La cour des mirages de Benjamin Dierstein

Editeur : Les Arènes – Equinox

Attention, Coup de cœur !

Après La sirène qui fume, après La défaite des idoles, voici donc le troisième tome de cette trilogie consacrée à la fin du Sarkozysme sur fond d’enquête policière au long cours sur la prostitution enfantine et les réseaux pédophiles. Le premier était très bon, le deuxième excellent, le troisième est fantastique, un véritable feu d’artifice. Autant vous prévenir tout de suite : par certaines scènes explicites, ce roman est dur et est à réserver à des lecteurs avertis.

Jeudi 13 juillet 2006. La foule se masse dans le métro de Rennes, après le feu d’artifice. Un homme arrive à séparer une jeune fille de 8 ans de son père, et lui fait rater l’arrêt où elle aurait pu rejoindre son père. Au terminus, il lui fait croire qu’elle pourra téléphoner à son père, dans la camionnette blanche là-bas. On ne l’a plus revue. Le capitaine Gabriel Prigent ne s’est jamais remis de la disparition de sa fille Juliette.

Dimanche 17 juin 2012. Les élections législatives donnent une majorité confortable au nouveau président de la république François Hollande. Même Claude Guéant est battu à Boulogne-Billancourt. La commandante Laurence Verhaegen se moque de ce cirque. Elle attend Michel Morroni, son ancien chef à la Brigade criminelle, qui est à la retraite. Elle veut faire payer à ce pourri les menaces qu’il a fait peser sur sa fille Océane. Après une courte promenade, il s’assoit sur un banc public. Elle s’approche et lui tire une balle dans la tête.

Lundi 25 juin 2012. Prigent a pris trente kilos lors de son séjour en hôpital psychiatrique et les dizaines de pilules qu’il devait ingurgiter par jour. Il est accueilli par Nadia Châtel, la commissaire, et ses collègues n’oublient pas son passé de collabo, quand il a donné ses collègues à l’IGPN. Si on lui autorise un poste, c’est parce qu’il apparait aux yeux du public comme un héros suite à l’affaire de la Sirène qui fume.

Lundi 2 juillet 2012. Séparée de son mari Fab, Verhaegen subit les humeurs d’Océane qui entre dans l’adolescence et lui mène la vie dure. Océane préférerait aller vivre avec son père et Nadine sa belle-mère. Du coté professionnel, Verhaegen est virée de la DCRI et obligée d’intégrer la Police Judiciaire car elle a été suivie quand elle a tué Morroni. Les policiers à la charge de Manuel Valls veulent une taupe à la Préfecture de Paris, pour être surs que rien ne se trame contre les nouveaux hommes au pouvoir. Verhaegen intègre le service de Nadia Châtel.

Samedi 7 juillet 2012. Jacques Guillot, un ancien cadre politique est retrouvé pendu chez lui. Stéphanie, sa femme a été tuée dans la chambre de la propriété, un sac en plastique sur la tête. On a massacré la tête de Valentin, le fils, avec un jouet métallique. Seule manque à l’appel Zoé, la fille de Guillot. Le groupe de la brigade criminelle est sous haute pression. Prigent va suivre la piste de l’argent car Guillot avait des difficultés d’argent ; Verhaegen quant à elle prend celle des réseaux pédophiles.

Sur un pavé de plus de 800 pages, je peux me permettre de faire un résumé un peu long, mais il est nécessaire de bien planter le décor. Il s’agit du troisième tome de la trilogie sur la chute du Sarkozysme et Benjamin Dierstein va prendre une cinquantaine de pages pour présenter le contexte et les personnages principaux, Gabriel Prigent rencontré dans La sirène qui fume et Laurence Verhaegen qui était présente dans La défaite des idoles. Si l’on peut lire ce roman indépendamment des autres, je vous conseille de commencer par les autres tant ces trois romans forment une unité rare.

Si le premier tome abordait la prostitution d’adolescentes et le lien avec des hommes politiques, et le deuxième les magouilles politiques pour détenir le pouvoir policier entre ses mains, ce roman relie ces deux thèmes en y ajoutant l’évasion fiscale et les transferts d’argent vers des paradis fiscaux et les réseaux pédophiles internationaux. Et si de nombreux personnages connus apparaissent dans ces romans, l’auteur assure que cette intrigue est totalement inventée. Aux premières places de ce monument, on trouve deux personnages de flics fissurés, cassés, en passe d’être broyés par la machine que représente l’Etat.

Deux flics nous racontent cette histoire en alternance. D’un côté, Gabriel Prigent qui sort d’une énième cure en hôpital psychiatrique, bourré de médicaments. Hanté par la disparition de sa fille dont il refuse la funeste issue, il poursuit son enquête en douce et se lance à corps perdu dans les liens financiers de Jacques Guillot, quand il découvre ses liens avec Marchand, un spécialiste de finance internationale. On a droit à une démonstration du travail génial de ce flic, entrecoupé de visions hallucinées, de voix qui le hantent dans des paragraphes longs où son obsession devient la nôtre.

De l’autre, Laurence Verhaegen, sous pression de toutes part, membre du syndicat Synergie-Officiers ancré à droite et obligée de travailler en tant que taupe pour le SNOP (Syndicat National des Officiers de Police) qui défend le nouveau pouvoir en place. Deux flics en perdition, deux tons dans la narration, deux fils d’enquête, deux pans sur l’horreur de notre société moderne. Quand elle est sur le devant de la scène, le style est plus haché, en particulier dans les scènes d’interrogatoires géniales et l’auteur arrive à nous imprégner du stress ressenti par cette flic.

Car outre les magouilles politicardes pour protéger les gens en place, Benjamin Dierstein nous dévoile l’horreur inimaginable que représentent les réseaux pédophiles et leur façon de manipuler des enfants dès le plus jeune âge. Il est juste impossible de ne pas réagir devant la façon dont il démontre ces organisations ignobles, impliquant des familles, des enfants rabatteurs et des hommes riches de tous bords profitant des enfants. Il utilise des images tenant en une phrase, souvent hachée, pour mieux nous faire ressentir l’infamie d’un polaroïd. Le cœur au bord des lèvres, la rage monte avec une envie de meurtre.

En même temps, ce mélange des genres fait naitre une sensation de révolte, où on s’aperçoit que pour protéger des gens immensément riches, au-dessus des lois, on se permet de laisser filer d’immondes assassins. Des flics, des juges, des procureurs, tout le monde est impliqué et fait passer avant tout la nécessité de détenir le pouvoir par le contrôle de la police et de la justice. On ressent la peur de la Gauche de se trouver déstabilisée par des enquêtes, en même temps qu’ils veulent faire tomber les sympathisants de la Droite. Un portrait effarant, édifiant, scandaleux de notre société corrompue jusqu’à la moelle. Et au bout de ce roman, à la toute fin, avec toute la tension accumulée, Benjamin Dierstein a réussi à me faire pleurer.

Mêlant la politique, la police, la justice à des affaires d’évasion fiscale et de réseaux pédophiles, le portrait que nous offre apparait édifiant et bien noir. Autant dans la forme que dans le fond, ce pavé de plus de 800 pages s’avale aussi facilement que la pilule est difficile à avaler. Il apparait effectivement bien difficile à distinguer le vrai du faux, tant Benjamin Dierstein nous dévoile des affaires qui ne peuvent que nous faire réagir et nous dégouter. Ce roman ressemble à un pavé dans la mare, un sacré monument, un grand roman noir sur notre époque, dont il ne faut pas avoir peur.

Coup de cœur, je vous dis !

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3 réflexions sur « La cour des mirages de Benjamin Dierstein »

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