Le chouchou du mois de mars 2021

En mars, les jours rallongent et le moral remonte en flèche, nonobstant ce nouveau confinement … En même temps, nous attendons avec impatience en avril une avalanche de polars, dont un grand nombre sont tant attendus et seront chroniqués ici … dès que je les aurais lus, bien sûr. En attendant, mes chroniques vous proposent de beaux moments de lectures, pleines d’émotions et de réflexions.

Sortir de sa sphère de contact, être déstabilisé par une intrigue, la réaction d’un personnage, ou même changer carrément de décor, se plonger dans un futur imaginaire et imaginé, pour se poser des questions, avancer ou juste s’amuser.

Dans cette dernière catégorie, au rayon Angoisse, La maison à Claire-Voie de Brice Tarvel (Zinedi) est un recueil de nouvelles dont la précision d’écriture fait monter sans cesse la tension.

Au rayon Anticipation, Cinquante-trois présages de Cloé Mehdi (Seuil) démontre la talent de cette jeune auteure qui, après nous avoir expliqué l’avènement d’une Multitude de divinités, nous présente une de leurs messagers avec toutes ses difficultés spirituelles et matérielles. Ce roman nous offre la possibilité de réfléchir à la fois sur les pauvres et leur manque d’espoir mais aussi sur la religion et son devenir, ce qui en fait un roman puissant.

Enfin, au rayon Science-Fiction, dans L’oiseau moqueur de Walter Tevis (Gallmeister), les robots gèrent la Terre et facilitent notre vie à tel point que les humains ne se reproduisent plus, ne savent plus lire et deviennent des inutiles à la recherche de divertissement. Là aussi, l’auteur défend la culture, en particulier la littérature dans un roman visionnaire à faire froid dans le dos.

Toutes les autres chroniques parues ont porté sur des auteurs que je connaissais déjà, enfin presque …

L’art de la fuite est un secret de Gilles Vidal (La Déviation) propose un roman où un artiste peintre s’enfuit de chez lui après avoir vu sa dernière toile. Le peintre cherche-t-il quelqu’un dans sa fuite ou se cherche-t-il lui-même ?

Dernier tour lancé d’Antonin Varenne (Manufacture de livres) est le dernier roman de cet auteur que j’aime tant. Sur un sujet a priori peu intéressant pour moi, il arrive à me passionner en parlant intelligemment de la psychologie des champions, du fric pourri qui empoisonne le sport et des difficiles relations père/fils. Impressionnant !

Le pari n’était pas gagné d’avance de faire un roman situé dans l’univers carcéral. Avec Mort à vie de Cédric Cham (Jigal), l’auteur s’en sort avec une palme, tant le scénario est bluffant, passionnant et les personnages sont fantastiques.

Quand on a commencé les enquêtes de Rocco Schiavone, on était resté sur un final terrible à la fin du précédent opus, sans comprendre le passé du sous-préfet. 07 07 07 d’Antonio Manzini (Denoël) revient sur son passage à Rome, ses amitiés douteuses et une enquête menée de main de maître. Seuls quelques dialogues qui sonnent faux lui ont fait manquer le titre du chouchou du mois.

Chastity Riley est un autre personnage récurrent dont on n’avait plus de nouvelles depuis quelque temps et son formidable Quartier rouge. Nuit bleue de Simone Buchholz (L’Atalante) inaugure à la fois une nouvelle collection dédiée au polar, Fusion et un nouveau cycle pour cette procureure décidément pas comme les autres. Quand le fond s’allie à la forme, cela laisse augurer du meilleur et cela donne envie de lire la suite.

Le titre du chouchou du mois revient donc à Ces montagnes à jamais de Joe Wilkins (Gallmeister), parce que c’est un premier roman, parce que cette histoire est dramatique, parce qu’elle est triste et belle, parce que les personnages sont fantastiques et que le message, intelligemment distillé montre des campagnards ivres de liberté en conflit avec les bureaucrates de la ville. Ce roman illustre de façon magistrale le mal dont souffre les Etats-Unis aujourd’hui.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans le choix de vos lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, protégez-vous, protégez les autres et n’oubliez pas le principal, lisez !

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Dernier tour lancé d’Antonin Varenne

Editeur : Manufacture de livres.

Antonin Varenne est et restera un auteur spécial pour moi, puisqu’il été mon premier coup de cœur depuis la création de Black Novel. Depuis, il ne m’a jamais déçu, m’emportant à chaque fois dans des contrées, dans des personnages qui, a priori, étaient loin de mes centres d’intérêt. Seulement voilà, le talent du conteur fait toute la différence, la méticulosité de l’écrivain sait faire voir ses décors, ses intrigues, ses messages. Avec Dernier tour lancé, le pari n’était pas gagné d’avance, loin de là. Voir plus que regarder des pilotes, qu’ils soient de Formule 1 ou de moto, tourner en rond pour quelques dixièmes de seconde ne m’a jamais passionné. Avec ce roman, je me suis posé la question : mais qui sont réellement ces fous du volant ? Pour quoi ou pour qui courent-ils ?

A la Clinique des Chênes, François Buczek, interné pour des délires dus à la drogue, se glisse toutes les nuits hors de sa chambre pour en rejoindre une autre, celle de Julien Perrault. Julien connut une carrière fulgurante en Grand Prix GT avant de commettre un accident mortel que personne, du public aux écuries officielles en passant par les sponsors ne lui a pardonné.

Alors qu’il devenait une menace pour le tenant du titre Marco Simonelli, le drame devait se dérouler lors des qualifications du Mans. Alors qu’il entamait son dernier tour lancé, et que tous les autres pilotes avaient fini, Julien arriva dans la ligne à plus de 350 km/h. Mais sur la piste, deux pilotes discutaient tranquillement à vitesse réduite. Le choc effroyable entraina la mort de Franco Simonelli et la condamnation au fauteuil roulant d’Edward Spies.

A peine remis de ses blessures, quelques mois plus tard, Julien rentre chez son père Alain, avec qui il a une relation taiseuse. Julien ne dit rien mais sa décision est prise : il va s’entrainer, retrouver la forme, en commençant par du vélo. Quand un sponsor douteux veut l’embaucher, il forme son équipe personnelle, composée de François Buczek, de son père Alain Perrault et du docteur Emmanuelle Terracher, la psychologue qui l’a suivi à la Clinique des Chênes.

Que ce soient les courses (il n’y en a pas beaucoup) ou bien la psychologie de Julien Perrault, une nouvelle fois, le talent d’Antonin Varenne fait fureur dans ce roman fait de hargne, de bruits et de silences. Bien que j’aie trouvé le début un peu poussif, une fois les personnages installés, on entre dans cette histoire qui ressemble à s’y méprendre à une biographie. Et les thèmes abordés sont accompagnés par un style qui oscille entre phrases hachées et descriptions justes et magnifiques.

Evidemment, nous allons retrouver au premier plan Julien Perrault et son instinct de tueur, de compétiteur, ce qui induit une solitude mais un besoin d’être entouré ; comme si la victoire allait lui permettre d’être aimé. On y trouve un égoïsme, à la limite de l’inhumanité, où on le voit sans âme, sans émotions, à l’instar d’un robot. Autour de lui, Buczek, Alain et Terracher remplissent leur rôle, le soutenir sans jamais lui pardonner. Ces relations sont illustrées de façon très réaliste, montrant leur incompréhension devant ce champion.

Buczek, Alain et Terracher se retrouvent à ce titre au premier plan de ce roman : Buczek le rêveur, mais aussi le soutien sans faille, que Julien traite comme un chien fidèle ; Alain, le père taiseux qui fait tout pour son fils, qui lui donne tout mais qui est incapable de lui dire qu’il l’aime ; Terracher, la psychologue qui ne se satisfait plus du cadre trop étroit de la clinique et qui cherche autre chose du coté obscur, qui veut aussi se prouver qu’elle peut trouver une part d’humanité en Julien.

Et puis, on y trouve un autre sujet, bien plus grave, bien plus important, celui du fric dans le sport et l’hypocrisie que cela entraine. Julien, l’ange maudit, que tout le monde déteste, va signer un pacte avec le Diable pour assouvir sa passion. Et le Circus, organisateur de ces compétitions, va tout faire pour l’empêcher d’entacher sa réputation, au nom du fric, de l’image de pureté que le Circus doit conserver devant les fans. Antonin Varenne nous montre intelligemment les dessous du sport, pourri par le fric. Car derrière les compétiteurs de haut niveau, de sombres magnats brassent et se font beaucoup d’argent sur leur dos. Que vous soyez fans de sport de haut niveau ou pas, il vous faut lire ce roman remarquable, parfait de bout en bout, un grand moment de la part d’un grand auteur.

Cinquante-trois présages de Cloé Mehdi

Editeur : Seuil / Cadre Noir

J’avais tellement adoré Rien ne se perd, et quand j’avais rencontré Cloé au salon de Saint-Maur en Poche, elle m’avait dit travailler sur un roman totalement différent, plutôt futuriste. Je ne m’attendais pas à un roman comme ça !

Dans un futur proche, la population occidentale a délaissé l’aspect spirituel de leur vie, et abandonné toute religion. Les rumeurs ou la légende disent que Dieu a alors explosé et donné naissance à une trentaine de divinités. Ces divinités sont réunies et connues sous le nom de La Multitude, et elles choisissent un être humain pour être leur interprète, une Désignée. Outre l’accueil des nouveaux croyants, les Désignés doivent aussi porter la bonne parole et répondre aux sollicitations des médias.

Raylee Mirre est la Désignée du Dieu Dix-Neuf. Quand Raylee Mirre se lève, ce matin-là, elle manque de se prendre les pieds dans le corps de Kyle, allongé mort au milieu de la cuisine. Ses deux colocataires jumeaux, Hector et Adrian, auraient dû faire le ménage avant qu’elle descende. Si Raylee est une Désignée, les jumeaux sont à la fois ses gardes du corps et des Bourreaux au service des Dieux Rouges, les plus violents envers l’Humanité.

A côté de cette permanence de Hondatte, le gouvernement, inquiet de cette mouvance, a mis en place une organisation spéciale pour surveiller la Multitude, l’Observatoire des Divinités. Le lieutenant Hassan Bechry doit en particulier comprendre les disparitions inexpliquées de jeunes gens liés à la Multitude. Pour ce faire, il charge Jérémie Perreira de se faire embaucher pour infiltrer cette mystérieuse organisation de plus en plus influente.

Je pourrais comparer Cloé Mehdi à une équilibriste, avançant sur son câble tendu, quel que soit le décor qui s’étend sous elle, quelle que soit la force du vent qui balaie l’atmosphère. Que ce soit dans le genre de Roman Noir (Rien ne se perd) ou dans le Roman d’Anticipation ici, elle présente notre société avec une franchise et une acuité remarquables, que l’on soit d’accord ou pas avec le propos.

Encore une fois, l’intrigue telle qu’elle est présentée en quatrième de couverture peut faire penser à une charge contre les religions monothéistes. Ce qui n’est pas le cas, loin de là. Avec cette histoire, Cloé Mehdi nous parle de notre société, de ceux qui galèrent avec quelques centaines d’euros par mois et qui n’ont même plus de Dieu pour apercevoir un peu d’espoir. Elle nous parle aussi de racisme, de rejet envers ceux qui ont décidé de vivre autrement, les homosexuels, les transgenres, de la violence sous-jacente, du manque d’humanité grandissante.

Tout le roman repose sur le personnage de Raylee Mirre, jeune femme frêle qui subit son statut de désignée plutôt que d’en tirer une fierté ou un pouvoir. Quand elle reçoit des messages, des visions, elle devient malade, atteinte d’une forte fièvre. Elle ne maitrise pas les éléments ni les événements, ce qui, pour quelqu’un de si sensible devient un véritable arrache-cœur pour elle. Etant noire et homosexuelle, elle subit aussi le rejet, la haine des autres ce qui donne un personnage sans attaches, émotif mais sans rien pour libérer son trop plein de sentiments. Son apparence n’attire pas non plus la sympathie, avec son crâne rasé. Et elle va se retrouver au cœur d’une guerre entre les divinités.

Le scénario peut sembler partir dans tous les sens, mais au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture, on se rend compte qu’il est savamment dosé, et qu’il montre une société en pleine déliquescence et qui perd ses repères. Cloé Mehdi reste fidèle à sa conduite, elle veut parler d’aujourd’hui, des gens qui veulent y vivre et choisir de traiter le sujet de la religion en partant d’une dystopie est une preuve d’intelligence et de lucidité. Ces cinquante-trois présages est un roman inclassable, vrai, lucide, intelligent, philosophique et écrit avec un recul nécessaire et bienvenu.

L’art de la fuite est un secret de Gilles Vidal

Editeur : La Déviation

Après le fantastique Loin du réconfort, Gilles Vidal nous revient avec un nouveau roman qui nous parle d’un homme sur la route, en errance. Une nouvelle fois, cette histoire pas comme les autres nous convie à observer le monde.

« La toile était restée sur le chevalet, inachevée, et je ne cessais de penser à elle tandis que, à pied, je me dirigeais d’un pas vif vers la gare en jetant de temps à autre quelques regards furtifs autour de moi comme si j’avais eu le feu aux trousses. Mais sans doute était-ce le cas?

Je pris au distributeur automatique le premier billet pour n’importe où. J’entends par là que, étant pressé, je choisis celui dont le départ était le plus imminent tout en ayant malgré tout choisi dans un éclair de lucidité de me diriger vers le sud. Tant qu’à faire. »

A la vue de sa toile, installée sur le chevalet, Victor est pris d’une angoisse et ne trouve qu’une issue, celle de la fuite. Il se rue à la gare et prend le premier train pour une destination inconnue. Dans le compartiment, tous les voyageurs lui semblent suspects jusqu’à ce qu’il rencontre Agnès qui lui demande de l’aide. Bizarrement, il accepte de la suivre …

Il m’est bien difficile de ne pas relier Loin du réconfort avec L’art de la fuite est un secret. J’ai tellement aimé le premier et j’ai adoré marcher aux cotés de ce peintre ici. Sur un thème proche, celui d’une itinérance, Gilles Vidal nous convie à un voyage en forme de fuite pour éviter une angoisse, sorte de paranoïa bien mystérieuse. Est-ce la peinture qui menace Victor, ou le résultat de son imagination ou talent ?

Ce voyage vers l’inconnu, écrit en un seul tenant, nous propose non pas de multiples rencontres, mais une multitude de scènes plantées comme des décors. Ou plutôt devrais-je dire comme des peintures. Victor décrit sa vie comme une multitude de toiles qu’il aurait pu peindre pour raconter sa fuite vers ailleurs, sans but ultime si ce n’est celui de se retrouver ou de trouver l’autre.

Belle réflexion sur l’art et sur la capacité de voir le monde qui nous entoure, Gilles Vidal utilise un rythme nonchalant pour prendre le temps de décrire devant nos yeux des peintures que Victor aurait pu créer. Et plus qu’un roman angoissant, il nous offre des morceaux d’une rare beauté grâce à une formidable maitrise des couleurs et des détails judicieux qu’il incorpore à ses phrases.

Finalement, si au lieu de se chercher soi-même, on trouvait l’autre ? L’homme ne doit-il pas avoir pour but de chercher et trouver le contact humain ? L’art de la fuite est un secret s’avère finalement un roman plus profond qu’il n’y parait.

Ces montagnes à jamais de Joe Wilkins

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Laura Derajinski

« Le Beau est toujours triste », disait Charles Baudelaire. Cette phrase m’a hanté quand j’ai tourné la dernière page de ce premier roman de Joe Wilkins qui a su toucher la situation actuelle des Etats-Unis, ses contradictions et ses difficultés. Si ce roman est sensé se situer lors de la présidence de Barack Obama, il n’en reste pas moins qu’il est bigrement d’actualité, et pas seulement pour les Etats-Unis.

Ce roman possède une force d’évocation peu commune et prend le pari de ne dévoiler le fond de l’intrigue que vers le milieu, soit après 150 pages. De nombreux auteurs se seraient cassés les dents, et ce pari osé est totalement réussi par la justesse montrée dans la description de la vie des riverains des Bull Mountains du Montana, des éleveurs que les banques ont expulsés pour non-paiement de leurs emprunts qui sont devenus mineurs puis virés au gré des crises économiques.

Les deux personnages principaux incarnent ces deux facettes de la société qui s’opposent avec virulence voire violence. Wendell Newman vit dans un mobile-home de petits boulots quand débarque chez lui une femme des services sociaux. Elle est accompagnée d’un petit garçon, Rowdy qui est le fils de sa cousine qui vient d’être condamnée à quelques années de prison. Wendell va devenir le tuteur de ce garçon mutique et stressé, probablement autiste.

Gillian est enseignante et doit faire face à l’éducation de sa fille Maddy, adolescente. Elle voue une vraie passion à son métier, et porte sur ses épaules un drame familial qui l’a exclue de la vie de cette petite ville. Elle effectue donc des missions dans différentes écoles pour que les enfants poursuivent leur éducation et aient une chance de partir de cette région maudite, les Bull Mountains.

Indirectement, Wendell et Gillian sont liés pour le pire, et c’est ce que nous apprendrons au milieu du roman. Le père de Wendell, Vern, a abattu un loup alors que sa chasse en était interdite par l’état. Quand le garde-chasse Kevin, le mari de Gillian, est venu l’arrêter, Vern l’a tué de deux balles avant de prendre la fuite dans les montagnes. Depuis, Vern est devenu le symbole de la lutte des habitants de la campagne contre les représentants urbains de l’état. Le drame va se mettre en place quand une chasse au loup officielle est organisée et que Gillian va rencontrer Rowdy.

Avec un rythme lent, Joe Wilkins va dérouler son intrigue en donnant sa priorité aux personnages, à leur vie, leurs actions, leur passé, leurs joies et leurs erreurs. Il les place dans un décor idyllique, celui d’une nature indifférente aux exactions des Hommes, et évite d’en faire trop, d’en rajouter avec une belle subtilité. Les scènes vont ainsi se succéder, détaillant un quotidien morne dont la fluidité va se suffire à elle-même pour en faire un roman passionnant que l’on n’a pas envie de lâcher.

Partant d’un événement dramatique, plaçant consciencieusement son décor et ses personnages, Joe Wilkins peut progresser dans son histoire et aboutir à un final comme le reste sans esbroufe, mais avec un contenu hautement dramatique et d’une tristesse sans limites. Et derrière cette histoire, Joe Wilkins parle de cette Amérique oubliée, élevée dans l’espoir de construire une vie sur la base du travail, et qui ne comprend pas que des bureaucrates viennent leur prendre leur argent, leurs terres, leur vie.

Joe Wilkins écrit là un roman intelligent et bigrement lucide, un des plus subtils que j’aie lus depuis longtemps. Il parle du poids du passé, et de la difficulté d’endosser un héritage dont on n’a pas voulu. Il parle aussi des contradictions qui divisent les Etats-Unis, fédération de plusieurs états qui ne reconnaissent pas un gouvernement et qui se déchirent entre liberté de propriété et devoir d’état, une équation tout bonnement insoluble.

Que c’est intelligent, que c’est beau, que c’est triste … et c’est un premier roman !

Nuit bleue de Simone Buchholz

Editeur : L’Atalante. Collection : Fusion

Traductrice : Claudine Layre

Ce roman me donne l’occasion de parler de deux retours, celui de L’Atalante dans le monde du polar avec une nouvelle collection nommée Fusion et celui de Chastity Riley sur les étals de nos libraires.

Fusion, voici le nom de cette nouvelle collection estampillée Polar aux éditions de l’Atalante. A sa tête, on trouve Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, connus pour avoir créé l’association Fondu au noir depuis 2007, et éditeurs de l’excellente revue trimestrielle L’indic, une véritable source de savoir du polar.

Chastity Riley a fait une brève apparition en France, aux éditions Piranha en 2015, dans un roman nommé Quartier rouge, qui était le premier de la série. Il nous présentait un personnage féminin complexe, « rentre dedans », extrême, mais aussi attachant et original.

Il est tabassé par trois hommes dans une ruelle et laissé en sale état. Allongé sur son lit d’hôpital, il se fait appeler Joe, car il se terre dans son mutisme et ne veut rien dire. Dans le cadre de la protection des victimes, on lui octroie un policier de garde devant sa chambre.

Chastity Riley est passé tout proche de la correctionnelle. Pour avoir voulu faire tomber son chef pour corruption, on lui offre un placard doré, la création d’un poste de procureure spéciale pour la protection des témoins. Sa première affaire va être celle de Joe et à force de visites à l’hôpital, elle va réussir à lui tirer quelques informations, en forme de pièces de puzzle pour découvrir une affaire qui fait froid dans le dos.

Le titre de ce roman vient directement du nom du bar BlaueNacht, où Chastity passe ses nuits et rencontre ses amis. Je retrouve avec un énorme plaisir ce personnage féminin hors norme dans une enquête qui va petit à petit se mettre en place, au gré de ses errances diurnes (elle s’ennuie dans ce faux poste) et nocturnes dans les quartiers chauds de Hambourg lors de virées alcooliques.

Je ne vais pas entrer dans le détail pour vous décrire Chastity puisque je l’ai fait grandement dans mon billet sur Quartier rouge. Elle s’appuie sur son entourage, entre amis, amies et amants, ainsi que sur sa cicatrice principale, celle de n’avoir pas connu son père. C’est bien pour cela qu’elle reste proche de Georg Faller, un de ses anciens chefs à la retraite. D’ailleurs, ce dernier a conservé une obsession en tête, celle de faire tomber le ponte albanais de Hambourg, Malaj Gjergj.

On ne peut qu’apprécier la façon d’aborder cette intrigue, et ce style direct, fait de petites phrases, en disant peu mais suffisamment pour créer des personnages plus vrais que nature. Ni bons, ni mauvais, ils ont tous une vraie personnalité et une loyauté que seuls les vrais amis peuvent avoir. On ne peut aussi que se passionner par les valeurs disséminées dans ce roman, par les obsessions de ses personnages et par le sujet de fond, une drogue puissamment mortelle qui va déferler sur l’Europe.

Entre deux chapitres, nous trouvons des témoignages ne dépassant pas quelques paragraphes, passant en revue les pensées de certains des protagonistes. Toute l’originalité tient dans ces passages qui vont nous expliquer certaines choses, puis nous embrouiller pour enfin nous montrer que ce qui est montré n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Même la fin nous pousse à nous demander qui, dans cette histoire, a manipulé qui ?

Jetez-vous sur cette enquête de Chastity Riley car vous allez y rencontrer une femme formidable, inoubliable ; vous allez être plongé dans leurs relations, devenir membre de leur clan, au milieu des Klatsche, Faller, Calabretta, et Carla. Et puis, vous succomberez au style de Simone Buchholz, court, simple, rapide. Et même après la dernière page, vous n’aurez qu’une envie : reprendre tout depuis le début, ne serait-ce que pour aller boire une bière au Blaue Nacht.

Ne ratez pas l’avis de Jean-Marc Lahérrère

La maison à claire-voie de Brice Tarvel

Editeur : Zinedi

Je ne connaissais pas cet auteur, pourtant prolifique, auteur de nombreuses Bandes Dessinées, nouvelles et romans, comme le précise L’Oncle Paul dans son billet. La première chose qui m’a frappé à l’ouverture de ce recueil, c’est cette écriture remarquablement littéraire, du vrai pur plaisir appliqué au roman d’angoisse.

La maison à claire-voie :

Kimi est une jeune femme qui a cru dans le grand Amour, Matt. Elle a même cherché à s’en persuader mais elle a dû rendre à l’évidence : abusant d’alcool, Matt a commencé à montrer de la mauvaise humeur puis a proféré des insultes. Quand il l’a frappée, elle s’est résolue à partir. Au volant de leur vieille guimbarde, elle a taillé la route sans destination prédéfinie, jusqu’à ce que la voiture tombe en panne au milieu de nulle part. Hors de question pour elle de revenir en arrière, alors elle s’enfonce dans les environs et tombe sur une vieille maison faite de morceaux de planches. Un géant aux grandes mains la surprend et lui propose de lui présenter les habitants de cette étrange demeure.

La plus longue des nouvelles de ce recueil s’apparente à un mini-roman qui démarre doucement avant de basculer dans un cauchemar digne des meilleurs romans d’horreur. On pense tout de suite à Stephen King mais aussi à des films comme Massacre à la tronçonneuse. Mais l’auteur a le bon goût d’éviter de nous jeter de l’hémoglobine à la figure et de privilégier un stress permanent qui vient rapidement pencher vers de l’angoisse pure.

L’assassin viendra ce soir :

Le père est affalé dans le fauteuil avec son pack de bière à proximité. La mère somnole, et la fille s’enferme dans sa chambre. Le fils observe la passion que la famille montre pour la nouvelle émission télévisée. « L’assassin viendra ce soir » propose un tirage au sort d’un téléspectateur qui aura la chance de recevoir la visite d’un tueur professionnel à domicile. Et le portrait qui s’affiche sur l’écran est celui du père.

D’une chronique familiale qui a tendance à flirter avec l’humour vache, cette nouvelle se transforme en un excellent moment d’angoisse qui nous rappelle les peurs enfantines quand notre chambre était noire et qu’un bruit insolite et inattendu se faisait entendre quelque part dans la maison.

Le Persan bleu :

Dans la cité, les immeubles sont si proches que l’on peut voir ce que font les voisins. Florian décide de pénétrer chez la vieille au chat, un beau Persan bleu. Il ouvre doucement la porte de celle-ci et avance à la lueur de sa lampe de poche pour lui voler ses économies. Mais tout ne va pas se dérouler exactement comme il l’aurait souhaité.

Cette nouvelle est la plus classique, avec une scène d’ouverture visuellement impressionnante et une chute pleine d’humour noir. Un très bon moment de lecture.

Les chiens noirs :

Lester se retrouve sur la paille, ayant liquidé tout son argent dans du liquide à boire. Il emmène sa famille, Rachel sa femme et Choupette sa fille chez Tante Rosanna, éleveuse de poulets. L’orage se déchainant, la visibilité réduite conduit à un accident de la route où tous s’en sortent … pour le moment. Un gros pick-up s’arrête avec à son volant un homme patibulaire et sur le plateau du véhicule trois gros chiens noirs …

A l’instar de la première nouvelle, l’aspect visuel se révèle frappant dès les premières lignes. Les personnages sont vite présentés et l’orage devient l’élément stressant de cette histoire une nouvelle fois angoissante et bien stressante. Une excellente nouvelle.

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul ici 

07 07 07 d’Antonio Manzini

Editeur : Denoël

Traducteur : Samuel Sfez

Si vous ne connaissez pas le sous préfet Rocco Schiavone, il va falloir rapidement rattraper votre retard, puisque quatre enquêtes sont déjà parues avant celle-ci : Piste noire, Froid comme la mort, Maudit printemps et Un homme seul. Et comme toute série qui se respecte, je ne peux que vous conseiller de les lire dans l’ordre, d’autant plus que 07 07 07 est la suite de Un homme seul, un polar dont la chute est une des meilleures (et les plus noires) que j’aie lues avec Le Dramaturge de Ken Bruen (rien de moins). Bref, si vous choisissez de vous lancer dans la lecture de ces romans, ne lisez pas le paragraphe suivant.

Eté 2013. Rocco Schiavone est réveillé par du Heavy Metal, que son voisin écoute à fond. A peine habillé, il se jette sur la porte du malotru pour lui expliquer la vie. De mauvaise humeur, il achète le journal et trouve un article relatant la mort d’Adèle Costa, la compagne de son ami Sebastiano, tuée à sa place (voir le tome précédent). Arrivé au commissariat, le préfet Baldi et le juge Costa le convoquent. Ils savent que ce meurtre est lié au passé de Rocco et lui demandent de s’expliquer.

Eté 2007. Quand Rocco se réveilla par cette chaleur étouffante de fin juin, ce fut pour trouver son lit vide. Il trouva sa femme Marina assise à la table du salon, en train d’éplucher les comptes en banque. Elle venait de découvrir les sales activités rémunératrices de son mari. Déçue, dégouttée, elle se leva et s’en alla, arguant qu’elle avait besoin de temps pour réfléchir. Heureusement, il allait être convié à une affaire qui occuperait son esprit.

Un jeune homme a été retrouvé mort dans une carrière, poignardé derrière la tête. La carrière était gardé par un vieil homme alcoolique qui dormait pendant ses gardes et n’a rien vu ni  entendu. Le grillage n’enfermait pas totalement la carrière, il suffisait de le suivre pour se retrouver près d’une route, en face d’une station service. Et si le jeune avait été en mauvaise compagnie, avait réussi à s’enfuir avant d’être rattrapé puis tué ?

En revenant en arrière, en plongeant dans le cauchemar de cette journée du 07 juillet 2007, Antonio Manzini nous permet à la fois de mieux comprendre son personnage et son attitude quand il a été muté à Aoste. On s’attendait à un livre fort, et l’auteur est au rendez-vous, dans une histoire remarquablement menée, porteuse d’une charge émotionnelle immense, digne des plus grands drames noirs que le polar est capable de nous offrir.

On comprend mieux les origines de Rocco, d’une famille pauvreuse, on rencontre sa femme Marina, belle comme le jour, dont il est fou amoureux (et c’est réciproque), on rencontre ses amis unis comme les doigts de main, Sébastiano l’ours lent, Furio le généreux rapide, et Brizio le beau gosse un peu bête. On participe à leurs repas, leurs discussions pleines de dérision de d’humour. Antonio Manzini réussit le coup de force de nous inviter dans ce cercle fermé grâce à des dialogues formidablement savoureux même si certains auraient mérité d’être mieux traduits.

Et puis, il y a cette intrigue qui part d’un meurtre d’un jeune, et qui se déploie comme une toile d’araignée pour monter vers des sommets de maîtrise. Ce roman se suit comme une évidence, l’enquête se révèle totalement logique et les scènes se suivent avec plaisir tant on démonte les rouages en même temps que Rocco.

Et puis, Antonio nous convie dans une visite de Rome, pas celle des touristes, celle des résidents, entre les boutiques de receleurs et les entrepôts, des ports environnants aux restaurants amicaux avec ces repas savoureux. C’est à la fois un cri d’amour envers la culture italienne, un cri de rage devant les assassinats, un cri de désespoir devant une fin tant attendue alors qu’on sait très bien qu’elle ne peut être que dramatique. C’est aussi dans cette façon de nous faire attendre que l’auteur est fort : on connait la fin et malgré cela, on est surpris comme une balle de revolver qui nous frappe en plein cœur. Ce roman nous frappe en plein cœur. Terrible !

Mort à vie de Cédric Cham

Editeur : Jigal

Après deux romans emballants, Le fruit de mes entrailles et Broyé, ce troisième livre surprend quant à la maitrise montrée dans le déroulement de l’histoire. J’ai longuement hésité à l’ouvrir, les histoires de prison n’étant pas ma tasse de thé (surtout après avoir lu Aucune bête aussi féroce d’Edward Bunker). Avec ce roman, Cédric Cham s’en sort avec les honneurs.

Alors que Lukas Rakataho allait manger avec ses collègues au restaurant à midi, la police vient l’emmener. Enfermé dans un bureau pour un interrogatoire, il confirme être le propriétaire d’une C4. Quand on lui annonce que la voiture a renversé un gamin, qu’il y a eu délit de fuite, Lukas pense de suite à son frère Eddy qui lui a emprunté sa voiture, son frère qui a toujours privilégié la fête avec les copains plutôt que le boulot, son frère qui fait tout le temps des conneries. Lukas avoue tout.

Car chez les Maorais, la famille compte plus que tout. Et Lukas veut protéger son petit frère, espérer que son sacrifice lui mettra du plomb dans la cervelle, le conduira vers le bon chemin. Eddy avait bien fait la fête chez son pote de toujours Kader. Plein de drogue et d’alcool, il n’a pas vu l’ombre qui est passée devant la voiture, a été incapable de s’arrêter après le choc. Et même si le capitaine Franck Calhoun, le brigadier Frédéric Bianchi et la lieutenante Clara Verhagen ne croient pas Lukas, ses aveux le conduisent directement en prison.

Lukas doit subir l’entrée terrible en prison, déshabillage, fouille. On lui donne un numéro, 52641, il s’appellera comme ça maintenant, et devra partager une cellule de neuf mètres carrés avec Rudy et Assane, apprendre à vivre et survivre dans un autre monde. Il devra surtout essayer d’oublier le petit Arthur, sa famille Benjamin et Marie, et espérer que son frère revienne du bon côté de la barrière.

Si j’ai mis du temps à ouvrir ce roman, c’est bien parce qu’il est difficile de rivaliser avec les monuments du genre. Et pourtant, dès les premières pages, on est pris par ce scénario terrible, par cette mécanique implacable qui va conduire tous ces personnages dans des directions dramatiques. La maitrise de cette histoire est tout simplement impressionnante tant tout s’enchaine vers une fin pas forcément prévisible.

Si une bonne moitié du roman nous raconte la vie en prison, le long déroulement des journées, les rencontres avec les autres détenus, et l’enfermement aussi bien physique que psychique, Cédric Cham alterne les passages avec les autres personnages et fait preuve d’une belle maitrise stylistique en privilégiant les phrases courtes et les paragraphes qui claquent. Surtout, il évite les répétitions et nous met à la place de Lukas, qui est innocent, marié à Camille, père de la petite Léana qu’il ne reverra peut-être pas.

Parce que cette lecture va vite, parce que les dialogues sont bien faits, parce que les scènes s’enchainent avec inéluctabilité, il est bien difficile de s’arrêter à tourner les pages. Le destin de Lukas, sa loyauté familiale au prix de sa vie de famille sont ancrés dans ses gênes et rien ne le détournera de son chemin. Cette éducation ancestrale, présente du début à la fin, est si bien faite qu’elle tient toute cette histoire, sorte de pilier de ce scénario. Avec ce roman, Cédric Cham a écrit son meilleur roman à ce jour, et nous en promet bien d’autres aussi forts.

Oldies : L’oiseau moqueur de Walter Tevis

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Michel Lederer

Afin de fêter ses 15 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux éditions Gallmeister, spécialisée dans la littérature anglo-saxonne.

Je vous propose un auteur dont j’ai découvert l’existence grâce à l’excellente série télévisée Le jeu de la dame, avec un roman qui nous envoie dans un futur lointain, bigrement visionnaire.

L’auteur :

Walter Tevis, né le 28 février 1928 à San Francisco et mort le 8 août 1984 à New York, est un écrivain américain de science-fiction et de roman noir.

Bien que Walter Tevis soit né dans le comté de Madison, son père ramène sa famille au Kentucky depuis San Francisco alors que Walter est âgé de 10 ans.

Après avoir participé aux campagnes du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, Tevis obtient un diplôme à la Model High School en 1945 et est admis à l’université du Kentucky, où il décroche une maîtrise. Alors qu’il est étudiant, Tevis travaille dans une ‘Eight ball pool-room’ et publie une histoire sur le billard écrite pour le cours d’écriture de A. B. Guthrie. Après avoir reçu sa maîtrise, Tevis écrit pour la Kentucky Highway Department et enseigne à Science Hill, Hawesville, Irvine, Carlisle, ainsi qu’à l’université du Kentucky. Il est professeur de littérature à l’université de l’Ohio de 1965 à 1978, où il reçoit une MFA.

Il commence à publier des nouvelles de science-fiction en 1954, puis le premier de ses récits policiers avec The Big Hustle, paru en 1955 dans Collier’s Weekly, qui narre la lutte pour la victoire entre deux champions de billard, et The Hustler, paru en 1957, dans Playboy. Il reprend ces deux nouvelles en les étoffant dans son roman noir L’Arnaqueur (1959), qui est adapté sous le même titre au cinéma par Robert Rossen, avec Paul Newman.

Au cours de sa carrière d’écrivain, Tevis publie sept romans, dont trois sont des variations sur le même thème, et d’autres nouvelles pour des magazines, dont Cosmopolitan, Esquire, Playboy et Galaxy Science Fiction.

Pendant quelques années, Tevis disparaît du circuit littéraire, souffrant d’alcoolisme. D’ailleurs, une grande mélancolie et un goût du jeu – voire de l’alcool – marquent chacun de ses romans. Pendant cette période, il vit en donnant des cours particuliers d’écriture. Il est nommé au prix Nebula du meilleur roman en 1980 pour L’Oiseau d’Amérique (L’oiseau moqueur). Il passe sa dernière année à New York, en tant qu’écrivain à plein temps.

Walter Tevis meurt d’un cancer du poumon en 1984. Il est enterré à Richmond, dans le Kentucky.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

« Pas de questions, détends-toi ». C’est le nouveau mot d’ordre des humains, obsédés par leur confort individuel et leur tranquillité́ d’esprit, déchargés de tout travail par les robots. Livres, films et sentiments sont interdits depuis des générations. Hommes et femmes se laissent ainsi vivre en ingurgitant les tranquillisants fournis par le gouvernement. Jusqu’au jour où Paul, jeune homme solitaire, apprend à lire grâce à un vieil enregistrement. Désorienté́, il contacte le plus sophistiqué des robots jamais conçus : Spofforth, qui dirige le monde depuis l’université́ de New York. Le robot se servira-t-il de cette découverte pour aider l’humanité́ ou la perdre définitivement ?

Mon avis :

Imaginez un monde futuriste où l’humanité a créé des robots pour se faciliter la vie, un monde où les hommes ne travaillent plus, mais passent leur temps à prendre des pilules, regarder la télévision et fumer de la marijuana. Ils ont perdu l’envie de se rencontrer, de lire, de se cultiver. Alors le nombre d’humains sur Terre a diminué et les robots ont fait fonctionner le monde à leur place.

Spofforth est un robot de classe 9, le plus intelligent jamais inventé. Son rêve est de mourir. Doyen de l’université de New-York, il reçoit un appel de Paul Bentley qui lui propose d’apprendre à lire aux hommes. Spofforth lui octroie un appartement et lui demande de lire les textes de films muets. Paul découvre la joie de lire, d’élever son esprit et rencontre une femme habillée en rouge dans un zoo. Elle ne prend pas de pilules, ne fume pas, et il décide lui apprendre à lire.

Ce roman fait partie des monuments de la littérature, de ceux qui allient deux genres, la littérature dite blanche et la science-fiction. Il nous offre une ode à la littérature, à l’élévation de l’esprit par la culture et sa nécessité pour faire évoluer l’humanité. D’une plume érudite et imagée, Walter Tevis nous plonge dans un monde futuriste qui rappelle celui que l’on subit aujourd’hui, entre Netflix et Internet, cette propension à rester chez soi, à oublier la nécessité des autres.

Proche d’un 1984 de George Orwell, d’un Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ou du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, ou même le Cycle des robots d’Isaac Asimov, ce roman nous marque d’autant plus qu’il a de fortes résonances avec ce que nous vivons aujourd’hui. D’une remarquable intelligence dans la façon d’aborder ces thèmes, le déroulement de l’intrigue peut déconcerter lors du passage en prison mais est au final hautement recommandable voire même indispensable pour tous.