Le chouchou du mois d’avril 2021

Bouclons donc cette onzième année par le mois le plus pauvre en termes de nombre d’avis publiés ce mois-ci. Par manque de temps, je ne vous aurais proposé que sept avis, sept romans variés, internationaux et qui tous méritent le détour.

Commençons par mon coup de cœur, mais pas du mois. Lors de ma première lecture, j’avais déjà mis un coup de cœur à ce roman que j’aime tant. Malheureusement, le plantage de mon ordinateur m’a fait perdre mon billet, et dégouté, je n’ai jamais pris la peine de le réécrire. Alors que sort le troisième tome des enquêtes de Sean Duffy (dont je vous parlerai le mois prochain), j’ai donc relu Dans la rue, j’entends les sirènes d’Adrian McKinty (Livre de poche). Mes impressions n’ont pas changé, c’est bien un fantastique roman policier qui nous plonge dans l’Irlande du Nord de 1983, alors que débute la guerre des Malouines. Jetez vous sur cette trilogie qui rend hommage au genre tout en écrivant l’histoire de la guerre civile irlandaise.

Restons en Europe, du coté de la France, en Picardie plus exactement, avec Pleine balle de James Holin (Editions du Caïman) où l’auteur nous convie à une course poursuite de plus de 200 pages sans que l’on s’ennuie une minute. Un sacré coup de force qu’il vous faut absolument découvrir !

Paris, ah Paris ! c’est là que se situe l’enquête de Le gibier de Nicolas Lebel (Editions du Masque), avec deux nouveaux personnages puisqu’avec son changement de maison d’édition, Nicolas Lebel nous offre deux nouveaux enquêteurs. L’auteur nous propose des énigmes, des courses, des traits d’humour et surtout évoque l’Apartheid à travers un projet hallucinant. Une très grande réussite.

Du coté de la Suisse, L’ivresse des flammes de Fabio Benoit (Favre) est un roman choral, minutieusement construit, minutieusement écrit et nous invite à une poursuite d’un pyromane tout en faisant des incursions en Sardaigne où la mafia veut y implanter son trafic de drogue. Un très bon polar, surprenant.

On descend pour faire une halte du coté de l’Italie, dans le Piémont plus exactement, avec Le mangeur de pierres de Davide Danilo (Glénat). Doté d’une écriture minimaliste et flamboyante, ce roman nous propose de passer un moment avec des passeurs habitant un petit village. Si le rythme est lent, l’action rare, ce roman vaut surtout pour son écriture.

Enfin, le Oldies du mois est une fantastique histoire, grande par ses personnages, grande par son scénario. Lors de la conquête de l’ouest, on chargeait des hommes de ramener les femmes rendues folles par la dureté de la vie, les Homesmen. Sauf qu’ici, c’est une ancienne institutrice accompagnée d’un bon-à-rien qui vont s’y coller. Dois-je encore insister pour que vous le lisiez ? Ça s’appelle Homesman de Glendon Swarthout (Gallmeister)

Le titre du chouchou du mois revient donc à La patience de l’immortelle de Michèle Pedinielli (Editions de l’Aube). Nous retrouvons Diou de retour sur ses terres natales en Corse pour une enquête qui la touche de près. Outre l’intrigue fort bien menée et qui parle si bien des paysages et des secrets familiaux, ce roman est juste incroyable, inoubliable, en particulier son troisième chapitre et la fin, terrible.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans le choix de vos lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain, pour un nouveau titre de chouchou. Et puis, nous aurons eu l’occasion de fêter l’anniversaire du blog (12 ans déjà !) avec une trilogie complète à gagner. Je ne vous en dis pas plus, c’est pour très bientôt. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez vous, protégez les autres et lisez !

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Dans la rue, j’entends les sirènes d’Adrian McKinty

Editeur : Stock (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Eric Moreau

Attention, coup de cœur !

Pour moi, il s’agit d’une relecture puisque je l’avais lu peu après sa sortie. Malheureusement, mon ordinateur avait planté et j’avais perdu un certain nombre de billets dont celui concernant la deuxième enquête de Sean Duffy. La sortie de sa troisième enquête m’a donné envie de revenir à Belfast en 1982 pour le chroniquer à nouveau. A l’époque, j’avais décidé de lui donner un coup de cœur. J’ai été tout autant emballé par cette deuxième lecture, y retrouvant tout l’allant d’il y a 7 ans … déjà ! Depuis, le roman est sorti en format poche, donc c’est une raison supplémentaire de se laisser tenter.

Adrian McKinty semble vouloir écrire son histoire de son pays, vu à travers un personnage de flic, un peu comme le fait James Ellroy avec les Etats-Unis. Et si je le cite, c’est que j’y trouve un parallèle dans la façon de mener son intrigue, où l’air de rien, on part d’une affaire étrange, on retrouve d’autres enquêtes en parallèle et tout se rejoint avec logique à la fin. Adrian McKinty applique les codes du polar, et il excelle dans ce domaine, en ajoutant un personnage d’enquêteur typiquement irlandais, Sean Duffy.

L’inspecteur Sean Duffy et le sergent McCrabban sont appelés suite à la découverte de traces de sang dans une usine désaffectée de Carrickfergus. En suivant les traces, Duffy et McCrabban se dirigent vers les bennes à ordures. Après un tirage au sort à pile ou face, Duffy est désigné pour fouiller dans les immondices, et trouve un corps congelé dans une valise de voyage. Les mains, les pieds et la tête sont absents, rendant l’identification difficile.

L’autopsie, réalisée par la médecin légiste Laura Cathcart, la compagne de Duffy, révèle que l’homme a été empoisonné avec l’abrine, un poison extrêmement rare issu du pois rouge. Laura en profite pour annoncer à Duffy qu’elle va accepter une proposition de professeur en Ecosse, ce qui lui permet de quitter l’Irlande du Nord, ce pays miné par une guerre civile toujours plus violente de jour en jour. Sur le dos de la victime, on peut y lire un tatouage « Nul sacrifice n’est trop gran », auquel il manque le d, qui peut éventuellement leur donner une piste à suivre.

Quelques jours plus tard, deux avancées vont faire rebondir cette affaire. Le tatouage est typique de soldats américains, ce qui est étonnant : on n’imagine pas des touristes venir ici vu la situation du pays. Lors de l’analyse de la valise, un collègue de Duffy y trouve un carton sur lequel est inscrit le nom du propriétaire de la valise, Martin McAlpine. Duffy est étonné d’apprendre que McAlpine est mort dans son jardin, abattu vraisemblablement par l’IRA. Duffy et McCrabban vont donc rendre visite à la veuve de McAlpine et commencer à dérouler la pelote de laine.

Si l’intrigue respecte les codes du polar, et place ce roman aux cotés des plus grands du domaine, elle se singularise par son contexte et sa façon de le présenter. Dans Une terre si froide, Adrian McKinty nous parlait de la situation de l’Irlande du Nord après le décès de Bobby Sands suite à sa grève de la faim. Dans ce roman, en 1982, nous voyons l’impact de la guerre des Malouines. Avec ce conflit, la Grande Bretagne va envoyer ses troupes et donc déserter les zones d’émeutes irlandaises. Les policiers vont donc remplacer l’armée, sous le feu et les jets de pavés, d’autant plus qu’en face, ils sont armés par la Lybie avec des armes de guerre.

Adrian McKinty s’appuie sur son personnage de Sean Duffy, seul policier catholique dans un pays protestant, dénigré par ses collègues malgré de belles résolutions d’enquêtes qui lui ont permis d’obtenir une médaille. On le retrouve plongé en plein cœur d’un pays ravagé, parmi des immeubles détruits par les bombes, assourdi par les tirs à chaque coin de rue, et malgré cela, cherchant à tout prix la solution de l’énigme à laquelle il a affaire. Quelle n’est pas notre surprise quand les Etats-Unis s’invitent dans cette danse macabre !

La grande force de ce roman se situe à la fois dans la présence de Sean Duffy, mais aussi à la peinture du contexte et à de multiples petits détails permettant de nous plonger dans ce monde d’apocalypse. Par exemple, Sean Duffy vérifie avant de prendre sa voiture qu’elle n’est pas piégée par un interrupteur au mercure. Et puis, il y a ce ton, cet humour grinçant, cynique, dans les dialogues, qui font beaucoup rire et qui permettent d’expliquer comment les habitants peuvent supporter cette situation, tout en ne sachant pas s’ils seront encore vivants le lendemain. Et puis il y a la Bande Son. Qui peut se targuer de citer dans un même roman Joy Division et Nick Drake ? Exemplaire !

Coup de cœur, je vous dis !

Pleine balle de James Holin

Editeur : Editions du Caïman

De cet auteur, j’aurais lu avec plaisir tous ses polars pour ses intrigues bien construites mais aussi pour son ton sarcastique. On rit beaucoup à la lecture de ses histoires pleines de créativité et c’est encore le cas ici.

Camerone, commissaire de la Police Judiciaire de Creil, se rend à une réunion du directeur de cabinet du préfet, qui s’appelle Pisse-Vinaigre. Perdre son temps dans des beaux bureaux l’énerve au plus haut point, surtout un vendredi soir, à quelques jours de Noël. Camerone leur annonce avoir arrêté la meurtrière qui a tué le docteur à coups de marteau. Puis la discussion dérive sur des plaintes sans intérêt, du shebagging (les femmes qui mettent leur sac sur une place vide dans les transports en commun) au mansplanning (les hommes qui coupent la parole aux femmes) en passant par le manspreading (les hommes qui s’assoient les jambes trop écartées). Hilarant !

En rentrant chez lui, il aperçoit une équipe de gendarmes afférés sur une voiture brûlée, une Clio, en pleine campagne picarde. Camerone s’arrête un peu plus loin et leur demande de vérifier la plaque d’immatriculation. La radio leur confirme une plaque volée. Camerone est persuadé qu’un casse se prépare, ce qui serait cohérent avec l’attaque au gaz récente de deux guichets de distribution de billets.

Camerone apprend qu’un casse d’une concession automobile BMW a eu lieu dans la nuit. Il est persuadé que la Clio a été utilisée à cette fin. Effectivement, les truands ont emprunté une X6. Après avoir pris des informations auprès d’un de ses indics manouche, il va embarquer son équipe dans une folle équipée à la poursuite de la BMW, conduite à n’en pas douter par son ennemi personnel, le Blond.

James Holin va prendre le temps de nous présenter son personnage principal, Camerone, kabyle d’origine, entouré d’une aura de héros, suite à des événements passés que tout le monde a monté en épingle. Camerone donne l’impression, dès les premières pages, de se battre contre tout le monde. Peut-être est-ce dû au fait qu’il a perdu sa main droite, qu’il a remplacé par une prothèse en résine noire ? Ou bien à sa stature imposante ? Ou à son attitude toujours rentre-dedans qui laisse envisager qu’il n’a peur de rien ?

Camerone est obsédé par le Blond, qu’il a rencontré par le passé, et qu’il n’a pas réussi à arrêter. Son flair lui indique que le Blond prépare des casses de distributeurs automatiques. En totale autonomie, Camerone emmène toute son équipe : Leïla avec qui il a une relation et qui a demandé sa mutation, Bernard, Martoche et Testo le jeunot de l’équipe. Nos cinq comparses vont se partager entre deux voitures et commencer la course poursuite à travers la Picardie.

Et là, c’est tout simplement génial ! James Holin profite de cet huis-clos pour détailler les psychologies des flics et leurs relations entre eux. C’est d’autant mieux fait que par moments, cela tourne au Vaudeville, et le ton sarcastique et foncièrement cynique emporte l’adhésion. Et les événements sont suffisamment bien construits pour faire évoluer les cinq flics et notre perception de la réalité, bien différente de ce que l’on aurait pu imaginer de prime abord.

Finalement, James Holin fait encore plus fort que Bullitt, vous savez, le film avec Steve McQueen qui comportait une course-poursuite en voiture de plus de vingt minutes. James Holin fait plus fort car son intrigue tient sur 260 pages, et jamais on ne ressent de lassitude. Au contraire, plus on avance dans le livre, plus on se passionne pour cette histoire, pour ces personnages et la fin, totalement logique, fait tomber le rideau de grande et belle façon.

Ne ratez pas les avis de l’Oncle Paul et Jeanne Desaubry

Le mangeur de pierres de Davide Longo

Editeur : Glénat

Traducteur : Anita Rochedy

Dans la collection Hommes et Montagnes des éditions Glénat, est paru ce roman à mi-chemin entre nature writing et roman noir. L’auteur nous invite à visiter les montagnes et vallées du Piémont et à rencontrer ses habitants, habitués aux conditions climatiques rigoureuses.

« Cesare coupa une fine lamelle de tomme puis ferma son couteau en regardant par la fenêtre le jour qui déclinait.

Les crêtes des montagnes saillaient encore sous les derniers rayons de soleil, mais les pins en contrebas avaient le vert mat du crépuscule. Dans les prés de l’autre côté de la rivière quelques meules de foin restaient. Un vent paresseux berçait les hêtres et les châtaigniers à mi-hauteur, les préparant à la nuit. »

Cesare se penche vers sa chienne Micol, qui ressemble à une louve. En faisant la vaisselle, il regrette le torrent du Cumbo Scuro, que des bulldozers ont éventré, contre son avis. Il décide de sortir profiter du paysage, croise l’autocar qui ramène les ouvriers après leur journée de labeur, passe devant les granges abandonnées par leurs propriétaires, partis immigrer en France ou ailleurs.

Au milieu des chênes, des châtaigniers et des nuages menaçants, il s’approche du bord de la falaise, pour observer l’eau en contrebas. Une odeur fétide agresse ses narines, et il se décide à descendre. A la surface calme de la retenue d’eau, le ventre d’un homme mort flotte, indifférent au calme alentour. Quand il s’approche, il reconnait Fausto, son filleul, à qui il a appris les rudiments du travail de passeur.

Sergio travaille à la ferme de ses parents, subissant les remontrances incessantes du père, car il n’en fait jamais assez à leur goût. Le père est en train de soigner une de ses vaches blessée quand la mère leur apprend la découverte du mort. Sergio se rend compte qu’il ne peut rester ici, dans cette région, à attendre que la mort vienne le prendre. Lui aussi veut passer de l’autre côté de la frontière, en France.

On aurait pu s’attendre à une intrigue policière, alors que l’on va habiter avec les habitants de cette région inhospitalière, alternativement avec Cesare et Sergio. Le rythme va donc être relativement lent, détaillant à la fois la nature, passive, comme en attente d’une action des humains, et les journées à boire ou couper du bois, à discuter de tout et de rien. Les réactions des personnages, leur psychologie sont à chercher du côté de leurs actions.

Car Davide Longo opte pour un style minimaliste, en additionnant les phrases courtes mais toujours justes, extrêmement travaillées, minutieusement construites. J’ai rarement lu un roman aussi précis, concis, sauf peut-être chez James Sallis. Le style minimaliste au possible nous fait ressentir le froid prenant, cette humidité qui emprisonne les peaux que l’on peut à peine protéger d’un pull, le vent cinglant qui fige les hommes et bouge les branches, le silence oppressant qui laisse retentir le moindre pas cassant une brindille.

Ce roman arrivera à un dénouement violent, non décrit, plutôt suggéré montrant combien les décisions peuvent être improvisées pour le pire. Le style de l’auteur remarquablement traduit par Anita Rochedy en fait une lecture exigeante, tout en nous offrant des phrases ou des paysages décrits comme par magie. Pour toutes ces raisons, je ne le conseille qu’aux amateurs de belle littérature, non effrayés par des romans où il n’y a pas d’action.

La patience de l’immortelle de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera et Après les chiens, Ghjulia fait son retour pour une enquête plus personnelle, donc plus touchante, et marque aussi un retour dans sa région natale, la Corse du Sud, sauvage, taiseuse, ancrée dans ses traditions. Impressionnant !

Dan, son compagnon, réveille Ghjulia Boccanera dit Diou pour lui annoncer que le commandant Joseph Santucci dit Jo l’attend dans le salon. Dans une autre vie, Jo et Diou ont vécu ensemble. Jo vient l’informer de la mort de Letizia. Son corps a été retrouvé dans le coffre de sa voiture à laquelle on a mis le feu. Pour parfaire l’horreur, l’assassin lui avait tiré une balle dans la gorge.

Letizia est la nièce de JO, la fille de sa sœur Antoinette. Elle était journaliste présentatrice sur France 3 Corse, était tout le temps dynamique et enjouée. Diou a connu Letizia depuis sa naissance, se rappelant ses premiers instants, où l’air a la teneur du coton, où l(atmosphère sent le bébé, les couches de bébé, les lotions de bébé, sa petite tête venue se lover dans le creux de son bras.

Jo a besoin de Diou pour le soutenir lors de l’enterrement, mais aussi d’enquêter en parallèle de la gendarmerie pour connaitre le nom de l’ignoble coupable. Rien ne laissait penser que cette jeune femme, journaliste devenue présentatrice, mariée à Jean Noël Paoli, journaliste aussi, finirait carbonisée dans un coffre de voiture, laissant derrière elle sa petite Maria Stella. Diou doit revenir sur sa terre natale, abandonner Nice et son environnement urbain pour la campagne aride de la Corse du Sud, l’Alta Rocca.

Bien que La patience de l’immortelle soit la troisième enquête de Diou, ce roman peut se lire indépendamment des deux autres. Tout est présenté dès le premier chapitre dans un contexte plombant, parsemé de quelques souvenirs qui mesurent la grandeur du drame. Car même si Diou est du genre rentre-dedans, la disparition de Letizia sonne comme un coup de semonce, la touchant dans ce qu’elle a de plus cher, la famille, le clan.

Michèle Pedinielli, malgré son style sec et son humour cynique, ne peut laisser échapper des mots justes pour faire ressortir le chagrin et les larmes envers cette jeune femme, abattue comme un vulgaire animal. Derrière des décors fantastiques de terre sèche, parsemés d’oliviers pour certains centenaires, se cachent des secrets que personne ne veut dévoiler, car les problèmes se règlent avant tout à l’intérieur du clan.

D’ailleurs, quand on rencontre quelqu’un, on ne vous demande pas d’où vous venez, mais de quelle famille vous êtes issus. Comme le sujet aurait pu être délicat à traiter, comme il aurait pu verser dans le ridicule quand il touche au plus proche de nos racines, et comme les scènes deviennent irrésistibles de tristesse quand c’est bien écrit. Le chapitre trois, qui montre l’enterrement de Letizia est à ce propos terriblement émouvant, car d’une justesse incroyable.

Diou va donc louvoyer entre famille et habitants, essayant d’arracher quelques mots, une explication auprès de gens taiseux, méfiants, qu’elle finira par nous rendre attachants. En découvrant que Letizia tenait un blog pour publier ses enquêtes refusées par France 3, elle va découvrir des trafics, comme autant de mobiles pour ce meurtre … jusqu’au dénouement final, inattendu, brutal, horrible que l’auteure a la grande intelligence de nous placer en face des yeux en nous plaçant en juge. Mais comment peut-on prendre position face à un tel dilemme ?

Le gibier de Nicolas Lebel

Editeur : Editions du Masque

Nicolas Lebel, le créateur du capitaine Daniel Mehrlicht, nous propose un nouveau couple de policiers dans son dernier roman en date. Adieu donc à notre enquêteur favori, sorte de mutation génétique entre Kermit le grenouille et Paul Préboist … ou bien juste Au revoir … Les deux personnages principaux se nomment donc Paul Starski et Yvonne Chen. Et leur entrée dans le monde du polar se fait sur des chapeaux de roues.

Yvonne Chen vient chercher Paul Starski car ils sont appelés en urgence pour une prise d’otages dans un appartement proche de là où il habite. Starski est sur les nerfs, sa femme est partie en vacances avec ses filles et son chien Albus aux urgences vétérinaires pour vraisemblablement une hémorragie interne. Comment leur annoncer la mort prochaine de leur compagnon de 15 ans ?

A leur arrivée, on leur annonce qu’un voisin a prévenu la police quand deux coups de feu se sont faits entendre. Ils montent au 3ème étage, essaient de discuter avec un homme qui dit qu’il en a marre, qu’il ne portera pas le chapeau. Deux coups de feu retentissent et Starski et Chen enfoncent la porte. Deux hommes sont étendus morts, l’un sur le lit, l’autre dans le salon, chacun avec une balle dans la tête. La chaine HIFI diffuse une musique de cors de chasse.

Le revolver trouvé est de marque sud-africaine. L’un des morts est un collègue de Marseille, Cavicci, d’après ses papiers d’identité. Le deuxième est inconnu. Quand l’Identité Judiciaire fouille l’appartement, ils ne trouvent pas d’autre impact de balles dans les murs. Or quatre coups de feu ont bien été tirés, un dans chaque tête et deux autres entendus par les voisins. De plus, la voix entendue derrière la porte n’avait pas d’accent, ni anglophone ni marseillais. Starski et Chen viennent de mettre les doigts dans un engrenage incroyable.

On retrouve avec ce roman policier le pur plaisir de lire une histoire parfaitement maîtrisée, de la création des personnages au déroulement, en passant par le parfait équilibre entre les dialogues et la narration. Ce roman représentait un sacré challenge, celui de nous faire accepter de nouveaux personnages alors que nous étions habitués au capitaine Mehrlicht et ses envolées humoristiques lyriques.

Nicolas Lebel choisit de nous plonger la tête dans le sac d’aspirateur dès le démarrage du roman, avec une prise d’otage. Les deux personnages se dirigeant vers le lieu de l’action, le trajet place d’emblée la psychologie de chacun : Paul Starski (avec un i) marié, stressé, l’apprendra plus tard par sa séparation avec sa femme, troublé par l’hémorragie de son chien fidèle, émotif à fleur de peau ; et Yvonne Chen, jeune lieutenante, très matérielle, froide, avec un esprit de déduction éminemment logique et clinique. Nous nous trouvons donc avec deux personnages psychologiquement opposés l’un de l’autre.

Dès le début de l’histoire, nous sommes confrontés à des mystères difficilement explicables. Tout lecteur de polar ne demande que cela : être impliqué dans la résolutions d’énigmes (vous aurez noté le pluriel). En termes de construction d’intrigue, ce démarrage est bien trouvé et permet de nous intéresser tout de suite à l’histoire. Les solutions (aux énigmes) sont vite trouvées aussi et coïncident avec l’arrivée de Chloé de Talense, chercheuse émérite en pharmacologie et amour de jeunesse de Starski.

A partir de ce moment, Nicolas Lebel nous montre un Starski déboussolé, en pertes de repères, débordé entre sa situation personnelle, sa situation professionnelle et les sentiments envers Chloé. Yvonne Chen, en bonne collègue, garde les pieds sur terre et devient dubitative, essayant de ramener un peu d’objectivité dans cette enquête. Car petit à petit, nos deux comparses vont se trouver malmenés dans une machination en lien avec un projet dont on ne parle que bien peu.

Le projet en question se nomme Projet Coast et a été développé en Afrique du Sud, pendant l’Apartheid. Le principe était de développer des moyens contraceptifs suffisamment sélectifs pour que la population noire ne se reproduise plus. En cherchant sur Internet, on apprend même que les coupables ont été amnistiés et qu’ils auraient travaillé sur des armes chimiques n’éradiquant que la population noire.

Vous l’aurez compris, Nicolas Lebel pour son changement de personnage, pour son changement de maison d’édition, nous a concocté un polar de haut vol, parfaitement maitrisé, nous apprenant des faits non punis. Il n’hésite pas à nous malmener, à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, avant de changer de cap. On croit avoir tout compris avant d’être démenti, et on a droit à une fin surprenante. Que demander de mieux, franchement ?

L’ivresse des flammes de Fabio Benoit

Editeur : Favre éditions

Même si ce n’est pas son premier roman, cette Ivresse des flammes constituera pour moi la découverte d’un auteur, commissaire de police à Neuchâtel en Suisse. A en croire la quatrième de couverture, il s’agit du troisième roman de l’auteur et du troisième roman d’un triptyque qui comporte Mauvaise personne et Mauvaise conscience. Et effectivement, ce roman peut se lire indépendamment des autres.

Un homme attend patiemment, puis se dirige vers l’écurie, lesté de ses jerricanes emplis d’essence. Frotter l’allumette contre le grattoir procure des frissons, voir les flammes le réchauffe. Le bruit assourdissant le remplit de puissance, de plaisir.

Marc-Olivier Forel, commissaire à la Police Judiciaire de Neuchâtel, est appelé pour constater la mort d’un jeune homme, accidentelle lors d’une fête nocturne en plein air. Etant de permanence, il doit ensuite se rendre sur les lieux d’un suicide avant d’être appelé pour un incendie.

Nina se réveille dans son appartement, et se remémore son père mort aujourd’hui après lui avoir montré la voie, s’affranchir des règles et toujours avancer. Aux cotés d’Angelo Chiesa, employé municipal à la déchèterie, elle file le parfait amour.

Angel pourrait être assimilé à une cafetière : si on la laisse trop longtemps sur le feu, elle explose. Ce matin-là, une camionnette se fait pressante derrière lui, dans le tunnel de la Vue-des-Alpes. Respirant calmement, Angel est sorti, a retrouvé le chauffard et lui a calmement enfoncé son poing dans le nez. Il a beaucoup progressé en termes de maitrise de ses nerfs, grâce à Nina. Il a beaucoup changé ; avant, il était jeune et innocent, et s’appelait Efisio Piras.

Les amateurs de roman choral vont être ravis, car il possède une construction complexe et fort bien menée. Le fait que l’on n’ait pas besoin de lire les précédents romans est aussi à mettre à son crédit. Certains faits passés sont rappelés brièvement, en indiquant les seuls éléments permettant de suivre cette histoire. Ce roman est donc écrit avec un certain classicisme, respectant les codes du genre.

L’écriture se révèle aussi fort plaisante. Les descriptions laissent la place aux personnages, à leurs impressions, leurs sentiments, faisant avancer l’intrigue relativement doucement. Si par moments, on sent le travail derrière les phrases, nous avons à faire avec un style méticuleux, fort travaillé et littéraire. J’ai trouvé un vrai plaisir à lire un livre bien écrit, bien construit, bien fait, plaisant.

Les chapitres étant relativement courts, moins d’une dizaine de pages, cela se lit vite et l’attrait supplémentaire vient des parties consacrées au passé d’Angelo, qui viennent en alternance avec les enquêtes en cours. L’auteur va y décrire la vie des habitants de la Sardaigne, leur façon de réaliser des enlèvements, mais aussi et surtout l’invasion de la mafia pour y instaurer leur trafic de drogue. D’intéressants, ces passages en deviennent passionnants.

N’apportant pas de révolution dans le polar, ce roman comporte suffisamment d’éléments pour que l’on s’y attache et qu’on n’ait pas envie de le lâcher. Remarquablement bien construit, bien écrit, avec des personnages vivants et réalistes, il est parfois bon de revenir aux fondamentaux avec ce polar de bonne facture.

Oldies : Homesman de Glendon Swarthout

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Laura Derajinski

Afin de fêter ses 15 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux éditions Gallmeister, spécialisée dans la littérature anglo-saxonne. Mais pas que, puisque Gallmeister va éditer à partir du mois de mars des romans italiens … et on y reviendra bientôt.

Ce roman sorti en format poche en début d’année faisait dès son annonce partie de ma liste de livres à lire. Devancé par de nombreux avis très positifs, mon avis ne tient pas compte du film tiré de cette histoire, puisque je ne l’ai pas vu.

L’auteur :

Glendon Swarthout, né le 8 avril 1918 à Pinckney, Michigan (en), dans le Michigan, et mort le 23 septembre 1992 à Scottsdale, en Arizona, est un écrivain américain, auteur de westerns et de romans policiers. Sa première activité professionnelle est un job d’été dans un resort du lac Michigan, où il joue de l’accordéon dans un orchestre pour dix dollars la semaine.

Diplômé de l’université du Michigan à Ann Arbor, Glendon Swarthout commence par écrire des publicités pour Cadillac. Après une année de cette activité, il se lance dans le journalisme puis dans la rédaction de ses premiers romans. Il publie son premier roman, Willow run, en 1943.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est envoyé en Europe et participe à un seul combat dans le sud de la France avant d’être renvoyé aux États-Unis. À son retour, il enseigne à l’université du Michigan et écrit de nouveaux romans. C’est après la première adaptation cinématographique en 1958 de l’une de ses œuvres, Ceux de Cordura, qu’il peut se consacrer pleinement à l’écriture.

Swarthout devient un auteur prolifique et s’illustre dans quasiment tous les genres littéraires de fiction à l’exception de la science-fiction. Il laisse derrière lui une œuvre foisonnante et inclassable. Il est néanmoins surtout reconnu comme un des plus grands spécialistes de l’Ouest américain et du western.

Il est l’auteur de seize romans, dont plusieurs best-sellers. Neuf d’entre eux ont été portés à l’écran, dont Le Tireur, qui fut le dernier film de John Wayne et The Homesman, second film de Tommy Lee Jones. Deux fois nommé pour le prix Pulitzer, lauréat de nombreux prix littéraires, Glendon Swarthout meurt le 23 septembre 1992 en Arizonad’un emphysème pulmonaire.

(Source : Wikipedia & Gallmeister.fr)

Quatrième de couverture :

Au cœur des grandes plaines de l’Ouest, au milieu du XIXe siècle, Mary Bee Cuddy est une ancienne institutrice solitaire qui a appris à cultiver sa terre et à toujours laisser sa porte ouverte. Cette année-là, quatre femmes, brisées par l’hiver impitoyable et les conditions de vie extrêmes sur la Frontière, ont perdu la raison. Aux yeux de la communauté des colons, il n’y a qu’une seule solution : il faut rapatrier les démentes vers l’Est, vers leurs familles et leurs terres d’origine. Mary Bee accepte d’effectuer ce voyage de plusieurs semaines à travers le continent américain. Pour la seconder, Briggs, un bon à rien, voleur de concession voué à la pendaison, devra endosser le rôle de protecteur et l’accompagner dans son périple.

Inoubliable portrait d’une femme hors du commun et de son compagnon taciturne, aventure et quête à rebours, Homesman se dévore de la première à la dernière page.

Mon avis :

Homesman bénéficie d’un scénario hors pair, mené tel que son auteur l’a voulu : une première partie qui présente les personnages, la deuxième raconte le périple du Kentucky en Iowa, la troisième vient clore cette histoire hallucinante (Tiens, je n’utilise pas souvent ce terme !), forte et dramatique. Si on peut envisager de le classer dans une catégorie Western, je le situerai plutôt comme un roman d’aventures, et franchement dans le haut de gamme.

Car l’écriture de Glendon Homesman est redoutablement précise, tantôt behavioriste, tantôt détaillée, mais toujours terriblement juste quand il s’agit de montrer les relations entre Briggs et Mary Bee, leurs forces et surtout leurs faiblesses. Et elle bénéficie de la force de l’imagination de l’auteur, qui nous offre des scènes que l’on n’est pas prêt d’oublier. Imaginez un charriot transformé en fourgon, qui prend la route de terre avec quatre femmes devenues folles qui, tout le long du chemin, vont gémir.

Je vous mets au défi de rester insensible envers le sort de ces pauvres femmes, qui ne savaient pas ce quel sort elles allaient subir en s’installant dans l’Ouest sauvage. Je parie que vous tremblerez (ou hurlerez) pendant les rencontres (des Indiens, de nouveaux immigrants ou même des enfoirés profiteurs qui leur refusent une chambre d’hôtel …) qu’ils vont faire grâce à des scènes bien stressantes. Je suis sûr que vous crierez de rage devant tant d’injustice et d’incompréhension, devant cette fin si triste. Après avoir tourné la dernière page, je ne veux faire qu’une chose : voir à quoi ressemble l’adaptation cinématographique. Et je vous donne un conseil : lisez ce livre avant !

Ne ratez pas non plus l’avis de Jean-Marc