Archives pour la catégorie Hommage

Hommage : Le gène du perce-neige de Jacques Bullot

Editeur : Edition du bout de la rue

L’association 813 nous a appris le décès de Jacques Bullot le 14 juin 2021. Dans l’une de mes bibliothèques, j’avais Le gêne du perce-neige et c’est l’occasion de rendre hommage à cet auteur engagé.

L’auteur :

Après une école d’ingénieur et le doctorat-ès-sciences, il entre en 1962 en tant que chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique.

Après deux ans passés aux Etats-Unis, au Baker Laboratory, il fonde un groupe de recherches où il infléchira ses travaux vers l’étude des semiconducteurs appliqués à l’énergie solaire et coordonnera pendant deux ans les travaux d’un groupe de laboratoires européens pour la conversion photovoltaïque de l’énergie solaire. Il travaillera ensuite à Nantes où il poursuivra des recherches sur les polymères conducteurs.

Ces travaux ont donné naissance à plusieurs thèses de doctorat et à un grand nombre de publications, en anglais surtout, dans des revues spécialisées à comité de lecture comme Physical Review, Journal of Chemical Physics, Philosophical Magazine.

À partir de la fin 1997, Jacques Bullot qui, de tout temps s’est intéressé à la littérature policière et plus particulièrement au roman noir entame l’écriture de son premier roman. Celui-ci est publié en 2001 aux éditions Noir Délire sous le titre La gueule de l’emploi. Suivent la publication d’un recueil de nouvelles, La Couleur du temps et, en 2002, du roman Les Liquidateurs, toujours chez Noir Délire. Le quatrième roman : Du nitrate dans le cassoulet sort aux éditions E-Dite en 2005.

Le gène du perce-neige est publié en 2007 par Edition du Bout de la Rue. L’ouvrage est sélectionné pour le prix Intramuros 2008 au Festival de Cognac (6 retenus sur 200). Il publie en 2008 Amour, Raspail, Vavin… décrivant les dessous du métro parisien. Il sort son dernier polar en 2012, Le souffle glacé du Djurdjura où il parle, au travers de son expérience personnelle, des conditions de vie des jeunes du contigent en Algérie au cours de la période 1959-1961.

Pour l’auteur, le roman noir n’est pas un roman policier mais au contraire, comme le proclamait Jean-Patrick Manchette : un roman d’intervention sociale très violent. Jean Pons l’a caractérisé ainsi : L’intrigue n’est que le squelette du roman noir, sa chair est l’histoire sociale.

Dans cette optique les romans et nouvelles de Jacques Bullot abordent des thèmes comme : la spoliation des biens juifs pendant la guerre, le sort des liquidateurs qui ont déblayé les déchets radioactifs après l’explosion de Tchernobyl ou encore les négligences industrielles qui ont engendré l’explosion du site d’AZF à Toulouse en 2001.

Parallèlement plusieurs nouvelles sont publiées dans des recueils collectifs (Polar, cinéma et star, Ed. Le Marque-Page, 2002 ; La France d’après, Ed. Privé, 2007 ; Polar & CO, Douzième, Le Salon, Cognac, 2007), des revues (Coup de Plume en 2000, 813 en 2002) ou des journaux (La Page du 14ème en 2003). Et enfin, il a participé à la collection DETECTIVARIUM avec deux polars pour ados, L’énigme des gouttes de pluie et dernièrement Le secret de la roue bras de fer.

Tout au long de ces années, son engagement politique au sein d’associations est une donnée essentielle. Ainsi ces dix dernières années Jacques Bullot a collaboré à La Page, journal de quartier rayonnant sur le 14e arrondissement de Paris. Tiré à 2000 exemplaires, quatre fois par an, ce titre qui aborde des thèmes politiques et culturels, lutte contre la spéculation immobilière et la destruction du tissu social et se veut effronté et impertinent.

(Source : Site Dectivarium) http://detectivarium.fr/auteurs/jacques_bullot.php

Vous pouvez également visiter le site de l’auteur : http://jacques-bullot.over-blog.com/

Quatrième de couverture :

Pays de Brenne : son calme, sa nature, son Centre de Recherches, son cadavre…

Charles Germont, généticien spécialisé dans la recherche sur les OGM, veut alerter l’opinion publique : les résultats des tests toxicologiques qu’il a obtenus sont inquiétants. Ses supérieurs américains, nient leur véracité et lancent un processus d’intimidation.

Contacté par le chercheur, Sullivan, grand reporter, se lance dans la bagarre en clamant :

Si on court le moindre risque en bouffant ces trucs-là, il faut sonner le tocsin.

Les cloches sonnent à toute volée et la course poursuite commence.

Une milice privée est dépêchée avec pour cible : éliminer le chercheur.

Menaces en tous genres, interventions musclées, attentat en plein Paris, personne n’est épargné dans ce roman noir aux actions haletantes.

Plus jamais les informations sur les expériences transgéniques ne vous laisseront insensibles !

Mon avis :

On en parle moins aujourd’hui, mais le sujet des OGM a occupé le devant de la scène au début des années 2000. Et il reste toujours d’actualité. Il n’est pas étonnant de voir le polar aborder ce sujet, puisqu’il a aussi un rôle d’alerter l’opinion derrière une forme de divertissement. Et en termes de polar, Jacques Bullot respecte tous les ingrédients inhérents au genre en s’appuyant sur un démarrage simple et des personnages plus vrais que nature.

A la suite de résultats alarmants, Charles Germont envisage de publier un article scientifique pour alerter la communauté scientifique sur les dangers des OGM sur un élevage de rats. Mais son entreprise ne l’entend pas de cette oreille, pour ne pas faire de vagues et ainsi condamner un chiffre d’affaires futur faramineux.

Germont, en tant que personnage central, ne sera pas la seule personne impactée dans cette intrigue et l’auteur va grossir le trait (ou pas ?) en nous montrant les moyens qu’une entreprise internationale est capable de déployer pour taire la vérité. Maitrisant tous les canaux d’information, ils utiliseront même des malfrats pour impressionner et faire taire les protagonistes. Les chapitres courts, le rythme insufflé et les dialogues efficaces confèrent à ce roman une force pour porter son message auprès du plus grand nombre.

Ne ratez pas un article que l’auteur avait publié sur son blog sur le sujet des OGM, où il nous explique que la situation est encore plus consternante que ce qu’il raconte dans son roman :

http://jacques-bullot.over-blog.com/article-les-ogm-les-multinationales-et-le-roman-noir-99108338.html

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Hommage à Frédéric Dard : San Antonio

Cela fait déjà vingt ans que Frédéric Dard nous a quittés. Avant de faire ce billet, je me suis posé la question sur la forme que j’allais donner à ce billet. Je ne suis pas un spécialiste de Frédéric Dard, mais il me semblait important de rappeler ce grand auteur, si décrié avant que Bernard Pivot ne l’invite à la télévision.

A l’époque, à la fin des années 80, je prenais les transports en commun pour poursuivre mes études. On trouvait souvent, posés sur les poubelles, des San Antonio, qu’un lecteur offrait à un futur volontaire passager, don gentillet qui a débouché à notre époque sur les « boites à lire » que l’on trouve dans certaines gares. Eh oui ! À l’époque, on savait partager. C’est comme cela que j’en ai lu beaucoup, entre deux livres de mathématiques supérieures. Et donc, j’ai choisi de lire/relire quelques San Antonio en balayant les décennies une par une :

Messieurs les hommes (1955)

San Antonio pousse la porte du troquet Fifi les Belles Noix. Il cherche clairement la bagarre et cela ne tarde pas. Quand les flics débarquent, San Antonio se fait coffrer en compagnie de Paul le Pourri, surnom lié à son exéma et non son métier de truand. Après une ruse classique, les deux énergumènes s’évadent, San Antonio flingant un gardien, et Paul le Pourri propose de se cacher chez sa nièce, l’espiègle Sofia. La mission d’infiltration de San Antonio a bien commencé.

Collant à son histoire, Frédéric Dard adapte son langage à celui que l’on accolait aux truands après la guerre. On y trouve donc un florilège d’expressions auxquelles l’auteur ajoute son grain de sel, avec des images humoristiques hilarantes. D’un point de vue inventivité, ce roman se situe dans le haut du panier ce qui n’est pas le cas de l’intrigue. Simpliste, elle se révèle aussi mal équilibrée, la fin étant bigrement rapide. Ceci dit, ce roman qui se lit d’une traite est un vrai cadeau à l’intérieur duquel on trouve nombre de citations à conserver et réutiliser et des descriptions d’une drôlerie jamais égalée.

En avant la moujik (1969)

Le roman s’ouvre sur la mariage de San Antonio avec la russe Natacha, qui ressemble plus à un 48 tonnes qu’à Claudia Schiffer. Heureusement, elle est accompagnée de son amie d’enfance Anastasia qui est tout son contraire. La raison de cette union en est simple : San Antonio doit récupérer en Russie une mystérieuse formule mise au point par un Français et le père de Natacha. Cette mission ne va pas être de tout repos pour San Antonio.

Et effectivement, nous sommes en présence d’un feu d’artifice, d’une explosion de rires, car du début à la fin, nous courons avec S.A. dans l’espoir de démêler les fils de cette pelote russe. Quand Frédéric Dard se lâche, cela donne une excellente aventure. De jeux de mots en détournements de noms, de digressions en situations hilarantes, cette aventure comporte en outre de nombreux mystères, des femmes irrésistibles, et des scènes d’action haletantes. En avant la moujik est un roman plein, complet, drôle, un sommet de l’art du maître et un des meilleurs que j’ai lus. Enorme !

Un os dans la noce (1974)

Rencontrée dans sa précédente aventure, J’ai essayé, on peut !, Zoé Robinsoncru va devenir l’épouse de San Antonio. On dirait qu’on nous a changé notre enquêteur tant il paraît heureux. Juste avant l’échange des vœux, on lui passe un mot le prévenant qu’une bombe explosera s’il dit OUI. San Antonio est donc obligé de dire non, mais quand le maire lui demande de confirmer, il dit le mot interdit. Zoé est gravement blessée et le maire n’en réchappe pas. Qui a voulu tuer notre enquêteur favori ? Il va vérifier auprès du gardien qui a eu accès à la salle des mariages, puis lui vient l’idée qu’il n’était peut-être pas la cible …

Le début peut en surprendre un grand nombre, tant le roman commence par des pensées de San Antonio et sa joie de se marier sans hésiter. Après la dramatique explosion, l’intrigue démarre et c’est un vrai bijou avec moult rebondissements et retournements de situation. A cela, il faut ajouter cette langue unique, où Frédéric Dard s’amuse à recréer le dictionnaire, détournant des expressions, imposant des jeux de mots (pour certains passés dans le langage courant), inventant des noms dans l’unique objectif de nous faire rire. De l’action, une très bonne intrigue et un style toujours plus inventif, cet opus est un excellentissime numéro.

Hommage : La tête dans le sable de G.-J. Arnaud

Editeur : Fleuve Noir

Collection : Spécial Police N°1313

Le 26 avril 2020, l’un des auteurs populaires français les plus prolifiques nous a quittés. Outre le fait que je suis en train de lire La compagnie des glaces, je tenais à évoquer une autre facette de son talent, à travers un polar, bien noir et bien social.

Photo récupérée grâce à mes amis de l’Association 813 (Black Jack)

Hélène Chapelle vient de perdre son mari, chauffeur routier, dans un accident de la route et n’a qu’une hâte : retourner au travail pour oublier son quotidien dans son appartement de quatre pièces trop grand pour elle seule. Elle vient d’être promue chef de service chez Transit-Flore qui gère le transport de fleurs à l’international et a avec elle quatre personnes.

Ce matin-là, elle apprend qu’une de ses collaboratrices, Mme Campéoni a eu un accident la veille au soir, renversée par un chauffard qui a pris la fuite. Elle est bouleversée et se rend compte que cela fait deux personnes malades dans son service avec l’absence de Régine Douaire, victime de dépression et qui ne veut pas quitter son appartement. Bientôt, c’est une troisième absence qu’elle va devoir affronter en la personne de Mme Simon, victime d’une grave crise d’asthme.

Heureusement, Transit-Flore a souscrit des contrats avec des prestataires qui lui permettent de ne pas perdre ni en rendement ni en efficacité. Il y a tout d’abord Efficax qui diligente des médecins privés pour s’assurer que les absents sont bien malades. Il y a ensuite Travail-Service, sorte de boite d’intérim, capable de trouver en moins de 24 heures la personne adéquate.

Hélène, en voulant soutenir ses collaboratrices malades va se rendre compte qu’Efficax fait du harcèlement auprès des malades pour qu’ils reprennent le travail au plus vite, en la personne du docteur Jocour. Et plus elle va creuser le sujet, plus elle va s’enfoncer dans une machination infernale.

Si le roman est très implanté dans les années 70, le sujet de ce roman est toujours d’actualité. Il suffit de lire certains polars récents (Les visages écrasés de Marin Ledun ou Elle le gibier d’Elisa Vix) ou bien d’écouter les informations. Le harcèlement professionnel, la pression, le chantage, voilà des termes qui reviennent souvent et qui constituent la base de ce roman.

A partir de ce thème, Georges-Jean Arnaud créé un petit bijou de polar, une intrigue incroyablement tordue et retorse dont le final est très réussi. Au centre, nous avons Hélène Chapelle, qui comme le titre le suggère, s’est contentée de se laisser vivre comme une autruche, impassible par rapport à ce qui l’entoure. Et quand elle doit se prendre en main toute seule, elle découvre un monde horrible, inhumain. Et plus le roman avance, plus on la plaint, et plus on doute de sa santé mentale. N’est-elle pas en train d’imaginer tout cela et de devenir paranoïaque ?

Les événements sont nombreux et démontrent, s’il en était besoin, tout le génie créatif de l’auteur. Georges-Jean Arnaud accumule les scènes, nous donne des pièces d’un puzzle qu’on ne sait pas situer sur le jeu. Quand certaines pièces s’emboitent, on commence à apercevoir une machination incroyable. Ecrit avec un style fluide, nous sommes là en présence d’un polar populaire de haute volée. La seule chose qui m’a gêné, ce sont les quelques fautes de frappe qui jalonnent le livre.

Si vous avez l’occasion de trouver ce roman, lisez le. J’en profite pour ajouter que la revue Rocambole de fin 2019 a édité un numéro spécial consacré à ce gigantesque auteur. L’oncle Paul en parle ici. Pour l’avoir commencé, ce numéro est indispensable. Pour le commander, c’est ici

Les lucioles de Jan Thirion

Editeur : Editions Lajouanie

Ce billet, s’il présente mon avis sur cet excellent polar, se veut aussi un hommage à Jan Thirion, qui a eu la mauvaise idée de nous abandonner le 2 mars 2016, alors que j’aurais tellement aimé parler avec lui de son roman, de ce sujet et de son choix dans la narration. Car Jan Thirion a décidé de faire parler un jeune garçon de 13 ans. Et il est bien difficile d’arriver à une simplicité de vocabulaire, une naïveté telle que l’on croit au personnage. C’est une franche réussite du début à la fin.

Il y fait bon vivre, à Lanormale-Les-Ponts. Tyrone Bradoux est un jeune garçon de 13 ans. Mais depuis qu’il a 7 ans, il a arrêté de grandir. Il a aussi arrêté de parler ou d’entendre. En effet, ce jour là, sa maman s’en est allée très loin. Ils ont eu beaucoup de peine, son père et lui. Et il a arrêté de parler et d’entendre. Son père l’a bien emmené voir tous les spécialistes mais chacun s’accorde à dire qu’il n’y a aucune raison pour que Tyrone ne parle ni n’entende pas. Tyrone est bien seul, alors il se console avec son chien Biscoto. Son père s’est remarié avec Chloé qui l’aime bien. Même ses deux enfants, Edgar et Saskia, sont gentils avec lui. Tyrone y a donc gagné un frère et une sœur.

Un nouveau parti politique, Les lucioles fait son apparition. Son emblème est le noir avec des points blancs. Il organise des fêtes et les gens des lucioles sont très gentils, offrant des bonbons et des ballons aux enfants. Puis, Les Lucioles se présentent aux élections, gagnent le pouvoir au niveau national … et Tyrone observe et nous décrit comment la société commence à changer.

La difficulté dans ce genre de narration, c’est-à-dire faire parler un enfant, est d’accrocher le lecteur dès le début du roman, et de savoir revenir à une logique simple et enfantine. Un enfant ne juge pas, il observe et interprète ce qu’il voit, entend ou vit, en fonction de quelques règles dont la principale est probablement de faire une confiance aveugle à ses parents. Et comme il sait que ses parents ne lui disent pas tout, il interprète aussi leurs réactions, leurs mimiques.

De ce point de vue là, ce roman est une franche réussite, car dès le départ, on entre dans le monde silencieux de Tyrone, et on le suit avec plaisir et avec sympathie. Et si le début peut prêter à sourire, la suite nous fait vite grincer des dents avant que nous basculions dans l’horreur, petit à petit mais inéluctablement. Et le fait que Tyrone nous décrive ce qui lui arrive avec tant de détachement, en ne restant finalement qu’un témoin de la folie des grands, est d’autant plus marquant pour nous qui assistons impuissants à ce qu’il faut bien appeler une véritable descente aux enfers.

Ce qui fait froid dans le dos, c’est cette logique dans ce qui est décrit, ce glissement vers un bouleversement de société qui vise à contrôler ses citoyens jusqu’à justifier que, pour leur bien, il faut leur dire quoi faire et supprimer leur liberté de faire, de dire, de penser. Et rien que pour ce message là, ce roman s’avère indispensable, un passage obligé pour toute personne sensée qui est abreuvée d’informations et qui ne comprend plus ce qui se passe. D’ailleurs, cela va même plus loin : A travers le regard de Tyrone, on se rend compte que nous, adultes, ne sommes même plus capables de voir les évidences que Tyrone nous montre. Et c’est écrit avec une telle simplicité, une telle évidence que cela parait évident.

A une époque où on préfère utiliser le 49-3 plutôt que le referendum, à une époque on porte aux nues des jeunes gens érigés au rang de star fiers d’étaler leur inculture dans tous les domaines, à une époque où on prône le « c’est pour votre bien » ou le « vous en avez rêvé, Machin l’a fait pour vous », ce roman est comme un joyau qui va vous ramener au stade de l’être humain : il va vous faire réfléchir. En tous cas, c’est une lecture importante, obligatoire avant les échéances électorales qui approchent. M.Jan Thirion, vous avez créé un livre important et je souhaite qu’il ne finisse jamais dans un autodafé comme vous le racontez si bien, mais que plein de gens l’achète et le lise.

Sur la quatrième de couverture, il est annoncé de 10 à 110 ans. Je pense plutôt qu’on peut le lire à partir de 15 ans. Pardon, que tout le monde doit le lire à partir de 15 ans.

Hommage : Transparences de Ayerdhal (Livre de poche)

La disparition de Ayerdhal m’a touché parce que c’est un auteur que j’ai lu trop tard, que j’ai adoré trop tard, que j’ai croisé (seulement ! Quel con je peux être !) à Lyon et qui est parti bien trop tôt. J’ai donc voulu parler de ses livres, du pouvoir de son imagination. Transparences en est un excellent exemple.

L’auteur :

Yal Ayerdhal (né Marc Soulier le 26 janvier 1959 à Lyon dans le quartier de La Croix-Rousse, et mort le 27 octobre 2015 à Bruxelles) est un écrivain français qui a commencé par écrire de la science-fiction avant de se lancer dans le thriller. En 25 ans, il a entre autres obtenu deux grand prix de l’Imaginaire, deux prix Ozone, un prix Tour Eiffel de science-fiction, un prix Michel-Lebrun, un prix Bob-Morane, un prix Rosny aîné et un prix Cyrano pour l’ensemble de son œuvre et de ses actions en faveur des auteurs.

Ayerdhal grandit dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux. Il « tombe » très jeune dans le domaine de la science-fiction puisque son père, Jacky Soulier, détient l’une des plus grandes collections d’ouvrages du genre en Europe, avec par exemple l’intégrale de la collection « Anticipations » de Fleuve noir. À 13 ans, il décide de changer de prénom d’usage, lassé d’avoir de nombreux homonymes en classe, et adopte celui d’Ayerdhal.

Sans diplôme (y compris le bac), il exerce de nombreux métiers (et petits jobs, tels que vendre des brioches en porte à porte) en parallèle de l’écriture, dont moniteur de ski, footballeur professionnel, éducateur, commercial et chef d’entreprise1. Il a 28 ans lorsqu’il envoie son premier manuscrit, celui de La Bohème et l’Ivraie, à un éditeur, en l’occurrence Fleuve Noir. Il vit à l’époque dans une ferme à Écully, dans la région lyonnaise. Dans les années 1990, ses ouvrages participent largement au renouveau de la science-fiction française, alors dominée par les auteurs américains : 40 000 exemplaires de Balade choreïale, L’Histrion et Sexomorphoses trouvent leur public3.

Selon Ayerdhal, « la SF est un puissant outil pédagogique, un véhicule idéologique non négligeable et la plus riche expression de l’imagination créatrice… ». Les couvertures de ses premiers romans sont illustrées par le dessinateur Gilles Francescano. Dessins qui, aux dires de l’auteur, lui auraient inspiré le personnage de l’Histrion. Son œuvre Transparences, publiée en 2004, marque son entrée dans le domaine du thriller, suivie en 2010 par une suite non prévue, Résurgences, puis par Rainbow Warriors en 2013 et Bastards en 2014. Il a été primé pour ses romans Demain, une oasis, Parleur ou les chroniques d’un rêve enclavé, Rainbow Warriors, RCW, Étoiles mourantes et Transparences.

Diagnostiqué atteint d’un cancer en 2015, il informe régulièrement ses lecteurs de l’évolution de son état. Il meurt le 27 octobre 2015 à Bruxelles, des suites de ce cancer.

Source : Wikipedia

Quatrième de couverture :

1985, Berlin (RFA), Ann X, 12 ans, assassine ses parents, diplomates américains, et un couple de leurs amis avec un sabre japonais. L’enquête établit que l’adolescente, quasi analphabète, a agi en état de démence après plusieurs années de sévices sexuels. Soignée plusieurs mois dans une clinique psychiatrique, Ann est ensuite placée dans un établissement spécialisé qui prend en charge l’éducation d’enfants inadaptés.

1988, Fribourg (CH), Ann X, 15 ans, égorge un éducateur et en blesse grièvement trois autres avec un sabre qu’elle a fabriqué dans l’atelier de l’internat. En fuite durant huit semaines, elle est finalement arrêtée par les carabiniers à la frontière italienne, alors que, toujours avec son sabre de fortune, elle vient de sectionner une main du routier qui l’a prise en stop. L’enquête établit que l’éducateur égorgé la poursuivait de ses assiduités et que les trois autres (à son sens coupables d’avoir fermé les yeux sur les agissements de leur collègue) ont été blessés tandis qu’ils tentaient de la maîtriser. De son côté, le routier affirme ne lui avoir fait que des avances orales, ce qu’elle ne nie pas (mais elle refuse de s’exprimer). Jugée irresponsable et dangereuse, Ann est internée près de Lugano dans une maison pénitentiaire à vocation psychiatrique.

1998, Lyon (F) : Stephen Bellanger, qui vient de boucler à Toronto une thèse en psychologie criminelle, intègre Interpol. Dans le cadre d’une enquête sur des meurtres en série touchant l’Europe et plusieurs états américains, on lui confie la tâche de compulser toutes les affaires d’assassinats multiples des vingt dernières années. Ses recherches le conduisent à s’intéresser plus spécialement au cas d’Ann.

Autour de cette métaphore de la transparence, transparence d’une criminelle toujours d’abord victime, dont la violence est elle-même manipulée et utilisée par ses bourreaux, Ayerdhal construit magistralement un thriller contemporain palpitant et explore les rouages furtifs qui régissent notre monde.

Source : Babelio

Mon avis :

Mes amis, amateurs de thrillers, fans de polars complotistes, notez ce titre d’un auteur qui fut probablement l’un des meilleurs raconteurs d’histoires, ou en tous cas le plus inventif. Cette histoire nous conte quatre années de la vie de Stephen, psychologue canadien qui s’est engagé à Interpol. Sa première (et seule enquête) concernera la chasse après une tueuse qui a la faculté de disparaitre : Ceux qui la rencontrent ne se rappellent pas d’elle, les caméras de surveillance enregistrent des films où son visage est flouté. A 12 ans, elle a tué ses parents et un couple de leurs amis. Depuis, on ne peut dénombrer leur nombre (un millier ?). Tout ce que Stephen arrive à déterminer, c’est qu’elle tue quand elle se sent menacée.

De ce début, Ayerdhal va nous montrer les guerres entre services (Interpol, Europol, CIA, FBI, NSA, KGB …) et surtout nous plonger dans le doute. Car on se pose les questions suivantes : Qui travaille pour qui ? Qui manipule qui ? C’est un roman sur les illusions, sur les apparences et le seul moyen d’en sortir, c’est d’opter pour la transparence. C’est aussi un roman qui montre des marginaux (Anne X, Stephen ou bien Michel, un SDF) qui essaient de s’en sortir avant d’être repris par le système. Dans ce monde que l’on veut sur, Big Brother (car c’est bien à George Orwell que l’on pense) ne veut pas d’individus indépendants, hors du système qu’ils ont créés.

Non seulement les rebondissements sont nombreux, mais en plus, les scènes sont hallucinantes. Ayerdhal avait le don de peindre des scènes d’une beauté fulgurante, un art de décrire l’action pure. Celles où Anne X tue 4 hommes qui la suivent, en début de roman, fait partie de celles là. On la voit bouger à la vitesse de l’éclair, mais on a une sensation de flou autour d’elle. C’est, en ce qui me concerne, toujours la même chose : j’ai l’impression de voir un film en lisant Ayerdhal, un film que l’on peut s’empêcher de regarder jusqu’au bout. Lisez Ayerdhal, vous ne le regretterez pas !

Hommage : Une main encombrante de Henning Mankell (Points)

Je ne pouvais décemment pas passer sous silence la disparition le mois dernier de ce grand auteur suédois, connu et reconnu dans le monde littéraire et adulé chez les polardeux pour la création de son personnage de Wallander.

L’auteur :

Henning Mankell, né le 3 février 1948 à Stockholm et mort le 5 octobre 2015 à Göteborg, est un romancier et dramaturge suédois, tout particulièrement connu comme auteur d’une série policière ayant pour héros l’inspecteur Kurt Wallander du commissariat d’Ystad, une ville de Scanie, près de Malmö, dans le sud de la Suède.

Henning Mankell grandit à Härjedalen, au centre de la Suède. Ses parents ont divorcé alors qu’il avait un an. Sa mère partie, il est élevé par son père, juge d’instance. À seize ans, il part en stop pour Paris. Il intègre ensuite la marine marchande, vit à Paris puis en Norvège. En 1972, il découvre l’Afrique, d’abord en Guinée-Bissau puis en Zambie.

Il partage ensuite sa vie entre la Suède et le Mozambique où il a monté une troupe de théâtre, le « Teatro Avenida ». Après quelques romans, il développe sa carrière d’écrivain pour « se consacrer au théâtre en signant de nombreuses pièces » pour la scène et pour la radio. Dès 1990, il se lance en parallèle dans l’écriture d’ouvrages de littérature d’enfance et de jeunesse. Selon le spécialiste des littératures nordiques Philippe Bouquet cité par Claude Mesplède dans le Dictionnaire des littératures policières : « Mankell a toujours eu un faible pour les petites gens, […] cela se remarque dès ses premières œuvres romanesques [dans les années 1980 centrés sur des ouvriers] qui se lancent à la poursuite d’un patron indélicat [ou] traitent de la situation de la femme par le biais de la maternité ».

Mankell ne connaît toutefois une renommée internationale que grâce à la série policière des enquêtes de Kurt Wallander, homme en « perpétuelle interrogation sur le pourquoi des souffrances humaines [et dont la devise est] : « Les êtres sont rarement ce qu’on croit qu’ils sont » ». Ce commissaire, qui mène ses enquêtes de façon désabusée, est entouré par une équipe de policiers où chacun possède une personnalité soigneusement décrite. Les meurtres sanglants auxquels il est confronté le plongent au fil des romans dans un état de plus en plus dépressif, car le développement de l’aspect psychologique est tout aussi important pour Mankell que l’intrigue policière elle-même. Toutes les aventures de Wallander se déroulent dans la petite ville d’Ystad, en Scanie, dans le sud de la Suède, même si le détective se déplace une fois en Lettonie (Les Chiens de Riga) et enquête sur un meurtre dont les origines remontent en Afrique du Sud (La Lionne blanche). En outre, le sol du proche Danemark est souvent foulé.

Henning Mankell reçoit le prix Nils Holgersson en 1991. Il devient le premier lauréat du prix Clé de verre en 1992 avec le roman Meurtriers sans visage. En 2000, il reçoit le prix Mystère de la critique pour le roman Le Guerrier solitaire. Mankell est également double lauréat du prix du meilleur roman policier suédois. En 2007, il préside le jury du Prix du Livre européen qui sera remis cette année-là à Guy Verhofstadt pour son livre Les États-Unis d’Europe.

En 2010, il participe à l’expédition organisée par des groupes activistes en faveur de Gaza, qui donne lieu à un abordage israélien qui causa une dizaine de victimes. Il tire de cette expérience un récit publié le 5 juin 2010 dans plusieurs grands journaux dont Libération (France) 6, The Guardian7 (Angleterre), El País (Espagne), Dagbladet (Suède), La Repubblica (Italie) ou The Toronto Star (Canada). En janvier 2010, le classement de plusieurs magazines dédiés à l’édition, dont Livres-Hebdo en France et The Bookseller (en) en Grande-Bretagne, le place à la neuvième place des écrivains de fiction les plus vendus en Europe en 2009.

Le 29 janvier 2014, il révèle publiquement qu’il est touché par un cancer détecté au cou et dans un poumon à un stade avancé. Et il précise « J’ai tout de suite décidé d’écrire à propos de cette maladie, parce que c’est finalement une douleur et une souffrance qui affectent beaucoup de gens. Mais je vais écrire avec la perspective de la vie, pas de la mort.»

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

C’est l’automne en Scanie avec son lot de pluie et de vent. Désabusé, Wallander aspire à une retraite paisible et rêve d’avoir une maison à la campagne et un chien. Il visite une ancienne ferme, s’enthousiasme pour les lieux, pense avoir trouvé son bonheur. Pourtant, lors d’une dernière déambulation dans le jardin à l’abandon, il trébuche sur ce qu’il croit être les débris d’un râteau. Ce sont en fait les os d’une main affleurant le sol. Les recherches aboutissent à une découverte encore plus macabre.

Au lieu d’une maison, Wallander récolte une enquête. Jusqu’où devra-t-il remonter le temps, et à quel prix, pour identifier cette main ?

Mon avis :

Le cas de Henning Mankell et de Kurt Wallander est vraiment à part. Et tous ceux qui ont ouvert au moins un des romans de cette série ne peuvent qu’être touchés par la disparition de M.Mankell. Car même si il était annoncé que L’homme Inquiet était la dernière enquête de Wallander, il n’en reste pas moins que les fans espéraient toujours une enquête de plus. C’est assez incroyable que Kurt Wallander ait acquis une telle popularité auprès du public, et si je ne veux pas juger la valeur littéraire de cette série, je vais vous expliquer pourquoi j’ai adoré ce personnage.

Je pense que Henning Mankell a créé un style qui laisse la vie s’écouler, qui prend le temps de regarder les gens, qui prend le temps d’analyser les choses. Il prend le temps de montrer des gens normaux, avec des réactions normales. On n’y trouvera pas de scènes extraordinaires, si ce n’est qu’elles le sont car elles sont ordinaires et tellement vivantes. Et Henning Mankell a su écrire pour parler au plus grand nombre.

Il nous a montré un inspecteur bourru et intelligent, toujours aux manettes de sa vie, essayant toujours de s’adapter aux changements de la vie, aux changements de la société. En cela, le public a tout de suite reconnu un des siens. Dans mon cas, j’avais l’impression de côtoyer un proche, quelqu’un que j’avais toujours connu. Quand j’ai appris la mort de Henning Mankell, je me suis brutalement rendu compte que c’est aussi Kurt Wallander qui venait de mourir.

Henning Mankell aura donc, avec son inspecteur, parlé de sujets graves tels l’assassinat de Olof Palme, la perte de l’innocence de son pays, l’évolution de cette société, mais aussi les dessous cachés d’une démocratie qui veut à tout prix paraitre irréprochable aux yeux du reste du monde. Pour autant, Wallander n’est pas un revendicateur, il ne va pas s’élever contre cette évolution, mais juste servir de témoin et laisser le lecteur à son livre-arbitre. Le principe n’en est que plus marquant pour le lecteur.

A tous ceux qui ne connaissent pas Kurt Wallander, cet ami, je ne peux que vous conseiller de les lire dans l’ordre d’écriture et non de parution en France. Moi-même, je ne les ai pas tous lus, mais je peux vous assurer que les premiers sont fantastiques. Et vous prendrez un livre de temps en temps, comme si vous alliez à la rencontre d’un ami dont vous n’aviez plus de nouvelles depuis longtemps.

Le cycle Wallander se termine avec L’homme inquiet, qui clôt la vie de cet inspecteur, puisque, atteint de la maladie d’Alzheimer, il doit prendre une retraite bien méritée. Une main encombrante se situe juste avant, et c’est un court roman qui prépare le lecteur à la santé fragile de Wallander. Dans Une main encombrante, l’enquête est classique, et on voit un inspecteur confronté à la vieillesse, ou du moins à des personnes âgées. Et il se rend compte que cela va bientôt être son tour … Entre envisager d’acheter une maison pour sa retraite et être confronté à la réalité de la déchéance physique, il y a un pas qui est évoqué avec beaucoup de subtilité ici.

Voilà, Henning Mankell est mort, Kurt Wallander est mort. Le monde littéraire vient de perdre un grand auteur. Et moi, je viens de perdre un ami.

Hommage à la Série Noire : Le grand sommeil de Raymond Chandler (Gallimard)

Attention, coup de cœur ! Attention, Chef d’œuvre !

Je me demandais comment j’allais rendre hommage à la Série Noire de Gallimard qui fête cette année ses 70 ans. En cherchant parmi les premiers titres, et parmi ceux que j’avais en stock, j’hésitais entre Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase et Le grand sommeil de Raymond Chandler. Ayant lu le premier mais pas le deuxième, j’ai donc opté pour ce monument du polar, car c’en est un. Car il y a tout dans ce roman, tout ce qui fait que nous aimons ce genre de littérature.

J’en profite pour vous rappeler que sur le blog de L’Oncle Paul, vous pouvez y trouver une critique par jour d’un roman de la Série Noire. Un bilan de ce travail titanesque est ici

L’auteur :

Raymond Chandler (23 juillet 1888 – 26 mars 1959) est un écrivain américain, auteur des romans policiers ayant pour héros le détective privé Philip Marlowe. Son influence sur la littérature policière moderne, et tout particulièrement le roman noir, est aujourd’hui incontestable. Son style, alliant étude psychologique, critique sociale et ironie, a été largement adopté par plusieurs écrivains du genre.

Né à Chicago dans l’Illinois en 1888, Chandler déménage en Grande-Bretagne, avec sa mère, d’origine irlandaise, au cours de l’année qui suit le divorce de ses parents (1895). Chandler rentre aux États-Unis avec sa mère en 1912 et entreprend des études pour devenir comptable. En 1917, il s’engage dans l’armée canadienne et combat en France. Après l’armistice, il s’installe à Los Angeles, où il exerce divers petits métiers : cueilleur d’abricots, employé d’un fabriquant de raquettes de tennis. En 1932, il est vice-président du Dabney Oil Syndicate à Signal Hill en Californie, mais il perd cet emploi lucratif en raison de son alcoolisme et de la Grande Dépression de 1929.

Sa première nouvelle, Blackmailer’s Don’t Shoot, qu’il passe cinq mois à écrire et pour laquelle il touche 180 dollars, paraît dans Black Mask en 1933. Jusqu’en 1938, Chandler en produit une bonne douzaine, dont plusieurs seront en partie reprises ou refondues pour tisser la trame de ses romans. Le premier, Le Grand Sommeil (The Big Sleep), que l’auteur rédige en trois mois et qu’il publie en 1939, connaît un succès immédiat. Chandler a alors cinquante ans.

Il devient alors une référence et devient aussi scénariste de cinéma à succès. Sa femme meurt en 1954, à l’âge de 84 ans. Chandler recommence à boire. Il meurt d’une pneumonie le 26 mars 1959, laissant derrière lui un roman inachevé intitulé Poodle Spring qui met encore une fois en scène son héros fétiche. Le livre sera complété en 1989 par Robert B. Parker, un autre écrivain spécialiste du genre.

(Adapté par mes soins de Wikipedia)

Grand sommeil 1

L’histoire :

Quand Philip Marlowe débarque chez le général Sternwood, il est accueilli chaudement par une jeune femme blonde bigrement excitante et allumeuse. Mais il en faut plus pour le déstabiliser. Le chauffeur fit alors son apparition pour le mener chez le maître de maison.

Après quelques minutes où les deux hommes se jaugent, le général Sternwood lui annonce que le mari de sa fille Vivian a disparu depuis un mois. Mais ce n’est pas pour cela que le général fait appel à Marlowe. Il lui montre une reconnaissance de dettes de Carmen ainsi qu’une lettre de chantage. Le général lui demande de régler cette affaire pour sauver ce qui reste de l’honneur de la famille, d’autant plus qu’il lui reste peu de temps à vivre.

En repartant, Marlowe tombe sur Vivian la fille brune, tout aussi incendiaire que sa sœur. Elle lui demande de retrouver son mari. Dans cette famille déjantée, ou plutôt dépravée, Marlowe se lance dans l’enquête.

grand sommeil 2

Mon avis :

Tout amateur de polar et de roman de détective en particulier se doit de lire ce roman. Alors, pourquoi ai-je attendu si longtemps ? Quel idiot je suis d’avoir laissé tant de temps passer avant d’ouvrir ce roman. Si je l’ai choisi, c’est d’une part parce que je ne l’avais jamais lu, mais aussi parce que je l’avais en double : Une fois en Série Noire et une fois en Folio. Cela arrive parfois (souvent dans mon cas !). Il est amusant aussi de constater qu’il porte le même numéro dans les deux collections : le numéro 13.

Ne vous attendez pas à une intrigue simple : c’est tout le contraire. Le fait que Raymond Chandler ait compilé deux nouvelles pour écrire Le grand sommeil pourrait l’expliquer. Pour ma part, je pense que c’était voulu, pensé. A chaque scène, une piste nouvelle ou un rebondissement vient mettre nos certitudes en doute ce qui en fait un roman foisonnant aussi bien au niveau de l’intrigue que des personnages. Ce la donne aussi l’impression d’une forme d’improvisation et le lecteur que je suis a adoré se laisser emmener, emporter, poussé dans des fils emberlificotés.

En ce qui concerne les scènes, l’écriture m’a semblé très cinématographique : on y présente d’abord le cadre, puis les personnages et enfin, on peut laisser la place à l’action, tout cela dans un style imagé et sombre, parsemés de dialogues dotés d’un humour cynique et détaché, qui en ferait pâlir plus d’un. L’écriture et sa traduction de Boris Vian sont extraordinaires de modernité. S’il était paru aujourd’hui, ce roman aurait rencontré aussi un succès phénoménal.

Au-delà de l’intrigue, qui nous montre un monde désœuvré, où les gens n’ont plus de morale, où seul compte leur bon vouloir, leur plus basses volontés, le décor est sombre, les gens désespérés et il faut tout l’humour de Marlowe pour relever le ton de cet ensemble très noir. Et les personnages, brossés en quelques traits sont extraordinaires de vérité, de vie, d’envies malsaines. Il y a tant de désespoir et d’Ennui que l’on peut aisément penser que ce roman aurait pu être écrit par Baudelaire, s’il avait écrit du polar !

Ce roman est la quintessence de tous ceux qui viendront par la suite. En lisant aujourd’hui ce livre, on retrouve tout ce qui aura inspiré les auteurs qui prendront la suite. Et je ne peux pas en citer certains, car j’ai l’impression que tous se sont inspirés de ce roman qui est la base de tout polar moderne. En cela, c’est une œuvre à part entière, un chef d’œuvre du roman noir, un livre à lire à tout prix.

Hommage : Garde à vie de Abdel Hafed Benotman (Syros)

La rubrique Oldies de ce mois s’est transformée en hommage à un écrivain du noir qui nous a quittés trop tôt.

L’auteur :

Abdel Hafed Benotman est un écrivain de langue française et de nationalité algérienne1, né le 3 septembre 1960 à Paris et mort le 20 février 2015 (à 54 ans)2. Vivant en France, il est l’auteur de romans policiers, de nouvelles, de poésies, de chansons, de pièces de théâtre et de scénarios de films. Il a également été condamné plusieurs fois pour vols et braquages de banques et a fait plusieurs séjours en prison.

Abdel Hafed Benotman est né à Paris le 3 septembre 1960. Il est le dernier né d’une famille de quatre enfants, de parents algériens arrivés en France dans les années 1950. Il passe son enfance dans le 6e arrondissement de Paris (Quartier latin). Il quitte l’école à 15 ans et connaît son premier séjour en prison à l’âge de 16 ans au Centre de Jeunes Détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. À sa sortie, il occupe différents petits emplois : livreur-manutentionnaire, chez un fleuriste et dans le prêt-à-porter.

En 1979, à la suite d’un braquage, il passe devant la Cour d’assises. Il est condamné à deux fois sept ans de prison qu’il effectue dans différents centres pénitentiaires, dont la Maison centrale de Clairvaux. Il refuse le travail obligatoire en prison, mais il participe à des ateliers de théâtre. En 1984, il est libéré et s’installe à Troyes. Il y travaille pour la compagnie de théâtre de la Pierre Noire durant deux ans et demi. Il joue des pièces d’Anton Tchekhov, Victor Hugo…

Il anime des ateliers de théâtre avec différents publics : enfants psychotiques, personnes âgées, jeunes délinquants, handicapés.

En 1987, il revient à Paris et se lance dans l’écriture pour le théâtre. Il écrit deux pièces : M. Toz et La pension qui seront mises en scène par son frère et jouées à Aix-en-Provence et à Paris.

En 1990, il récidive et est à nouveau condamné à huit ans de prison pour vol. Il se rapproche de l’extrême gauche. Il se considère comme prisonnier politique et participe aux Luttes anticarcérales.

En 1993, son premier recueil de nouvelles, les Forcenés, est édité alors qu’il est encore en prison.

En 1994, du fait de l’application de la loi Pasqua sur la double peine, il est menacé d’expulsion vers l’Algérie, ne parvenant pas à faire renouveler son permis de séjour3. Il s’évade de prison et se cache (il totalisera 18 mois de cavale sur l’ensemble de ses peines de prison). Il vit sans papiers depuis 1996. En 1995, il est repris et condamné à 2 ans et 6 mois supplémentaires pour évasion, puis encore 3 ans de plus. En 1996, il est victime d’un double infarctus en prison et doit être opéré. Il est depuis en insuffisance cardiaque.

À partir des années 2000, François Guérif, éditeur chez Rivages/Noir soutient le travail d’écrivain d’Abdel Hafed Benotman et publie la plupart de ses livres4. C’est au cours de son séjour à la Maison d’arrêt de Fresnes, en 2004, que Jean-Hugues Oppel, auteur de romans policiers aux Éditions Rivage et ami depuis 2000 lui rend visite régulièrement et l’encourage à poursuivre son travail d’écriture. Il préface son livre Les Forcenés5. En 2005, alors qu’il est toujours incarcéré, Abdel Hafed Benotman épouse Francine. En 2007, il sort de prison et la retrouve. Elle ouvre le restaurant associatif « Diet Éthique » dans le 15e arrondissement de Paris. Depuis cette date, il continue d’écrire. Il participe régulièrement à des salons et festivals littéraires. En 2008, il rencontre le juge Éric Halphen, auteur de romans policiers lui aussi, dans le cadre d’un échange littéraire6. Abdel Hafed Benotman est aussi membre du jury pour le Théâtre du Rond Point des Champs-Élysées, en lien avec les conservatoires parisiens7. En 2012, il écrit et met en scène une nouvelle pièce de théâtre, Les Aimants au Vingtième Théâtre de Paris.

Quatrième de couverture :

 » On l’avait baladé dans un épouvantable voyage. Il avait vu

des morts aussi, dont lui-même. Il avait traversé des miroirs avant d’être jeté les bras chargés de ce paquetage dans cette cellule qui ne lui appartenait pas, et qu’il devait partager

avec il ne savait qui. Cette cellule angoissante avec ce lit

unique, très inquiétant de n’être pas le sien.  »

Hugues, arrêté en flagrant délit lors d’un rodéo avec une voiture volée, est placé en garde à vue.

Plus tard, en cellule, il se retrouve avec un dénommé Jean.

Abdel Hafed Benotman fait le récit d’un intenable face-à-face, entre réalité fantasmée et hyper-réalisme, et nous plonge dans les entrailles de cette machine à broyer les êtres vivants : la prison.

Mon avis :

Je n’ai rencontré Hafed qu’une fois, c’était à Paris Polar. Par hasard, parce qu’on devait se rencontrer, je lui ai payé une bière. Et on a commencé à parler. Cela a duré une demi-heure. Il a parlé de romans noirs, de l’écriture et des lecteurs. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est une personne qu’on avait envie d’entendre, d’aimer. Peu de temps après, j’ai lu Eboueur sur échafaud, sorte de biographie, mais aussi dénonciation de beaucoup de choses qui l’ont choqué au long de sa vie tumultueuse.

Garde à vie, en ce sens, est plus un roman pour les adolescents qu’un réquisitoire. Quoique ! La plongée dans l’enfer commence très tôt. Un simple vol de voiture et voilà Hugues aux mains des flics, traité comme un grand délinquant. Transféré en prison, il doit partager sa chambre avec Jean, un délinquant violent.

Hafed ne nous cache rien, il ne veut pas non plus en rajouter. C’est un roman ultra réaliste qui montre ce qu’est la prison, et comment elle produit de futurs grands délinquants. Le style est précis, la plume est sèche, le sujet difficile, mais le roman fonctionne à fond. On avance dans le roman, sonné comme un boxeur qui a pris trop de coups. On en oublie que Hugues n’est là que pour un vol de voiture.

Après avoir refermé le roman, on se met à réfléchir, sur le message mais aussi et surtout sur l’expérience que l’on vient de vivre. D’un voyage en enfer, on en est revenu indemne … enfin, pas tout à fait. Car ce livre laisse des cicatrices sur les mémoires, tant il est dur. Un fantastique roman à lire à partir de 15 ans (enfin, c’est mon avis).