Archives pour la catégorie Coup de coeur 2011

Un nommé Peter Karras de George Pelecanos (Points Seuil)

Le voici, le roman culte de George P. Pelecanos, annoncé comme le meilleur de son auteur selon les fans absolus de cet auteur américain dont on n’entend pas assez parler. George P. Pelecanos écrit Washington, il écrit les Grecs immigrés, il écrit l’évolution de la société américaine. Un nommé Peter Karras parle des années 40.

Dans les années 30, Peter Karras traîne avec sa bande de copains dont Billy Nicodemus, Perry Angelos, Joe Recevo, Jimmy Boyle et Su. Ces jeunes gens passent leur temps à jouer dans la rue au baseball, à parler de combats de boxe, et à se bagarrer contre des bandes de noirs. Leur vie va changer avec l’arrivée de la deuxième guerre mondiale. Peter Karras y apprendra à tuer des hommes et Billy n’en reviendra pas.

En 1946, Peter le Grec et Joe le Rital vont travailler pour Burke, un mafieux local, en allant récupérer l’argent issu de l’usure et du racket des commerçants. L’une de ces descentes va mal se passer et Peter va se ranger pour devenir cuisinier chez Nick Stephanos. Joe est devenu le bras droit de Burke, Jimmy un flic, et l’entrée dans leur petit monde de Mike Florek, à la recherche de sa sœur prostituée va les amener à se retrouver.

Que puis-je dire qui puisse vous convaincre de lire ce livre ? Les fans le connaissent, ceux qui ne connaissent pas George Pelecanos croiront que ce n’est qu’un polar américain de plus. Erreur, fatale erreur ! En lisant de roman, j’ai compris pourquoi Pelecanos est fort et pouquoi il a autant de fans, j’ai compris aussi ce qui différencie un polar d’un grand livre, j’ai compris enfin que Pelecanos écrit son histoire de  Washington au même titre que Ellroy écrit son histoire de Los Angeles.

Pour ce roman, d’une subtilité rare, on y suit la trajectoire d’un homme qui, à la base, est un gentil, qui croit dans certaines valeurs qui semblent être dépassées, telles que la famille, l’amitié ou la loyauté. La guerre va le changer irrémédiablement, il va passer un peu de temps de l’autre coté de la ligne jaune avant d’essayer de toucher le rêve américain du doigt. Il est Grec, et bien que cette ville soit mondialement connue et reconnue, elle est très éloignée de l’image de la Maison Blanche que l’on connaît tous. Elle est une somme de petites ethnies, de ce que l’on appelle aujourd’hui les ghettos, qui vivent ensemble mais qui gardent leurs règles, leurs racines, leurs amis de sang.

Autour de lui, gravitent une dizaine de personnages, tous aussi bien dessinés les uns que les autres. Si l’affaire du tueur de prostituées sert plus ou moins de fil conducteur à cette histoire, c’est bien la vie d’un quartier, des communautés, qui est la vraie histoire de ce roman. N’y cherchez pas une enquête policière, ni un thriller haletant, mais plutôt un roman noir où chacun mène sa barque comme il peut sur le fleuve turbulent de la vie.

Les années 40, vues sous un autre angle que celui de la grande histoire, sont bien passionnantes sous la plume de Pelecanos. Après la guerre, de nombreux hommes sont revenus et la ville se retrouve envahie par une foule de gens qui, pour la plupart, sont sans travail. Naturellement, les clans vont se former, mais la cohabitation est encore possible tant qu’il n’y a pas de guerre de frontière. C’est l’époque où les gens se retrouvent dans les bars pour écouter la radio qui passe du jazz, ou regarder la télévision qui retransmet les matches de boxe, sport phare de cette époque.

La force de ce roman, c’est l’accumulation de petits détails qui construisent petit à petit le tableau dans son ensemble. Les personnages ne font pas l’objet de descriptions très détaillées, mais sont croqués par un geste ou juste quelques expressions dans des dialogues évidents. Les décors sont juste brossés par une ambiance et un simple poste de radio. La fluidité du roman est telle qu’il se lit d’une traite, tant je me suis senti imprégné de cette époque comme par magie. D’ailleurs, le travail du traducteur (Jean Esch) est remarquable de ce point de vue.

C’est un magnifique roman, accessible à tous, qui ravira tous les amateurs de romans bien écrits, ceux qui aiment suivre une tranche de vie d’une ville au destin inéluctable, ceux qui aiment suivre des personnages droits avec des principes, qui flirtent avec la ligne jaune, qui essaient de mener leur vie face aux difficultés de l’époque, à la montée de la violence et à l’inéluctabilité de la loi de la jungle : la défense de leur territoire. C’est un roman qu’il faut classer parmi les classiques, à ne pas rater, à lire, relire et savourer.

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Bienvenue à Oakland de Eric Miles Williamson (Fayard)

Encore un coup de coeur ! Ce roman, outre sa quatrième de couverture aguichante, m’a été très chaudement recommandé par Holden du blog Unwalkers. Je n’ai pas été déçu par cette peinture des bas-fonds de Oakland.

T-Bird Murphy s’enferme dans un garage de Warrensburg, tout proche de Oakland, qu’il loue 200 dollars par mois. C’est comme ça la vie quand on est pauvre aux Etats-Unis. T-Bird va se rappeler comment il faut tous les jours chercher du travail, non pas pour vivre, mais pour manger, pour survivre. Et T-Bird, fils d’un immigré irlandais, en a des souvenirs à raconter, des choses à dire.

De sa jeunesse, dans un quartier pris en tenaille entre les Mexicains et les Noirs, être blanc n’est pas une chance, mais plutôt une malédiction. Et quand on n’est pas né du bon coté de la barrière, du bon coté de la ligne jaune, on travaille avant l’age de dix ans. On tond les pelouses pour un malheureux dollar, on fait le pompiste, on nettoie les voitures, on ramasse les merdes de chien.

Alors, dès qu’il a un boulot, T-Bird se retrouve avec les potes, les copains de beuverie de toujours, à boire le mauvais whisky, ou alors dans les égouts à vider des bouteilles trouvées au hasard ou bien volées. Mais ne croyez pas qu’il n’y a pas de justice : T-Bird fait partie des pauvres, des miséreux, tout en sachant très bien qu’il ne fera jamais partie de la caste des nantis. Mais peu importe, lui sait jouer du jazz, de la trompette, et il lit des livres, parce que au fond de lui, peut-être qu’il reste encore un petit morceau de rêve.

Ce roman commence par la couverture : Un chien errant, affamé, qui marche en cherchant quelque chose à manger. Puis, les anecdotes : Quand vous cherchez du travail, n’y allez pas bien habillé avec des chaussures de sécurité neuves, sinon le patron va croire au premier coup d’œil que vous allez lui demander un trop gros salaire. Bienvenue en enfer !

Si vous attendez un petit bouquin pépère tranquille peinard, alors il vaut mieux vous prévenir : Ce bouquin parle des bas-fonds, des gens qui tentent de survivre, et c’est écrit avec le langage des bas-fonds. Ce bouquin, c’est plutôt un ouragan supersonique, un marteau piqueur qui va vous défoncer le cerveau, une lancinante musique de trompette qui va vous harceler la nuit.

Sur une pièce de monnaie, il y a deux faces. Mais pour Eric Miles Williamson, les deux faces sont encore trop belles. Il va vous montrer, vous imposer sa vision de la société en dessous des faces de la pièce, celle que l’on ne montre jamais, celle que l’on ne veut pas croire, que l’on aimerait qu’elle n’existe jamais. Putain, bordel de merde, c’est une claque, une gigantesque baffe dans la gueule. Excusez moi, mais je me fonds dans le paysage.

T-Bird va vous montrer sa haine, sa rage de vivre ; pas question pour lui de laisser tomber. Dehors, c’est la jungle, alors il faut connaître les règles, la loi et essayer de s’en sortir par tous les moyens. Parfois, on se dit qu’il serait plus facile pour lui d’être un truand, voler serait plus facile que vivre cette vie là. Heureusement, il a sa trompette, son amour du jazz. D’ailleurs, ce roman est écrit comme un solo, une improvisation d’un joueur amateur.

Amateur ? Que nenni ! Car ce roman est foutrement bien écrit, formidablement bien construit, violent, agressif, vulgaire. C’est une lecture qui se mérite, que certains n’aimeront pas. Sous ses apparences d’empiler les anecdotes, pas forcément chronologiques, d’agrémenter ses nombreuses digressions, ce roman est un joyau de style, de sentiments, de dégoûts, de personnages. On en prend plein la gueule (je l’ai déjà dit, non ?) et de nombreuses références viennent à l’esprit, mais Eric Miles Williamson pourrait bien avoir écrit là un grand roman si ce n’est le grand roman de sa jeune carrière. J’en redemande.

Mémoire Assassine de Thomas H.Cook (Points2 Seuil)

Attention coup de cœur ! Ceux qui sont des inconditionnels de ce blog auront compris que cette introduction est aussi la conclusion de ce billet. Pour les autres, ne lisez pas ce billet, courez acheter ce roman remarquable à tous points de vue.

Dans les années 1990, Steve Farris est travaille dans un cabinet d’architectes. On pourrait dire de lui qu’il est un homme comme les autres. Il vit heureux avec sa femme Marie et son fils Peter, a comme tout un chacun ses joies et ses peines. Sauf que Peter porte en lui un drame qui l’a marqué et qui fait qu’il ne sera jamais comme tous les hommes : un jour, son père William a abattu sa famille et seul Steve en a réchappé, sans comprendre vraiment pourquoi.

Un jour, Une jeune femme prend contact avec lui. Elle se nomme Rebecca et est en train d’écrire une étude sur cinq cas de meurtres similaires, et cherche à comprendre ce qui a pu pousser ces hommes à exécuter ces atrocités. Elle a déjà terminé quatre de ses études et le cas Farris est le dernier qu’elle veut élucider. Elle va donc discuter avec Steve lors de rendez vous de ses souvenirs.

Steve, qui a gommé ce pan dramatique de sa jeunesse puisqu’il a été élevé par sa tante puis son oncle, va retrouver des bribes qu’il va assembler petit à petit. La soif de comprendre le pourquoi va devenir obsessionnelle et revivre pendant un moment la vie de famille de l’époque avec son père William, quincaillier passionné de bicyclettes, sa mère Dorothy une femme effacée à l’air toujours malheureux, Jamie le frère aîné toujours révolté, solitaire et de mauvaise humeur, et Laura, sa grande sœur pour qui il avait une admiration et un amour sans bornes.

Remarquable, beau, passionnant, dramatique, subtil, profond, tels sont les quelques adjectifs que je pourrais donner pour vous donner envie de lire ce livre. Car je ne vais pas répéter tout le bien que je pense de Thomas H.Cook, le talent de parler de sujets difficiles en partant d’une histoire simple. Son style fluide est un vrai plaisir à lire, et il va sûrement faire partie, comme pour moi, de vos auteurs favoris.

Ce roman, à la construction implacable (et j’y reviendrai) est écrit à la première personne. Et cela donne d’autant plus de poids à la psychologie de Steve, cet homme marqué à vie, avec cette cicatrice qu’il a refermée lui-même et qui, tout au long de l’intrigue, va se rouvrir, jusqu’à devenir sa seule obsession, au risque de se perdre. C’est un portrait d’un écorché vif, qui vit avec une seule question : Pourquoi a-t-il réchappé de ce massacre, et pourquoi son père a fait cela ?

Et c’est bien l’un des sujets du roman : Comment construisons nous notre vie, sur quels souvenirs, quelle est la part de subjectivité dans nos événements passés, comment et pourquoi nous aveuglons nous nous-mêmes ? Car petit à petit, Steve va retrouver des petites scènes, des mots, des expressions qui vont, comme de petites touches sur un tableau de peinture, dresser une image de sa famille qui va s’avérer moins idyllique que ce qu’il a toujours cru.

C’est une histoire aussi de l’innocence perdue, de la prise de conscience des autres, de la famille, de la versatilité de l’amour, du fragile équilibre des relations entre les êtres qui s’aiment, des rêves qui ne restent que des rêves, des cauchemars qui sont des cauchemars indélébiles. Tout au long du roman, Thomas H. Cook nous dissémine des indices qui ne s’expliqueront qu’à la fin, et on ne peut qu’être admiratif devant l’art du maître, devant cette construction implacable et dramatique.

Car, il y a aussi la vie présente. Ce livre ne fait pas que fouille dans les limbes de la mémoire de Steve. Il décrit aussi tous les petits gestes de la vie de tous les jours, toutes les petites discussions avec sa femme ou son fils, les petites expressions si insignifiantes qui vont aussi aboutir à construire cette histoire dramatique et même si je ne peux vous en dire plus, le passage entre les pages 400 et 420 sont un grand moment de roman noir comme j’en ai rarement lu et vécu. Ce roman est un monument, à classer juste à coté de Les feuilles mortes, c’est dire son niveau ! Il faut aussi, à mon avis, rendre hommage au traducteur Philippe Loubat-Delranc qui a su retranscrire toute la subtilité du style de Thomas H.Cook.

C’est un inédit qui date de 1993 et il est publié en format poche, alors n’hésitez pas ! Le format Points2 et un format particulier qui propose une lecture verticale. Un petit mot sur ce format, d’ailleurs : Si la lecture est aisée grâce à une excellente qualité du papier et de l’impression, j’aurais aimé quelques millimètres supplémentaires sur les marges droite et gauche du texte pour faciliter la prise en main ainsi qu’un liseré marque page … pour marquer les pages. Sinon, le format ultra compact du livre est une grosse qualité de cette collection Points2 avec une très bonne lisibilité.

Psychose de Robert Bloch (Moisson rouge)

Coup de coeur ! Les éditions Moisson Rouge ont la très judicieuse idée de rééditer cet excellent polar qu’est psychose, dont le film est unanimement reconnu comme un chef d’œuvre. Courez acheter ce roman, sans aucune hésitation.

Est-il vraiment besoin de rappeler l’histoire, que tout le monde a vu au cinéma ou à la télévision ? Pour faire simple, Mary travaille dans un cabinet d’avocat et vole une enveloppe contenant 40 000 dollars qu’elle devait emmener à la banque. Elle part rejoindre son amoureux, Sam, qu’elle voudrait épouser mais qui est endetté avec la quincaillerie familiale. Sur la route, elle s’arrête dans un motel tenu par un jeune homme solitaire de quarante ans, qui vit avec sa mère. Norman Bates subit les attaques incessantes de sa mère qui est acariâtre, autoritaire et folle à lier. Dans la nuit, la mère tue Mary et Norman se retrouve obligé de faire disparaître le corps. Sam va chercher à comprendre où est passée Mary, aidé par Lila, la sœur de Mary.

Comme je le disais, vous avez sûrement vu le film, mais moins sûrement lu le livre. Quelle erreur ! Si la trame du film suit l’intrigue du livre, de nombreuses scènes ou dialogues viennent compléter l’œuvre de Sir Alfred Hitchcock. Le maître du suspense a su mettre en évidence toutes les qualités du livre, en apportant sa touche personnelle sur les scènes chocs. En lisant ce livre, je ne peux m’empêcher de penser qu’il était aisé de faire un chef d’œuvre cinématographique, car le roman est exceptionnel.

Car le roman est réellement fantastique. D’un fait divers réel, Robert Bloch a crée un roman à suspense, à haute tension, ménageant de façon extraordinaire une fin très inattendue. Il parsème les indices de façon à la fois minutieuse et pleine d’humour (noir bien entendu), qui donne envie de relire le livre une fois tournée la dernière page. Les scènes s’enchaînent, faisant monter et le mystère, et le stress, jusqu’à la dernière phrase …

La psychologie est minutieusement détaillée, surtout sur la base de réactions ou d’actes, sans oublier les dialogues, qui sont écrits avec une précision et une véracité diabolique. Chaque chapitre propose la vision d’un personnage influent de l’histoire, ce qui fait que l’intrigue avance sans heurts, et que l’on est littéralement projeté dans les personnages. C’est impressionnant de maîtrise, c’est aussi une expérience de lecture inédite.

C’est donc une riche idée d’avoir réédité ce roman, et il me reste à ajouter que la préface de Stéphane Bourgoin nous présente le cas de Ed Gein, le boucher de Plainfield qui a inspiré Robert Bloch et que c’est tout bonnement hallucinant. Enfin, il y a une interview inédite de l’auteur qui vaut le détour surtout pour les anecdotes concernant Sir Alfred. Ce roman n’est pas seulement un livre culte, c’est un roman fantastique.

Le Mur, le Kabyle et le marin de Antonin Varenne (Viviane Hamy)

Putain, deux ans ! Comme disaient les Guignols de l’info. Deux ans que je l’attends, ce roman de Antonin Varenne. Deux ans, depuis le choc Fakirs et le premier coup de cœur de Black Novel. Eh bien, le voici ! Et c’est un coup de cœur … encore !

Avril 2008. Combat de boxe sordide entre un jeune homme d’une vingtaine d’années et un autre boxeur de quarante ans. Le combat est âpre, difficile entre Gabin le jeune et Georges Crozat le flic, dit le mur. On l’appelle comme cela car il sait encaisser. Il est patient, prend les coups, et surveille les faiblesses de son adversaire. Il reçoit d’innombrables coups, les supporte mais aime ça. Puis, au cinquième round, Gabin est fatigué, baisse sa garde, et Le Mur le cueille d’un uppercut magistral : KO

A la fin du match, Paolo, son entraîneur, est fier de lui, même s’il aurait préféré qu’il attende le sixième round pour le descendre. Se pointe alors le Pakistanais, qui lui propose un marché : tabasser des mecs pour une bonne somme, tout cela sans risque, pour venger quelques cocus. Le Mur refuse puis finit par accepter cette manne qui va lui permettre de se payer quelques putes supplémentaires. Un bristol glissé dans sa boite aux lettres, le nom de la future victime et voilà Crozat devenu le poing armé de la pègre. C’est le tour de Dulac puis de Brieux puis de deux autres hommes, jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Bendjema, qui va lui ouvrir les yeux.

1957. Verini est un jeune homme issu d’une famille d’ouvriers. Son père lui a dit : « casse toi, ne viens pas travailler à l’usine ». Alors, il s’applique pour ses études de dessin industriel puis s’engage dans l’armée. Avec l’aide du piston du père de sa petite amie, il est envoyé en région parisienne. Mais le coup de piston a un prix : il ne doit pas revoir sa copine. Il refuse alors l’autorité et reçoit sa punition : la mesure disciplinaire est de l’envoyer en Algérie, en plein cœur du conflit.

Après le choc Fakirs, attendez vous à une deuxième rafale, toute aussi puissante. Et là où Antonin Varenne montrait notre société avec une enquête sur un jeune homme qui se transperçait pour son public, cette fois ci, il nous oblige à regarder ce que beaucoup ne veulent pas se rappeler : la guerre d’Algérie. Entre les entraînements et les images de propagande, tout est bon pour monter les gentils Français contre les méchants Algériens. Puis, ce sont les descriptions des DOP (les Dispositifs Opérationnels de Protection), cette institution de torture des ennemis. Et, encore une fois, l’auteur nous décrit cela au travers de Verini sans prendre position, ce qui en rajoute encore dans notre imaginaire à nous, lecteurs. « La guerre ne forme pas la jeunesse, elle la viole ».

Et puis, on a encore affaire à de beaux portraits d’hommes entre Crozat, ce policier municipal, « même pas policier », boxeur bientôt à la retraite, désespérément seul, qui aime la douleur, qui est vide comme une baudruche, qui est bigrement attachant aussi. Brahim Bendjema, un vieil algérien qui a tout vu, tout connu et qui trouve la bonne raison au bon moment pour se venger, essayer de créer un semblant de justice, et Verini, ce jeune homme devenu un homme vide, une victime dans le clan des gagnants / perdants marqué à vie et qui veut juste oublier.

L’ambiance est lourde, glauque, violente, malsaine, avec toujours cette qualité pour les dialogues. Par contre, j’ai l’impression d’une grande progression dans l’utilisation de la langue, une volonté de ne pas en rajouter, mais de trouver les mots justes, les verbes qui frappent. C’est un roman que j’ai lu lentement, buvant chaque mot, avalant chaque phrase de peur de rater un moment ou une expression important. C’est le roman de la maturité pour Antonin Varenne, le roman qui ne se lit pas comme on lirait un thriller mais qui se déguste comme un verre de cognac : doucement mais avidement, avec un goût âpre et inoubliable sur la fin. Bienvenue dans l’horreur, celle qui fait mal aux tripes.

La dernière page du livre est un hommage de l’auteur pour son père, ce père qui a connu ces horreurs, qui a tout caché jusqu’à dévoiler quelques bribes du passé avant de mourir. De cette page, avec cette page, le roman prend un tout autre éclairage, devient d’autant plus éblouissant, plus lourd à porter aussi. Votre père peut être fier de vous, M.Varenne.

Adieu Gloria de Megan Abbott (Editions du Masque)

Attention, coup de coeur ! Megan Abbott, j’en ai entendu parler qu’en des termes élogieux. Que ce soient mes amis lecteurs, mes amis blogueurs, ou même les auteurs eux-mêmes de Ken Bruen à Reed Farell Coleman. Voici Adieu Gloria, le dernier roman traduit en français en date, qui a reçu le prix Edgar Award.

La narratrice dont nous n’aurons pas le loisir de connaître le nom, a une formation de comptable, avec une petite vie rangée. Elle est très vite repérée par la grande Gloria Denton, d’une vingtaine d’années son aînée, qui la prend sous son aile. Elle a décidé de tout lui montrer, tout lui apprendre sur son travail. L’attrait est réciproque puisque les premiers mots de ce roman sont de la narratrice : « Je veux ces jambes ».

Gloria Denton évolue dans un monde d’hommes. Elle est en contact avec les gros pontes de la pègre, et se charge à la fois de petites arnaques, mais surtout de blanchiment d’argent et de se charger des transfert de fonds des casinos, des champs de course, des bars. Enfin, elle se charge aussi d’apporter les enveloppes servant à corrompre à la fois les policiers et les politiques pour que les affaires de ses patrons tournent sans encombres.

En toute circonstance, Gloria Denton est capable de garder sa stature, son attitude hautaine, donnant l’impression de maîtriser tout ce qui lui arrive. Elle est toujours bien habillée, et froide comme la glace, comme un homme transformé en femme. La narratrice va répondre aux attentes de Gloria au-delà de ses attentes, jusqu’à ce qu’un grain de sable vienne se loger dans ce rouage si bien huilé.

Notre narratrice va rencontrer Vic Riordan, un joueur invétéré qui croit tout gagner mais qui perd toujours. Elle en tombe amoureuse et va tout faire pour sauver son amant, d’autant plus qu’il doit une importante somme d’argent à Mackey, le nouveau caïd local. Pour elle, se vie va très vite se compliquer.

Je ne sais comment vous dire qu’il vous faut lire ce livre. Car c’est une histoire noire,  bien noire, dans la plus pure tradition du roman noir américain, avec l’ambiance, les personnages, les situations dramatiques et la psychologie parfaite qui va avec. Mais quels portraits de femmes Megan Abbott nous décrit là, avec un sens de la narration parfaitement maîtrisé et assumé : décrire cette histoire par la narration de la jeune femme et par la psychologie du personnage.

Au-delà de ça, c’est aussi une histoire d’héritage, d’éducation de mère à fille, de mentor à élève, de maître à esclave qui nous est conté. J’ai adoré cette évolution du personnage, qui commence par vouer un culte à Gloria, avant de s’émanciper, de se révolter pour finalement remettre en cause son éducation même. Sans vous dire la fin, il n’en restera qu’une, car au bout du compte, que ce soit du coté de Gloria ou de la narratrice, cela ne pouvait que se terminer par une trahison.

Pour finir, il faut que je vous parle du style de Megan Abbott. C’est si pur, si fluide, que c’en est un vrai plaisir de lecture. Sans en dire trop, ni sur le temps, ni sur les lieux, on est plongé dans cette histoire qui pourrait se dérouler à n’importe quelle époque, et dont la dramatique est finalement hors du temps. Mon avis pourrait se résumer en un mot : Magnifique ! Et après avoir écrit cet article, il me tarde de lire Absente, son précédent roman sorti chez nous, qui attend sur une étagère, sagement.

Guerre sale de Dominique Sylvain (Viviane Hamy)

Attention, coup de coeur ! Vous connaissez mon plaisir à découvrir de nouveaux auteurs. Dominique Sylvain n’est pas une nouvelle dans le domaine du roman policier mais je n’avais jamais lu ses romans. Ce roman est tellement bien construit que je vais mettre ses précédents romans sur ma liste d’achat.

Florian Vidal est un avocat spécialisé dans les contrats d’armement et les relations franco-africaines. Son cadavre vient d’être découvert aux abords de la piscine de sa propriété de Colombes. Vidal a été menotté et brûlé vif, un pneu enflammé autour du cou. Cette méthode est connue sous le nom du supplice du père Lebrun, et a été très utilisée à Haïti lors du règne des tontons macoutes. Son Blackberry a été retrouvé au fond de la piscine mais la carte en a été enlevée.

Aucun autre document ne permet de démarrer cette enquête. Si ce n’est que cinq ans auparavant, Toussaint Kidjo, qui travaillait sous les ordres de Lola Jost, a été assassiné de la même manière. Lola a démissionné de la police un an avant sa retraite. Le meurtre de Toussaint y est pour beaucoup. Elle y voit là l’occasion de retrouver les assassins de son collaborateur et ami. Elle ne pourrait pas mener à bout son enquête sans son amie Ingrid Diesel.

Du coté officiel, Sacha Duguin se voit confier cette enquête. Il découvre rapidement que Vidal travaillait pour Richard Gratien, l’homme incontournable pour tous les contrats d’armement à destination de l’Afrique. Mister Africa, comme on le surnomme, a pris Vidal sous son aile, le considérant comme son fils naturel, allant même jusqu’à lui payer ses études de droit. Souvent suspecté de détournement de fonds, Gratien n’a jamais été condamné. Sacha et Lola vont enquêter en parallèle, presque comme des concurrents, pour démêler ce sac de nœuds qui va s’avérer bien noir et bien dangereux.

Le contexte de ce roman est dur, noir et sans concession. Ceux qui s’attendent à un roman policier classique ne seront pas déçus, au sens où l’enquête avance au rythme des interrogatoires et des indices éparpillés ça et là, mais ils auront en plus ce contexte si particulier lié aux ventes d’armes. Arrêtez d’être naïfs, la fabrication d’armes est une activité importante dans le PNB des pays riches, et où il faut bien des intermédiaires qui ont les bonnes relations pour vendre plus et mieux. Dégueulasse, non ? Mais c’est la réalité !

Au-delà du contexte, le style est direct. Quel punch ! Quelle brutalité parfois ! J’ai vraiment été surpris au départ, tant les phrases sont directes, sans fioritures. Cela donne une force au propos, mais aussi une impression que l’on vous assène des coups de poing. C’est un style violent, direct, acéré, que j’ai trouvé très agréable à lire. Et bien que je l’aie lu dans une période où je n’aie pas eu beaucoup de temps à consacrer à la lecture, le livre me faisait des clins d’œil quand je l’ouvrais.

Et puis, il a les personnages. Ils sont FORMIDABLES ! Il y a Sacha, enquêteur rigoureux et professionnel, poussé par sa hiérarchie, son chef qui fait partie des incorruptibles. Lola, fantastique femme que j’imagine de petite taille, toute en nerfs, en détermination, aidée en cela par le porto qu’elle boit comme du petit lait. Elle a un désir de résoudre cette affaire car c’est ce qui l’a poussée à démissionner, mais elle est aussi fidèle à Toussaint, son ancien ami, à qui elle veut donner une justice. Et puis, il y a Ingrid, cette américaine, qui est le trait d’humour de cette histoire, qui apprend le français en le parlant, se trompant toujours de mot quand elle utilise des expressions françaises.

Bien que ce roman ne soit pas leur première enquête, vous pouvez commencer celui-ci sans pour autant avoir lu les autres, puisque les informations nécessaires à comprendre les personnages sont distillées par petites touches au début du roman. Tout ce petit et complexe mélange fonctionne à plein régime. On a une impression de vitesse, d’urgence. Nos trois protagonistes tentent de surnager dans une piscine noire, cynique, inhumaine. C’est un excellent roman qui me fait dire que vous allez bientôt entendre parler de Dominique Sylvain chez Black Novel. D’ailleurs j’en ai déja acheté six qui sont ré-édités chez Points.