Je suis un monstre de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld

Les éditions Joëlle Losfeld ont décidé de rééditer les romans de Jean Meckert, ce qui n’est que justice pour un auteur majeur injustement tombé dans l’oubli. Après avoir adoré Nous avons les mains rouges (N°7), La marche au canon (N°1) et La ville de plomb (N°8), je vous propose le N°2 de cette collection, Je suis un monstre.

Afin de gagner de l’argent pour ses études, Narcisse, comme on le surnomme, a trouvé un travail de pion pour une classe verte dans un petit village de Savoie. Cela devrait lui permettre de terminer sa thèse sur la Fatigue pour sa licence ès Lettres. Alors qu’il est assis sous les derniers rayons de juin, il entend des enfants crier, probablement des Aiglons, puis un cri inhumain qui finit de l’inquiéter.

Alors qu’il redescend pour faire l’appel, Mathis lui annonce qu’eun de chez eux va manquer à l’appel. Se remémorant le cri, Narcisse se dépêche et découvre à la faveur du faisceau de sa lampe de poche le corps, lapidé par ses camarades. Devant l’horrible spectacle, Mathis, en tant que témoin, raconte les insultes sur Boucheret, puis le ton qui monte, puis comment ils s’y sont mis à quatre, avec Crussol en chef de bande.

Mathis propose de camoufler le corps, et dans un premier temps, il est de cet avis et rejoins sa cahute sans toucher au corps. Puis, arrivé en bas, il va voit le psychiatre et directeur, M.Gourzon, appelé le Grand-Condor pour lui annoncer la présence d’un blessé. Pour ce dernier, il n’y a pas de doute, il est inutile de faire appel aux gendarmes, Boucheret est sorti contre le règlement et a fait une mauvaise chute …

Dans la bibliographie de Jean Meckert, ce roman paru en 1952 est le dernier qu’il a publié chez Gallimard dans la collection blanche. A ce titre, on sent une certaine rage dans le traitement du sujet et on assiste à une volonté de choquer le lectorat. Que l’on tue quelqu’un pour ses idées, cela s’est déjà vu ; mais que ce genre de règlement de comptes concerne des adolescents de quatorze à seize ans, c’est beaucoup moins commun.

Jean Meckert n’hésite pas une minute pour nous présenter son contexte : au bout d’une dizaine de pages, Narcisse découvre le corps à la tête fracassée. D’emblée, l’horreur ne le choque pas, et il se fait chevalier sans peur et sans reproche du porteur de la vérité contre les hypocrites qui veulent camoufler le meurtre en banal accident de campagne. Dans ces moments-là, sa plume se fait rage pure, et le combat pour l’honnêteté démarre.

Ce roman porte en lui aussi le portrait d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, incertain quant à son avenir, incertain dans sa vie sentimentale, incertain dans sa position dans la société. Quand la colonie de jeunes va se scinder en deux, les rouges contre les popotins, il va se retrouver malgré lui à la tête d’adolescents qui veulent plus braver l’autorité que faire vivre des idées politiques.

Narcisse va aussi découvrir l’amour, se découvrir homosexuel et pédophile en même temps, tombant amoureux d’un jeune garçon auprès de qui il va s’ouvrir à la nature, au monde qui l’entoure, au besoin, au désir, au plaisir de l’autre. Jean Meckert sait nous montrer la poésie de la nature qu’il oppose à la bestialité des idées des hommes. Narcisse apparait à nouveau comme le chevalier blanc.

L’issue dramatique de ce roman ne viendra pas des hommes directement, mais de la nature, d’un événement météorologique qui va se venger de son inaction à faire un choix, par sa vie, celle des autres, l’échec d’un chef de clan qui n’en est pas un. D’une portée universelle, outre le portrait éminemment complexe de Narcisse, Jean Meckert fustige les hypocrites prêts à poignarder dans le dos ceux qui les gêne et pose la question du choix entre responsabilité personnelle et responsabilité collective. Un grand roman sur un être humain perdu dans un monde d’adultes !

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