccord écrit bien, simplement, et qu’on trouve un plaisir certain à lire ce roman court qui ne se veut rien d’autre qu’un divertissement. Ce qui est sûr, c’est que je serai au rendez-vous de leur prochaine enquête.

Les âmes sous les néons de Jérémie Guez

Editeur : La Tengo éditions

Cela fait presque sept ans que j’attendais un roman de Jérémie Guez, depuis Le dernier tigre rouge. Entre temps, celui que je surnomme Le Petit Prince du Polar est passé du côté du cinéma, écrivant des scénarii et réalisant un film, Bluebird. Les âmes sous les néons permet donc de fêter le retour en grande forme de cet auteur du Noir.

Copenhague.

Elle vit une vie de rêve, belle maison, belles voitures, un bébé en forme, un homme qui l’aime.

La fête se déroule dans la joie, pour souhaiter la bienvenue au bébé.

Elle est énervée, Lars n’est pas là.

Elle est seule avec les amis de son compagnon.

Le téléphone sonne.

La police lui annonce que Lars vient d’être abattu d’une balle dans la tête, au volant de sa voiture.

Lors de l’interrogatoire, les flics lui apprennent que Lars dirigeait plusieurs bars à putes, blanchissait de l’argent sale de plusieurs mafieux.

Elle n’a rien vu, ne s’est intéressée à rien, a profité de l’argent qui coulait à flots.

Lors de l’enterrement, Libyens, Palestiniens, Syriens, Irakiens, Tchétchènes, Serbes, Albanais, et Somaliens viennent la saluer.

Elle ne les connait pas.

L’avocat de Lars lui annonce avoir trouvé des gens pour racheter le business de Lars.

Elle devrait signer, c’est un conseil.

Un homme sonne à la porte.

Il se présente comme le seul ami de Lars, son homme de main aussi.

Lars l’a chargé de veiller sur sa vie, qui va devenir à haut risque.

Il lui demande de ne pas accepter l’offre de l’avocat.

Question de survie.

Ce nouveau roman de Jérémie Guez s’annonce comme un nouveau coup de poing, un nouveau coup de pied au monde du polar. Bien que situé dans un pays nordique, il pourrait prendre place n’importe où ailleurs. L’auteur préfère mettre en avant les personnages et le mystère du monde interlope et caché de la nuit.

Les deux personnages principaux vont jouer un jeu dont ils ne connaissent pas les règles, se rencontrer, se frôler, se quitter en ne sachant pas s’ils peuvent se faire confiance. Leurs allers-retours ressemble à s’y méprendre à une danse moderne, où ils volettent d’un bout à l’autre de la scène.

De danse, il en est aussi question dans la forme de ce polar. Jérémie Guez a opté pour un style, non pas haché, mais fait de paragraphes formés d’une seule phrase, comme un slam rap brillant, une poésie noire et moderne, efficace menant tout droit à l’enfer. Dans chaque phrase, avec le minimum de mots, il se permet de dessiner des décors, de peindre des psychologies et de creuser des thèmes chers au polar.

L’amour, la solitude, la famille, la confiance, la loyauté, ces thèmes représentent les fondations de ce roman aussi brillant par son intrigue que par son style, sans montrer de sentiments superflus. Et à la fin de la lecture, on en vient à regretter d’avoir attendu aussi longtemps, presque sept ans, pour le lire. Bon sang, Jérémie, peux-tu nous en écrire d’autres de ce niveau-là, s’il te plait ?

Rosine une criminelle ordinaire de Sandrine Cohen

Editeur : Editions du Caïman

Ce roman a commencé pour moi par une rencontre virtuelle. Sandrine Cohen m’a envoyé un message avec son premier roman en pièce jointe, pour que je lui donne mon avis. Après 50 pages, je lui ai répondu que j’allais l’acheter quand il sortirait. Car ce roman m’a fait rencontrer Clelia et c’est le genre de rencontre qu’on n’est pas prêt d’oublier.

Le 6 juin 2018 aurait dû être un jour comme les autres. Comme tous les soirs, Rosine donne le bain à ses deux filles, Manon et Chloé, pendant le journal de 20 heures, avant de les coucher. Divorcée, elle vient de rencontrer Nicolas, de dix ans son cadet. Elle lui a proposé de vivre avec elle, lui ne sait pas trop, hésite, lui a juste dit : « J’ai besoin de réfléchir ». Le regard de Rosine se fait noir quand elle pose les yeux sur ses filles. Elle plonge la tête de Manon sous l’eau, longtemps, trop longtemps. Puis c’est le tour de Chloé. Quand Nicolas, inquiet du silence, monte les voir, il trouve Rosine en train de bercer ses deux petits corps.

Enquêtrice de personnalité, Clélia vient rendre visite à Damien Préjean, un prisonnier de Fleury-Mérogis, mais Didier Coste ne veut pas la laisser entrer sans autorisation. Clélia se fout des règles, des normes, elle doit voir Damien, lui expliquer qu’elle a compris qu’il est une victime. Quand elle court dans les couloirs, elle sait qu’il est trop tard, Damien vient de se pendre en nouant ses draps.

Son patron Isaac la convoque. Pour une énième engueulade. Elle doit suivre les règles, car c’est comme cela qu’elle fera un bon travail. Isaac sait que Clélia a raison, mais son attitude joue contre elle. Il a trouvé un nouveau cas, typiquement pour elle, celui de Rosine. Clélia accepte, veut comprendre pourquoi une mère aimante en arrive à noyer ses deux filles dans leur bain.

Partant d’un fait divers glauque (rassurez-vous, il n’occupe que quatre pages), Sandrine Cohen nous présente un sacré personnage. Clélia, une de ces femmes littéraires qu’on n’oublie pas, ne s’encombre pas de règles, de lois, elle sait faire preuve d’empathie, provoquer, être à l’écoute, tout ça pour comprendre le Pourquoi d’un crime. Speedée et vivant toujours sur un fil tendu prêt à se rompre, elle excelle dans son métier par sa faculté à sentir, (se) poser les bonnes questions et secouer le monde figé et lent d’une bureaucratie noyée sous une paperasserie d’un autre temps.

Le monde en question, ce sont les membres de la famille de Rosine, son entourage, ses amis, mais aussi Rosine aussi. Sandrine Cohen aurait pu noyer son intrigue sous d’incessants dialogues à n’en plus finir, elle a préféré privilégier les phrases courtes, les réflexions, les actions, comme pour mieux entrer dans la psychologie de Clélia. L’auteure joue son jeu à fond, sur un sujet bien difficile ; elle appuie sur l’accélérateur dès le début et ne ralentit pas une seconde et surtout pas dans les virages, jusqu’à la toute fin, les réquisitoires des avocats.

Car on ne se pose pas la question sur la culpabilité de Rosine, on veut juste savoir qui est responsable de ce drame. Et pendant cette course infernale que sont les 250 pages, on ressent de véritables poussées d’adrénaline, et par voie de conséquence, une addiction à la lecture. Ce roman est FAN-TAS-TI-QUE, pas comme les autres et dense. Les scènes s’enchainent sans chapitre avec la célérité d’un roman d’action, alors que c’est un roman d’enquête psychologique. C’en est totalement bluffant.

Le seul petit défaut que j’y ai trouvé, qui est lié à mon goût de lecteur, ce sont des paragraphes un peu trop longs. A part cela, j’ai tout adoré, de l’intrigue à la rigueur apportée aux personnages, le rythme et le personnage de Clélia, et la conclusion ni trop noire ni trop blanche. D’ailleurs, je ne souhaite qu’une chose, celle de rencontrer à nouveau Clélia dans une future enquête, car elle en vaut le coup. Imaginez : ce n’est que son premier roman ! Ne ratez pas le train Clelia !

Il y a un ange dans le jardin de Daniel Pasquereau

Editeur : Zinedi

Voilà un recueil de nouvelles qui va vous surprendre par la façon d’aborder les événements du quotidien et les choix que l’on est amené à faire dans une vie, mais toujours avec un scénario bien mené. Daniel Pasquereau, que je ne connaissais pas, sait décrire juste ce qu’il faut et arrive à nous surprendre au détour d’une phrase. Il est des auteurs qui écrivent des scènes, Daniel Pasquereau nous propose des pans de vie où une décision fait tout basculer.

Comme des bêtes :

Le professeur Capra vient de céder son brevet du Paolian aux Bavarois. Plus tard, il cèdera la marque pour un pont d’or. Puis il rentre en train, somnolant sur le trajet qui le berce. En jetant un œil dehors, il aperçoit un accident de voiture. Est-ce une hallucination ?

Avec une volonté de rapidité, on ne sait jamais si on est dans un rêve ou dans la vraie vie. Et la chute qui est aussi surprenante que déstabilisante m’a laissé dubitatif.

Noël de plomb :

Quand il était enfant, Noël aimait Noël. De ces souvenirs perdus, il a concocté une haine envers Léon Hintjens, qui s’est installé non loin de chez lui.

Entre souvenirs et réalité, l’auteur nous écrit une histoire qui aurait mérité un format plus long, d’autant plus que la fin est très réussie, à la façon d’un Brett Easton Ellis.

Engrenage :

Paul a récupéré l’étude notariale familiale à la mort de son père, et s’est marié avec Sophie. Lors de leur voyage de noces, ils partent dans le Sud de la France et s’arrêtent dans un bois, pour faire l’amour. Ils assistent, surpris, à une exécution par balle et arrivent à fuir in extremis.

Remarquable, cette nouvelle l’est par son rythme et par son histoire fort bien contée. Les choix apparaissent sans possibilité de retour en arrière et on se demande à la fin si Sophie n’est pas allée trop loin, se trompant sur toute la ligne.

Une question de choix :

Un écrivain est gêné par un chat qui miaule, comme s’il l’appelait. Il décide de le suivre et découvre un quartier de sa ville qu’il ne connaissait pas. Le chat le conduit vers une maison, et le narrateur ne résiste pas à sonner. Une jeune femme très belle lui ouvre ; c’est Clarisse, une Anglaise.

On n’attendait pas de l’auteur une telle simplicité et une telle histoire, sorte de mélange de mystères et de romantisme. Avec un ton doucereux, on se laisse emporter en douceur dans une sorte de conte merveilleux.

Erosion du foie, de la cervelle et du reste :

Avec le temps, les relations entre le narrateur et sa femme se sont fortement dégradées. Lui, écrivain, trouve du soutien dans les verres qu’il vide, elle sort de plus en plus souvent avec ses copines. Il entame une descente aux enfers, seul.

Encore une fois, l’auteur nous offre une belle histoire, une vie de couple qui se délite, la violence et les regrets dansent sur des mots méchants et la direction que prend l’écrivain pourrait bien être la dernière et mauvaise route.

L’homme-grenouille :

Marco est l’ainé et il surnomme son frère Fiston, ce qui a le don d’énerver ce dernier. Fiston ne veut pas lui dire qu’il a rencontré Louise, une amie d’enfance.

Cette nouvelle nous offre une histoire simple, dont la fin reste à imaginer pour le lecteur.

Il y a un ange dans le garage :

Alors qu’il vient d’hériter d’une petite somme d’argent, Xavier décide d’acheter une ferme, qu’il fera retaper. Il se souvient des bons moments de son enfance, quand il jouait dans les environs. Mais sa fille Zoe, le soir, lui raconte que des bruits l’empêchent de dormir, qu’il y a un ange dans le garage.

Tout en subtilité, cette nouvelle, aux confins du fantastique, part d’une situation normale, classique, pour nous emmener dans des frontières inquiétantes. Une des plus belles réussites de ce recueil, emplie de douceur et de calme.

N’oubliez pas de lire l’avis de l’Oncle Paul.

Nos corps étrangers de Carine Joaquim

Editeur : Manufacture de livres

Avec ce roman, cette lecture se situe loin de mes habitudes, puisqu’il ne s’agit pas d’un polar mais plutôt d’une chronique familiale avec un fond social contemporain, abordant des sujets de société complexes. Il bénéficie d’une écriture remarquablement fluide.

Suite à une crise conjugale, Elisabeth et Stéphane décident de quitter Paris pour la lointaine banlieue et une maison plus grande, un terrain de verdure et un atelier au fond du jardin pour permettre à Elisabeth de s’adonner à sa passion, la peinture. Elisabeth ne pardonne pas à Stéphane son aventure avec Carla, si jeune si belle, si destructrice d’une vie jusque-là sans anicroches.

Leur enfant adolescente de quinze ans, Maëva, vit difficilement le déménagement et l’éloignement de ses amies, le déracinement et la perte de ses repères. Même le collège lui semble nul, ses camarades sans intérêt voire détestables. Mais voilà, ce nouvel environnement se veut une bouée en pleine tempête pour tenter de sauver une vie de famille qui était vouée à l’échec, voire à l’explosion.

Après un premier trimestre difficile, chacun va trouver ses marques et subir des événements qui vont bouleverser la vie de chacun d’entre eux.

Même si l’intrigue est très éloignée d’un polar, et si la fin tourne au roman noir, on reste scotché par la plume de l’auteure, qui m’a semblée à la fois si simple et si raffinée. Je me suis laissé emporter par cette histoire, par la façon dont elle est racontée, touché par les situations qui peuvent sembler banale mais qui sont si démonstratives de la psychologie des gens, de la psychologie des couples.

Car on sent bien que Carine Joaquim a voulu mettre toute sa passion dans ce livre, sa passion des gens, sa passion de l’amour, sa volonté de comprendre les relations entre un mari et une femme, les difficultés d’être adolescent et de subir les réactions des adultes. Et puis, on y trouve sa passion de l’art, ses liens avec le matériel, ses questionnements sur qui, de l’esprit ou du corps commande nos réactions, sur le besoin d’échappatoires comme autant de témoignages extérieurs d’un état d’esprit intérieur.

Chacun, dans sa position, dans son rôle, montre ses motivations, de Stéphane qui se donne les clés d’un renouveau amoureux quitte à sacrifier son temps disponible dû aux transports, d’Elisabeth à la recherche d’une relation humaine, à la fois charnel et spirituel, de Maëva dans son besoin de lien émotionnel, de découvertes et d’émancipation. Mais c’est aussi et surtout un constat de la difficulté de communiquer même quand ce qu’on veut dire est pourtant si simple.

Tant de thèmes sont abordés dans ce roman, qui pourtant fait moins de 250 pages, et sont tellement universels qu’on y trouvera au moins une scène pour s’identifier au personnage, à pointer nos erreurs pour finalement aboutir à une conclusion à laquelle on ne peut que compatir. Emotionnellement très fort, ce roman inaugure un début d’année prometteur, où l’auteure démontre qu’avec plus de simplicité, les sentiments frappent durement et durablement.

J’espère ne pas en avoir trop dit, et surtout, vous avoir donné envie de lire ce très bon premier roman.

Les Abattus de Noëlle Renaude

Editeur : Rivages

Premier roman remarqué en 2020, surtout chez mes copains blogueurs, il fallait que je me fasse mon avis sur ce livre au ton si singulier. Surprenant autant que passionnant, il vaut largement le détour.

De 1960 à 2018, le narrateur dont nous ne connaitrons pas le nom va raconter sa vie miséreuse entre son père alcoolique et violent et sa mère baissant la tête, harcelé et malmené par ses deux grands frères. Malgré une vie de pauvreux, car seul le père travaille, il va regarder et analyser son environnement pour avancer dans sa vie.

Un jour, le père part retrouver une plus jeune, une plus belle et la famille se retrouve encore plus dans grise. Il faudra quelque temps à la mère pour trouver un remplaçant, Max, qui fait la loi parce qu’il ramène de l’argent au foyer. Puis vient la naissance de la demi-sœur, Ola, et Max se retrouve ébloui devant la perle de ses jours.

La mère, elle, sombre dans un désespoir sans fond, minée par sa vie sans lumière et par les faits-divers du voisinage tels ces voisins retrouvés égorgés. Un jour, elle sort, comme absente, ailleurs, et trouve le courage, les dernières forces pour se jeter sous un train. La mort de la mère va être le premier bouleversement de sa vie.

A l’ouverture de ce roman, le langage parlé du narrateur, sans dialogues, fait d’expressions communes et populaires nous plonge dans le quotidien d’une famille sans le sou, dans une campagne anonyme. Sans en avoir l’air, l’auteure nous convie dans son monde de petites gens, vu par un témoin privilégié.

Le narrateur va trouver des comparaisons simples, presque poétiques pour décrire son environnement et montrer leur vie, comment les petits événements s’enchainent, comment les petits actes s’emboitent pour créer une petite vie. Une fois que l’on est entré dans cet univers, il est bien difficile à en ressortir.

Car le ton n’est pas désespérant, plutôt gris, et le narrateur, malgré toutes les morts qui vont s’amonceler, va avancer avec ce ton unique d’observateur détaché. Car on y trouve aussi une vraie intrigue, d’innombrables personnages formidablement décrits et nombre de mystères qui ne seront levés (pour certains) qu’au tout dernier chapitre.

Indéniablement, ce premier roman est plus qu’emballant, par son ton unique et sa façon originale d’aborder la vie des petites gens sans esbroufe. On est plongé dans cette vie, immergé dans ce quotidien faits de rencontres, réussies ou ratées. Cela donne une impression de véracité que l’on croise rarement.

Ohio de Stephen Markley

Éditeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

Suite à tous les éloges publiés sur les blogs, il fallait que je me fasse mon idée sur ce premier roman publié dans l’excellente collection Terres d’Amérique d’Albin Michel. Je ne vais pas le cacher, j’en attendais un Coup de Cœur. Ce n’en est pas un, malgré la puissance du roman et sa démonstration, surtout à cause de sa forme. Je le classerai donc dans les excellents romans, illustrant le constat d’échec de la société américaine.

2007, New Canaan, Ohio. C’est en plein mois de juillet que le cercueil vide du caporal Richard Jared Brinklan, loué chez Walmart, descend l’avenue principale en grandes pompes. Recouvert du drapeau étoilé, accompagné de trompettes et d’une foule reconnaissante, le cortège poursuit sa route avec 4 mois de retard à cause d’une enquête sur les circonstances de sa mort. Autour de sa tombe, quatre de ses amis manquent à l’appel : Bill Ashcraft, Stacey Moore, Dan Eaton et Tina Ross. En 2013, ces quatre-là vont revenir à New Canaan sans se concerter.

Bill Ashcraft aurait bien mérité de faire carrière dans le basket-ball professionnel, s’il n’avait été sceptique envers les informations qu’on lui donne. Remettant tout en cause, même le 11 septembre, il a dû quitter New Canaan pour se créer une vie emplie de vide et de drogues. Ce jour-là, il doit convoyer un paquet scotché dans son dos.

Stacey Moore a fait une belle carrière d’universitaire, enfermant en elle des blessures intimes. Dès sa plus jeune adolescence, elle s’est rendue compte qu’elle était homosexuelle, chose qui n’a jamais été accepté, ni par sa famille ni par ses copains du lycée. Si elle revient, c’est pour parler à la mère de l’amour de sa vie.

Dan Eaton, à l’instar de Richard Brinklan, revient aussi du front. Envoyé en Afghanistan puis en Irak, il prolonge son enrôlement pour éviter d’avoir à affronter sa famille et ses amis, qui ne peuvent s’empêcher de lorgner son œil manquant. Dan aimerait tant mener une vie normale, sans les horreurs qui courent dans sa tête.

Tina Ross n’aura laissé qu’un souvenir à New Canaan, celui d’une Cochonne. Alors qu’elle était superbement belle, sa première expérience sexuelle s’est déroulée sous GHB, droguée et plusieurs fois violée, au vu et au su de tous. Elle a été le témoin de la vie qui s’est écoulée à New Canaan, irrémédiablement marquée par ce drame, avant de partir et devenir caissière chez Walmart.

Il va vous falloir un peu vous accrocher pour apprécier ce roman, et en particulier se laisser emmener par ces quatre personnages dont l’auteur va nous raconter la vie, les bonheurs (un peu) et les malheurs (surtout). Ces quatre parties, entourées par une fantastique introduction (l’enterrement de Richard) et une excellente conclusion, sont parsemées de retours en arrière pour étoffer les psychologies, et pour expliquer pourquoi chacun est parti de New Canaan, presque sans raison apparente.

Personnellement, si la forme convient bien à l’exercice, je lui ai trouvé un manque de subtilité. L’auteur ne peut s’empêcher d’être bavard, même si c’est remarquablement écrit, et certains flashbacks sont inutiles et ne font pas avancer l’intrigue. Par contre, la forme convient bien à la démonstration que veut nous étaler l’auteur, en prenant un sportif doué, une scientifique homosexuelle, un militaire voué aux honneurs et une jeune fille innocente à qui tout aurait dû sourire. Même si les personnages ne sortent pas d’un certain stéréotype connu, ils sont remarquablement bien brossés.

Et on ne pourra dès lors qu’apprécier la passion avec laquelle l’auteur à décrit cette génération post-septembre 2001, qui s’est ouverte au monde sur des mensonges visibles et qui a réalisé que dans son pays, on ne doit pas remettre en cause le gouvernement ni braver les lois de la morale bien-pensante. La trajectoire de chacun de ces jeunes, de même que les cicatrices qu’ils portent en eux, valent toutes les paroles et tous les actes.

D’ailleurs, le titre du roman est trompeur, limitant sa portée à l’Ohio alors que je trouve qu’il est bien plus grand que ce périmètre réducteur. Ohio se révèle donc un excellent premier roman, avec des scènes terriblement violentes, avec quelques défauts dont celui d’être parfois trop démonstratif, mais au message clairement affiché et remarquablement lucide sur le plus grand pays libre qui cache en réalité une éducation castratrice et dictatoriale et une morale en apparence immaculée. A ne pas rater.