Le chouchou du mois d’octobre 2022

Après un mois de septembre plus qu’enthousiasmant, nous voici à la fin d’un mois d’octobre du même tonneau. Et je ne peux m’empêcher de commencer par un coup de cœur, le meilleur roman que j’ai lu cette année parmi les 110 livres que j’ai à mon compteur.

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand (Aux Forges de Vulcain) est en effet un roman incroyable, à tel point que je l’ai lu deux fois tant j’y ai pris du plaisir. Cette histoire d’amour dans un contexte d’après première guerre mondiale se révèle remarquable par la simplicité du style, par la magie qui découle de ces phrases parfaites, et nous transporte dans un autre monde. Outre le fait que ce soit un coup de cœur pour moi, ce roman représente pour moi toute la force d’évocation dont est capable la littérature. Epoustouflant.

Je suis lassé par la guerre entre la littérature dite blanche et la soi-disant noire. En refaisant la liste de mes billets, la moitié d’entre eux sont classés dans les rayons dits « fréquentables » alors qu’ils pourraient très bien intervertir leur position. Ainsi dans les rayons « blancs », vous trouverez :

L’Homme peuplé de Franck Bouysse (Albin Michel) donne l’impression que l’auteur écrit toujours la même histoire avec les mêmes personnages dans un même décor. Il n’empêche qu’en abordant le thème de l’inspiration d’un auteur, il faut bien avouer qu’il est aujourd’hui le seul poète contemporain à savoir nous emmener dans son monde et nous époustoufler par sa vision du monde.

On était des loups de Sandrine Collette (Jean-Claude Lattès) nous transporte dans un pays non nommé, dans une nature hostile, où un père doit voyager avec son jeune fils, qu’il voit comme un poids inutile. Revenant à plus de simplicité, prenant la voix du narrateur, ce roman de Sandrine Collette confirme son talent dans ce roman dur et prenant.

Dalva de Jim Harrisson (10/18) : mon oldies du mois consiste à lire un classique de la littérature américaine, une biographie d’une jeune amérindienne et de sa famille qui permet à l’auteur de visiter l’histoire des Etats-Unis. Un classique !

Les corps solides de Joseph Incardona (Finitude) nous épate encore avec cette mère élevant son fils adolescent qui va participer à un jeu télévisé débile. Joseph Incardona profite de l’occasion donnée par son histoire pour aborder les magouilles politiques et établit un constat navrant sur le petit écran. Une grande réussite.

Au rayon « noir », commençons par du pur divertissement avec La maison de la pieuvre de Serge Brussolo (H&O éditions). Outre qu’il est un auteur prolifique, Serge Brussolo est aussi un formidable conteur qui nous concocte de belles intrigues qui nous réservent plein de surprises. Dans ce roman, on ne peut pas prévoir ce qui va se passer et c’est tant mieux !

Le tailleur gris d’Andrea Camilleri (Points), roman orphelin du créateur du commissaire Montabalno, nous parle toute en finesse et subtilité d’un retraité en proie à la jalousie envers sa femme plus jeune que lui. Du pur plaisir !

Une vérité changeante de Gianrico Carofiglio (Slatkine & Cie) est sorti après L’été froid alors qu’il s’agit du premier tome de cette nouvelle série mettant en valeur le maréchal Pietro Fenoglio. Nous avons donc droit à une enquête simple, qui nous présente les différents intervenants futurs, où l’on ne peut que louer l’efficacité de l’auteur.

L’inspecteur Dalil à Beyrouth de Soufiane Chakkouche (Jigal), la deuxième enquête de Dalil confirme tout le bien que je pense de cet auteur, capable de conserver un recul en toute situation et de parsemer son intrigue de pointes d’humour bienvenues.

Le rouge et le vert de Jean-Bernard Pouy (Gallimard Folio) peut se compter parmi ces romans étranges mais remarquables. Ici, le narrateur doit lui-même chercher l’objet de son enquête et Jean-Bernard Pouy en profite pour égratigner la société et ses travers.

Le coup tordu de Bill Pronzini (Gallimard Série noire) est la première enquête du détective sans nom, Nameless. Si celle-ci est classique, j’ai été surpris et séduit par la grande qualité littéraire de ce roman.

Le titre du chouchou du mois revient donc à La femme du deuxième étage de Jurica Pavicic (Agullo). Après le formidable L’eau rouge, Jurica Pavicic nous présente de formidables portraits de femmes, une galerie de différentes générations, et un témoignage de l’évolution de la Croatie. Le roman se clôt sur une scène magnifique et laisse un goût amer, même si on ne ressent aucune sympathie envers le personnage principal.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

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Le rouge et le vert de Jean-Bernard Pouy

Editeur : Gallimard Folio

Rien de tel qu’un roman de Jean-Bernard Pouy pour se redonner le sourire, même si dans le cas présent, il peut sembler décousu.

Adrien, surnommé Averell par sa compagne Violette, a l’inconvénient d’être daltonien et l’avantage d’être un nez. Cela lui permet de travailler en indépendant auprès des grands créateurs de parfum et d’avoir du temps libre, beaucoup de temps libre, pour apprécier les romans noirs, dont il est friand et d’observer notre monde.

Violette est invitée chez son responsable, Bernard, chercheur en sociologie au CNRS, pour un diner. Adrien sait qu’il ne doit pas faire d’impair, mais devant l’attitude hautaine et bavarde du maître de maison, il intervient et répond du tac au tac. Il s’invente orphelin puis riche héritier par pure provocation.

La discussion vire bientôt sur les romans d’enquête, seuls romans ouverts sur le monde, et Bernard le prend au mot. Il est prêt à l’embaucher afin qu’il enquête. La seule contrainte, c’est qu’Adrien devra trouver le sujet de son enquête. Le provocateur provoqué va se lancer à corps perdu dans la recherche d’une intrigue qui n’existe pas.

Avez-vous déjà lu un polar, un roman à enquête, sans meurtre, sans suspense, sans mystère ? c’est le pari relevé par Jean-Bernard Pouy, qui nous a habitué à ces romans sortis de nulle part. Ce sera l’occasion pour l’auteur de nous montrer l’importance d’observer les gens, pour mieux les comprendre.

Sans en avoir l’air, il construit donc un microcosme autour du « nez », et lui laisse la parole pour nous parler du temps, des informations, du monde mais surtout des gens, leurs habitudes, leurs travers mais aussi leurs qualités. D’un hommage pour le roman noir, il en tire une leçon de vie, provoquant parfois, critiquant souvent mais surtout montrant un esprit d’ouverture plein de bon sens.

Libéré d’une intrigue toute faite, mathématiquement construite, il nous bouscule avec humour dans ce récit débridé, provocateur comme son personnage, mais aussi questionneur sans donner de leçons. A force de courir sans savoir sa destination, le monde tourne de moins en moins rond et c’est peut-être bien la leçon à retenir de cette fable, à déguster pour peu que l’on apprécie les récits décousus.

L’inspecteur Dalil à Beyrouth de Soufiane Chakkouche

Editeur : Jigal

La première enquête de L’inspecteur Dalil à Paris m’avait enthousiasmé, par son ton léger, décalé et sa vision de la France par une personne extérieure. Lire la suite me paraissait donc logique.

Alors que l’inspecteur Dalil revient enfin à Casablanca pour profiter de sa retraite, il est convoqué par le ministre de l’intérieur pour une mission risquée. Une célèbre chanteuse marocaine Nejma Anouar a été retrouvée égorgée dans sa chambre d’hôtel. Officiellement, il doit participer à l’enquête et assister la police libanaise. Officieusement, la situation est beaucoup plus complexe mais c’est bien connu : Dalil sait tout faire.

L’inspecteur Dalil est donc chargé d’identifier le lieu de stockage de missiles iraniens qui pourraient servir à un groupe terroriste algérien dans le cadre de la guérilla au Sahara occidental. Ces missiles seraient détenus par le Hezbollah aux alentours de Beyrouth, mais beaucoup de gens lorgnent sur ces armes. Si l’inspecteur Dalil n’est pas couvert pour cette opération, on lui assure le soutien d’un espion sur place.

En arrivant à son hôtel, le même que celui où a eu lieu le meurtre de la chanteuse, l’inspecteur Dalil est agréablement surpris de rencontrer son contact. Et, en fait d’espion, il s’agit d’une espionne. Nabila, dite La Chatte, l’interpelle au bar de l’hôtel et l’inspecteur Dalil est surpris d’avoir affaire à une égyptienne. Les surprises ne s’arrêtent pas là quand il est kidnappé par le terroriste Abou Jâafar, qui cherche aussi ces missiles.

Même si je ne suis pas un grand fan des romans d’espionnage, j’ai entamé ce roman sans grande appréhension. La première enquête de l’inspecteur Dalil m’avait tellement plu, m’avait tellement rire et sourire que je me suis demandé si j’allais retrouver le plaisir que j’y avais trouvé. Et puis, ce sexagénaire accompagné de la Petite Voix dans sa tête devenait forcément attachant. Eh bien, rassurez-vous, avec cette deuxième enquête, Soufiane Chakkouche passe le cap du deuxième roman avec la mention Très Bien.

Même si on peut douter de la crédibilité de l’intrigue, l’intérêt repose surtout sur le personnage de l’inspecteur Dalil, capable tel un poisson de se faufiler entre les nombreux écueils positionnés sur sa route. Et on s’aperçoit vite qu’il s’avère bien difficile pour un poisson de survivre dans un panier de crabes. Sa trajectoire, la façon dont il va mener son enquête et ses recherches, lui appartiennent ; il donne l’impression de se laisser mener par les événements, de subir la situation, ce qui est contredit au fur et à mesure de roman. Ce qui montre la grande qualité de la construction de cette intrigue.

Enfin, je retrouve dans ce roman toute la dérision, l’humour fin de l’auteur, qu’il parsème tout au long de ces pages. Même si le sujet peut sembler sérieux, l’auteur garde toujours la petite distance, place la petite remarque ou la pensée de la Petite Voix, pour désamorcer tout risque de se prendre au sérieux. La nonchalance de l’inspecteur Dalil, son regard poétique ou décalé (je n’ai jamais lu un passage aussi drôle et décalé sur une allumette que l’on allume et que l’on laisse tomber parterre), vont donc vous faire passer un excellent moment où chaque paragraphe vous fera sourire, et où même la fin vous stressera.

Les corps solides de Joseph Incardona

Editeur : Finitude

Mais où s’arrêtera-t-il ? Joseph Incardona est probablement le seul auteur à savoir me surprendre à chacun de ses romans, le seul aussi à me donner à chaque fois un plaisir sans cesse renouvelé.

Anna essaie de s’en sortir avec son adolescent Leo. Elle achète ses poulets dans une ferme bio du coin, et a aménagé une camionnette en rôtisserie pour arpenter les marchés du coin. Un soir, elle heurte un sanglier sur la route et échappe de peu au feu qui se déclenche et détruit son outil de travail. Cet événement représente le premier grain de sable dans un engrenage fragile.

Leo, naturellement doué pour le surf, doit s’entrainer avec une planche qui a vieilli. Mais il doit aussi subir le harcèlement d’élèves de son collège. Alors que l’assurance refuse de rembourser la camionnette, Anna se retrouve en difficulté pour faire vivre ou survivre sa famille. L’annonce d’un nouveau jeu télévisé permettant de gagner une voiture d’un montant de 50 000 euros peut changer la donne.

Dans les hautes sphères, l’idée d’un nouveau jeu fait son chemin. Le but du jeu est simplissime, vingt candidats devront toucher le fleuron de la gamme française jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Ce jeu cache aussi d’autres objectifs, tels relancer le constructeur au losange, replacer la première chaine au sommet des audiences mais aussi donner de l’espoir au petit peuple.

Après Le formidable Soustraction des possibles, dont l’intrigue était implantée parmi les cadres de la finance internationale, Joseph Incardona nous propose un roman parmi les pauvres gens, ceux qui luttent tous les jours pour trouver assez d’argent pour passer la journée. Pour eux, le moindre événement peut avoir des conséquences catastrophiques, ce qu’il nous démontre dans la première partie, en grossissant un peu le trait.

La deuxième partie va s’intéresser au jeu proprement dit, en élargissant le scope, et cela en devient jouissif. De la réalité du terrain, on passe à une gigantesque manipulation des masses, pour occuper le peuple (la chaine de télévision cherche à améliorer ses audiences), pour relancer l’industrie automobile (le constructeur veut redorer son image) et pour assurer un calme social (jusqu’au plus haut niveau de l’état). Dans ce contexte, il est évident qu’il devient nécessaire d’adapter les règles du jeu pour favoriser le bon poulain.

Car les participants à ce jeu ne sont rien d’autres que des animaux que l’on veut faire courir plus vite au nom du spectacle. Et ce sujet a déjà été abordé par Joseph Incardona, dans Trash Circus (description d’un présentateur de télé-réalité) ou bien Chaleur (un concours extrême de sauna). Ici, nous nous retrouvons avec un sujet plus proche de On achève bien les chevaux d’Horace McCoy, sa version modernisée, actualisée dans notre monde d’aujourd’hui.

Et Joseph Incardona insiste bien sur notre monde de jeux à outrance, en n’exagérant pas son propos. Il suffit de regarder les programmes télévisés actuels, leur propension à aller toujours plus loin dans l’horreur, cette façon de désincarner l’humain pour le transformer en simple jouet. Comment avons-nous pu transformer ce formidable outil potentiel de culture et d’éducation en un tel balai à chiottes ?

Sans jamais juger aucun de ses protagonistes, Joseph Incardona se contente d’être le questionneur en chef d’une intrigue qu’il a créé pour poser des questions à ses lecteurs. A la fois émotionnel et terriblement factuel, il n’en rajoute pas dans le pathos, ni dans le démonstratif, et présente cette intrigue avec juste ce qu’il faut de recul pour nous frapper en plein abdomen. Très fort !

Le tailleur gris d’Andrea Camilleri

Editeur : Métailié (Grand Format) ; Points (Format poche)

Traducteur : Serge Quadruppani

A coté des enquêtes du célèbre commissaire Montalbano, le regretté Andrea Camilleri nous offre par moments des romans orphelins. Celui-ci se présente comme un roman intimiste sur le doute et la confiance.

Un banquier quinquagénaire, veuf depuis dix ans, se retrouve à la retraite et passe d’une vie professionnelle chargée à une activité quasi-nulle. Il a rencontré Adèle, lors de la mort de son mari, habillée de son impeccable tailleur gris et en est tombé amoureux. Puis ils se sont mariés, malgré leurs 25 années de différence. Ajouté à sa beauté renversante, le banquier a pu apprécier l’appétit sexuel d’Adèle.

Puis, avec sa retraite, ils ont commencé à faire chambre à part. Tout juste pouvait-il assister à Adèle en train de s’habiller. Pour lui, cela ne fait aucun doute, Adèle le trompe. Pourtant, Adèle semble débordée par toutes ses activités, faisant partie de nombreux comités. D’ailleurs, grâce à son manque d’activité, il arrive à la suivre et la découvre au bras d’un jeune homme sportif, devant un motel miséreux.

Alors qu’il est contacté par le fils d’une connaissance pour tenir un poste de direction dans une entreprise douteuse, probablement en lien avec la mafia, il se demande si Adèle n’a pas œuvré en douce pour qu’il obtienne cet emploi. Se pose pour lui la question de l’infidélité de sa femme, de l’utilité de continuer son activité professionnelle, et d’un problème de santé qui vient de se déclarer.

Il s’agit ici d’un roman introspectif, dont le personnage central est notre banquier, à l’aube d’une nouvelle vie. Et qui dit nouvelle vie, dit décision à prendre quant à la suite à donner à sa vie. Nous assistons donc aux questionnements de notre retraité confronté à des choix cornéliens difficiles à prendre.

Sachant qu’il ne pourra pas se séparer de sa femme, car il n’envisage pas de vivre seul, il est assailli de doutes qui lui posent plus de questions qu’ils ne lui apportent de réponses. Nous le suivons dans cette narration au rythme lent tout en éprouvant pour lui de l’affection et même de la pitié.

Comme la narration se fait du point de vue du retraité, donc nous ne connaitrons pas le nom, les questions qu’il se pose vont se multiplier sans que nous ayons toutes les réponses. Mais ce roman est une formidable démonstration sur la vieillesse, sur la confiance, la jalousie et la difficulté de prendre des décisions fortes. Et même si ce roman est court, on n’est pas prêt de l’oublier.

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

Editeur : Aux Forges de Vulcain

Attention, coup de cœur !

N’ayant jamais lu de roman de Gilles marchand, j’ai été surpris, très agréablement surpris par ce roman dont tant de collègues blogueurs ont parlé comme étant une des pépites de cette rentrée littéraire.

A l’amorce de la déclaration de guerre de 1914, le narrateur s’est empressé de s’engager pour aller combattre les ennemis d’outre-Rhin, et d’aller leur reprendre l’Alsace et la Lorraine. Personne ne s’attendait à ce que le conflit dure aussi longtemps, ni que cela se transforme en une telle boucherie. Pour le narrateur, sa guerre n’aura duré que quelques mois, après qu’il eut perdu une main lors de l’explosion d’un obus.

Il tient donc à démontrer à la société que malgré son handicap, il peut encore servir. Il s’oriente donc dans la recherche de disparus ou la réhabilitation de fusillés pour l’exemple. Cela le conduit à mener des enquêtes bien souvent compliquées, parcourant dans un premier temps le champ de bataille puis les hôpitaux ou bien les services administratifs de l’Armée, pour un salaire de misère.

Il revient sur l’affaire sur laquelle il aura passé le plus de temps. En 1925, madame Joplain le contacte, persuadée que son fils Emile est toujours vivant. Durant son enquête, il découvre Emile, jeune bourgeois issu d’une famille aisée et s’aperçoit qu’il s’est fiancé avec Lucie, une jeune alsacienne moins argentée. Notre enquêteur va donc découvrir une formidable histoire d’amour dans un contexte dramatique.

Quelle histoire ! Quel roman ! Quelle découverte ! je me suis lancé dans cette histoire sur la foi des billets que j’ai lus, et je l’ai avalé d’une traite. Cette histoire d’amour, plongée en plein milieu de l’horreur, racontée par un conteur qui sait faire ressentir ce qu’il vit, qui sait faire passer des messages, raconter des anecdotes qui rendent cette histoire vraie, vivante, prenante, immersive.

Après avoir tourné la dernière page, plusieurs impressions m’ont traversé l’esprit, à tel point que j’ai relu dans la foulée ce roman une deuxième fois. Cela ne m’était jamais arrivé, mais je voulais comprendre, mettre le doigt sur ce qui m’a emporté. Pour moi, tout tient dans cette faculté à écrire une sorte de témoignage avec moultes anecdotes finement placées, une vue subjective de la part du narrateur qui, par le fait que le déroulement ne soit pas linéaire, ajoute à la véracité du récit.

On apprécie d’autant plus ce roman, mené comme une course à énigmes, qu’il en dit beaucoup en 200 pages. Gilles Marchand vous ainsi nous faire visiter le front et les conditions inhumaines des soldats, mais aussi le travail des médecins et des infirmières ou même la vie loin de la guerre. Il aborde aussi la lutte des classes, le sort des Alsaciens qui passèrent de Français à Allemand en subissant la méfiance des deux camps. Mais il en ressort aussi et surtout l’absurdité de cette guerre, ce qui en fait un plaidoyer antimilitariste.

Soutenu par une histoire magnifique, histoire d’amour dramatique agrémentée de légendes de la Fille de la Lune, l’auteur passe de descriptions courtes et horriblement évocatrices à de la pure poésie ; De l’art d’adapter son style à son histoire. Tant de blogueurs ont chanté les louanges de ce roman ; ils ont raison, ce roman fait partie des incontournables lectures de cette rentrée littéraire 2022, un roman juste magnifique.

Coup de cœur, je vous dis !

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

Le coup tordu de Bill Pronzini

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Michel Deutsch

Bill Pronzini est un auteur prolifique que je n’avais lu, alors qu’il a abordé tous les genres. Le coup tordu est donc une découverte pour moi.

Le détective privé narrateur de cette histoire a rendez-vous à Tamarack Drive, dans une riche propriété. Peu habitué à ce luxe, il admire le jardin impeccable et la résidence imposante. Il a rendez-vous avec M.Martinetti et est accueilli par son secrétaire particulier Dean Proxmire.

En entrant, il s’aperçoit que Louis Martinetti est accompagné d’Allan Channing. Les deux hommes ont fait fortune grâce à de gros investissements, Martinetti se fiant à son instinct, plus tête brûlée alors que Channing préfère les placements sûrs. Les deux hommes vont lui présenter la mission qu’ils vont lui confier.

Le matin-même, un dénommé M.Edmonds s’est présenté à l’académie militaire Sandhurst avec une lettre demandant à ce que le jeune Gary Martinetti lui soit confié. Quelques heures plus tard, une rançon de 300 000 dollars était demandée. Martinetti va lui confier la tâche d’amener la somme d’argent aux ravisseurs. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu …

Ce roman est le premier de la série du « Nameless », le détective sans nom. Dès les premières pages, j’ai été agréablement surpris par la fluidité du style mais aussi de la grande qualité de la traduction. On peut aussi rapprocher ce roman de la veine behavioriste, puisque la psychologie des personnages est définie par leurs actes.

Nameless, en bon détective privé, va s’attacher aux détails, on le trouve d’emblée pointilleux dans sa façon de regarder les décors, d’analyser les réactions de ses interlocuteurs. Se portant bien, pour ne pas dire obèse, il a passé 15 années dans la police avant de travailler à son compte. Bill Pronzini prend à rebours les codes de l’époque, avec un détective ni alcoolique, ni déprimé.

Bien que l’intrigue soit d’une simplicité extrême, ce roman nous fait passer un très agréable moment et nous réserve une fin bien surprenante. Et je dois remercier mon ami du sud qui m’a donné ce roman, il se reconnaitra.

Une vérité changeante de Gianrico Carofiglio

Editeur : Slatkine & Cie

Traducteur : Elsa Damien

J’avais découvert Gianrico Carofiglio avec son personnage d’avocat Guido Guerrieri et j’avais adoré Les yeux fermés, un roman court qui se termine par un coup de poignard. Nous avons droit ici à un nouveau personnage, le Maréchal Pietro Feniglio et à un retour dans les années 90.

1989 à Bari. Cardinale Lorenzo, le célèbre braqueur de banque, est signalé à la Polyclinique où il est venu, accompagné son fils pour faire un scanner cérébral. Le Maréchal Pietro Feniglio se rend sur place et voit entrer la famille. Il préfère les rencontrer seul à seul, et laisse le temps à Lorenzo de connaitre le résultat de l’examen avant de l’emmener sans effusion de sang ni violence.

Le Maréchal Pietro Feniglio n’a pas le temps de se reposer. Le corps de Fraddosio Sabino est retrouvé égorgé dans son appartement. En arrivant sur place, il monte à l’appartement et sent un parfum. Puis il interroge Cassano Lattarulo, une voisine qui a vu un jeune homme s’enfuir, après avoir donné comme excuse qu’il s’était trompé d’adresse. Elle l’a vu jeter un sac en papier dans une benne à ordures, et a noté le numéro d’immatriculation de sa voiture.

Cette affaire semble rondement menée, presque trop facile tant il lui suffit de trouver le jeune homme que tout accuse. Dans la benne, les policiers trouvent bien un sac en papier et le couteau. L’identification de la voiture les conduit à un dénommé Michele Fornelli, propriétaire d’un magasin de vêtements de luxe. Mais il est trop âgé pour être la personne aperçue par la voisine. Peut-être s’agit-il de son fils ?

Bizarrerie de l’édition française, l’année dernière sortait L’été froid, la deuxième enquête du Maréchal Pietro Feniglio, et voici donc la première. J’ai donc attendu un an pour ne pas lire cette série à l’envers. Et je me suis retrouvé dans un roman très court, à l’intrigue très simple et aux personnages bien marqués, et bien marquants.

Car oui, le Maréchal occupe toute la place sur la scène, avec ses intuitions, sa curiosité acérée, l’utilisation de ses cinq sens, et son humanité. Bien qu’il promène sa mine que l’on imagine nonchalante, on le suit dans ses interrogatoires ciblés et ses quelques pensées qui sont surtout des questionnements. On ne voit apparaitre que rarement sa femme, par conte j’ai apprécié le clin d’œil avec l’apparition de Guido Guerrieri.

Malgré un scénario simple, ce roman qui se contente de nous présenter ce nouveau personnage récurrent comporte une intrigue terrible et un style rapide et bigrement efficace. On n’y trouve pas un mot de trop, Gianrico Carofiglio va à l’essentiel, même dans les dialogues remarquablement directs. Il ne me reste plus maintenant qu’à lire L’été froid, qu’on se le dise.

La femme du deuxième étage de Jurica Pavicic

Editeur : Agullo

Traducteur : Olivier Lannuzel

Auréolé de nombreux prix pour son précédent roman, L’eau rouge, Jurica Pavicic est attendu au tournant avec la parution chez nous d’un deuxième roman totalement différent, mais pas tout à fait, tout en restant fascinant par son autopsie de la société croate.

Bruna se lève comme tous les jours à cinq heures du matin. Elle sort de sa cellule pour aller préparer le petit déjeuner pour le personnel et les prisonnières de la prison de Pozega. Elle a déjà passé nombre d’années derrière les barreaux et espère alléger sa peine grâce à son poste de cuisinière et a une conduite irréprochable. Elle essaie de se rappeler comment tout cela a commencé, même si elle ne nie pas son accusation de meurtre avec préméditation.

En français, on dit qu’avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Et si, quinze ans auparavant, Bruna n’avait pas suivi son amie Suzana, si elle n’avait pas assisté à la fête d’anniversaire de Zorana, s’ils n’avaient pas passé quatre fois de suite le slow « Killing me softly », elle n’aurait pas rencontré Frane, ils ne se seraient pas aimé, elle ne l’aurait pas épousé, elle n’aurait pas été obligée de subir Anka, sa belle-mère.

Sauf que dans la vraie vie, dans sa vie, elle est tombée amoureuse de Frane, si beau, si gentil, si attentionné. Ils se sont mariés et il a dû quitter le domicile familial, quitter sa mère, pour habiter avec lui et sa mère, dans une maison à deux étages à moitié terminée. Frane s’est montré si différent, sous la coupe de sa mère et de sa sœur, obligé de partir plusieurs mois sur un bateau pour ramener de l’argent. A ce moment, son calvaire a commencé.

Avec L’Eau rouge, Jurica Pavicic montrait l’impact de la disparition d’une jeune fille sur sa famille, pendant plusieurs décennies et étendait son intrigue au niveau de son pays. De la même façon, avec La femme du deuxième étage part d’une intrigue simple, qui ne comporte aucune surprise, puisqu’on sait dès le départ le meurtre commis par Bruna, aucun suspense, aucune action, aucun rebondissement, et nous en dit énormément sur les femmes.

Car malgré un scénario simple, l’auteur nous tient en haleine, ou plutôt nous passionne par la façon d’enchainer les scènes, par sa façon de détailler la psychologie de Bruna et par le contexte, qui peut sembler juste esquisser mais qui est ramené au premier dans une scène finale que j’ai trouvé grandiose, formidablement réussie. Je me demande même si Bruna n’est pas une allégorie de son pays, obligée de suivre une voie qui n’est pas la sienne.

Car Bruna nous apparait simple, presque naïve, rêvant juste d’amour et d’eau fraiche, jusqu’à ce qu’elle soit obligée de cohabiter avec sa belle-famille et de s’apercevoir que sa vie n’est pas celle dont elle rêve. Et dans l’esprit de Bruna, à l’image de la jeune génération, la morale passe après ses désirs, ses besoins, et elle est prête à toutes les extrémités pour se sortir d’une situation qui ne lui plait pas.

D’ailleurs, ce roman de femmes nous montre quatre personnalités bien différentes, en dehors de Bruna. La belle-mère Anka a toujours travaillé pour vivre, elle ne sait pas s’arrêter et n’a pas baissé les bras après la mort de son mari. La mère de Bruna enchaine les amants pourvu qu’ils soient riches et lui offrent le luxe et l’oisiveté. La sœur de Frane, elle, tient à ses biens, et les défend bec et ongles ; elle est destinée à prendre la suite d’Anka et à profiter de ce qu’aura construit sa mère. Et puis, on trouve le double de Bruna, Suzana, qui a su rester dans la légalité, qui a du faire des compromis pour au final finir malheureuse dans sa vie de tous les jours.

On ne ressent pas de pitié ou de sympathie envers cette jeune femme qui nous raconte sa vie. Et pourtant, ce roman ne ressemble pas à un roman sur une criminelle. Il se révèle passionnant par ce qu’il montre et par ce qu’il ne dit pas, tout ce qu’il laisse en esquisse pour donner au lecteur une sphère de réflexion. Et puis, Bruna et Suzana représentent la Croatie de demain, avec entre leur main un choix complexe à prendre : faire des compromis et perdre sa culture, ou bien défendre son caractère et son histoire. La dernière scène du roman m’a laissé pantois, quant à l’ouverture du sujet.

Ne ratez pas l’avis de Jean Marc Léhérrère, que j’ai essayé de ne pas copier.