Archives pour la catégorie Coup de coeur 2012

Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock (Albin Michel)

Coup de cœur, ouh la la, et même plus que ça ! Il y a deux ans, il y eut Moi comme les chiens de Sophie Di Ricci ; l’année dernière, ce fut Bienvenue à Oakland de Eric Miles Williamson, et cette année ce sera Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. J’ai trouvé le roman qui va rester longtemps dans les limbes de mon cerveau. Ne me faites pas dire que les autres coups de cœur ne sont pas des romans inestimables à mes yeux. Mais celui-ci est tellement particulier, tellement marquant, tellement bien écrit, tellement bien construit, que je ne risque pas de l’oublier de sitôt.

Il est de ces romans qui vont laisser des traces, pas forcément propres, un étrange mélange de sang, de boue et de merde. Il est de ces romans qui font écarquiller les yeux, qui nous font détourner la tête, en se disant : « Non, il ne va pas oser ! ». Il est de ces romans qui vous laissent comme un goût amer dans la bouche, comme une odeur de pourriture dans les naseaux. Le diable tout le temps a remporté le Grand Prix de la littérature policière 2012 dans la catégorie Roman étranger, devant Au lieu-dit Noir étang de Thomas H.Cook, et il fallait que je voie ça, il fallait que je me fasse une idée …

Nom de dieu ! Ce roman est un gigantesque roman, et tous les éloges de la quatrième de couverture sont encore trop plats pour décrire les émotions que l’on ressent à sa lecture, trop mièvres pour évoquer l’ambition réussie de ce chef d’œuvre. Voilà ! le mot est lâché, je vais avoir de nombreux commentaires pour m’insulter ou affirmer cela, mais peu importe ! J’aime, j’adore, j’en redemande, je le dis, je le revendique et je souhaite que vous adoriez aussi !

Il est bien difficile de résumer ce roman, car faire un résumé des premières pages risque d’être réducteur sur la façon de mener l’intrigue serpentesque (je sais, le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais j’ai écrit un mot à l’académie française) de ce roman. Car le roman est un gigantesque filet de pêche, dans lequel se débattent une dizaine de personnages, qui vont se rencontrer, s’ignorer, se retrouver, se percuter … pour le meilleur et pour le pire.

Pour vous donner une petite idée, il y a par exemple Willard Russell, un ancien combattant de la guerre du Pacifique, pendant la seconde guerre mondiale, qui va épouser une brave femme, Charlotte et avoir un fils Arvin. Willard va protéger son fils mais assister à l’agonie de sa femme due à un cancer, et espérer que des sacrifices animaux puis humains puissent sauver son épouse.

Il y a des prédicateurs fous, arpentant les campagnes pour faire leur prêche dans les églises paumées de la Virginie. Roy et Theodore (qui est handicapé dans son fauteuil roulant) sont aussi horribles que leurs prêches sont convaincants. Roy va mettre enceinte une jeune femme, et Theodore va lui demander de lui prouver qu’il est la main de Dieu : par exemple, pourquoi ne tuerait-il pas la jeune mère pour la ressusciter ensuite ?

Il y a Carl et Sandy Henderson, un couple moderne qui arpente les routes du fin fond des Etats Unis. Leur passion, c’est la photographie : Sandy doit baiser avec les autostoppeurs qu’ils ramassent, et Carl les prend en photo avant, pendant et après leur mort prématurée. Il faut dire aussi que Sandy est la sœur de Lee Bodecker, le shérif de la ville et de la région de Ross County.

En fait, Donald Ray Pollock tisse son intrigue comme une araignée tisse sa toile. Les personnages sont vivants grâce à un style flamboyant, les décors sont incroyablement beaux, alors que les événements sont horriblement amoraux. Rarement, j’aurais été emporté par un auteur de cette façon, j’aurais bu les paroles d’un auteur sans jamais avoir eu l’impression de me lasser. Et tous ces personnages sont tellement gros que, dans les mains de Donald Ray Pollock, tout semble si vrai, si passionnant.

Au-delà de l’intrigue, que l’on peut lire au premier degré, il faut bien se rendre à l’évidence que le roman aborde le thème de la folie de la société. Tous les personnages sont de grands malades, et les seuls gens normaux vont subir une mort atroce. Et quand des personnages principaux se rencontrent, ça se termine mal, ce qui illustre que l’homme est un loup pour l’homme. Et le seul personnage à peu près normal de ce roman, le jeune Arvin que l’on va suivre pendant une vingtaine d’années, qui a été protégé pendant toute sa vie, lui aussi tombera dans la folie meurtrière. La conclusion de tout cela, Donald Ray Pollock nous l’assène en pleine face : ce monde est complètement fou, cela ne peut se terminer que dans la violence, et personne n’en réchappera.

Quelle conclusion pessimiste, quelle noirceur dans le propos, mais quel feu d’artifice dans le style ! C’est la marque de fabrique de cet auteur, qui avec ce premier roman, frappe un gigantesque coup de semonce et marque de son empreinte la littérature américaine et celle du roman noir. Ce roman est extraordinaire, laissez vous emporter par le fleuve noir de Donald Ray Pollock, il va vous emmener vers des contrées éblouissantes où vous n’aurez pas l’occasion d’aller tous les jours, cela va vous bouleverser et vous ne risquerez pas de l’oublier de sitôt. Coup de cœur, je vous dis !

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Monsieur le commandant de Romain Slocombe (NIL éditions)

Coup de cœur ! La collection Les affranchis de chez NIL éditions publie des textes écrits sous la forme de lettres, le sujet étant libre. Romain Slocombe nous transporte sur une période d’une dizaine d’années de 1932 à 1942, pour un roman qui autant par le fond que par la forme est hallucinant. Ce roman fut présélectionné pour le prix Goncourt de l’année dernière, et c’est amplement mérité.

Cette longue lettre est écrite par Paul-Jean Husson, écrivain renommé, membre de l’Académie Française et héros de la grande guerre. Son passage sur le front, où il a perdu une main,  lui a démontré que l’avenir n’est pas dans les conflits, mais dans la création d’une grande Europe, en s’alliant avec l’Allemagne. L’avènement d’Adolph Hitler en Allemagne en 1933 le confirme dans ses opinions et qu’il est important pour la France de retrouver son aura d’antan en adoptant une politique visant à écarter les profiteurs tels que les juifs ou les étrangers.

Habitant à Andigny, en basse Normandie auprès d’une femme aimante, il voue une adoration à sa fille Jeanne, et est heureux que son fils Olivier réussisse en tant que musicien à l’Orchestre Symphonique de Paris. Quand Olivier revient d’Allemagne avec une superbe jeune fille, Ilse Wolffsohn, ancienne actrice de cinéma, Paul-Jean est au comble du bonheur, avant que le drame le touche.

Tout d’abord, sa fille Jeanne va se noyer dans le Seine. Puis sa femme, atteinte d’une tumeur au cerveau va lentement décliner vers une mort programmée. La naissance de sa petite fille Hermione ne va rien changer, d’autant plus qu’il apprend par une enquête d’un détective privé que sa belle fille est juive. Sa vie va se révéler plus compliquée avec ce secret lourd à porter qui va à l’encontre de ses convictions intimes.

Ce roman est tout simplement énorme. Dès les premières pages, on est happé par le style très érudit de Paul-Jean et on s’approprie très vite cette lettre en forme de confession. Chaque phrase, chaque paragraphe sont comme autant de coups de poings que l’on se prend au ventre, tant Paul-Jean, personnage lettré, arrive à justifier ses opinions, à démontrer son aversion pour les impurs, tout en déroulant son histoire personnelle, dont le déroulement est exceptionnellement maitrisé.

J’ai avalé ce roman, le dégout accroché aux bords des lèvres, l’horreur étalée devant mes yeux effarés. Romain Slocombe nous montre un homme pris dans ses contradictions, confronté à des choix entre famille, amour et conviction personnelle. Ce personnage que l’on déteste, pris en tenaille entre l’amour pour sa belle fille et la nécessité d’épuration du pays, est formidablement vivant, foncièrement pourri, allant jusqu’à écrire de violents articles de propagande appelant à l’extermination des juifs, tout cela au nom de la grandeur de la nation.

Il ne faut pas réduire ce roman à une longue lettre d’un personnage. Romain Slocombe déroule aussi une intrigue en forme de chronique familiale, une petite page d’histoire dans le grand livre de l’Histoire. La documentation sur le contexte, sur les dix années qui ont changé le monde est impressionnante et est subtilement insérée dans la lettre pour ne pas donner l’impression d’un cours magistral.

Ce roman sombre, noir, exemplaire, est aussi une leçon, une grande claque dans la figure à tous ceux qui pensent que les racistes sont des mous du bulbe. La démonstration est forcément touchante, et elle fait mal au ventre. Et plus on avance dans le roman, plus l’intrigue est sombre jusqu’à finir dans la plus ignoble des horreurs.

Ce roman est parfait, exemplaire par sa maitrise de la psychologie de son personnage principal. La motivation de Paul-Jean Husson est d’autant plus marquante qu’elle peut être actuelle. En refermant ce livre, je me suis dit : « Nom de dieu ! Mais ce livre devrait faire partie des programmes scolaires », tant il y a à dire, à analyser pour mieux comprendre les autres et éviter des débordements dramatiques ou des actions inacceptables. Extraordinaire !

Toxic Blues de Ken Bruen (Folio Policier)

Coup de coeur ! Amusant comme un personnage tel que Jack Taylor peut vous remonter le moral ! J’ai tout lu des enquêtes de Jack Taylor, sauf celle-ci, que je me réservais bien au chaud. J’ai découvert Jack avec Le Martyre des Magdalènes, et je l’ai suivi dans sa descente aux enfers. J’avais dévoré le premier de la série, par la suite, Delirium Tremens ; il me restait donc Toxic Blues.

Malgré le fait d’avoir tout lu (et dévoré) de Jack Taylor, j’avais un peu d’appréhension de reprendre une enquête qui se situait si tôt dans la vie de Jack. En fait, cela m’a permis de mieux mettre en valeur et l’évolution du personnage, et l’évidence du style de Ken Bruen. Car Toxic Blues représente à mon avis le roman par lequel Ken Bruen décolle, devient un auteur incontournable dans le paysage du roman noir contemporain.

Nous avions laissé Jack Taylor à la fin d’une aventure éprouvante. Il a quitté l’Irlande pour Londres, alcoolique jusqu’au bout des mains, il revient dans son quartier de Galway camé à la cocaïne jusqu’au bout du nez. Il retrouve tous ses amis, dont Jeff et Cathy qui attend un bébé. Hébergé par eux, dans un premier temps, il est vite contacté par Sweeper.

Sweeper est un tinker. C’est une communauté qui regroupe les gens de voyage. Depuis quelques temps, certains membres de leur communauté sont atrocement assassinés, le crâne défoncé. Jack va accepter d’enquêter pour retrouver l’auteur de ces meurtres. En même temps, il doit gérer ses relations conflictuelles avec sa mère, et ses sentiments amoureux.

Ken Bruen est un as, il déroule son intrigue l’air de rien, passant de rencontres en soirées speedées à la façon d’un Burroughs ou d’un Henri Miller (sans les scènes de sexe) avec une telle facilité qu’il est impossible de lâcher le livre. Il donne aussi au lecteur les repères pour s’imprégner des influences, autant musicales que littéraires (car Jack est un grand lecteur). On entre dans la tête de Jack, on vit avec lui, cela devient un véritable ami.

On est littéralement immergé dans ce petit centre de Galway, ce petit village d’irréductibles où tout le monde se connaît, où il circule des effluves d’amour et de haine, où tout le monde se parle, se côtoie. Et il y a les prémices des changements à venir, cette société basée sur le fric, sur l’absence de sentiments, sur la peur de l’autre, l’élimination du différent.

Vous en connaissez beaucoup, des auteurs capables de décrire un lieu par une phrase, de montrer un personnage en un paragraphe, de vous tirer en deux mots des larmes, de vous faire serrer les dents, de vous plier sous un coup de pied. Ce roman est, à mon avis, l’un des meilleurs de la série avec Le Dramaturge. Et je ne saurais vous conseiller de commencer par le premier de la série. C’est tout simplement une série incroyablement imprégnée de notre époque, avec un personnage témoin des changements de notre société, antipathiquement sympathique. Lisez Ken Bruen, Jack Taylor est mon pote.

Une dernière question ma taraude après la lecture de ce monument du noir : depuis que Gallimard a décidé d’arrêter d’éditer les enquêtes de Jack Taylor, quand allons nous revoir Jack sur les étals d’une librairie ?

Une femme seule de Marie Vindy (Fayard Noir)

Attention, coup de cœur ! Il ne faut jamais rester sur une impression mitigée. Onzième parano ne m’avait pas emballé. Ce roman de Marie Vindy,  je le regardais du coin de l’œil, car je pressentais une bonne lecture. Je ne fus pas déçu tant j’ai été emporté par ses personnages.

Au lieu-dit de l’Ermitage, près de Chaumont, en Haute Marne. Au petit matin du 10 janvier, Joe, vétérinaire, fait le tour des écuries pour vérifier su les chevaux vont bien. Il découvre le corps d’une jeune femme étranglée aux abords de la grange. Il se précipite alors chez la propriétaire, Marianne Gil, pour la prévenir. Elle lui conseille de prévenir la gendarmerie.

Le capitaine de gendarmerie Francis Humbert est immédiatement appelé sur les lieux. Il s’aperçoit que l’enquête va être difficile, que les indices ne vont pas se multiplier ou qu’il va falloir chercher longtemps. De là où est le corps, on aperçoit le manoir. Francis va alors rendre visite à Marianne, et être trouble par sa beauté sombre et mystérieuse.

Marianne est écrivaine et a eu du succès avec son deuxième roman. Il s’avère que la propriété ne lui appartient pas, mais à son ancien compagnon, Marc Eden, star de la chanson qui a entamé une carrière solo depuis que son groupe Garage a disparu. Elle s’est retirée dans cette propriété depuis leur rupture. Humbert, divorcé et dévoué à son travail, va plonger dans cette enquête, en cherchant tout d’abord qui peut bien être cette jeune femme.

Nous voici donc à la campagne, au fin fond de nulle part, à des kilomètres de la première habitation, dans un manoir perdu au fond des bois, habité par une créature belle et étrange, coupable et innocente, attirante et mystérieuse. Ne cherchez pas dans ce roman des scènes d’action, des courses poursuites, des meurtres à chaque page. Ce roman est un policier tout ce qu’il y a de plus classique dans le déroulement de son intrigue.

Car ce roman ne fait pas d’esbroufe.  L’intrigue est simple, mais elle est menée de main de maître, au rythme de la nature. Surtout elle est portée par deux personnages extrêmement forts et totalement opposés, deux personnalités comme un duo duel, un face à face entre ombre et lumière, entre mystère et vérité. Marie Vindy plonge dans les pensées les plus intimes de ses personnages sans trop en faire, sans trop en montrer et tout marche. Et j’ai couru tout au long du livre.

Quelle belle idée de prendre des gens simples, et de raconter une histoire simple, sans en rajouter, sans faire de vagues, avec un style simple. J’ai complètement adoré la façon de dérouler l’intrigue, le désespoir et l’envie de s’esseuler de Marianne, l’obstination, la fascination de Humbert, les scènes feutrées au coin de la cheminée, le réalisme de l’enquête, les bois mystérieux dans la nuit avec leurs bruits et leurs odeurs.

400 pages et deux jours de lecture. Jamais je n’ai ressenti l’envie de faire une pause, de poser le livre, ce fut pour moi une vraie addiction de fréquenter Humbert et Marianne, à les regarder se regarder, à les écouter se parler. Ça parle de gens comme vous et moi, ça parle d’amour, de crimes, de blessures, de cicatrices qui ne se referment pas, de la nature qui regarde, ça parle d’un homme et d’une femme et d’une histoire qui va les faire se rencontrer.C’est passionnant et tout fonctionne à merveille. J’ai lu sur Internet qu’il y avait du Mankell dans ce roman, et c’est un compliment mérité. En tous cas, il mérite amplement un coup de cœur !

La trilogie berlinoise de Philip Kerr (Livre de poche)

Suite à la lecture d’Une enquête philosophique, je m’étais promis de lire ce roman, ou plutôt ces trois romans qui traînaient dans une de mes bibliothèques. Je me suis attaqué à ce pavé de plus de 1000 pages en trois fois.

L’été de cristal :

1936, Berlin s’apprête à accueillir les jeux olympiques. Tout doit être fait pour montrer la grandeur du 3ème reich, tout en cachant les atrocités qui commencent à avoir lieu. Bernhard Gunther, ancien flic, est devenu détective privé. Son travail principal consiste à rechercher des personnes disparues qu’il retrouve généralement jetés d’un pont après torture de la Gestapo. Herr Six, l’un des plus gros industriels allemands, lui demande de retrouver l’auteur des meurtres de sa fille et de son gendre ainsi que le contenu du coffre qui a été dévalisé.

Philip Kerr nous concocte là un roman noir classique (un privé gentil, des femmes fatales, une intrigue politique, des bagarres, des méchants, une ambiance glauque), avec un personnage à l’humour cynique à souhait, témoin de la transformation de son pays, mais ne s’engageant pas contre ce qui est pour le peuple un véritable bulldozer. Car c’est la grande force de ce roman, montrer de l’intérieur ce que fut la préparation à la deuxième guerre mondiale. Avec son style très agréable et fluide, il nous parle de l’interdiction pour les  femmes de travailler pour faire baisser le chômage, des grands travaux pour occuper les ouvriers, des juifs interdits de travailler cherchant à vendre leurs bijoux pour obtenir un visa, de la dénonciation, de la fierté de certains, des prisons qui sont devenues des camps pour les opposants et les indésirables, des riches utiles au pouvoir, de la corruption omniprésente. Ce roman est plus qu’un simple roman noir, c’est un véritable témoignage de ce que nous ne voudrions plus voir.

La pâle figure :

Berlin, 1938. En pleine crise des territoires des Sudètes, L’Allemagne se dirige doucement vers une guerre inévitable. Bernie Gunther a bien développé son agence de détective privé, avec son associé Bruno Stahlecker. Une riche veuve, Frau Lange va lui demander de trouver l’auteur d’un chantage dont elle est la victime, pour cacher les penchants homosexuels de son fils. Cette affaire rapidement menée à bien, il va être forcé de réintégrer la Kripo pat Heydrich pour retrouver le tueur en série de jeunes adolescentes allemandes.

On retrouve avec plaisir Bernie Gunther, avec son humour, sa clairvoyance et son attitude détachée vis-à-vis de la situation allemande. Cette enquête est plus classique, avec de nombreux rebondissements, et des personnages un peu caricaturaux. A nouveau, on retrouve en toile de fond cette Allemagne, qui s’enfonce dans l’horreur. Sauf qu’en 1938, on n’a plus le choix : on suit le pouvoir en place ou bien on meurt. C’est une description d’un royaume de la terreur, et même si j’ai pensé que l’on nous a décrit tout ça depuis, ce roman continue à nous montrer l’Allemagne de l’intérieur, et Bernie Gunther est un témoin fort agréable à suivre, avec une fin horrible et inéluctable, qui fait de ce roman plus qu’une recherche d’un tueur en série.

Un requiem allemand :

1947, dans un Berlin en ruine. La ville est occupée par les troupes alliées et russes. Les gens meurent de faim, s’adonnant au marché noir pour survivre. Gunther est revenu de la guerre, et a repris son métier de détective privé. Il est marié et soupçonne sa femme de se prostituer pour ramener à manger. Un officier russe fait appel à lui pour sauver de la mort un ancien camarade de la Kripo qui est accusé d’avoir tué un Américain, enfermé à Vienne. Il ne peut refuser la somme de 5000 dollars mise en jeu, et va être en contact avec les différentes zones d’influence qui se battent sur ce champ de ruine qu’est Vienne.

Gunther a vieilli, il a tout connu et sa désinvolture fait place à une sombre amertume. Il se bat pour sa survie et son couple. Comme dans les deux aventures précédentes, la documentation historique est précise et impressionnante. Les luttes pour le pouvoir font rage, les espions se battent contre l’armée, les Américains contre les Russes. Le cynisme de Gunther fait mouche à tous les coups dans cette situation où les grandes puissances se moquent des gens. C’est un épisode bien plus noir, bien plus politique que les autres, avec moins d’humour aussi. Mais avec un titre pareil, à quoi peut-on s’attendre d’autre ?

La trilogie :

En conclusion, il faut lire ces trois romans, tant ils nous plongent dans l’Allemagne de l’époque avec une précision et une justesse diabolique, tant ils démontrent comment on a construit le monde actuel. Les trois romans peuvent se lire indépendamment les uns des autres. L’ensemble est totalement cohérent, et l’idée d’avoir appliqué les codes du polar à cette époque sombre est fort judicieuse. On ne s’y ennuie jamais, et on vit, on respire, on souffre avec Gunther, même si son attitude est parfois fort mystérieuse. Gunther n’est pas un héros, juste un homme qui tente de franchir les obstacles pour survivre. C’est une trilogie qui m’a impressionné et confirmé que Philip Kerr est un grand auteur, et la trilogie berlinoise un incontournable de la littérature.

Trash circus de Joseph Incardona (Parigramme)

Coup de cœur ! Il a obtenu un coup de cœur de la part de Claude Le Nocher, on en parle beaucoup sur le Net. Voici un roman dont le titre dit tout, quoique, Trash Circus de Joseph Incardona. Attendez-vous à être secoués !

Frédéric Haltier travaille pour la chaîne de télévision Canal7, dont l’introduction en bourse est imminente. Il travaille pour une émission de télé réalité, qui consiste à réunir sur un même plateau victimes et assassins. Jean Michel Auriol en est le présentateur, Thierry Muget le producteur, et la pression qu’ils font subir est énorme pour augmenter la part d’audience.

La dernière idée en date est de ressusciter un fait divers vieux de vingt ans : un Japonais ayant tué, découpé et mangé une jeune femme. Haltier doit décider le père de la victime à venir sur le plateau de télévision, en face de l’assassin qui n’a jamais voulu s’exprimer devant les cameras. Après un voyage en Belgique, insensible au chagrin du père, Haltier remplit sa mission moyennant 80 000 euros, car tout s’achète, même les gens.

Car Haltier est comme ça : Il vit au jour le jour, sans morale, sans sentiment, ayant pour excitant la drogue et comme excipient le sexe. Il a deux filles qu’il ne voit jamais car il les a placées dans un internat, il viole des hôtesses, se moque bien que son père soit hospitalisé pour un AVC, et préfère profiter de sa passion : Assister aux matches du PSG pour ensuite aller aux bastons avec les supporters adverses. Cette vie amorale va pourtant connaître quelques grains de sable.

Ce roman porte bien son titre : Trash circus est trash et montre l’envers du décor du cirque télévisuel. Nous, téléspectateurs, avides de sang, de larmes de sexe, les yeux rivés sur le petit écran qui illumine nos pauvres salons, nous portons une responsabilité. Celle de créer des personnages hors normes et incontrôlables. Car pour faire des émissions ignobles, il faut des personnages ignobles. Et, pour le coup, Frédéric tient le haut du pavé.

Ce roman est speedé, horrible, dérivant tout dans les moindres détails jusqu’à ce qu’on en ait la nausée, pas tellement par les actes mais par les pensées et les justifications de Frédéric. Il est amoral, sans attaches, sans pitié, sans sentiments, car ce qui compte, c’est le résultat. Il n’a pas de limites dans un monde en décrépitude, seuls ceux qui vont vite s’en sortiront. Alors il utilise tous les excipients (drogue, alcool) pour tenir le rythme, utilise les gens comme des outils pour son bénéfice, et n’a comme soupape que le sexe, du sexe crade, ultime, sans remords.

Vous êtes prévenus : ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains. Les scènes de sexe sont très explicites, les scènes de bagarre sont très violentes, et malgré cela, je suis resté scotché au livre. A chaque que je me dis, il ne va pas le faire, Frédéric va encore plus loin. Car tout est bon pour lui, et peu importe les autres. Son seul leitmotiv, c’est de vivre. C’est une bête, lâchée dans la nature, dans un monde sans foi ni loi. Il n’est plus seulement amoral, il est inhumain. Les gens deviennent de simples outils, des jouets, des passe-temps, des ombres insignifiantes, du consommable fast food.

Joseph Incardona mène son roman à 100 à l’heure, ne se retournant pas sur les pensées ou les actes immondes. Il joue le jeu à fond, à la façon de Brett Easton Ellis avec American Psycho. Et ce n’est pas la seule référence que l’on peut offrir en hommage à ce roman. Ce personnage est ignoble et ne serait pas renié par un Massimo Carlotto par exemple. De même, ce jusqu’au-boutisme rappelle dans un tout autre genre un Eric Miles Williamson. De toutes ces comparaisons en forme d’hommage, ce roman très fortement choquant ne vous laissera pas indemne mais il en vaut le coup, il ne fera pas l’unanimité mais c’est un roman qui par son intrigue et ses personnages remporte l’adhésion … ou du moins la mienne !

Balancé dans les cordes de Jeremie Guez (La Tengo)

Coup de cœur ! Le voici, le voilà, le deuxième roman de Jérémie Guez, ce jeune auteur qui a sorti une première bombe l’année dernière avec Paris la nuit. Balancé dans les cordes est aussi le deuxième tome de sa trilogie consacrée à Paris.

Tony est un jeune homme qui vit à Aubervilliers, avec sa mère, qui se prostitue. La journée, il est garagiste chez son oncle, le soir il se donne à fond dans ses entraînements de boxe. C’est son oncle qui l’amené au gymnase pour apprendre à se défendre à l’école. Il va bientôt toucher du doigt son rêve, son nirvana, devenir boxeur professionnel et son premier combat est prévu pour dans un mois.

Il aime aussi les lumières de la ville, la nuit, parcourant les rues de Paris à bord de sa moto, seule folie qu’il s’est accordé, seule étoile de liberté dans une exigence terne et grise. Lors d’une de ses virées, il sauve une jeune femme, Clara,  qui se faisait agresser par des jeunes. Il la raccompagne chez elle, et il se prend à rêver d’amour.

Au cours de ses entraînements, un mafieux le regarde avec attention ; c’est Miguel. Accompagné de son garde du corps et de son frère attardé, il se prend d’affection pour Tony et lui dit qu’il peut compter sur lui en cas de problèmes. Tony, qui gagne son premier combat, va retrouver Clara mais au retour, il s’aperçoit que sa mère a été tabassée par un de ses clients. Tony va aller demander l’aide de Miguel et entamer ainsi sa descente aux enfers.

Forcément, quand on attaque le deuxième roman d’un auteur que l’on a adoré, on est fébrile. Est-ce que ça va être pareil, ou complètement différent ? Le sentiment qui va prédominer va-t-il être l’exaltation ou la déception ? Jérémie Guez a décidé de faire un roman complètement différent. Aux ambiances grises et glauques du premier, il opte pour le portrait d’un jeune homme qui se débat pour sortir de sa boue quotidienne. Aux longues phrases poétiques, il répond par un style haché mais bien écrit, efficace et des dialogues qui font mouche.

L’intrigue, elle, est toujours aussi prenante même si elle suit finalement les classiques du genre. C’est une descente aux enfers, un homme rattrapé par son milieu, un homme qui rêve des lumières mais qui retombe dans les limbes fantomatiques et violentes de la banlieue. C’est un roman noir donc il ne faut pas y chercher de rédemption ni d’espoir.

Ce roman est clairement plus abouti particulièrement dans le portrait de Tony, mais aussi dans les personnages secondaires (qui ne le sont pas). C’est un personnage touchant, par sa volonté, par ses rêves, mais aussi par son destin inéluctable : lui qui est promis à un avenir essaie de ne pas dévier de sa trajectoire mais il se retrouve malmené, comme un boxeur, envoyé dans les cordes.

Il y a bien son ange salvateur, Clara, il y a bien Moussa, son voisin trafiquant de drogue qui l’a initié à la boxe et qui lui donne des conseils pour revenir dans le droit chemin. Mais sa destinée était toute autre, et il ne la suit pas par facilité, mais par manque de réaction aux moments opportuns. Ceci dit, dans son environnement, il n’avait pas forcément le choix. Tony ressemble finalement à une boule de flipper qui va tomber dans le trou.

Dès les premières pages, on est pris par ce que raconte Tony car c’est écrit à la première personne du singulier. Il ne laisse transparaître que peu d’émotions, sauf quand il combat. Là, l’adrénaline monte et ce sont les seuls moments où il est conscient, de lui, de sa vie, des actes qu’il doit accomplir. C’est un formidable portrait de loser, passionnant à suivre, et c’est un coup de cœur très mérité !

Au lieu-dit Noir-Étang de Thomas H.Cook (Seuil Policiers)

Coup de cœur ! Thomas H. Cook, vous le savez, est un de mes auteurs favoris. Parce qu’il fouille des thèmes qui me sont chers, parce que ses intrigues sont subtiles, parce que son style est fluide, parce que … Voici son dernier en date :
Dans les années 20, à Chatham, la vie était tellement tranquille. Henri Griswald se rappelle cette petite ville, l’école de garçons que son père Arthur a créée, le grand lac qui s’appelle Noir-Etang, et le drame qui a à jamais changé la ville, les gens, mais aussi sa vision et sa philosophie sur le monde. Tout a commencé en cette année 1926, quand Melle Channing est descendue du bus à Chatham.
Mlle Elizabeth Channing est une jeune femme qui vient pour occuper le poste de professeur d’arts plastiques. Outre qu’elle est très belle, sa façon de s’habiller très élégante et ses attitudes de distance et d’empathie font que Henry, jeune adolescent de 11 ans, va tomber sous le charme. Comme son père veut bien l’accueillir et l’aider à s’installer dans la petite maison près du lac Noir-Etang, Henry va le suivre et être souvent avec Mlle Channing.
Elle va ainsi lui raconter sa jeunesse, son éducation, ayant été éduquée par son père lors de voyages en Europe. Henry se sent enfermé dans sa petite ville de Chatham, et ne pense qu’a vivre ses rêves les plus fous. Il se met à détester son environnement, sa vielle ses parents pour leur petitesse d’esprit, et de nombreux habitants tombent sous le charme de Mlle Channing, dont M. Reed, lui aussi professeur à l’école de garçons.
Pour tout vous dire, à force de lire les romans de Thomas H.Cook, je commence à m’habituer à son style, à sa construction. Et le début du roman m’a un peu déçu, au sens où j’avais l’impression de lire Les leçons du mal. J’ai mis un peu de temps à me plonger dans cette intrigue, mais, à force d’amonceler les petites scènes du présent, enchevêtrées aux scènes du passé, Thomas H. Cook m’a à nouveau enthousiasmé et emporté jusqu’à une fin qui est tout bonnement extraordinairement géniale.
Comme d’habitude, il y a un homme, qui revient sur son passé, qui détaille son passé, qui dissèque les lieux, les attitudes, les gestes si petits qu’ils paraissent insignifiants, les paroles sans prétention mais si lourdes de conséquence au bout du compte, avec toujours cette finesse d’analyse dans les motivations des uns et des autres. Quel savoir faire impressionnant !
Thomas H. Cook y creuse, y questionne la force des institutions, la bêtise des a priori, l’injustice de la justice, l’idiotie des gens bien pensants au travers d’un adolescent qui s’ouvre au monde, qui croit découvrir la vérité alors qu’elle n’est que sa vérité avec les seuls éléments qu’il voit, qu’il ressent et l’expérience qu’il ressent. C’est un roman qui va toucher tout le monde, même s’il se passe dans les années 20 et que les mœurs ont évolué.
Une nouvelle fois, Thomas H. Cook fait mouche par sa construction, sa fluidité, son intelligence, ses personnages. Qui ne va pas craquer devant Mlle Channing, qui ne va pas se reconnaître devant Henry, qui ne va pas excuser Arthur devant ses non dits, qui ne va pas détester Me Parsons le procureur aveuglé par ses convictions ? Qui ne va pas adorer ce roman d’un souffle épique impressionnant ? Ce n’est pas parce que c’est un roman de Thomas H. Cook que je lui mets un coup de cœur, c’est parce que c’est un formidable roman, qui mérite de devenir un classique de la littérature … tout court. Grandiose !

Un grand merci à Richard qui m’a offert ce roman !