Archives pour la catégorie Coup de cœur 2020

Betty de Tiffany McDaniel

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

Attention, Coup de Cœur !

Je vais me joindre à tous mes collègues blogueurs, à tous les libraires et à tous les lecteurs qui ont encensé ce roman. Et je pense sincèrement qu’il est impossible de résister à cette histoire racontée par une petite fille qui grandit et découvre le vrai monde alors que son père le lui a expliqué avec sa poésie indienne.

Betty est une petite fille quand elle s’allonge sur le capot de leur voiture à coté de Landon Carpenter, son père de sang indien. Il lui explique que son cœur est en verre, que si, un jour, il perd Betty, alors son cœur se brisera en mille morceaux, et que ce sont ces morceaux qui le tueront. Tout le monde a un cœur en verre.

Ses parents se sont rencontrés dans le cimetière de Joyjug dans l’Ohio. Landon a trouvé bizarre de voir une jeune fille croquer dans une pomme, assise sur une tombe. Tout dans son attitude, dans la couleur noire de sa peau était réuni pour qu’ils se trouvent et s’aiment sous un ciel immaculé.

Quelques mois plus tard, il n’est plus possible pour Alka de cacher son ventre qui grossit. Le père d’Alka Lark la frappe pour la punir, parce qu’une femme ne peut avoir d’enfant sans mari. Il frappe sur le ventre pour tuer le Mal. Mal en point, Alka va retrouver Landon à la sortie de l’usine. En voyant son état, il décide d’ôter l’âme au père Lark, car aucun homme n’a le droit de frapper une femme. Le laissant pour mort, Landon décide de partir avec Alka, et ils s’installent à Breathed.

Ils vont traverser nombre d’états, au fil des années, en fonction des emplois que Landon trouve pour nourrir sa famille qui grandit. L’aîné s’appellera Leland, un garçon blond comme les blés. Puis arrive Fraya, Yarrow qui mourra étouffé en avalant un marron, Waconda qui pleurait tout le temps jusqu’à ce qu’elle avale une boule de coton, Flossie qui s’est toujours vue comme une star du cinéma, puis Betty qui est venue dans une baignoire, la seule qui avait la chevelure d’une Cherokee. Les deux derniers s’appellent Trustin et Lint.

Après cela, Alka décide qu’il n’y aura plus d’enfants et que leur vie doit s’épanouir là où ils ont commencé à vivre, à Breathed dans l’Ohio.

Betty, la narratrice de ce formidable roman, fait partie des personnages que je n’oublierai jamais, tant ce roman est fort, par la fluidité du style, par la simplicité de raconter et par la puissance émotionnelle. Nous allons suivre la vie de Betty de l’âge de 6 ans jusqu’à sa majorité et son départ à l’université, en passant en revue ses joies et ses peines, les bons moments et les drames. Petite fille sensible, elle suit son père, l’écoute lui raconter la Vie et écrit des bouts de vie sur des papiers qu’elle enfouit dans les bois tout proches.

Betty trouvera les réponses à toutes ses questions auprès de son père, un indien rejeté de tous pour la couleur de sa peau, et qui aura la chance de fonder une famille. Travaillant sans cesse, ne se plaignant jamais, et parsemant ses histoires de légendes sur la nature, Landon est un des personnages centraux du roman avec Betty. J’aurais aimé avoir un père comme lui, j’aurais aimé être un père comme lui.

Malgré le grand nombre d’enfants, on arrive à les repérer tous, ce qui est un sacré tour de force. Tiffany McDaniel leur a certes donné à chacun un signe distinctif, mais surtout, elle les a fort intelligemment incrusté dans le roman grâce à des scènes inoubliables. Et tous vont subir leur lot de joies, mais aussi de peines, voire de drames. Car au travers de ces dizaines d’années traversées par l’auteure, c’est la peinture d’une société qu’elle nous montre.

Betty la petite indienne telle qu’elle est surnommée par son père se fait le témoin de la société, par les événements qu’elle va subir. On pense tout de suite au racisme, celui de tous les jours, à ces voisins qui éloignent leur fille de peut qu’elle attrape une maladie. Mais elle est aussi institutionnalisée quand la maitresse d’école annonce devant toute la classe que Betty est forcément plus idiote puisqu’elle vient d’une tribu de sauvages. On peut aussi ajouter les chantiers de la mine d’où Landon sort couvert de charbon sur la figure. En fait, il se peignait le visage en noir sale pour que les autres ouvriers ne voient pas la couleur de sa peau, sinon ils l’auraient chassé à coups de pied.

Betty la jeune enfant va grandir et découvrir le monde des grands. Petit à petit, la naïveté va faire place à une lucidité, le monde naturellement beau et magique se fissurer sous la méchanceté des hommes. Car la jeune fille va devenir adolescente puis jeune femme et affronter le monde des hommes, fait par des hommes pour des hommes. Tiffany McDaniel va revenir plusieurs fois sur la place qu’occupe la femme dans la société chrétienne, si marginale alors qu’elle est au centre de la société indienne. Le naturel avec lequel elle pose les questions de Betty et la brutalité simple martèlent un message d’autant plus fort.

Tour à tour enchanteur, drôle, magique, dramatique, rageant, triste, ce roman fait voyager dans un pays qu’on ne veut pas voir, même si ses messages sont universels. Tiffany McDaniel s’est largement inspirée de la vie de sa mère. Elle a surtout écrit un formidable plaidoyer pour la tolérance et l’égalité des sexes, porté par un personnage féminin qui vous accompagnera tout le long de votre vie. C’est juste magique, poétique et magnifique !

Coup de Cœur !

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Avant les diamants de Dominique Maisons

Editeur : Editions de la Martinière

Attention, coup de cœur !

Après toutes les bonnes critiques parues sur ce roman, je me joins aux autres … avec un peu de retard … pour vous inciter à acquérir et à dévorer ce roman qui nous plonge dans le monde d’Hollywood de 1953. Le plaisir et l’immersion sont totaux.

17 mars 1953, Nevada Test Site, Mercury, Comté de Nye. Plusieurs invités viennent assister à la démonstration de force organisée par l’armée américaine. La bombe Annie vient confirmer la prédominance des Etats-Unis dans la course aux armes atomiques. Convoqué par le général Trautman, le major Chance Buckman se voit confier une mission de la plus haute importance : Comme le Maccarthisme s’essouffle, l’armée doit subventionner des producteurs indépendants des grands studios qui diffuseront des messages démontrant la grandeur de l’Amérique. A l’avenir, chaque pays aura deux cultures : la sienne et la culture américaine. Pour cette mission, il sera secondé par l’agent Annie Morrisson.

17 mars 1953, Lone Pine, Comté d’Inyo, Californie Larkin Moffat, producteur maniable de westerns à petits budgets, travaille au bouclage de son dernier film en date, avec une figure vieillissante du cinéma américain, Wild Johnny Savage. Il est obligé d’aller chercher la star dans sa roulotte car le tournage des scènes va bientôt démarrer. Il découvre un acteur épuisé, endormi dans ses vapeurs de drogue. Sans hésiter, le producteur sans scrupules appelle un docteur pour qu’il lui injecte un remontant pas tout à fait légal, de quoi lui faire tourner les scènes du jour. Puis il va passer ses nerfs sur sa compagne, Didi, à coups de ceinturons, avant de la violer. C’est le prix à payer pour devenir une Star.

17 mars 1953, Little Church of the West, Las Vegas, Nevada. Le père Santino Starace a réussi à faire fructifier son église et devient incontournable au sein de la Legion of Decency,  une ligue de vertu donnant des étiquettes de visionnage très strictes aux films pour préserver la morale du peuple américain. Ayant terminé sa journée, il retrouve son amant Juanito, qui a la moitié de son âge et qui rêve de devenir acteur. Quand Buckman et Morrisson le contactent, il accepte de faire l’intermédiaire avec Jack Dragna, qui gère les affaires du mafioso Mickey Cohen, incarcéré depuis peu pour évasion fiscale. En échange, le père Starace négocie des papiers en règle pour Jancinto. Dragna y voit l’occasion de diversifier les investissements de la mafia et la possibilité d’un rendement extraordinaire.

Je ne sais pas ce qu’il en est de vous, mais je suis passionné par le cinéma américain d’après-guerre. C’est aussi le cas de Dominique Maisons, dont chaque ligne de ce roman est écrite avec passion. Et c’est un vrai grand beau roman noir auquel on a droit avec ce pavé de 500 pages, comme une sorte de voyage enchanté dans un monde féérique, mais aussi superficiel et irrémédiablement violent.

La comparaison en quatrième de couverture avec les grands auteurs contemporains est flatteuse (James Ellroy, Robert Littell ou Don Winslow) et ce roman n’a pas besoin de ces références pour se situer au-dessus du lot. Ce roman formidablement évocateur, possède sa propre identité et se place parmi les meilleurs romans évocateurs de cette période. Car, avec une plume érudite et une puissance évocatrice, le lecteur que je suis a fait un voyage dans le temps, et découvert l’envers du décor imprimé sur la toile de cinéma.

L’auteur n’avait pas besoin de parsemer son histoire de personnages illustres (on y croise entre autres Errol Flynn, Clark Gable, Gary Cooper, Franck Sinatra, ou HedyLamarr) pour sonner vrai. Et pourtant, ils sont tellement bien utilisés dans l’intrigue qu’ils se fondent dans le décor. On y sent l’odeur de la peinture fraiche, on y entend les caméras tourner, on y voit des acteurs ou actrices malades se transformer dès qu’on entend le mot « Moteur ».

Et puis, derrière les fastes exhibés devant la caméra, l’ambiance tourne au scénario le plus noir que l’on puisse imaginer. Des luttes d’influence aux relations entre l’armée, le cinéma et la mafia, des actions violentes perpétrées pour assouvir un besoin sexuel, ou une envie de meurtre ou juste un besoin de vengeance, quand ce n’est pas pour éliminer une concurrente, ce roman ne nous épargne rien, tout en restant en retrait, factuel comme un témoin de cette époque apparemment idéale mais en réalité si cruelle et immonde.

Pour illustrer ces aspects, des personnages fictifs vont émailler cette intrigue, Didi, Liz, Juanito, Buckman, Annie, Moffat, Storance, et tous sont justes, vrais, psychologiquement impeccables, tout au long de cette année 1953 que parcourt cette histoire. Ils vont tous être tour à tour innocents, coupables, bourreau et victimes. Hollywood vend du rêve mais l’envers du décor ressemble plutôt à une machine à broyer des êtres humains.

Avec son scenario en béton, sans oublier sa fin apocalyptique, avec ses personnages formidables, avec sa puissance d’évocation, et son style si fluide et hypnotique, Dominique Maisons a écrit un grand livre, que je ne suis pas prêt d’oublier. Il a aussi garder sa passion intacte, ne jamais faiblir tout au long des 500 pages, et nous offrir un grand moment de littérature, tout simplement.

Coup de cœur !

Si j’ai lu (dévoré) ce roman, c’est surtout grâce aux billets de Laulo et Yvan

Eureka Street de Robert McLiam Wilson

Editeur : Christian Bourgois (Grand format) ; 10/18 (Format poche)

Traducteur : Brice Matthieussent

Attention : coup de cœur !

Ils sont deux : Jake Jackson et Chuckie Lurgan ; Amis à la vie, à l’amour, à la mort. Pourtant, tout les oppose. Jake est catholique, Chuckie est protestant. Jake est un violent nerveux, donnant du poing à la moindre contrariété, Chuckie est un calme et gentil fainéant. Jake est récupérateur (et parfois, il faut être persuasif) de biens mobiliers quand les pauvres habitants de Belfast ne peuvent plus honorer leur emprunt, Chuckie cherche un moyen de se faire du fric facilement.

Avec son esprit bagarreur, qu’il traine devant lui pour son travail mais aussi dans sa sphère personnelle, Jake pleure le départ de Sarah, sa copine. Comme il plait à la gent féminine, il se retrouve à guetter les signes des jeunes femmes qui s’intéresseraient à lui, comme Mary, la jeune serveuse du pub. Chuckie a un physique ingrat, bedonnant mais  sa vie change le jour où il tombe amoureux de Max, une jeune américaine d’une beauté évanescente, fille d’un diplomate assassiné.

Leur vie coule entre recherche de l’âme sœur et survie dans une ville en pleine crise économique, rythmée aux battements des attentats à la bombe, qui ne les étonnent plus. A la limite, leur jeu consiste à déterminer où la bombe a bien pu exploser, à la force du son qui leur parvient. La vie de Chuckie change le jour où il a l’idée de passer une petite annonce pour vendre des articles sexuels, qui lui permet de ramasser plusieurs dizaines de milliers de livres.

Cette chronique de vies de trentenaires dans une ville en souffrance est juste une étoile dans un ciel noir. La volonté de l’auteur de prendre comme personnages des habitants simples, et ce centrer l’intrigue sur les amours de ces deux jeunes gens s’avère d’autant plus efficace quand il s’agit d’aborder des scènes extrêmement fortes, autant par les émotions qu’elles transportent que la violence qui en est induite.

Le ton n’est jamais larmoyant, ou triste à pleurer ; c’est même tout le contraire. Tout en auto-dérision, l’auteur excelle dans l’humour noir et cynique, tout en ayant des répliques décalées et cinglantes, typiques de l’humour irlandais. Si on peut penser que le mode de vie et de pensée de ces jeunes est irresponsable, détaché de toute réalité, il faut plutôt y voir une nouvelle génération des années 90 qui refuse d’adopter les combats de leurs aînés, et qui veut enfin vivre.

 Pour autant, chacun des personnages va exprimer ses opinions et donner lieu à des passages d’une lucidité fantastique par la simplicité avec lesquelles elles sont exprimées. On y trouve par exemple ce paragraphe à propos des attentats qui tuent des innocents : « C’était la politique de cour de récréation. Si Julie frappe Suzie, Suzie ne frappe pas Julie en retour. Suzie frappe Sally à la place. »

L’histoire se déroule comme tous les grands romans populaires et possède un souffle et une force inoubliable, quasiment universelle, et tous les personnages résonneront longtemps en nous ; en particulier ce terrible chapitre 11 qui, au milieu d’une période calme, entre soirées au pub et repas familiaux, va décrire un attentat qui va impacter nos petits groupes. Et il est bien difficile de ne pas pleurer en le lisant.

C’est aussi un roman sur l’amitié, plus forte que tout, la loyauté au-delà des clivages de territorialité, de nationalité ou de religion, de règles de vie, de fierté, de parents pris dans la tourmente mais toujours là en soutien, d’amour bien sur, toujours plus fort que tout. Et le nombre de passages que j’ai envie de partager est énorme. Je vais mettre ce roman à coté de mon lit pour relire quelques passages comme ceux que je vais partager :

« C’était Poetry Street. C’était le Belfast bourgeois, plus feuillu et plus prospère qu’on ne l’imagine. Sarah avait trouvé cet endroit et nous y avait installés pour mener notre vie arborée dans notre quartier arboré. Chaque fois que ses amis anglais ou sa famille nous avaient rendu visite, ils avaient toujours été déçus par l’absence de voitures calcinées ou de patrouilles militaires dans notre large avenue bordée d’arbres. De la fenêtre du bas, Belfast ressemblait à Oxford ou Cheltenham. Maisons, rues et gens avaient l’apparence cossue de revenus confortables. »

Ou encore :

« Et comme d’habitude, le ton est monté – le ton montait toujours dans les bars de Belfast. L vieille recette usée : La démocratie constitutionnelle, la liberté par la violence et les éternels droits de l’homme. Autrefois, nous discutions de femmes nues, mais au bout de quelques années, chacun de nous a cessé de croire aux mensonges des autres (…) Je veux dire que, pour lui (Chuckie), l’histoire et la politique étaient des livres posés sur une étagère, et Chuckie ne lisait jamais. »

Allez, une dernière sur l’efficacité des paramilitaires protestants :

« Malgré tous les mythes grand-guignolesques de protestants assoiffés de sang, ils n’arrivaient pas à la cheville des catholiques. Pourtant, Chuckie pensait que  leurs opérations étaient plus simples que celles des autres. La complexité politique ne leur convenait pas. Ils voulaient terroriser les catholiques. Et ils les terrorisaient en tuant des catholiques. Chuckie avait toujours eu le sentiment qu’ils excellaient en ce domaine. »

Coup de cœur !

Oldies : Necropolis d’Herbert Lieberman

Editeur : Seuil (Grand Format) ; Points (Format Poche)

Attention, coup de cœur !

L’auteur :

Herbert Lieberman, né le 22 septembre 1933 à Nouvelle-Rochelle, dans l’État de New York, est un écrivain américain, auteur de roman policier.

Diplômé de l’Université Columbia, il est un temps journaliste avant de travailler dans le milieu de l’édition. Il est longtemps directeur de publication au Reader’s Digest Book Club.

En littérature, il se fait d’abord connaître par des romans psychologiques dans la plus pure tradition du roman policier anglo-saxon, notamment avec La Mainmise (aussi publié en français sous le titre La Maison près du marais) et La Huitième Case. Il devient ensuite le maître incontesté du grand thriller new-yorkais avec Nécropolis (Grand prix de littérature policière, 1976), La Traque, Trois heures du matin à New York et le désormais célèbre La Nuit du solstice. Le Maître de Frazé est un roman d’anticipation.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Nécropolis, c’est la «Cité des morts» : New York, sillonnée par les fous, les mythomanes et les drogués, les assassins et les paumés de toute sorte ; en proie aux intrigues de la municipalité et aux trafics d’influence ; quadrillée par les voitures de police et les ambulances dans un grand concert de hululements de sirène et de crissements de pneus. Avec comme destination finale : la morgue. Presque toujours.

Paul Konig, médecin-légiste en chef de la Ville, est au centre de ce roman et des différentes histoires policières qui s’y entrecroisent, comme il est le Maître qui règne sur les énormes dépôts macabres, ces charniers «propres» qui symbolisent en quelque sorte l’inhumanité et la violence de la plus grande métropole du monde.

Depuis les chambres froides où il procède aux autopsies et livre aux policiers les premiers renseignements qui leur permettront de proche en proche d’identifier les corps et de reconstruire leur vie, Paul Konig, sorte de héros shakespearien délirant et fort, mais étonnamment humain – et qui donne au livre sa vraie dimension littéraire -, surveille New York, sa ville, mène au besoin l’enquête, recherche sa fille Lolly qui a disparu, suit inlassablement des pistes, lui-même tourbillon au sein de toute cette démence.

Nécropolis n’est pas seulement l’un des sommets de la littérature policière, c’est aussi un extraordinaire document pour lequel Herbert Lieberman a passé plus d’une année à enquêter dans les morgues de Manhattan. C’est surtout, comme la presse américaine l’avait souligné lors de la parution, «sans aucun doute le plus beau livre jamais écrit sur New York».

Mon avis :

Comment rester insensible à Necropolis, à son histoire, à son cadre, à sa description de la société, à son personnage ? Ecrit comme un reportage, ce roman va nous plonger dans une profession qu’à l’époque on ne voyait pas souvent dans les polars. Il faudra attendre les années 2000 pour que des séries télévisées abordent le rôle de médecin légiste.

Forcément, avec ce métier au centre de l’histoire, on peut s’attendre à un roman sanglant et glauque. J’ai été surpris par la volonté de l’auteur d’éviter le gore gratuit, pour le remplacer par des descriptions minutieuses des autopsies, avec des termes scientifiques qui nous écartent de l’horreur que l’on a devant les yeux. Herbert Lieberman apporte toute la précision à ses paragraphes de la même façon que Paul Konig apporte du soin à résoudre les mystères qu’on lui demande de résoudre.

Paul Konig, personnage central du roman, est terriblement vrai et juste dans sa psychologie. On a affaire à un expert mondial reconnu dans sa discipline, qui est capable de reconstituer ce qui s’est passé en analysant les restes de corps. Il se retrouve dans une situation difficile, sous pression avec plusieurs enquêtes difficiles mais il doit aussi faire face à des mises en cause dans son travail. A cette pression professionnelle s’ajoute la chute abyssale dans sa vie personnelle, avec la mort de sa femme et la disparition de sa fille. Il se retrouve donc sous tension, toujours en colère, à hurler contre les autres, pour oublier son incapacité à retrouver sa fille ; lui si doué dans son travail est incapable d’avoir une vie familiale normale. Et les nombreuses scènes passées qu’il se rappelle sont autant de coups de poignards qu’il doit gérer sans rien montrer aux autres.

Et l’un des aspects de ce roman est la transformation de la société, une société de plus en plus violente, de plus en plus inhumaine. Les crimes auxquels il a affaire sont de plus en plus horribles, et sa seule réaction comme sa seule possibilité est de s’enfermer dans son travail, car c’est bien la seule chose qu’il a toujours su faire. Mais cela ne suffit pas à le soulager, ni à l’aider à vivre mieux.

C’est un roman effarant sur un homme qui perd tout et qui a tout moment cherche des causes chez les autres. Il refuse sa propre responsabilité, refuse sa culpabilité, refuse d’assumer ses choix qui s’avèrent tous mauvais. Ce roman dramatique dépasse le cadre d’un reportage sur une profession peu connue, elle est l’autopsie d’une société qui entre dans la négation de la vie humaine.

Coup de cœur !

La fabrique de la terreur de Frédéric Paulin

Editeur : Agullo

Attention, coup de cœur !

Après La guerre est une ruse puis Prémices de la chute, voici donc le troisième et dernier tome consacré au terrorisme moderne et à Tedj Benlazar, agent de la DGSE ayant vécu les soubresauts mondiaux des années 90 à aujourd’hui. Avec ce roman, cette trilogie se clôt de façon grandiose, passant en revue le monde de 2010 à 2015, tant Frédéric Paulin atteint un sommet en terme de roman politique international.

Janvier 2011, Sidi Bouzid, Tunisie. Mohamed Bouazizi vit dans la misère et ce n’est pas les quelques fruits et légumes qu’il arrive à revendre qui l’aident à s’en sortir. A bout, refusant de payer un bakchich aux policiers, il décide de s’asperger d’essence et s’immole par le feu. Cet appel au secours va entraîner le soulèvement du peuple tunisien, demandant le départ de Ben Ali, leur président.

Mis à la retraite prématurément, Tedj Benlazar termine sa vie dans une maison à Pontempeyrat. Mais il est hanté par ses cauchemars, et par les soucis que lui occasionne sa fille Vanessa, reporter international, qui veut couvrir la révolution du Printemps arabe qui s’annonce. Et il voit trop peu Laureline Fell, sa compagne, devenue commandant à la DCRI de Toulouse, nouvellement créée par Nicolas Sarkozy.

Vanessa Benlazar voit que le monde arabe est en train de basculer. Elle est de plus en plus absente, pour des voyages à l’étranger, et délaisse sa vie de famille, ses deux enfants Achille et Arthur, mais aussi son mari Reif, professeur de collège. Celui-ci décide d’ailleurs d’accepter une mutation dans le sud de la France à Lunel, proche de Montpellier, où le taux de chômage est dramatique.

Simon habite Lunel et il sait bien que travailler à l’école ne va le destiner qu’à gonfler le nombre de chômeurs. Et puis, il ne se reconnait pas dans la direction que prend cette société. Son copain Huseyin lui fait rencontrer Hasib, qui voyage au Maghreb et porte la bonne parole, celle de défendre leurs frères. Simon finit par se convertir à l’Islam, à regarder des videos de propagande sur Youtube, à écouter les discours religieux puis à rejoindre la Syrie pour défendre les croyants contre les haram.

J’ai déjà tout le bien que je pense de cette trilogie et tout le talent de conteur de son auteur Frédéric Paulin. Je ne vais pas vous dire que ce roman est comme les deux précédents, juste qu’il clôt de façon magistrale une trilogie sur notre Histoire contemporaine de façon énorme, gigantesque. Ce roman est d’une intelligence et d’une force telles que l’on ne peut qu’être ébahi devant cette œuvre.

Quelle force dans la construction ! Passant d’un personnage à l’autre, sans que nous, lecteurs ne soyons perdus, Frédéric Paulin plonge dans le cœur de l’histoire contemporaine pour nous montrer les mécanismes qui aboutissent aux actes terroristes qui nous ont tant marqués. Il mélange faits historiques et scènes inventées avec une maestria qui le fait rejoindre les plus grands auteurs du genre.

Quelle force dans les personnages ! Car ce sont eux qui sont au premier plan. Ce sont eux qui sont menés par leurs propres objectifs, que ce soit Vanessa poussée par sa volonté d’informer, Laureline par sa volonté de protéger les populations ou Simon par sa volonté de suivre ses croyances. Frédéric Paulin évite de faire de ses personnages des caricatures pour creuser leurs motivations et leur psychologie. C’est grand !

Quelle force dans l’histoire ! En ne prenant pas position, en plaçant ses personnages au premier plan, Frédéric Paulin arrive à nous écrire l’histoire de ce 21ème siècle sanglant. Il nous explique les rouages, les clans qui se créent et qui se combattent. Il n’accuse personne si ce n’est les gouvernements qui ont laissé le désespoir s’installer, le chômage grossir et la recherche d’un monde meilleur comme seul et unique but dans la vie ; ces gouvernements qui ont minimiser les risques et favorisé l’éclosion de la technologie, celle-là même qui permettra aux terroristes de frapper au cœur même des pays.

Quelle force dans le style ! Jamais dans le livre, on ne se dit que Frédéric Paulin en fait trop. Jamais on ne se dit que tel événement ou scène a été rajoutée pour les besoins de l’intrigue globale. Tout y est d’une évidence rare et ce roman démontre une nouvelle fois que Frédéric Paulin est un conteur hors pair, que l’on est prêt à suivre n’importe où, quelque soit l’histoire qu’il nous raconte.

Quelle force dans l’évocation et dans les émotions ! Car il ya  quelque chose d’inéluctable dans ce roman : c’est que nous savons ce qui va arriver. Comme dans Prémices de la chute, nous savons que cela va se terminer par le massacre du Bataclan. Et nous avançons comme des soldats sur le front, en sachant qu’au bout, la Mort nous attend. Et malgré cette absence de suspense, le roman nous réserve des rebondissements d’une force émotionnelle qu’on en ressort bouleversé, le cœur serré.

Ce roman est un grand roman, cette trilogie est une grande trilogie. Elle permet, grâce à ces personnages formidablement vivants, de nous montrer les rouages d’une série meurtrière, voire même de nous expliquer la situation actuelle … car ce n’est pas fini, hélas ! Le monde continue de tourner, et les décisions politiques sont telles qu’elles créent de plus en plus de réactions violentes. Magistral !

Coup de cœur !

Ne ratez pas les avis de Quatre sans Quatre, Yves ou Velda

Nous avons les mains rouges de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld

Attention, coup de cœur !

Les éditions Joëlle Losfeld ont décidé de rééditer les romans de Jean Meckert, ce qui n’est que justice pour un auteur majeur injustement tombé dans l’oubli. Je connaissais son nom, pas ses romans, et j’ai dans mes bibliothèques quelques romans policiers signés Jean Amila. Si j’ai choisi ce roman, c’est parce que le Blog813 a publié un coup de cœur de Pierre Séguélas, que Laulo a fait paraître un excellent billet et que mon ami Jean le Belge a été dithyrambique à propos de ce roman (je joins les avis en fin de billet).

Laurent Lavalette sort de prison, après avoir purgé un peu moins de deux ans pour un meurtre en état de légitime défense. Il n’a pas de point de chute et se retrouve dans le village de Sainte Macreuse, accoudé au bar, à écouter les commérages du coin. Il cherche un endroit où dormir en attendant le train pour Paris quand deux hommes l’abordent. Monsieur d’Essartaut et son homme à tout faire Armand le convainquent de les suivre.

Monsieur d’Essartaut est le propriétaire d’une scierie. Il y aura donc forcément de la place pour le loger. En plus, ils ont besoin de main d’œuvre et donc peuvent le former et l’embaucher. Laurent Lavalette ne peut pas refuser cette proposition et envisage finalement d’y rester quelques mois, le temps de se refaire une santé et de gagner un peu d’argent.

Quand il arrive à la scierie, il est accueilli par le groupe, qui forme comme un groupe d’amis. Armand, le bras droit de Monsieur d’Essartaut, mais aussi le Pasteur Bertod qui est la voix de Dieu ou le communiste Lucas Barachaud vont l’accepter mais Laurent aura bien du mal à faire sa place. Et puis, il y a les filles de d’Essartaud, Hélène, femme mature ayant une position forte dans la maison, et Christine muette de naissance et encore mineure.Toutes deux attirent les convoitises de l’ancien taulard qu’il est. Rapidement, Laurent se rend compte que ce groupe d’anciens maquisards effectue des expéditions visant à punir les traîtres à la patrie, les faux résistants et vrais collaborateurs de l’ennemi.

Le contexte se situe juste à la fin de la guerre, quand les Allemands ont été vaincus et que les combattants de l’ombre se retrouvent sans objectif, comme perdus devant un avenir qu’ils ont du mal à discerner. Il nous présente donc une situation datée mais, pour autant, ce roman est d’une modernité extraordinaire, tant le propos y est toujours d’actualité et la forme absolument pas lénifiante, car ils sont portés par des personnages intelligemment construits.

On y trouve donc Laurent, en mal de repères, de but, et qui se place comme un observateur, compréhensif et discret, détaché des idéologies politiques pour laisser libre cours à ses envies humaines et bassement matérielles (Manger, boire, dormir, faire l’amour …). Il y a ce groupe d’anciens maquisards qui, eux, ont trouvé un objectif à l’absence de combats, celui d’épurer la France des faux résistants, quitte à verser du côté des meurtriers, comme les Allemands hier, comme ceux qu’ils chassent. Dans ce groupe, on trouve le chef extrémiste, le religieux ou les politiques, et tous ont un point commun : ils sont déçus de la société dans laquelle ils vivent et ne voient pas où elle va et ce qu’elle peut leur apporter. Même les deux femmes du livre sont deux images fortes du sexe dit faible, opposées dans leur être (l’une forte, l’autre faible à cause de son handicap) et dans leur psychologie (l’une forte en gueule et l’autre timide).

Ce roman est donc une photographie de la société telle qu’elle était au sortir de la guerre, mais elle est aussi une fantastique image de l’Homme face à un contexte, une démonstration de sa faculté d’adaptation (ou pas), et aussi de sa propension à revenir à un état animal : quand on ne maîtrise pas une situation, il n’y a rien de plus simple (et rassurant ?) que d’avoir recours à la violence. Je précise que ceci est une question et non un avis personnel. Il n’en reste pas moins que ce roman est une belle base de réflexion.

Et ce roman est aussi un formidable moment de littérature. Avec une langue simple, Jean Meckert aborde une période sombre de notre histoire mais sans jamais la placer au centre de l’intrigue. Cela en fait un monument de littérature dramatique, humaniste, dont le ton désespéré envers le genre humain, se positionne surtout comme un plaidoyer contre les guerres et toutes les idéologies visant à la violence. Utilisant Laurent Lavalette comme héraut, l’auteur déroule son intrigue dramatique de grandiose façon, tout en nous assénant des vérités, des situations où il nous place d’abord en tant que témoin, puis en tant que complice. Et c’est d’autant plus dérangeant (donc intéressant) que chaque personnage n’est ni totalement bon ni totalement mauvais et que chacun exprime son opinion.

Je n’utilise jamais le terme de chef d’œuvre et je ne l’utiliserai pas ici. Mais il faut bien s’avouer que l’on a entre les mains un grand moment de littérature en même temps qu’une belle réflexion intemporelle sur la société, sur le genre Humain, voire sur la politique, que l’on peut aisément extrapoler aux événements dramatiques contemporains. C’est un roman que l’on devrait faire lire à tous les lycéens, à tous les hommes politiques (à tout le monde, en fait !) et qu’il faut redécouvrir pour sa puissance d’évocation et son intrigue brutale. Quel roman !

Coup de cœur !

Ne ratez pas les avis de Jean le Belge et Laulo