Le chouchou du mois de septembre 2022

Entre mes lectures estivales dont les billets sont publiés ce mois-ci et la chance dans mes choix, j’ai eu l’occasion de publier trois billets par semaine, donc carton plein de mon coté. Par contre le revers de la médaille, c’est que j’ai eu beaucoup de mal à choisir mon chouchou tant toutes ces lectures auront été marquantes.

Honneur au coup de cœur Black Novel, avec Demande à la poussière de John Fante (10/18), la biographie romancée sous le nom d’Arturo Bandini, qui nous montre le chemin de croix d’un jeune homme à Los Angles pour devenir un Artiste. Ce roman est juste un monument de la littérature américaine, injustement méconnu qui aura inspiré bon nombre d’auteurs et dont l’influence s’étend encore aujourd’hui.

Le reste des billets se partage entre la littérature française et la littérature américaine, à une exception près (deux en fait) : La face nord du cœur de Dolores Redondo (Gallimard Folio), thriller espagnol, fait suite à la trilogie de la vallée de Baztan. Avec ce prequel, on en apprend beaucoup sur Amaia Salazar ainsi que sur l’agent du FBI Dupree. Original dans sa construction, il nous plonge en plein ouragan Katrina dans des scènes hallucinantes où flotte un air de fantastique dans le bayou.

La sixième enquête d’Harry Bosch, L’envol des anges de Michael Connelly (Points), confirme le statut de cet auteur parmi les meilleurs dans la sphère du polar. Connelly nous parle de sa ville et situe son intrigue pendant les émeutes après l’affaire Rodney King. Cet opus est à classer dans les meilleures enquêtes de Bosch tant la pression ressentie à la lecture est intense et le final surprenant

Après Betty, j’attendais beaucoup de ce roman. L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel (Gallmeister) nous transporte dans une petite ville où le procureur, fils du narrateur, demande au Diable de se présenter à lui. Un enfant noir arrive et d’étranges drames apparaissent. Sur cette intrigue entre chronique familiale et fantastique, Tiffany McDaniel nous emporte grâce à son style poétique dans une vaste reflexion sur le Bien et le Mal.

Toujours aux Etats-Unis, Lady Chevy de John Woods (Albin Michel) est probablement le premier roman le plus impressionnant et le plus provoquant que j’aurais lu en 2022. John Woods a mis ses tripes dans cette histoire d’une adolescente obèse immergée dans un environnement rural qui s’est créée un mur pour se prémunir des moqueries des autres. Il en profite pour brosser une image de l’opposition ville / campagne tant d’un point de vue éducatif que politique. Et il termine son roman avec une fin juste formidable. A ne pas rater.

Du coté des français, commençons par Tant qu’il y a de l’amour de Sandrine Cohen (Editions du Caïman). Auréolée du Grand Prix de la Littérature Policière, elle nous offre un roman émotionnellement fort sur une famille pas comme les autres et proposent une vision du monde par les yeux des enfants. Sandrine Cohen conserve son style dans cette histoire attachante qui nous invite à raisonner différemment.

Darwyne de Colin Niel (Editions du Rouergue) permet à l’auteur de revenir en Guyane pour nous présenter deux personnages, Darwyne, jeune garçon vivant dans un bidonville malaimé par sa mère et Mathurine, assistante sociale qui reçoit un message d’alerte et est perturbée par son désir de devenir mère et ses échecs de fécondation in-vitro. L’immersion dans ce monde de désoeuvrement et de désamour maternel sont au centre de ce roman fortement émotionnel.

L’affaire de l’île Barbe de Stanislas Petroski (Afitt), en tant que premier tome d’une série, nous plonge à la fin du XIXème siècle et nous présente le professeur Lacassagne, l’un des fondateurs de la médecine légale moderne, et son apprenti Ange-Emmanuel Huin, apache au passé douteux. Les personnages sont formidablement croqués dans une intrigue inspirée d’un cas réel et on n’a qu’une envie, lire la prochaine enquête. Le livre est complété par une postface nous présentant le contexte de cette époque, de quoi se divertir intelligemment.

Le tableau du peintre juif de Benoit Severac (Manufacture de livres) aussi va nous en apprendre beaucoup sur les réseaux de résistance pour faire passer les soldats ou les juifs en Espagne. C’est aussi et surtout un portrait bluffant d’un homme qui veut faire reconnaitre son grand-père en tant que Juste des Nations et qui s’obstine tout en sachant qu’il a tort de sacrifier sa vie de famille. Impressionnant.

Comme je l’ai dit en introduction, tous les romans chroniqués auraient pu obtenir le titre de chouchou du mois, tant j’ai eu de la chance dans mes choix de lecture. Malgré cela, le titre revient à Black’s creek de Sam Millar (Le beau jardin), parce que je n’attendais pas Sam Millar sur le terrain d’un adolescent confronté au monde des adultes, parce que cette histoire est narrée de façon impeccable avec une fin surprenante, parce que les dialogues sont géniaux et parce que ce roman est publié par une petite maison d’édition et qu’il mérite d’être mis en avant.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

A la suite du succès rencontré par son roman Betty, les éditions Gallmeister ressortent le premier roman de Tiffany McDaniel, initialement sorti chez les éditions Joëlle Losfeld, dans une nouvelle traduction. On retrouve avec plaisir cette plume poétique dans cette histoire entre réalité et fantastique.

La petite ville de Breathed, Ohio, est écrasée par la chaleur lors de cet été 1984. Fielding Bliss, le narrateur, passe ses vacances avec son grand frère Grand qui excelle au lancer au baseball, sa mère Stella qui ne sort pas de la maison par peur de l’eau, Autopsy, son père qui a la charge de procureur, et Granny leur vieux chien. A la suite d’un procès qu’il a gagné, Autopsy, toujours dans le doute, fait publier dans un journal l’annonce suivante :

« Cher Monsieur le Diable, Messire Satan, Seigneur Lucifer, et toutes les autres croix que vous portez, je vous invite cordialement à Breathed, Ohio. Pays de collines et de meules de foin, de pêcheurs et de rédempteurs.

Puissiez-vous venir en paix.

Avec une grande foi.

AutopsyBliss »

Quelques jours plus tard, Fielding rencontre un petit garçon noir qui dit être le Diable. Il ne connait pas son nom, et se surnomme lui-même Sal, contraction de SAtan et Lucifer. Personne ne le croit et le shérif va rechercher des enfants ayant disparu dans les environs. Et dans cette ville à majorité blanche, on regarde bizarrement ce petit être, surtout quand des phénomènes dramatiques se succèdent.

Fielding se présente comme un vieil homme quand il raconte cette histoire et à chaque début de chapitre, il se raconte au présent quand un détail le ramène dans ses souvenirs, dans ce passé maudit de 1984. Le procédé, classique s’il en est, fonctionne à merveille ici et on ne peut qu’être ébahi devant la maitrise montrée par Tiffany McDaniel pour son premier roman, d’autant qu’elle a commencé son écriture à l’âge de 15 ans.

L’auteure va donc nous faire vivre cette ville, ces gens simples, qui respectent les autres, qui croient en la police et la justice, qui croient aussi aux légendes et à la religion. Et Sal va petit à petit concentrer toutes les craintes, toutes les peurs surtout dans un contexte propre à faire monter la tension et exciter tout le monde. Il fait chaud, il fait lourd, le ciel est bleu à n’en plus finir, et le vendeur de glaces a détruit son stock ! A cela, s’ajoute le racisme ambiant qui va aboutir à la création d’une communauté anti-noire … pardon … anti-Diable.

Il n’est pas une page qui nous rappelle le contexte, et je ne compte plus le nombre de verres bus pendant cette lecture, tant la chaleur est palpable, tant la sécheresse agressive. Et si on a l’impression de rester spectateur au début du roman, Tiffany McDaniel arrive à nous impliquer dans son histoire par de petits événements que l’on a forcément connus, et cela finit par créer une sorte d’intimité, ce qui va rendre la fin d’autant plus dramatique et horrible.

Et puis, Tiffany McDaniel nous étale déjà son talent d’écrivaine, sa poésie venue d’ailleurs (je parlais de poésie issue de ses racines indiennes lors de mon avis sur Betty). Elle a l’art de glisser des remarques, de faire des comparaisons dont nous n’aurions même pas eu l’idée, elle a le talent de montrer les sentiments des gens, de nous faire ressentir la souffrance de la nature et des animaux, et de pointer la nature de l’homme dans une vaste réflexion sur le Bien et le Mal de façon totalement original. On se laisse bercer, on voyage en compagnie de Fielding, et plus les pages filent, plus l’horreur monte. Un premier roman impressionnant.

La face nord du cœur de Dolores Redondo

Editeur : Gallimard – Folio Policier

Traducteur : Anne Plantagenet

Sélectionné parmi les finalistes du trophée du meilleur roman étranger de l’Association 813, j’avais acheté ce roman à sa sortie suite à de nombreux conseils de mes collègues et amis blogueurs. Ils avaient raison !

En aout 2005, Amaia Salazar, sous-inspectrice de la police de Navarre, vient suivre une conférence au siège du FBI à Quantico. Son objectif est d’acquérir des compétences dans la détermination des profils de tueurs en série et devenir ainsi profileuse. La conférence est assurée par l’agent spécial Duprée, reconnu comme étant un génie dans les analyses de serial killers.

Lors de la présentation d’un cas réel, Amaia qui semble être d’un caractère réservé, participe activement à l’activité proposée et impressionne Duprée. En proposant une nouvelle façon d’analyser les indices, elle met en lumière une nouvelle piste potentielle. Duprée l’aborde donc lors d’une pause au restaurant et lui propose d’intégrer leur groupe d’enquête sur la chasse au tueur qu’ils vont maintenant dénommer Le Compositeur.

Ce dernier profiterait en effet des catastrophes naturelles pour s’immiscer dans des familles en détresse et d’assassiner des familles entières, composées de deux parents, trois enfants et de la grand-mère. La situation devient urgente quand on leur annonce un cyclone de niveau 1, nommé Katrina, se dirige vers la Nouvelle Orléans et va bientôt devenir un des ouragans les plus dévastateurs que les Etats-Unis ont connu.

Il ne faut pas avoir peur de se jeter à corps perdu dans ce pavé de 750 pages, tant on se retrouve rapidement emmené dans ces enquêtes menées par deux génies policiers. Et il n’est pas nécessaire d’avoir lu la trilogie de Betzan pour aborder ce prequel, qui va nous présenter la jeunesse d’Amaia, mais aussi celle de Duprée et l’obsession de ce dernier dans la recherche de jeunes filles disparues en Nouvelle Orléans.

A base d’allers-retours entre présent et passé, entre les deux personnages principaux mais aussi des autres enquêteurs du FBI, Dolores Redondo nous passionne à nous décrire la démarche utilisée, la façon d’utiliser les indices à la disposition des agents du FBI pour essayer de déterminer la psychologie du tueur, et en déduire sa façon d’opérer. On va ainsi passer plus de temps à assister à des brainstormings qu’à une course poursuite effrénée, dans la première partie.

Puis arrive l’ouragan, et le décor change pour devenir un champ de désolation, que l’auteure va nous faire vivre par les yeux d’Amaia, seule personne extérieure (car non américaine) et seule personne choquée par la façon dont les gens sont traités, ou devrais-je dire non secourus. A coté, la façon d’aborder le vaudou dans l’enquête de Duprée parait un peu pâlotte. C’est dans cette deuxième partie que l’on trouve cette phrase extrêmement explicite et que je garderai longtemps en mémoire :

« Des terroristes détruisent le World Trade Center et le pays bascule dans le malheur, mais quand une ville entière à forte population noire disparaît sous l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ? Aurait-on trouvé normal que quatre jours après la destruction des tours jumelles l’aide ne soit toujours pas arrivée ? »

La face nord du cœur, « le lieu le plus désolé du monde », comme l’annonce Dolores Redondo en introduction, se révèle un excellent thriller, irrémédiablement bien construit et original dans sa façon d’aborder une enquête sur un serial killer. En ayant décrit les racines d’Amaia, elle nous donne envie de nous plonger dans la trilogie de Betzan qui va suivre ces événements et publiés antérieurement.

Lady Chevy de John Woods

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Diniz Galhos

L’Ohio semble receler d’un vivier d’auteurs très intéressants et à la clairvoyance remarquable. Il n’y a qu’à se rappeler de Stephen Marklay, Tiffany McDaniel, David Joy, Benjamin Whitmer pour n’en citer que certains. John Woods arrive avec un roman coup de poing, une autopsie de l’Amérique des campagnes, très largement suprémaciste, d’aucuns diraient trumpiste, même si le roman se déroule pendant le gouvernement de Barack Obama.

Subissant les moqueries de ses camarades de classe, Amy Wirkner porte sur son dos le surnom de Lady Chevy, en lien avec son surpoids et son postérieur très large. La fête organisée chez Sadie Schafer regroupe toute sa classe qui va entamer sa dernière année de lycée, avant d’essayer d’obtenir une place en université pour quitter enfin cette petite ville de Barnesville. Paul McCormick et Sadie forment le petit cercle d’amis d’Amy, surtout parce qu’ils se connaissent depuis la petite enfance.

Amy intégrera l’Ohio State University si ses moyennes restent à ce niveau. Elle deviendra vétérinaire, quittera enfin son père, qui a loué ses terres à une entreprise extrayant le gaz de schiste, sa mère qui va se faire baiser tous les soirs par des inconnus, son oncle, ex-soldat, enfermé dans ses théories paranoïaques et suprémacistes, et tous ces imbéciles qui passent leur temps à soigner leur apparence et vomir sur elle. Mais l’université coûte cher, et elle compte sur une bourse et un don de la paroisse.

Brett Hastings représente la loi à Barnesville en tant qu’adjoint du shérif. Il conduit dans le désert, avec comme passager, un homme dont la tête a été recouverte d’un sac poubelle. Randy s’est fait kidnapper parce qu’il est un dealer, parce qu’Hastings veut faire le ménage dans sa ville, à moins qu’il en ait besoin. Il le sort et les deux hommes avancent dans les collines, avant qu’Hastings lui ordonne de s’arrêter. La discussion ne dure pas longtemps et il lui tire une balle dans la tête à travers le sac poubelle.

Toute la ville devient malade, même son frère Stonewall, petit être chétif atteint de saignements et de crises. Tout le monde sait que cela vient des produits qu’ils injectent dans le sol. Paul, ce soir-là, vient voir Amy pour lui demander de l’aide. Il a fabriqué des bombes artisanales pour détruire les installations gazières ; Sauf que leur plan va tourner au drame et Amy va devoir réagir.

John Woods aurait pu donner la parole à Amy, en faire l’unique narratrice ; il a préféré un duo de raconteurs avec Amy et Hastings. Et il ne faut pas prendre ce roman comme un énième roman sur l’adolescence, ou même une simpliste description des campagnes américaines ou encore un pamphlet contre l’extraction du gaz de schiste. Ce serait bien trop réducteur par rapport à ce que John Woods a voulu montrer.

Car dans son premier roman, il a voulu parler de beaucoup de thèmes, et pour cela, il a choisi un personnage féminin hors normes (je ne parle pas de son poids), au sens où il a minutieusement construit sa psychologie. S’il l’a voulue en surpoids, c’est pour montrer une adolescente qui s’est construit un mur contre sa famille, contre ses amis, contre le monde ; et ce mur est tellement haut qu’elle a fini enfermée dans son monde. On la voit ainsi écoutant les autres, regardant les autres, mais ne suivant que son chemin, aidée en cela par une acuité et une intelligence au dessus du troupeau peuplant Barnesville.

Il a voulu aussi son héroïne en prise avec un environnement familial perturbé, mais il n’a pas fait dans la simplicité. Son père d’abord, au chômage, mais responsable, se retrouve obligé de louer ses terres à un processus mortel pour lui et les autres, car c’est sa seule source d’argent. Sa mère ne rêve que de s’enfuir, même s’il ne s’agit que d’une nuit dans les bras d’inconnus.

Enfin, son oncle, que l’auteur a appelé Oncle Tom (quel humour !), apparait comme un homme cultivé, qui est passé par la guerre et qui en a déduit sa propre logique philosophique raciste et s’est donné comme but dans la vie, la sauvegarde de la race blanche. Ces passages, où Amy et Tom discutent en s’entrainant au tir au fusil, sont les plus réussis du livre et font froid dans le dos. Ils apparaissent comme un portrait lucide de l’Amérique contemporaine (et pas que l’Amérique).

Bien sur, on y voit l’église essayer de fédérer cette ville, les riches profiter et les pauvres souffrir, mais on y voit surtout par ces descriptions les campagnes subir les lois des grandes villes, de l’Etat, et le ras-le-bol des politiques (Rappelons nous que ce roman se déroule sous l’ère Obama). On y voit aussi la police, pas plus douée que les gens du cru, à part Hastings, que l’on peut prendre comme un justicier de l’ombre et qui s’avère un assassin qui se débarrasse des gens qui le gênent.

Tout au long du roman, on va se retrouver gêné par ce qui est dit, par la façon dont c’est dit, par les événements qui vont se dérouler. Car on n’y trouve plus de notion de bien ou de mal, la morale n’existe plus, on parle ici de survie ; et pour Tom, il s’agit de survie de la race blanche. Plus que choquant, ce roman est provoquant, poussant toujours le bouchon un peu plus loin, en gardant son ton clairvoyant pour montrer la vérité du terrain, celui que les politiques ne veulent pas voir.

A part quelques passages un peu long où on a l’impression que l’auteur en rajoute, ce roman porté par Amy et Hastings m’a impressionné par ce qu’il montre. J’ai tendance à dire que les auteurs mettent leurs tripes dans leur premier roman, et cela semble être le cas ici, tant John Woods est capable de faire une démonstration éloquente sans jamais juger qui que soit ; au lecteur de se faire sa propre opinion. John Woods a écrit l’autopsie de l’Amérique moderne et il va falloir suivre ses prochains écrits.

Un dernier mot : ne ratez pas la fin, avec quelques retournements de situation qui font que je ne suis pas prêt d’oublier ce roman. Impressionnant !

Le tableau du peintre juif de Benoit Séverac

Editeur : Manufacture de livres

Il doit me rester encore quelques romans à lire de Benoit Séverac. J’ai l’impression que ses romans surpassent ses précédents tant il est capable de nous parler de choses importantes tout en créant des histoires incroyables. Epoustouflant !

12 décembre 1943. Eli et Jeanne Trudel se pressent pour faire leurs bagages ; ils emporteront deux valises et les toiles d’Eli, peintre renommé. Leurs voisins Odette et Gilbert Trudel ont toujours été courtois, connaissant leur statut de juif. Gilbert travaillant à la préfecture, il vient de les prévenir d’une descente de la Gestapo. Eli et sa femme doivent donc fuir en espérant rejoindre l’Espagne.

Stéphane et Irène Milhas ont commencé par tenir un hôtel au centre de Firminy avant d’être obligés de mettre la clé sous la porte. N’écoutant que son esprit d’entrepreneur, Stéphane a créé une entreprise de transport avec trois camions. Mais le mouvement des gilets jaunes et l’incendie d’un camion a sonné le glas de cette nouvelle société. Depuis, Irène est vendeuse dans un magasin, et Stéphane se morfond au chômage.

La tante de Stéphane le contacte. Louise et Etienne sont des gens adorables qui doivent déménager dans un appartement plus petit que leur maison. Pour l’occasion, ils veulent se débarrasser de quelques objets. A cette occasion, ils lui proposent un tableau d’Eli Trudel, que son grand-père a hébergé et qu’il a reçu en remerciement. Pour Irène qui se renseigne, la cote de 100 000 euros du tableau permettrait d’embellir leur quotidien qui s’appauvrit. Stéphane voit dans ce tableau l’occasion de rendre hommage aux actes de bravoure de son grand-père. Il se met en tête de lui obtenir le titre de Juste parmi les Nations.

Benoit Séverac nous concocte ici une incroyable histoire, très détaillée, très documentée, ressemblant à un jeu de pistes. Stéphane n’y connaissant rien, il va franchir petit à petit les étapes lui permettant de faire reconnaitre ses aïeux en tant que Justes. L’auteur va nous raconter comment un ignorant va progresser dans cette quête totalement personnelle (mais j’y reviendrai plus tard).

De Firminy, Stéphane va donc voyager, tenter de retrouver des témoins, traverser la France, se retrouver en Israël, et terminer son voyage en Espagne. Je me demande si l’auteur n’a pas fait le même voyage en parallèle de Stéphane quand il écrivait son roman, tant tout m’a paru d’une véracité prenante. Pendant ce voyage, nous allons non seulement visiter un grand nombre de villes mais aussi en apprendre beaucoup sur les filières de passage de la France en Espagne pour les soldats, les combattants et les juifs. Nous allons même comprendre le rôle qu’occupait Franco pour conserver un semblant de neutralité dans cette guerre. Nous allons aussi découvrir les méandres pour atteindre le statut de Juste et apprendre que de nombreuses personnes cherchent à obtenir ce statut frauduleusement.

Mais ce que j’ai trouvé fascinant, dans ce roman, c’est le personnage principal, Stéphane. A partir du moment où il juge que sa quête est nécessaire, juste, il s’entête, s’obsède jusqu’à être prêt à laisser femme et enfants derrière lui, alors qu’il n’a rien à y gagner. Don Quichotte solitaire, luttant contre des vents plus forts que lui, il va aller au bout de sa mission, alors qu’il se rend bien compte du ridicule de sa situation et des conséquences qu’elles vont entrainer, et qu’il est prêt à assumer.

Pour moi, l’aspect psychologique de ce personnage qui s’entête et va au bout de son voyage est subjuguant, éblouissant, passionnant. On suit avec délectation cet homme qui prend une décision, terrible pour sa famille, s’enferme, apparait buté jusqu’au bout, mais montre une ténacité à toute épreuve sans que rien ne puisse le faire dévier de sa trajectoire. Cette histoire d’un homme qui a tort est un des grands moments de cette rentrée 2022.  

L’affaire de l’île Barbe de Stanislas Petrosky

Editeur : Afitt

Stanislas Petrosky, le créateur de Requiem, ce prêtre exorciste hors du commun se lance dans une nouvelle aventure, celle de nous faire revivre, de façon romancée, l’avènement de la médecine légiste. Une réussite !

En cette année 1881, un corps mutilé a été retrouvé enfermé dans un sac, flottant sur la Saône. Le sac est fermé par du fil de fer, et apporté à la morgue pour être autopsié. La morgue étant logée sur une platte, une barque flottante, cela permet d’empêcher n’importe qui d’entrer. Le professeur Lacassagne, aidé par son aide Ange-Clément Huin reçoivent le colis en compagnie du père Delaigue, le gardien, le docteur Coutagne étant absent.

L’ouverture du sac ne peut se faire sans la présence des policiers Morin et Jacob. Leur surprise est grande quand ils découvrent un corps de femme dont on a coupé les jambes et mutilé le visage. Les hypothèses vont bon train ; certains pensent que le corps a été découpé parce qu’il ne logeait pas dans le sac, d’autres que cela permet de compliquer l’identification de la victime.

Le professeur Lacassagne procède donc à une exposition du corps, afin que les gens puissent venir le voir, et éventuellement reconnaitre la victime. De nombreuses fausses pistes apparaissent alors que le professeur fait un peu mieux connaissance avec son apprenti, d’origine Apache.

On ressent à la lecture tout l’honneur et le respect dont fait montre Stanislas Petrosky envers l’un des pères fondateurs de la médecine légiste moderne. Pour autant, il s’agit bien d’une enquête policière, particulière dans le sens où l’identité de la victime n’a jamais été découverte. L’auteur va donc nous décrire, en le romançant, ce qui s’est passé, tout en insistant sur les quelques idées qu’a proposées le professeur Lacassagne, comme le moulage du corps pour en garder une trace ou même l’utilisation de la photographie qui en est à ses balbutiements.

J’ai adoré cette façon de faire vivre les personnages, et le roman se présente surtout comme une mise en place des personnages. On découvre ainsi un professeur Lacassagne passionné, inventif, mais aussi à l’écoute des autres, doté d’un esprit de déduction hors du commun, psychologue, loyal et humain. Ange-Emmanuel Huin lui nous parait plus mystérieux, puisque nous ne connaitrons que peu de choses de son passé, mais nous aurons la scène occasionnant leur rencontre. On se doute qu’il a réalisé quelques exactions et qu’elles sont la cause de l’inimitié des deux policiers, deux flics véreux et pourris, corrompus et malfaisants. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour initier une série fort prometteuse.

Enfin, je dois ajouter que ce roman bénéficie d’une préface du docteur Bernard Marc expliquant l’importance du professeur Lacassagne et d’une véritable étude en postface, nous présentant le contexte. Je vous conseille fortement celle-ci tant on y apprend beaucoup de choses sur la façon dont les avocats ont trouvé la brèche pour innocenter des coupables et pourquoi il fallait faire évoluer les techniques d’investigation. Le docteur Amos Frappa nous détaille aussi la guerre entre la police de Paris et celle de Lyon, la concurrence acharnée pour ne pas avoir l’air ridicule dans les journaux à faits divers dont le succès allait grandissant. Tout cela est bien passionnant.

Darwyne de Colin Niel

Editeur : Editions du Rouergue

Si je n’ai pas lu tous les romans de Colin Niel, ceux que j’ai manqués m’attendent dans une de mes bibliothèques. Par son titre et par son sujet, je ne pouvais pas rater celui-ci, que l’on aura d’ailleurs du mal à classer du coté du polar, ou même du roman noir. Colin Niel nous propose un voyage en Amazonie, une sorte de retour en Guyane française, pour une histoire dure et passionnante.

A Bois-Sec, au fin fond du bidonville, adossé à la forêt, un petit enfant de dix ans écoute sa mère chanter. Pour lui, ce chant d’amour vaut tous les regards, toutes les attentions, parce qu’elle le dédaigne. Darwyne joue avec des morceaux de bois, bercé par les notes de musique de Yolanda. Le soir, dans leur petit carbet qui fuit de partout, ils dorment chacun dans leur pièce, elle dans la chambre, lui par terre dans la salle.

Quand on frappe à la porte, Darwyne va ouvrir et se retrouve face à un homme grand et costaud. Il a perdu ses illusions depuis longtemps, il sait qu’il s’agit de son nouveau beau-père, le numéro 8, Jhonson. Ce petit garçon déformé, boitillant, subit les moqueries de ses camarades de classe. Mais sa mère, qui n’arrête pas de travailler pour qu’ils puissent vivre, insiste pour qu’il fasse bien ses devoirs, pour qu’il travaille bien et ait une chance de sortir de Bois-Sec.

Mathurine sent peser les années, pas tellement dans son corps, mais dans son esprit de mère qu’elle n’est pas. Jusqu’à maintenant, elle assumait sa volonté de ne pas avoir d’enfant. La quarantaine arrivant, elle s’est résignée à essayer, sans succès jusqu’à présent, la conception in vitro. Assistante sociale, elle prend son travail très au sérieux, suggérant à la justice la meilleure solution pour les cas difficiles qui lui sont soumis.

Elle doit prendre en charge un appel d’urgence, qui malheureusement date de trois semaines. Il s’agirait d’un cas de maltraitance sur le petit Darwyne Massily. Mathurine est habituée à voir des cas difficiles et sait les conditions de vie dans le bidonville. Plutôt que de se précipiter, elle préfère convoquer la mère, Yolanda, qui va se présenter avec Jhonson mais sans Darwyne.

Dès les premières lignes, Colin Niel nous plonge dans un autre monde, avec beaucoup de distance, de respect, instillant de ci, de là, les détails qui nous font toucher du doigt la réalité de la vie dans les bidonvilles. Et nous allons accompagner les deux personnages principaux dans leur visite tout au long de cette histoire dure et noire.

Nous découvrons Darwine, petit garçon handicapé par des malformations, victime des moqueries et insultes des autres, qui ne se sent bien que dans la jungle environnante, et fou d’amour pour sa mère. Yolanda, de son coté, fait vivre sa famille en revendant des articles achetés au marché en ville et des plats cuisinés par elle-même. Autant elle est fière de sa fille qui s’est trouvé un travail et un mari, autant Darwyne lui fait honte, le traitant de « petit pian », considérant qu’il ne vaut pas mieux qu’un singe.

Mathurine de son coté, donne tout à son travail, poussée par un désir de justice et de volonté de trouver la meilleure solution pour ces enfants maltraités. Elle doit aussi gérer son désir de devenir mère avec déjà trois échecs et veut faire une dernière tentative. Elle va tenter l’impossible pour établir un contact avec Darwyne, ne se doutant pas de ce qu’il subit chez lui.

Les autres personnages de ce livre sont loin de faire figure de tapisserie. Jhonson apparait comme un homme sérieux et travailleur, fou amoureux de Yolanda comme les précédents beaux-pères d’ailleurs. Nous souffrons avec lui quand il est obligé de tailler les arbres et les herbes qui chaque jour, progressent sur le terrain sans arrêt, ou quand il doit tenter de réparer le toit de tôle troué.

Petit à petit, cette histoire dramatique va s’agencer et progresser dans un contexte difficile, inhumain, et faire place à un drame terrible d’amour impossible. Il devient de plus en plus difficile de voir Darwyne éprouver cet amour unilatéral et exclusif alors que sa mère le déteste. L’attitude de Mathurine est elle exemplaire et nous laisse croire à un espoir impossible dans cet enfer vert, dans cette histoire noire. Et la volonté de l’auteur de rester en retrait, de rester factuel, permet de laisser fuser derrière ces lignes tout un flot d’émotions sur l’amour maternel et l’amour filial. Quel roman !

Black’s Creek de Sam Millar

Editeur : Le Beau jardin

Traducteur : Patrick Raynal

Pour ceux qui connaissent Sam Millar, cet incontournable auteur irlandais de romans noirs, Black’s Creek va les surprendre. Il nous permet de découvrir une autre facette de cet auteur à travers une intrigue impeccablement construite.

Tommy Henderson se rappelle cet été de son adolescence, alors qu’il est en train de lire un article faisant mention d’un drame survenu dans la petite ville de Black’s Creek. Il se rappelle qu’il passait tous ses après-midis avec ses deux amis, Brent Fleming et Horseshoe, à discuter des performances des super-héros tels que Hulk ou les quatre fantastiques, allongés au soleil au bord du lac.

Tommy se rappelle quand Joey Maxwell, un adolescent de leur âge, le fils du gardien de la prison, s’est approché et a commencé à entrer dans le lac, s’est dirigé vers le large. Il se rappelle que Brent, Horseshoe et lui l’ont encouragé à aller plus loin, pour plaisanter, avant de le voir se noyer. Tommy a plongé pour le secourir mais Joey s’était attaché avec les menottes de son père à une épave de voiture au fond du lac.

Grâce à sa tentative de sauvetage, Tommy est passé pour un héros local. Mais cet événement a irrémédiablement marqué les trois amis, qui furent persuadés que Norman Armstrong, le caissier du cinéma, en était le responsable et coupable. Armstrong, surnommé Not normal à cause de son allure, subissait des accusations de pédophilie dont les garçons ont entendu parler.

Tommy étant le fils du shérif, il était au courant de l’avancement de l’enquête lors des repas en famille. Il s’était rendu compte du fossé séparant la police et la justice. Partageant son désaccord avec ses deux amis, ils se sont unis par un serment de sang de venger Joey en récupérant une arme pour au moins tirer une balle dans les couilles de Not Normal. Ils avaient alors bâti un plan.

Dès que l’on a affaire à un roman portant sur une histoire d’un groupes d’adolescent, on pense naturellement à Stephen King et sa novella Le corps (The body) adapté en film sous le titre Stand by me. Depuis, de nombreux romans ont fouillé les relations entre amis lors du passage à l’âge adulte avec plus ou moins de réussite. Black’s Creek, disons-le d’emblée, est à placer en haut du panier.

Après un prologue qui nous permet de faire connaissance avec Tommy et de positionner le mystère de l’intrigue, nous voilà projetés trente ans en arrière, quand nos trois adolescents passaient des vacances insouciantes. Et sans effectuer de longues descriptions, la magie et le talent de Sam Millar opèrent comme si nous avions toujours connu Brent le chef, Horseshoe le craintif et Tommy le modérateur du groupe.

Avec Tommy, nous allons vivre le passage dans le monde adulte, fait de règles absconses, mais aussi la difficulté du métier de policier, la façon innocente que peut avoir un enfant de la justice et par voie de conséquence l’injustice qui en résulte quand un coupable est défendu par un bon avocat et acquitté. On va aussi être confronté à des éducations différentes, aux aprioris envers les gens qui nous pourrissent la vie et nous aveuglent. On va aussi connaitre avec Tommy son premier amour. On va surtout vivre une histoire dramatique, noire, tellement bien racontée qu’elle pourrait être vraie.

Tommy étant le narrateur, le roman bénéficie pleinement de l’objectivité de son regard, et de l’évolution de sa psychologie. En particulier, la façon de montrer son évolution, ses relations avec sa mère, autoritaire et son père, qu’il voit comme le seul apte à débloquer la situation, est tout simplement fascinante. J’ai ressenti une très agréable sensation lors de la lecture de ce roman, celle que chaque personnage faisait progresser l’intrigue et non l’inverse, ce qui ajoute au plaisir et donne une véracité à cette histoire.

Enfin, il faut bien le dire, Sam Millar déploie tout son talent d’écriture, cette façon de tout décrire sans en rajouter, d’atteindre une efficacité parfaite, tant dans le contexte, les décors, les psychologies. A cela, s’ajoute le don d’écrire des dialogues savoureux, humoristiques quand il le faut, plein de tension à certains moments, expressifs en juste quelques mots. Je vous le disais précédemment, ce roman se place tout en haut du panier, une pépite noire illustrant le passage à l’âge adulte dans un environnement rural.

Harry Bosch 6 : L’envol des anges de Michael Connelly

Editeur : Points

Traducteur : Jean Esch

Après Les égouts de Los Angeles, La glace noire, La Blonde en béton, Le dernier coyote, et Le cadavre dans la Rolls, voici la sixième enquête de Hieronymus Bosch, dit Harry, qui va nous évoquer les émeutes de Los Angeles et les problèmes de racisme dans la police.

C’est un appel du chef adjoint Irvin Irving qui surprend Harry Bosch alors qu’il se réveille avec l’espoir de voir sa femme Eleanor Wish. Il est convoqué au funiculaire Angel’s flight (d’où le titre francisé du roman) pour un double meurtre, qui ne se situe pas dans sa zone d’intervention. Il est soulagé au moins de ne pas voir reçu de mauvaises nouvelles concernant sa femme. Il demande immédiatement à son équipe Kizmin Rider et Jerry Edgar de le rejoindre sur place.

Sur place, toutes les équipes de police sont déjà présentes. Irving présente la situation à Bosch : les deux victimes sont Catalina Parez, une femme de ménage et Howard Elias le célèbre avocat qui s’est spécialisé dans les procès opposant les afro-américains à la police de Los Angeles. Pour éviter de mettre de l’huile sur le feu, Irving veut que Bosch se charge de cette enquête, étant d’un autre district, ce qui permettra de montrer à l’opinion publique une forme d’impartialité dans l’enquête.

En effet, depuis l’affaire Rodney King, de nombreuses émeutes ont vu le jour dès qu’une affaire louche concernant la police apparait. En étudiant la scène de crime, Bosch s’aperçoit que la balle mortelle qui a atteint Howard Elias a traversé sa main avant de se loger dans sa tête ; l’œuvre d’un excellent tireur. Mais que venait faire cet avocat dans ce funiculaire si loin de son bureau, si tard, alors qu’il était attendu pour l’affaire du Black Warrior ?

Avec ce roman, Michael Connelly trouve son rythme de croisière, et étale son talent pour mettre en place une intrigue qui part d’une scène de meurtre, nous dévoile les dessous de l’affaire, nous fait suivre beaucoup de pistes avant de nous surprendre à la fin par un dénouement surprenant bien qu’il s’avère totalement logique. Nous avons donc à faire à un polar haut de gamme.

Toutes les qualités du roman policier se retrouvent dans ce roman, des chapitres plus courts que dans les tomes précédents, une précision dans le déroulement et les méthodes policières utilisées, une psychologie de tous les personnages impeccable, et un équilibre entre l’enquête et la vie privée de Bosch parfait. Avec tous ses rebondissements et ses différentes pistes, ce roman est un pur plaisir de lecture.

Michael Connelly colle aussi à une actualité brûlante qui est toujours d’actualité aujourd’hui. Il montre comment la police suit une justice à deux vitesse en fonction de la couleur de la peau, comment ils peuvent arranger les preuves pour accuser des innocents, comment les différents services se font une guerre interne, combien sont importantes les conférences de presse où on s’arrange avec la vérité, tout cela pour éviter un embrasement d’un contexte social déjà chaud. Angel’s flight est un des romans majeurs du cycle Harry Bosch.

Tant qu’il y a de l’amour de Sandrine Cohen

Editeur : Editions du Caïman

Auréolée du Grand Prix de la Littérature Policière pour Rosine, une criminelle ordinaire, qui était son premier roman, Sandrine Cohen nous revient avec un deuxième roman qui comporte la même fougue et la même charge émotionnelle. Un roman fort, bouleversant.

Dans un pavillon de Saint Denis, Suzanne élève ses quatre enfants qu’elle a eus de quatre pères différents. Avec son salaire de caissière de supermarché, les fins de mois sont difficiles. Heureusement Achille, l’ainé de 17 ans, joue l’homme de la maison auprès des petits. Suzanne mène sa troupe comme un capitaine de frégate face aux soubresauts de la tempête. Elle a voulu son foyer comme un cocon contre les agressions extérieures, où la bonne humeur est reine. D’ailleurs les enfants se nomment eux-mêmes « Les trois mousquetaires », unis comme les doigts de la main, à la vie, à la mort, Achille, Jules, Arthur et Mathilde.

Suzanne aime les gens, tout le monde mais pas le monde. Elle est capable de tomber amoureuse d’un regard, ce qui explique tous ses enfants. Suzanne est née début novembre, comme Mathilde. Comme c’est un mois triste, on fêtera celui de Mathilde le 18 juin. Son dernier amour en date, Ismaël ne donne pas de nouvelles, ne lui a pas souhaité son anniversaire, alors inquiète, elle demande aux enfants de scruter son profil sur un réseau social. Mais Jules reste penché sur son jeu de Smartphone, Arthur s’acharne sur son devoir d’école tandis que Mathilde rayonne au milieu de cette joyeuse troupe.

Malgré les mauvaises nouvelles serinées par BFMTV, toute la famille décide de mettre de la musique et danse, avant d’aller se coucher. Mathilde a peur de dormir toute seule, la faute à son père violent Toni, tout juste sorti de prison, Mathilde que le clan protègera envers en contre tous. Jules lui, vient de recevoir une nouvelle promesse de son père Clément, un week-end à Eurodisney, à laquelle il croit mais qui n’aura jamais lieu.

Le lendemain, les enfants vont à l’école et Suzanne a décidé que cette journée serait belle. A ce moment, elle reçoit un texto d’Ismaël, son dernier amour en date. Il s’excuse de son silence, de son absence, et passe la voir. Il lui fêtera son anniversaire samedi prochain. Mais pour cette famille qui vit positivement, le monde va s’acharner à coups de mauvaises nouvelles, à commencer par les attentats du 13 novembre, puis l’absence d‘Ismaël. Suzanne va en finir avec ce monde et les enfants vont devoir trouver des solutions pour que Mathilde ne retourne pas auprès de son père.

Bien que ce ne s’agisse pas à proprement parler d’un polar, on retrouve dans ce roman toute la fougue, la verve, le rythme et le ton que l’on avait apprécié dans Rosine, une criminelle ordinaire. Sandrine Cohen y ajoute une passion, celle de conter l’histoire de cette famille hors du commun, que l’on pourrait juger, vu de l’extérieur, comme irresponsable. Seulement, à force de montrer chaque enfant vivre, Suzanne en capitaine de l’équipe, on arrive à croire à ce groupe. Mieux même on va vivre avec eux.

Cette magie, ce pari hautement relevé, se réalise non seulement grâce aux personnages bigrement réels (à tel point que je me suis demandé si Sandrine Cohen ne connaissait pas une telle famille), mais aussi à ces situations et à ces dialogues savoureux et d’une véracité incroyable. On se prend d’affection pour ce groupe, tous un par un, du plus grand au plus petit et même pour ceux qui gravitent autour, Clément, Ismaël et l’autre Mathilde.

Ces trois mousquetaires, protégés du monde extérieur grâce à la force insufflée par Suzanne, va tout de même devoir faire avec les règles et leur injustice, les lois et leur rigidité, car il s’agit pour eux d’une question de survie. Sandrine Cohen pointe l’absence de compréhension, le refus de chercher à comprendre les gens différents de la normalité, la facilité d’appliquer à la lettre des règlements qui ne s’appliquent pas à des cas particuliers.

Elle nous montre aussi dans ce très beau roman, qu’il reste encore une place pour le bonheur, qu’il réside peut-être juste dans une soirée crêpes, qu’il suffit de regarder jouer un enfant, ou bien de mettre un morceau de musique pour se mettre à danser, qu’il faudrait retrouver notre âme d’enfant pour que ce monde devienne un peu meilleur, un peu moins cruel et un peu moins injuste.

Malgré les informations qui tentent de ruiner le moral de cette troupe, la télévision branchée sur BFMTV (Syrie, les disparitions d’enfants, les journalistes, les experts autoproclamés …) pour nous rappeler les malheurs du monde, Sandrine Cohen, à travers ses personnages parsème son intrigue de morceaux de musique (dont Suzanne de Leonard Cohen, bien sûr), qui sont autant de bouffées d’air au milieu de la mélasse. Ce roman, c’est juste un écrin fragile, qu’il faut lire et relire pour retrouver le sourire, un souffle de renouveau, un appel à regarder le monde autrement même si la fin nécessite quelques mouchoirs. Magnifique deuxième roman !

Je vous signale que Rosine sort le 14 septembre chez J’ai lu et que cette une lecture immanquable :