Le chouchou du mois de janvier 2023

Avant de commencer mon récapitulatif de billets pour ce mois de janvier, je tiens à vous souhaiter une excellente année 2023, que vos projets personnels et professionnels vous permettent de vous épanouir et que vos lectures vous enchantent.

Allez, on repart pour une année de polars mais pas que … Ayant décidé de fêter les 70 années d’existence du Livre de Poche, j’aurais l’occasion de vous proposer des romans classés en Littérature dite blanche. En tous cas, pour ce mois de janvier, c’est un roman policier qui était mis à l’honneur : L’heure des fous de Nicolas Lebel (Livre de Poche). Ce roman publié il y a dix ans nous présentait le capitaine Mehrlicht et son équipe dans une enquête hors du commun. On apprécie ici l’humour du capitaine qui se développera par la suite, de même que l’itinéraire de son équipe, et leurs problèmes fort bien introduits.

Pour rester dans les romans policiers, j’ai profité de la réédition au Livre de Poche du Prix du Quai des Orfèvres 2017 pour lire Mortels trafics renommé Overdose de Pierre Pouchairet (Fayard / Livre de poche). Nous voyons apparaitre pour la première fois Léanne Valauri dans une intrigue rythmée sur du Go-slow (par opposition au Go-Fast) entre l’Espagne et la France. Et j’aurais dévoré avec délectation la deuxième enquête de Cicéron, ce détective privé un peu spécial dans Nés sous X de Cicéron Angledroit (Editions Palémon), qu’il faut apprécier pour son humour légèrement cynique.

Une fois n’est pas coutume, j’ai publié un avis sur un recueil de nouvelles : Plus bas dans la vallée de Ron Rash (Gallimard – La Noire). Il faut dire que tous les romans de cet auteur m’ont enchanté et qu’on y trouve deux ou trois pures pépites noires, quelques textes étonnants et le retour de Serena dans une intrigue trop courte à mon gout.

Il y a de la hargne dans les lettres françaises, de la grogne chez les auteurs ; le roman noir n’est-il pas un reflet d’une partie de la population ? c’est du moins la réflexion que je me suis faite en ayant lu trois romans où transparait, chacun dans leur style, une envie de dénoncer les abus. Dans L’insurrection impériale de Christophe Léon (Muscadier), par exemple, nous montre un jeune homme excédé par l’impunité des hommes de pouvoir lors de la crise de la COVID, un polar bien rageur. Un coup dans les urnes de Julien Hervieux (Alibi) se situe dans une veine plus cynique quand un directeur de cabinet veut emporter les élections municipales en passant un accord avec deux malfrats à la tête d’un trafic de drogue. Enfin, La vengeance des perroquets de Pia Petersen (Les Arènes – Equinox) part d’une portraitiste en charge d’une commande venant d’un ponte de l’Intelligence artificielle et nous donne l’occasion de réfléchir sur les conséquences de donner les rênes de notre vie aux machines.

Deux romans que je qualifierai de « pas comme les autres » sont tout de même à signaler ce mois-ci, ni franchement polar, ni franchement thriller, ni franchement roman noir. Epaulard de Thierry Brun (Jigal) nous raconte un passage de la vie d’une garde du corps après une affaire qui a mal tourné. Mais là où un auteur lambda aurait inventé une intrigue de vengeance, Thierry Brun nous parle de reconstruction et d’ouverture aux autres et nous donne à lire un roman inclassable.

Wonderland Babe de Benoit Marie Lecoin (Afitt) narre une histoire d’amour entre deux personnes travaillant dans un cabinet de thanatopraxie, un amour fou entre deux personnes extrêmes. Situant son roman à la fin des années 70 à New-York, l’auteur joue sur les couleurs extrêmes, sur les oppositions de style, de reflets, de masques, de lumières ; et son style simple en apparence est arrivé à me faire ressentir un sentiment de malaise, une expérience littéraire très intéressante, sans description sanguinolente.

Le titre du chouchou du mois revient donc ce mois-ci à Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory (Sonatine) pour sa nouveauté. Je m’explique : Ellory innove quand il quitte les USA pour situer son roman au Canada ; il innove quand il situe son roman dans le grand froid et pose son décor comme un personnage à part entière, effrayant d’ailleurs ; il innove avec ce thème d’assumer ses choix ; il innove aussi par son style plus simple, plus direct, plus taiseux comme le sont les personnages de Grand Nord. Ce roman est, pour ma part, son meilleur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

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Wonderland Babe de Benoit Marie Lecoin

Editeur : Afitt

Depuis son entrée dans le monde du polar, sous la direction de Stanislas Petrosky, on peut s’attendre à des polars de bonne tenue. Ce Wonderland Babe mérite largement le détour, foi de Black Novel !

New York, fin des années 70. Kessy est atteinte d’albinisme ce qui pose problème dans une famille d’origine noire. Elle a subi les moqueries de ses camarades à l’école, sa famille la regardait de travers, la délaissant pour cette anomalie physique. Sa couleur blanche de peau lui a seulement servi pour ses études et pour trouver un travail, dans une société privilégiant les Blancs.

Kessy travaille donc dans un cabinet de thanatopracteur, en tant qu’assistante de Ron. Elle est sujette à des sautes d’humeur, s’autorisant même à ne venir à son poste que quand elle le veut. Obsédée par son apparence physique, elle panique quand elle aperçoit dans son miroir une ride apparaitre sur son visage. A partir ce moment-là, elle se convainc de séduire Ron.

Ron, de son côté, est prêt à passer l’éponge sur la mauvaise humeur ponctuelle ; sans vouloir se prononcer, il est tombé amoureux de cette jeune femme magnifique. Il suffit juste d’un clignement d’œil, d’un geste ouaté comme le ferait une chatte pour qu’il fonde. Ron tombe dans les filets exactement comme Kessy l’a prévu et lors d’un diner, elle lui avoue son secret : elle tue les femmes plus belles qu’elle.

Oscillant entre thriller pour le sujet et histoire d’amour fou, Benoit Marie Lecoin nous plonge au cœur de la fin des années 70 en plein New York. Il joue sur les oppositions à tous les points de vue, que ce soit Ron (meurtrier par rage) et Kessy (meurtrière par envie ou besoin), ou par la trame de l’histoire en mettant bout à bout le jour dans le cabinet et les nuits dans les boites de nuit branchées.

Adoptant un style simple, l’auteur préfère un ton minimaliste et introspectif plutôt que de s’étendre dans des dialogues sans fin. Nous avons donc droit dans la majorité du roman aux pensées des deux personnages car parler ne sert à rien, il vaut mieux agir. Aidé en cela par des scènes d’une force incroyable et d’une imagination débordante (le premier meurtre de Ron par exemple ou bien cette île glauque mais paradisiaque pour Ron et Kessy), Benoit Marie Lecoin déroule son intrigue en nous mettant mal à l’aise devant tant de naturel.

A cela s’ajoute le jeu des couleurs, dont il utilise toutes les palettes. Le ton est froid dans le cabinet lors des embaumements (dont il évite les détails gore) alors qu’il se fait chaud dans les boites de nuit colorées. L’auteur joue sur les contrastes noir / blanc, couleurs froides / chaudes pour terminer dans un noir le plus profond, que viennent rehausser les planches de dessin réalisées par Chabouté. Si ce roman m’a fasciné à la façon d’un cauchemar, il a quand même réussi à me mettre mal à l’aise sans en faire des tonnes. Surprenant !

Un coup dans les urnes de Julien Hervieux

Editeur : Alibi

Le précédent roman, Sur les quais, nous présentait Sam et Malik et leur façon de monter leur trafic de drogue de façon moderne, comme une vraie entreprise. Un coup dans les urnes poursuit donc l’histoire …

Sam Ramiro, ancien directeur marketing, a vite compris qu’il pouvait appliquer les règles du marketing au trafic de drogue. Avec son comparse Malik Rojas, il a monté un commerce de cocaïne Haut-de-Gamme à destination de la jet set parisienne, qu’ils ont nommée Cut It Yourself. A Sam le montage financier, à Malik la logistique. Pour couvrir cette activité, Malik dirige en parallèle la revente de shit dans la cité des Deux-Chênes.

Pour faire bonne mesure et s’acheter une tranquillité, ils ont passé un accord avec le capitaine Blanchard en lui servant un plateau des saisies et parfois de petits dealers … enfin, ceux qui commencent à être dangereux pour Malik. Officiellement, Sam gère sa société de marketing et Malik une galerie d’art où il vend des graffitis, ce qui fait vivre la cité et permet de blanchir les quantités colossales d’argent sale générées par la cocaïne.

Les élections municipales approchant, Madelon, sombre directeur de cabinet au ministère de l’intérieur, prend contact avec Sam. Il a mis des équipes pour mettre à jour le trafic des deux comparses et leur demande de l’aider à se faire élire maire à la place de Mme Grégeois grâce aux voix des habitants de la cité des Deux-Chênes. Les deux amis se retrouvent face à un chantage qui n’en porte pas le nom.

Moi qui n’ait pas lu Sur les quais, je n’ai ressenti aucune gêne dans ma lecture. Je dirais même que c’est intelligemment écrit pour présenter la situation sans en avoir l’air. En un chapitre, on a tout compris grâce à une scène intelligemment construite et des dialogues bigrement intelligents. Tout ceci nous permet de plonger directement, dès le deuxième chapitre, dans le cœur de l’intrigue.

Le sujet du roman se situe au niveau de la politique locale, des luttes intestines pour obtenir les clés d’une municipalité. Mais, rassurez-vous, tout cela est construit et mené comme un polar, avec juste ce qu’il faut de rebondissements et de solutions imaginatives, aidés en cela par un parfait équilibre entre la narration et les dialogues. Cela en devient juste savoureux, on se délecte des aventures de nos deux comparses et des solutions qu’ils trouvent pour s’en sortir.

Le livre est à la a fois rythmé par les étapes menant aux élections, premier et second tour, et par des chapitres venant en alternance et nous présentant les pensées de Sam ou Malik, ce qui permet de voir leur amusement devant ce qu’il faut bien appeler un gigantesque bordel orchestré pour en faire bénéficier quelques uns. La morale de l’histoire devient dès lors très simple : dès que vous obtenez le pouvoir, vous avez tous les droits … mais quelle lutte acharnée il faut mener au préalable !

Accompagné de quelques anecdotes, ou de précisions sur le règlement des lois régissant les municipalités, l’auteur en profite en grossissant le trait (parfois) pour laisser Sam et Malik s’en amuser et se moquer de ce qu’on appelle « la démocratie ». Alors, si je ne peux que conseiller ce roman qui m’a beaucoup amusé (parce que je suis un cynique de base), je ne suis pas sûr (du tout) qu’il donne envie à ses lecteurs d’aller voter. Et finalement, cela me donne furieusement envie d’aller lire les autres écrits de Julien Hervieux ! Excellent !

Mortels trafics / Overdose de Pierre Pouchairet

Editeur : Fayard / Livre de Poche

Prix du quai des Orfèvres 2017, ce roman a été adapté par Olivier Marchal sous le titre Overdose et réédité à cette occasion au Livre de Poche. Nous faisons donc connaissance avec Léanne Vallauri.

La base militaire anglaise du détroit de Gibraltar est en émoi : un Zodiac navigue dans leur direction. Par peur d’un attentat, la caserne se mobilise, avant de s’apercevoir que le bateau se dirige vers la plage toute proche. Ahuris, les militaires assistent à distance, à travers leur paire de jumelles au débarquement de nombreux paquets de drogue sur la plage réservée aux touristes.

A l’hôpital Necker de Paris, la brigade criminelle est appelée d’urgence. Deux enfants ont été assassinés et on a peint sur les murs « Allahu Akbar » avec le sang des victimes. Le commandant Patrick Girard va être chargé de cette affaire, pour savoir s’il y a un lien avec les réseaux extrémistes. Quand ils vont rendre visite à la mère d’un des jeunes enfants qui loge chez un cousin, ils s’aperçoivent qu’elle a disparu.

La brigade des stupéfiants de Nice s’apprête à arrêter un réseau de trafiquants de drogue, dès qu’ils passeront la douane. Un de leurs indics les a prévenus que des BMW vont faire le trajet de Marbella à la France comme de simples touristes … finis les Go-Fast. Avec l’aide des autorités espagnoles, la commandante Léanne Vallauri va suivre la progression des véhicules jusqu’à ce qu’un accident sur l’autoroute ne chamboule leur plan.

Comme tous les lauréats du Prix du Quai des orfèvres, ce roman offre une bonne intrigue et nous montre tous les rouages du système policier en respectant les relations entre la police et la justice et ici, particulièrement, les relations entre les différents services. Contrairement à d’autres romans, on ne va pas assister à une guerre entre services mais bien à une collaboration entre la police judiciaire et la brigade des stupéfiants.

J’ai particulièrement apprécié les personnages et la façon dont Pierre Pouchairet les a créés, avec Léanne que l’on retrouvera ensuite dans la série des Trois Brestoises et Patrick Girard. Malgré le grand nombre de personnages, on ne se retrouve jamais perdu et on alterne entre les différents lieux avec une aisance remarquable, aidés en cela par un style fluide et une construction maitrisée.

Et dès le début du roman, on se sent pris par le rythme de l’action. Malgré le fait que l’on parle d’un « Go-Slow », on ressent une célérité, une vitesse, un rythme qui nous empêche de lâcher ce roman. Du transfert de la drogue à l’enquête sur les meurtres d’enfants, les pièces du puzzle vont se mettre en place avec en filigrane une certaine urgence à boucler les dossiers pour cause de réduction de budget. Pierre Pouchairet nous offre avec Mortels Trafics (ou Overdose) un polar agréable, costaud, bien fait.

Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

L’insurrection impériale de Christophe Léon

Editeur : Le Muscadier

Les éditions Le Muscadier inaugure en ce début d’année une nouvelle collection « Noir », qui se présente ainsi :

« La collection Le Muscadier Noir propose des romans de littérature noire engagés qui s’articulent autour d’une mise en question de la société, des romans noirs de critique sociale qui s’opposent à la littérature du « moi » et proposent une littérature de société, qui s’enracinent dans les circonstances sociales dans lesquelles leur action se déroule, qui, enfin, déchiffrent et décodent le fonctionnement de la société à travers la fiction. »

Deux titres sont d’ores et déjà disponibles dès le mois de janvier, et je vous propose le premier d’entre eux, L’insurrection impériale qui va faire grincer des dents.

Jeffrey Poux de Maizieux (qu’on appelle JPM) fait partie des gens qui comptent dans notre pays, surfant sur l’argent et les entreprises qu’il dirige. Il se repose pour cela sur son chauffeur – garde du corps – homme à tout faire Gaëtan Morizet de la Barre. Ce dernier lui rappelle d’ailleurs qu’il doit assister à la réunion de préparation des championnats de monde de Waterpolo, non pas pour la beauté du sport mais pour y rencontrer le dirigeant d’une société avec laquelle JPM aimerait signer un contrat juteux. En sortant du siège de la FFWP, un homme se jette sur JPM et lui fend le crâne avec une feuille de boucher.

Il a prévu, du haut de ses vingt ans, de poursuivre ses études à la Sorbonne. Mais sa mère est tombée malade suite à un cancer foudroyant, et l’entreprise qui l’employait a profité de la COVID pour délocaliser ses activités et la licencier. Obligé d’abandonner ses perspectives d’avenir, il sent la rage monter devant l’impunité des Grands de cette société. L’idée de se venger, de montrer l’exemple, fait jour en lui et sa première victime sera JPM, le success-man le plus en vue du moment, celui qui goûtera à la feuille de boucher qu’il vient d’acquérir. Une autre personne l’insupporte, Georges-Henri Charançon, qui se permet d’organiser des repas en plein confinement …

Le commandant Olivier Lacelle, qui attend sa retraite proche de neuf mois, est chargé de cette enquête qui ne doit pas durer longtemps, dixit ses chefs ainsi que d’éminents membres du gouvernement. Son contact auprès du ministère se nomme Fleur Viam, commissaire de 31 ans atteinte du syndrome d’Asperger.

L’insurrection impériale est donc le premier roman que je lis de Christophe Léon, auteur prolifique dans beaucoup de genres, de la littérature générale à la littérature jeunesse en passant par des essais. Ce roman est un vrai polar, et montre pourquoi et comment les gens arrivent à être excédés par les attitudes de leurs dirigeants, les richesses étalées au grand jour, les impunités dont ils bénéficient.

En grossissant le trait, par moments, et en se basant sur certains faits récents montés en épingle par les médias, l’auteur construit une intrigue qui amène à faire réagir le lecteur. Alors que l’on peut s’attendre à une enquête en bonne et due forme, on se retrouve plutôt à une analyse détaillée des personnages à travers des scènes qui aboutissent à une conclusion attendue : on ne peut pas lutter contre le pouvoir.

Au début du roman, le style très littéraire et cultivé m’a semblé pompeux, ajouté à des paragraphes très longs ce que je n’apprécie pas. Au fur et à mesure de la lecture, je me suis habitué et j’ai vraiment apprécié cette lecture. Bien que l’on n’ait pas réellement affaire à un roman d’enquête, l’auteur arrive à nous accrocher et à suivre son intrigue sur deux fils directeurs en parallèle.

D’un côté, les deux policiers vont plutôt subir la situation et compter les morts, en l’absence de pistes sérieuses. De l’autre, nous avons ce jeune homme qui subit une situation familiale dramatique et qui est excédé par ce que se permettent les grands de ce monde. On en ressort avec un plaidoyer qui va opposer les deux camps si on prend un peu de recul : les révoltés (faisons tomber des têtes, comme en 1789) face aux légalistes (rien ne peut justifier un meurtre, quel qu’il soit). Comme vous le voyez, je suis aussi capable de grossir le trait.

Tout cela pour arriver à ma conclusion : lisez ce roman par son aspect original et sa démonstration de la raison pour laquelle les gens en arrivent à être excédés par ce qu’on nous montre à la télévision (aspect d’ailleurs qui aurait pu être plus détaillé). Car il remplit pleinement son rôle de réfléchir à la situation actuelle et nous poser des questions, avec ses accents de révolte.

Nés sous X de Cicéron Angledroit

Editeur : Palémon

Après Sois zen et tue-le … voici le deuxième tome des aventures de Cicéron Angledroit (dit Claude Picq), René et Momo.

Margueron arrive à vivre en commettant de petits larcins avec un ou deux complices. Cette fois-ci, il a eu un bol pas possible. Suivant des braqueurs de banque, il les a vus se séparer et l’un d’eux cacher son butin dans une maison avant de ressortir. Margueron n’avait eu qu’à entrer par effraction et mettre la main sur quelques belles liasses, qu’il ne devrait pas partager pour une fois.

René vient déranger Cicéron alors qu’il garde sa fille, pour lui proposer une nouvelle affaire, une affaire pas ordinaire. Margueron déjà attablé au bar de l’Interpascher lui montre la une du Parisien, une rafle spectaculaire de la police à Mennecy. Bizarre que la police ait débarqué  une demi-heure après Margueron dans la maison où la braqueur a déposé son butin. Mais chose plus étrange encore, le braqueur que Margueron a suivi pose en photo, non pas avec les menottes aux mains mais en tant que policier ayant procédé à l’interpellation. Il y a du pourri dans l’air !

Cette affaire ne va pas lui mettre plus de beurre dans les épinards. Mourad N’Guyen, son peut-être futur potentiel client et connaissance de René, Il lui montre un extrait de journal des Yvelines où, lors d’une prise d’otages, le forcené a été tué. A première vue, ce n’est qu’un fait divers, mais l’homme en question est le sosie, trait pour trait, de Mourad. A Cicéron de trouver une potentielle possible lignée, pour un plein gratuit pour la Fiat, car Mourad tient la pompe à essence.

On retrouve donc nos trois compères dans de nouvelles aventures avec au centre Cicéron qui aimerait passer plus de temps avec sa fille. Mais entre l’envie de faire tomber des flics pourris pour aider le commissaire Saint Antoine (ce dernier n’avait pas de nom dans le premier tome, et puis avouez que c’est un bel hommage !) et cette mystérieuse histoire de ressemblance, il a de quoi faire !

Bref, ce que j’aime, c’est l’impression de suivre Cicéron dans ses pérégrinations, comme si elles étaient improvisées, de goutter à ses réflexions et ses détournements de la langue française (il y en a moins que dans le premier tome) et son ton toujours décontracté et humoristique (il n’y a que les contrepèteries où je passe au travers). Ajoutez-y une pincée de sexe, une grosse louchée de personnages frappés avec leurs descriptions à l’avenant et vous obtenez un bien agréable divertissement.

Epaulard de Thierry Brun

Editeur : Jigal

Sauf erreur de ma part, j’ai dû lire tous les romans de Thierry Brun, admirant son évolution, son monde et ses thèmes cachés (j’avoue être passé au travers de certains). Il centre toujours ses intrigues autour de personnages forts psychologiquement et a l’art de prendre le lecteur par surprise. Bingo !

Béatrice s’appelle en réalité Epaulard pour son travail. En tant que garde du corps, ils portent toujours des surnoms étranges, mais celui-ci correspond bien à son état d’esprit. Son équipe a parfaitement repéré les pièges et les issues de sortie au Negresco et Eric, via l’oreillette la rassure en observant les alentours. Aujourd’hui, elle doit assurer la sécurité de Philippe Viale, spécialiste en solutions d’armement. Arrivés à destination, elle peut repartir comme si de rien n’était.

En dehors de son travail, Béatrice fait du sport, beaucoup de sport pour maintenir son corps en état et repense sans cesse à Anista, la chanteuse qu’elle a protégée et aimée. Quelques jours plus tard, Vialle la rappelle : il veut qu’elle escorte seule sa femme et ses deux filles. Sans préparation, c’est de la folie, mais pour 100 000 euros … malheureusement, le transfert se passe mal, un guet-apens où la femme et les deux filles meurent et Béatrice reçoit plusieurs balles dans le corps … presque morte.

Après plusieurs semaines de rééducation, elle a du mal à oublier. Elle doit couper les ponts et décide de se perdre dans un village, se faire oublier, s’oublier. Là-bas, elle rencontre un curé et retrouve son sens de la vie. Et petit à petit, elle va découvrir la vie du village, de ses habitants, et ses secrets aussi.

Si ce roman commence comme un polar, il va tranquillement se refermer sur lui-même avec un talent remarquable. On entre dans le vif de l’action, les phrases sont courtes, coupées, parfois juste quelques mots pour faire ressentir l’adrénaline qui court dans les veines, mais aussi le stress et l’attention nécessaire de tous les instants … jusqu’au drame aussi brutal que rapide.

Le passage à l’hôpital va nous montrer une Béatrice seule, irrémédiablement seule, noyée dans ses regrets et ses amours ratées. De son travail où elle était reliée aux autres par une oreillette, elle est rattachée à des tubes. Cette période va la conforter dans une vie d’ascète, loin des autres, par culpabilité probablement, par besoin d’oublier son échec, ses écueils. Car elle vient d’échouer dans le seul domaine où elle était excellente.

N’ayant plus rien, le curé Pôl va la révéler à elle-même. Il va l’apprivoiser comme on le fait d’un animal sauvage. Et elle va se rendre compte que pour s’ouvrir au monde, il faut qu’elle s’ouvre elle-même, qu’elle s’accepte. De polar, on passe donc à un roman introspectif, réflexion intense sur le sens de la vie et la relation aux autres. Tous les auteurs de thriller auraient créé un personnage cherchant les coupables et semant sur son sillage des dizaines de truands.

Thierry Brun nous prend à nouveau par surprise en se concentrant sur son personnage, et interroge les liens que nous avons avec les autres et les réactions que nous avons. Il nous démontre enfin que pour avoir des relations sociales, le mieux est encore de faire le premier pas, dans ce très joli et très surprenant roman.

Plus bas dans la vallée de Ron Rash

Editeur : Gallimard – La Noire

Traducteur : Isabelle Reinharez

J’ai aimé, adoré, encensé tous les romans de Ron Rash. En guise de nouvelle parution, il nous offre juste avant Noël d’un recueil de nouvelles avec comme guest star, Serena qui nous fait un retour bref mais marquant.

Plus bas dans la vallée :

Serena Pemberton et Galloway descendent de l’hydravion en provenance du Brésil. Ils viennent superviser un chantier de déboisage qui risque de lui coûter cher. L’avenant signé de Meeks son responsable stipule qu’elle perdra 10% au moindre retard. Elle va haranguer ses troupes pour respecter ce délai dans des conditions inhumaines.

Les voisins :

Rebecca et son fils Brice vivent dans un ranch depuis que son mari est mort lors de la guerre de sécession quand elle voit des soldats débarquer. Les autres fermes brûlent et elle s’attend au pire.

Le baptême :

Le révérend Yates voit Gunter approcher de sa maison. Prévenant, il préfère avoir son fusil à portée de main, d’autant que Gunter a déjà tué sa première femme, et peut-être sa deuxième. En fait, Gunter vient demander au révérend de se faire baptiser.

L’envol :

Stacy tient le poste de garde-pêche depuis quatre mois seulement quand elle voit Hardaway sur le bord de la rivière. Celui-ci n’ayant pas de permis, elle lui dresse une amende qu’il s’empresse de jeter à l’eau. Son chef conseille à Stacy de ne pas chercher de noise à cet ancien repris de justice.

Le dernier pont brûlé :

Carlyle est en train de balayer sa boutique quand une jeune femme aux pieds nus tape à la vitrine. Méfiant, il se demande s’il doit lui ouvrir et prend son arme. Elle cherche son chemin pour aller à Nashville.

Une sorte de miracle :

Baroque et Marlboro ne font rien de leur vie et leur beau-frère Denton les oblige à le suivre : ils devront surveiller la voiture pendant qu’il a quelque chose d’important à faire, récupérer les pattes et la vésicule biliaire d’un ours.

Leurs yeux anciens et brillants :

Les trois vieux squattent la station-service de Riverside et personne ne les croient, ni eux ni les gamins qui affirment avoir vu un poisson énorme dans le plan d’eau sous le pont. Les trois vieux Creech, Campbell et Rudisell décident de leur montrer qu’il y a bien un monstre dans cette rivière.

Mon avis :

Bien entendu, les fans de Ron Rash vont acheter ce livre grâce au bandeau annonçant le retour de Serena. Et effectivement, dans la première longue nouvelle, elle est de retour et plus impitoyable que jamais. Il n’empêche que je suis resté sur ma faim car j’en aurais voulu plus, plus long, plus détaillé. Car cette nouvelle m’a donné l’impression d’un brouillon de roman où Ron Rash ne savait pas où aller.

Dans les autres nouvelles, on s’aperçoit du talent d’incroyable conteur, capable en une dizaine de pages de créer les personnages et le décor. Car ce recueil de nouvelles est surtout et avant tout une belle galerie de portraits, en les situant dans des époques diverses tout en racontant des morceaux de vie intemporels.

Certaines nouvelles m’ont paru anecdotiques, tels L’envol ou Le dernier pont brûlé, d’autres versent dans un humour noir et froid comme Le baptême, voire burlesque avec Une sorte de miracle et ses deux imbéciles (A ce niveau-là, on atteint le championnat du monde de la connerie). Mais ce sont surtout de terribles histoires noires, qui derrière une intrigue dramatique, montrent la violence implantée dans la culture américaine.

La vengeance des perroquets de Pia Petersen

Editeur : Les Arènes – Equinox

Derrière ce titre étrange se cache le roman le plus intelligent que j’aurais lu en 2022, un roman que je n’hésite pas à placer dans mon TOP10 tant il pose des questions dérangeantes pour un scientifique de formation, humaniste comme moi.

Il est enfermé dans cette geôle, sans fenêtre, sans repère temporel, sans nom, dans le noir. Il a perdu le sens de la réalité, mais il a conservé la conscience de ce qu’il est. Malgré les moqueries du gardien, il garde une once d’espoir, celle de sortir au grand air, au grand jour ; à défaut celle de voir son avocat comme il devrait en avoir le droit. Se battre, faire des efforts, des mouvements pour sentir son corps, voire d’enfoncer ses ongles dans sa paume pour ressentir une douleur, une preuve d’être encore vivant. Seul, mais vivant.

Emma se définit elle-même comme nordique et européenne et n’a jamais choisi de nationalité, se déclarant citoyenne du monde, « éternelle touriste ». Artiste reconnue pour ses portraits des plus éminents hommes d’affaire, elle vient d’accepter de peindre celui de Henry Palantir, le célébrissime propriétaire de Vision Technologies, l’entreprise chargée de la sécurité par et grâce à la maitrise du numérique, client incontournable des multinationales et des grands pays industrialisés.

Emma souffre de claustrophobie et ne peut se contenter de rester dans le bureau jouxtant celui de Palantir. La force de son art réside dans sa faculté à exprimer la psychologie d’un homme derrière les traits peints sur sa toile. Mais face à un mur sans émotion, elle demande du temps pour comprendre le magnat, le sonder en profondeur via ses actes et ses quelques paroles. Lors d’une de ses sorties, elle rencontre Achille, un homme noir plus âgé qu’elle pour qui elle va éprouver un coup de foudre.

Loin de n’être qu’un roman d’amour, Pia Petersen choisit de placer Emma en tant que narratrice, personnage libre d’agir et de penser. Le génie de cette idée va soutenir tout le roman et opposer l’art à la logique. Relativement peu concernée par les technologies numériques, elle va petit à petit lever le voile sur leurs possibilités, leurs capacités et nous proposer, à nous lecteurs, le choix qui se présente devant nous : devenir esclave des machines ou garder notre liberté de penser, de rêver, de créer.

Surtout n’ayez pas peur, le roman ne possède aucune notion scientifique absconse ou de théorie incompréhensible. Il reste sur le terrain des réflexions d’Emma et de ses questionnements vis-à-vis de la liberté qui lui est chère. Et elle nous explique que, l’homme étant faillible, il est nécessaire de le remplacer par des machines pour certaines tâches, ce qui est le cas pour les usines par exemple. Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, on arrive à justifier l’épanouissement du numérique par une volonté de minimiser les risques, gommer les imprévus.

Si cela peut sembler bien théorique, Pia Petersen situe l’opinion sur le terrain des usagers communs, c’est-à-dire nous et en déduit quelques vérités. Rien de tel qu’occuper l’esprit des gens par du divertissement, pour leur éviter de réfléchir, de se rendre compte de leur nouvelle servilité, sous couvert de nouveaux services. Par voie de conséquence, on vend la rapidité, la faculté d’éviter de perdre du temps. La notion d’immédiateté, d’urgence implique de gommer le passé, de ne pas penser au futur … seul compte le présent.

On commence à discerner l’étendue de l’influence d’une telle politique, quand elle touche tous les domaines. Il suffit de regarder les programmes scolaires d’histoire où l’on survole les événements importants, leurs causes et leurs conséquences, ou même la philosophie réduite à sa portion incongrue, sans parler des mathématiques qui deviennent une option en terminale. Notre société ne veut pas que les gens réfléchissent.

Derrière son intrigue, Pia Petersen nous invite donc à une réflexion sur notre société, un peu comme l’ont fait auparavant les grands visionnaires. Sauf que la situation est bien contemporaine et que l’auteure appuie son argumentaire en faisant apparaitre la COVID au milieu du roman, comme pour mieux illustrer son propos tout en faisant monter la tension dans le duel entre Emma et Palantir.

J’aime bien cette expression, ce roman est une sorte de duel, un combat entre l’homme et la machine, entre le matériel et le spirituel. On pourrait le taxer de paranoïaque mais les exemples foisonnent avec toutes les applications sur smartphones. Je vois plutôt ce roman comme un perturbateur, un poseur de questions qui appuie là où ça fait mal. J’ai adoré aussi les titres farfelus des chapitres qui ressemblent à des phrases que la machine ne peut comprendre, ne peut créer, ne peut envisager même. J’espère que je vous aurais donné envie de lire ce roman, car le combat se déroule maintenant. Et l’Humanité a du souci à se faire !