Archives pour la catégorie Littérature anglaise

Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

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Oldies : L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

Editeur : Fleuve Noir (Grand Format) ; 10/18 (Format Poche)

Traductrice : Roxane Azimi

Attention, Coup de Cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Je ne me rappelle plus pourquoi j’avais acheté ce roman, sûrement suite à un conseil d’un collègue blogueur, mais je peux vous dire que je n’ai jamais lu un roman pareil, un voyage entre réalité et imaginaire, un voyage dans les livres.

L’auteur :

Jasper Fforde, né le 11 janvier 1961 à Londres, est un écrivain britannique.

Il a travaillé vingt ans dans l’industrie cinématographique en tant que « responsable de la mise au point » (de la caméra) sur des films tels que Haute Voltige et Golden Eye, avant d’abandonner ce métier afin d’avoir plus de temps pour jouer avec les mots. Il vit au pays de Galles où il pratique l’aviation et la photographie.

Les romans de Jasper Fforde sont publiés au Royaume-Uni et aux États-Unis par Penguin Books. En France, ils sont édités par Fleuve noir, puis en poche par 10/18.

Son premier roman, L’Affaire Jane Eyre, a essuyé 76 refus d’éditeurs avant d’être finalement accepté et publié par Penguin. Le livre a connu, dès sa sortie, un grand succès. L’auteur y raconte l’histoire d’une héroïne nommée Thursday Next qui travaille à la section de la brigade littéraire. Son rôle est d’empêcher les méfaits dont les cibles sont les livres, ou d’enquêter sur eux. Un métier bien tranquille, voire ennuyeux, jusqu’à ce jour où un terrible meurtrier kidnappe Jane Eyre, l’héroïne de son roman fétiche.

Fort de ce premier succès, Jasper Fforde a poursuivi les aventures de Thursday Next dans plusieurs romans. Ces aventures prennent place dans un monde loufoque, une uchronie où la littérature est très prisée (entre autres), et appartiennent en partie au genre du roman policier, mais on peut également les classer dans le genre light fantasy dans la mesure où l’humour en est l’ingrédient dominant.

Paru en 2003, Délivrez-moi ! (Lost in a Good Book), deuxième titre de la série Thursday Next, remporte le prix Dilys 2004.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Nom : Thursday Next

Age : trente-six ans

Nationalité : britannique

Profession : détective littéraire

Signe particulier : vétéran de la guerre de Crimée

Animal domestique : un dodo régénéré, version 1.2, nommé Pickwick

Loisirs préférés : rencontrer des personnages de romans, chercher à découvrir le véritable auteur des pièces de Shakespeare, occasionnellement, aider son ami Spike à traquer des vampires

Mission actuelle : capturer l’un des plus grands criminels de la planète, j’ai nommé… Ah ! c’est vrai, j’oubliais, il ne faut surtout pas prononcer son nom car il vous repère aussitôt ; disons simplement que c’est l’homme qui tue dans un éclat de rire !

Mon avis :

Je n’ai jamais lu un livre pareil. Imaginez le monde comme une sorte de mélange entre réalité et fiction, où vous pourriez rencontrer vos personnages de littérature préférés. Imaginez que vous puissiez entrer dans les livres et en modifier l’intrigue, voire les personnages, si vous aviez en votre possession l’original de l’œuvre. Bienvenue dans ce roman, qui place au premier plan le pouvoir de l’imagination.

En 1985, la guerre de Crimée s’est transformée en guerre mondiale. La Grande Bretagne est dirigée par une hydre nommée Goliath et qui surveille tous les faits et gestes sous couvert de lutter contre la criminalité. Thursday Next est une jeune femme passée par la police (appelée OpSpec pour Service des Opérations Spéciales), puis s’est engagée dans l’armée avant de revenir à l’OS27, la Brigade littéraire. Elle est chargée d’enquêtes liées aux livres, de l’édition de faux manuscrits au vol ou au recel d’œuvres littéraires. Alors que l’Ennemi Public Numéro 1 menace à nouveau Londres, j’ai nommé Archeron Hadès, Thursday est mutée à l’OS05 pour le retrouver mais son intervention pour arrêter Archeron se solde par un fiasco. De retour à l’OS27, elle accepte alors d’être mutée à Swindon.

Ce roman est un étrange roman, nous faisant sans cesse alterner entre monde réel et monde imaginé ou fantasmé. On côtoie les personnages du roman avec ceux inventés par d’illustres auteurs, on est surpris par la peinture de ce monde fictif et bizarrement inhumain (les animaux de compagnie sont des clones que l’on fait naitre nous-mêmes), à tel point que l’on finit par adopter cet univers et se plonger dans une intrigue décalée.

Et on est surpris, à chaque page, par l’inventivité, la créativité de l’auteur, qui arrive à imaginer des passages d’un espace temps à l’autre, qui crée des personnages complètement farfelus qui nous font éclater de rire (et à ce titre, je décerne une palme à Mycroft Next, l’oncle de Thursday pour ses inventions) tout en déroulant une intrigue animée proche d’un roman policier.

Formidable hommage à la grande littérature anglo-saxonne, mais aussi hymne à l’imagination et la la puissance d’évocation de la littérature, ce roman est un OLNI, un Objet Littéraire Non Identifié, qui vous surprendra à chaque page et qui vous enchantera d’un bout à l’autre. Bizarrement, je l’aurai lu doucement, juste pour me délecter de ce monde, pour faire durer un voyage ailleurs qu’on voudrait ne jamais voir finir. Totalement décalé, déjanté, L’affaire Jane Eyre est un livre de fou comme je les aime, un voyage drôle et imaginatif dans le monde des livres.

Coup de cœur !

Trafic de reliques d’Ellis Peters

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format poche

Traducteur : Nicolas Gille

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

En replongeant dans les bibliothèques de mon sous-sol, j’ai ressorti la première enquête de Frère Cadfael. En route pour le Moyen-âge.

L’auteure :

Edith Pargeter, OBE, British Empire Medal, née le 28 septembre 1913 à Horsehay (en) et morte le 14 octobre 1995 à Shrewsbury, est une romancière anglaise surtout connue pour avoir publié, sous le pseudonyme d’Ellis Peters, les aventures du Frère Cadfael, une série de romans policiers historiques se déroulant au Moyen Âge.

Elle devient préparatrice en pharmacie avant de s’engager, pendant la Seconde Guerre mondiale, au département des communications des Women’s Royal Voluntary Service. Cette expérience nourrit des œuvres satiriques parues à cette époque. Après la guerre, elle reçoit néanmoins la British Empire Medal, remise par le roi George VI, en remerciements de son engagement.

Spécialiste de la langue et de la littérature tchèques, Edith Pargeter en traduit, entre 1957 et 1970, plusieurs œuvres en anglais, dont celles de Bohumil Hrabal.

Dans les années 1960, elle donne une trilogie historique, intitulée Heaven Tree, qui se passe en Angleterre au début du xiiie siècle, au temps des bâtisseurs de cathédrales et des guerres entre Anglais et Gallois. Les héros de cette trilogie sont Harry Talvace et ses proches, tailleurs de pierres au service d’Isambard, terrible seigneur de Parfois. Au milieu des batailles qui ensanglantent l’Angleterre, des adolescents grandissent et deviennent des hommes en prise avec les contradictions de leurs sentiments et de leurs devoirs. Edith Pargeter prend plaisir à décrire ces liens étonnants qui unissent ses personnages entre eux, et sa trilogie obtient d’emblée un grand succès populaire et critique.

Dans le domaine de la littérature populaire, elle s’intéresse au roman policier dès 1938 avec Murder in the Dispensary, signé du pseudonyme de Joylon Carr, et The Victim Needs a Nurse (1940), sous celui de John Redfern. En 1951, dans Pris au piège (Fallen Into the Pit) apparaît pour la première fois l’inspecteur Felse. Pourtant, ce n’est qu’avec la deuxième enquête de ce héros, dans une série qui comptera une douzaine de titres, que l’auteur atteint la notoriété, puisque Une mort joyeuse (Death and the Joyful Woman) décroche le Prix Edgar Poe du meilleur roman décerné par les Mystery Writers of America en 1963.

Ce n’est que tardivement, en 1977, à l’âge de 64 ans, qu’elle amorce la série des aventures du Frère Cadfael, un moine bénédictin, né en 1080, et vivant à la frontière du Pays de Galles au XIIème siècle. Avant qu’une vocation tardive n’appelle Cadfael à la vie monastique à l’Abbaye des Saint-Pierre et Saint-Paul, sise à Shrewsbury, celui-ci a été marin et croisé. Devenu herboriste, et en quelque sorte médecin, il est régulièrement amené à sortir du couvent pour dispenser des soins et porter des remèdes « dans le siècle ». Il est également consulté en cas de décès quant à leur nature et leurs causes. Ayant lié une amitié et une complicité solides avec le jeune shérif Hugh Beringar, ce dernier ne manque jamais de solliciter les conseils et l’aide du moine gallois qui, malgré la profondeur de sa vocation, se languit encore parfois d’aventure et de chevauchées par monts et par vaux.

Personnage haut en couleur, atypique, parfois cocasse et ne manquant ni d’humour ni de caractère, Cadfael offre aussi une facette de fin psychologue. Il présente surtout un visage humain d’une étonnante authenticité. Au cours de sa première enquête, il est impliqué dans un Trafic de reliques (A Morbid Taste of Bones) entre l’abbaye et le village dépositaire des restes d’une sainte décapitée par un prince païen. L’intrigue de ce premier titre se situe en 1138, alors que Cadfael est un quinquagénaire, entré à l’abbaye depuis déjà dix-huit ans. Le dernier volume du cycle, Frère Cadfael fait pénitence (Brother Cadfael’s Penance), publié en 1994, s’achève en 1145. En outre, quelques nouvelles éclairent le passé de cet homme qui fut autrefois soldat et qui a même eu un enfant d’une femme qu’il a beaucoup aimé. La série mêle d’ailleurs adroitement intrigues policières et sentimentales, tout en ménageant des liens entre les sphères des pouvoirs politique et spirituel de l’époque.

L’acteur britannique Derek Jacobi incarne le Frère Cadfael dans la série télévisée britannique Cadfael (1994-1998), en 13 épisodes.

Edith Pargeter a été élevée au rang d’officier de l’ordre de l’Empire britannique.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Frère Cadfael fait partie d’une délégation religieuse qui se rend au Pays de Galles pour ramener à l’abbaye bénédictine de Shrewsbury les reliques de Sainte Winifred. Les tractations avec les Gallois sont difficiles.

Pendant le séjour, Rhisiard, leader de l’opposition au transfert, est assassiné. Immédiatement son pauvre serviteur, anglais et amoureux transi de sa fille, est désigné coupable.

Ce n’est pas l’avis de Frère Cadfael qui va apporter son aide à cet homme malheureux que le destin accable. Inspiré par un fait divers contemporain de transfert de relique, ce subtil roman d’Ellis Peters a réussi à faire fonctionner une intrigue policière dans un cadre de l’Angleterre du XIIe siècle parfaitement décrit et mis en valeur.

Cette conteuse hors pair, surnommée la Schéhérazade anglaise, poursuit ici la saga de son moine enquêteur dont le succès grandissant lui a valu l’adaptation sur le petit écran. Christophe Dupuis

Mon avis :

Frère Cadfael est appelé en urgence alors que Frère Columbanus est pris d’une crise de convulsion. Frère Jérôme, chargé de veiller le malade pendant la nuit, dévoile à tout le monastère qu’il a eu une vision : Dans une lumière évanescente, une jeune vierge se nommant Winifred a recommandé de baigner le malade dans une source sacrée du pays de Galles. Cette vision les pousse à rapatrier les restes de cette jeune femme décapitée par un prince Cradoc. Une congrégation va donc se diriger vers Shrewsbury pour négocier le transport des ossements de la vierge chez eux. Arrivés là-bas, ils vont rencontrer une forte réticence avant d’être confrontés à un meurtre.

Ellis Peters n’est pas une novice quand elle commence la série des enquêtes de Frère Cadfael. Elle montre dans cette première enquête son talent de conteuse en prenant son temps, adoptant le rythme de la vie au Moyen-âge. Dans ce roman, nous allons apprendre beaucoup de choses, et le meurtre en question n’arrivera qu’au bout d’une centaine de pages, après avoir détaillé la psychologie des intervenants.

Frère Cadfael va déployer toutes ses connaissances et sa logique pour exploiter les indices à sa disposition. Il ne va pas intervenir lui-même à la façon d’un Hercule Poirot, préférant donner des instructions à la fille du mort pour que le coupable se dévoile. L’intrigue en elle-même se révèle suffisamment complexe pour nous attirer notre attention et notre curiosité. Cette première enquête est un classique de la littérature policière historique et elle vaut largement le détour.

Tokyo revisitée de David Peace

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Jean-Paul Gratias

Nous les fans de David Peace, nous avons attendu dix ans, dix longues années avant de pouvoir enfin ouvrir le troisième tome de la trilogie consacrée à Tokyo, après Tokyo année zéro, et Tokyo ville occupée. David Peace clôt ainsi cette période d’occupation du Japon après la seconde guerre mondiale. Pour cela, il se penche sur une affaire encore inexpliquée de nos jours, la mort de Sadanori Shimoyama, le président des chemins de fer japonais,

1949. En ce 5 juillet, la température caniculaire rend l’atmosphère étouffante, irrespirable. L’inspecteur Harry Sweeney un coup de téléphone à son bureau, dans lequel un homme, japonais par son accent lui annonce : « Trop tard ». Retrouvant la trace de l’appel, il se dirige vers le café Hong Kong avec son chauffeur du jour Shintarõ, en vain. De retour au bureau, on lui apprend que Shimoyama a disparu.

L’entretien avec la femme du président lui apprend qu’il est parti tôt ce matin, accompagné de son chauffeur. Ce dernier lui dit qu’il l’a conduit dans une galerie commerciale et qu’il l’a attendu toute la journée, conformément aux ordres. A l’intérieur du centre, Sweeney ne trouve aucune trace du passage de Shimoyama. Tout le monde pense qu’il a passé la journée avec une amante.

Le lendemain, Harry Sweeney, Bill Betz, Toda son coéquipier et Ishirõ son chauffeur foncent en direction de la gare d’Ayaze. On a découvert un corps sur les rails. La police américaine et la police japonaise ne peuvent que reconnaitre le corps de Sadanori Shimoyama, découpé par le train qui lui est passé dessus. Deux théories vont alors s’affronter : un assassinat ou bien un suicide.

David Peace nous éclaire à la fin du roman sur les raisons qui l’ont poussé à aborder cette histoire véridique. A l’époque, Sadanori Shimoyama a réellement été retrouvé mort sur les rails de la gare d’Ayaze et le meurtre n’est aujourd’hui toujours pas expliqué. Dans le climat de tension de la fin de la guerre, cette affaire a fait autant de bruit au Japon que l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy aux Etats Unis. Cet homme était reconnu comme étant un homme bon, faisant son possible pour reconstruire et développer le trafic ferroviaire. Mais il se retrouvait harcelé entre l’obligation imposée par les politiques de licencier plusieurs milliers de personnes et la lutte anti-communiste menée par les Etats-Unis sur le terrain même des japonais.

David Peace va diviser son roman en trois parties et, non pas nous donner clé en main, la solution de cette énigme, mais plutôt nous plonger dans cette époque trouble, entre magouilles politiques, syndicats rouges violents, militaires américains arrogants et manipulateurs, agents secrets, agents doubles, agents triples … pour cela il a choisi trois personnages à trois époques différentes, exilés dans une contrée qui n’est pas la leur, marqués aussi par leur passé et se trouvant dans une impasse quant à leur futur.

Harry Sweeney, inspecteur doué, va ouvrir le bal et mettre à jour pour nous lecteurs les différents fils qui tirent le pays du Soleil Levant dans tous les sens. Puis, un détective privé, Murota Hideki, doit retrouver un auteur de polars, Kurota Roman, qui a disparu après avoir touché une avance confortable pour son prochain opus qui devait dévoiler les dessous de l’affaire Shimoyama. Enfin, nous finirons ce voyage en eaux troubles avec le retour au Japon de Daniel Reichenbach.

David Peace n’a pas son pareil pour construire des personnages complexes placés dans des situations complexes, pour nous faire vivre dans un pays étranger. Autant par les décors que les situations, il nous montre la situation du Japon sous l’occupation, où chacun gardait une part de l’information pour lui. Il nous montre aussi dans la première partie, la différence de culture ne serait-ce que dans des dialogues entre la police japonaise et la police américaine toute en tension, en menaces mais à travers des phrases douces et sibyllines.

David Peace n’a pas son pareil pour nous peindre une situation politique, presque géopolitique, sans être trop explicite, nous donnant les clés pour comprendre la situation de guerre froide, et comment elle avait lieu sur le terrain. Le nom du coupable a peu d’importance, car on comprend vite que, quel que soit le camp, un homme a été manipulé, tué uniquement pour des considérations idéologiques de gens de grand pouvoir.

David Peace n’a pas son pareil pour nous plonger dans des personnages extraordinaires, cassés, brisés par leur passé, cherchant des exutoires à leurs souffrances. On trouve dans ce roman des scènes hallucinées, hallucinantes, formées de longs paragraphes qui nous plongent dans les délires du personnage et qui rajoutent au mystère de ce pays. Nous nous retrouvons dans un pays, une culture qui nous est étrangère, que nous ne comprenons et nous plongeons dans une paranoïa profonde.

J’ai beaucoup parlé du meurtre de Sadanori Shimoyama, car c’est ce que j’en ai déduit en refermant ce livre. Pour autant, il se peut qu’il s’agisse d’un suicide. La résolution de l’affaire ne constitue qu’un fil narrateur de ce roman dont le message se révèle plus complexe et aboutit, dans mon cas, à un dégout des idéologies extrémistes, quel que soit le camp d’où elle vienne. Enorme !

L’Ombre des Autres de CJ. Tudor

Editeur : Pygmalion

Traducteur : Thibaud Eliroff

J’avais découvert CJ.Tudor avec L’Homme-Craie, son premier roman, que j’avais adoré, au point de lui décerner un Coup de Cœur. Ces lectures de fin d’année 2021 m’ont permis de renouer avec cette auteure douée.

Bloqué dans les embouteillages en rentrant chez lui, Gabe Forman remarque tout d’abord les autocollants affichés sur la vitre arrière de la voiture qui le précède. Pour une fois qu’il était sorti tôt du boulot, il se retrouve coincé dans les travaux de l’autoroute M1. Alors qu’il s’apprête à changer de file, le visage de sa fille apparait derrière le pare-brise arrière de la voiture précédente. Elle semble prononcer « Papa ».

Impossible ! Elle devait être avec sa mère ! Alors que la circulation se fluidifie, la voiture accélère. Il essaie de la suivre mais la perd rapidement. Mettant cet événement sur le compte de la fatigue, il s’arrête dans une station-service déprimante. Il reçoit alors un coup de téléphone du capitaine Maddock, qui lui annonçant que sa femme Jenny et sa fille Izzy ont été tuées.

Trois ans plus tard, un homme maigre et désespéré est assis à une table de la station-service de Newton Green, buvant son café. Katie, la serveuse, le connait bien, il passe de temps en temps avec son affiche montrant le portrait d’une jeune fille et l’inscription « M’avez-vous vue ? ». Le rumeur disait qu’il arpentait la M1 à la recherche de sa fille disparue. Il reçoit un SMS d’un numéro inconnu : « G trouvé la voiture ».

A la station-service de Tibshelf, Fran fait une pause avec sa petite fille Alice. Elle observe les clients, car elle sait qu’ils ne lui laisseront aucun moment de répit. Alice demande à aller aux toilettes, et elle lui autorise d’y aller seule. Alice entre et évite les miroirs. Elle sait qu’ils peuvent lui faire du mal. Alors qu’elle se lave les mains, elle ne peut s’empêcher de lever le regard. Et elle aperçoit le visage d’une petite fille avec les yeux blancs. Alice s’évanouit.

Construit comme un puzzle, avec trois personnages principaux, l’histoire va petit à petit prendre forme et remonter dans le passé pour nous expliquer tout ce qu’il s’est passé. Grâce à des chapitres courts et l’art de nous surprendre par une simple phrase, on ne peut qu’être attiré par la suite, et ressentir une envie irrépressible de connaitre la fin. Voilà la définition même d’un page-turner.

Et cela marche. Le style de l’auteure s’avérant très agréable et fluide, nous allons suivre Gabe dans sa quête de réponses, Katie dans sa vie compliquée de serveuse, et Fran dans sa fuite éperdue face à une menace que l’on ressent sans réellement savoir de quoi elle est faite. La psychologie des personnages étant réellement attachante, il devient difficile de poser le bouquin.

Je dois dire que cette façon de dérouler le scénario est originale, que ce dernier est très travaillé pour ne nous en dévoiler qu’une petite partie à chaque fois, jusqu’à nous expliquer ce que sont les Autres. Etant fan de Stephen King, elle ajoute à son histoire une pincée de Fantastique qui, je dois le dire, n’apporte pas grand-chose à l’ensemble, sauf pour la scène de fin, ce que j’ai trouvé dommage. L’Ombre des Autres est donc un excellent divertissement.

Garde le silence de Susie Steiner

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traducteur : Yoko Lacour

Troisième roman de la série Manon Bradshaw, je découvre une nouvelle plume britannique en plein milieu d’un cycle, sur fond fortement social. Après avoir lu ce roman, il se pourrait bien que je lise les deux premiers.

Minuit. Matis, un immigré lituanien rentre dans ce qui lui sert d’habitation. Dimitri, qui habite avec lui, se rend compte que quelque chose ne va pas. Matis lui annonce que Lukas est mort. Matis et Lukas sont venus ensemble en Angleterre pour trouver du travail ; forcément, il se sent coupable. Dans la chambre, quatre autres hommes dorment déjà. Demain, ils devront être debout à quatre heures pour ramasser des poulets. Sans passeport, confisqué à leur arrivée, ils se trouvent sous la coupe d’Edikas Petrov, dans l’espoir d’avoir suffisamment remboursé leur dette.

Manon Bradshaw est réveillée par le petit Teddy, qui veut qu’on l’emmène au parc. Mark son compagnon s’occupera de Fly pendant ce temps-là. Teddy se jette sur la balançoire, et Manon remarque deux pieds dépassant d’un marronnier. Ne voulant pas que Teddy voit un homme pendu, elle appelle le commissariat pour qu’on dépêche une unité de patrouille.

Manon rentrée chez elle, les policiers attendent le photographe judiciaire. Ils remarquent un morceau de papier accroché à son pantalon : « Les morts ne parlent pas » en lituanien. Son identité est révélée par son permis de conduire : Lukas Balsys. Alors que Manon est censée travailler à mi-temps sur des cold-cases, la nouvelle superintendante Glenda McBain va confier cette affaire à Manon et à Davy Walker, son partenaire pour qui elle a un penchant certain.

Même si je n’ai pas lu les précédents tomes, j’ai été étonné de ne pas être perdu au début. Les situations présentées sont simples, et suffisamment explicites pour qu’on ne soit pas largué. Et on comprend vite qu’il y a de l’eau dans le vinaigre entre Manon et Brenda, de même que le sort des immigrés lituaniens ne passent pas en priorité dans les enquêtes de la police anglaise.

Si l’enquête parait simple, elle se révèle surtout très réaliste. On devine vite qui a le rôle du méchant. Mais ce manque de suspense est surtout là pour mettre en valeur l’horreur du trafic des travailleurs clandestins, qui n’ont droit à aucun soin s’ils se blessent, qui dorment entassés sur des matelas miteux et qui subissent les coups de celui qui organise ce trafic. L’auteure nous montre les faits sans s’appesantir, presque sans émotions mais on l’entend rugir derrière ses lignes.

Susie Steiner n’écrit pas des romans policiers comme il y a vingt ans. Derrière l’enquête, elle y peint la vie de famille, la difficulté d’être mère, de faire face à la maladie de Frank qui va se déclarer et les ami (e) s en proie à la crise de la quarantaine avec leur envie d’aller voir ailleurs. Et ces passages prennent autant de place que l’enquête policière, ce qui donne de l’épaisseur à son personnage principal.

S’il s’agit d’une belle découverte pour moi, ce roman s’inscrit dans la lignée des auteurs qui dénoncent le manque d’humanité de leur société ainsi que la montée de l’extrême droite, qui devient institutionnalisée. Son style est clair, explicite, et agréable à lire. Dans le même genre, Eva Dolan aborde des thèmes proches, avec un style plus sec, plus direct, et que je vous recommande aussi en accompagnement. Et ne croyez pas que ce roman ne concerne que l’Angleterre …

Le carnaval des ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

Roger Jon Ellory fait partie des auteurs incontournables dans le paysage du polar, situant ses intrigues aux Etats-Unis et présentant à chaque fois des personnages complexes et des sujets toujours très intéressants. Ce dernier roman en date risque de surprendre son lectorat, par son aura mystérieuse.

1958. Le corps d’un homme a été découvert sous le manège d’un cirque ambulant à Seneca Falls. L’agent spécial superviseur du FBI Tom Bishop confie cette enquête à Michael Travis, et le nomme pour l’occasion agent spécial sénior. Il devra se rendre sur place en solo, ce qui est inhabituel, et déterminer s’il s’agit d’un meurtre local donc de la responsabilité du shérif ou d’un crime fédéral.

Arrivé sur place, Travis fait la connaissance du shérif Charles Rourke. Ce dernier lui assure qu’il fera tout ce qui est en pouvoir pour l’aider, ce qui veut dire qu’il veut se débarrasser d’une enquête qui vient troubler la quiétude de cette petite ville. Rourke ne lui cache pas que l’arrivée du Carnaval Diablo, mené par Edgar Doyle, avec ses magiciens, ses géants et ses membres difformes gêne la tranquillité des habitants.

A la morgue, l’examen du corps ne lui apprend rien de plus : l’homme a été tué ailleurs et son corps glissé sous un manège tournant. Une lame l’a poignardé à l’arrière de la tête. Le corps comporte un nombre impressionnant de vieilles blessures ce qui laisse penser à un membre de gangs ou un soldat. Sur l’arrière du genou, Travis remarque un tatouage en forme de point d’interrogation inversé.

On pourrait penser à un simple roman policier, à la lecture de ce bref résumé qui parcourt les premières dizaines de pages. Puis, quand on entend parler de monstres exhibés dans un cirque, on se dit qu’on va avoir droit à un défilé de Freaks. En fait, le roman aborde plusieurs thèmes, beaucoup de thèmes qui vont bien au-delà du rejet de la population envers des gens différents.

Le personnage principal est remarquablement bien construit. Son passé montre un enfant issu d’une famille violente, son père alcoolique battant sa mère. Un jour, celle-ci tue le père et se livre aux autorités. Travis va alors aller dans une maison de correction avant d’être adopté par sa tante. Il recevra une éducation lui inculquant de suivre les règles, de ne pas sortir des limites qu’on lui a fixées.

Et le Carnaval Diablo va faire voler en éclats ce qu’il considère comme acquis et ce que lui demande son travail au FBI. Sortir des règles et dénicher ce qui se cache derrière les apparences lui permettra de découvrir l’identité du mort mais aussi des exactions du FBI et de la CIA, en particulier l’Opération Paperclip, à la fin de la 2ème guerre mondiale, consistant à récupérer les scientifiques nazis. J’ai trouvé remarquable la façon dont l’auteur nous oppose un esprit matérialiste et cartésien avec l’irrationnel des membres du cirque.

A tout cela, il faut rajouter, et c’est ce que j’ai préféré, une ambiance mystérieuse, où on voit Travis perdu dans ses convictions, dans une affaire, qui, au fur et à mesure de son avancement, va devenir obscure. Les artistes bizarres du cirque vont ajouter une aura brouillardeuse à des événements étranges tels que la disparition du corps et l’accumulation de mystères ou même la possibilité de lire les pensées d’autrui.

La plume de Roger Jon Ellory s’avère toujours aussi hypnotique (et la traduction lui rend un formidable hommage), même si j’y ai trouvé des moments longuets où l’auteur en rajoute. Et le fait qu’il multiplie les thèmes donne une impression qu’il ne sait pas où il veut nous emmener. Décidément, ce roman détonne par rapport aux précédents opus de l’auteur et on passe un bon moment à parcourir ce pavé de plus de 600 pages.

Le serveur de Brick Lane d’Ajay Chowdhury

Editeur : Liana Levi

Traducteur : Lise Garond

J’ai jamais lu de roman indien ou écrit par un auteur d’origine indienne. J’avoue, je suis passé au travers des polars de Abir Mukuherjee, mais ce n’est que partie remise. Partons donc à la découverte de ce premier roman policier, fort classique dans la forme.

Londres, octobre. Kamil Rahman travaille comme serveur chez son oncle Saibal. En ce samedi, ils doivent préparer un buffet en l’honneur de l’anniversaire de Rakesh Sharma, un gros entrepreneur de BTP. Sa femme, beaucoup plus jeune que lui, a voulu marquer l’occasion par une réception gigantesque chez eux, avec plus de 170 invités. Kamil n’a pas le droit de travailler puisqu’il bénéficie d’une visa touristique. Mais il a dû fuit Calcutta suite à sa dernière enquête quand il était policier là-bas. La réception est un vrai succès et ils remballent leurs ustensiles tard dans la nuit. Sur la route du retour, Neha les appelle au téléphone et leur annonce que Rakesh est mort au bord de la piscine. Ils font demi-tour pour la soutenir et Kamil ne peut s’empêcher de noter des faits troublants l’amenant à penser qu’il s’agit d’un meurtre.

Calcutta, juillet, trois mois plus tôt. Kamil a suivi les traces de son père Abba, ancien commissaire de police à la retraite, et est parvenu au grade de sous-inspecteur. Calcutta est en pleine effervescence à cause des prochaines élections et du futur métro ultramoderne, dont les travaux doivent bientôt commencer. Convoqué par le commissaire adjoint Amitav Ghosh, il se voit confier une affaire délicate. Asif Khan, la star masculine du Bollywood a été tué dans sa suite du Grand-Hôtel. Il devra résoudre cette affaire rapidement et de façon rigoureuse et ne devra rendre des comptes qu’au commissaire adjoint. Vraisemblablement, Asif Khan a été frappé à la tête par une lourde statuette de Kali et la présence de sa montre en or montre qu’il ne s’agit pas d’un vol. La présence de deux verres, de deux préservatifs usagés et d’une liasse de billets sous le lit laisse penser à un rendez-vous sentimental qui a mal tourné. Kamil, en bon adepte d’Agatha Christie, se lance dans cette enquête.

Passant d’un lieu à un autre, Ajay Chowdhury déroule devant nos yeux deux enquêtes en parallèle, en respectant parfaitement les codes du roman policier, le whodunit. Il ne faudra pas y chercher d’action mais plutôt deux intrigues aux mystères épais fort bien mis en scène et déroulés, de façon à ce que Kamil vienne mettre en place les pièces du puzzle que nous avons en main.

Le gros intérêt de ce roman réside évidemment dans le personnage de Kamil, jeune puceau dans le domaine policier, habitué à des affaires simples de meurtres de commerçants, qui va devoir fricoter avec les hommes riches et puissants, qu’ils soient en Inde ou en Angleterre. Malgré son jeune âge, il n’est pas idiot et garde comme motivation sa volonté de voir son père fier de son fils.

Le parallèle entre l’Inde et l’Angleterre est amusant, pardon, intéressant. Même si j’aurais aimé plus de détails sur la vie en Inde, être véritablement plongé dans une ambiance orientale, on aperçoit une société minée par la corruption où il s’agit avant tout de ne pas faire de vagues et de ne pas gêner les puissants. Le parallèle avec l’Angleterre est bien fait, puisque Kamil ne peut pas s’impliquer dans l’enquête au risque de se retrouver expulsé et être obligé de retourner dans un pays qui ne veut plus de lui.

J’ai beaucoup apprécié les dialogues, qui nous en apprennent énormément sur les relations entre les gens, et la nécessaire humilité et dévotion envers la hiérarchie. On apprend aussi que les indiens habitant Londres tiennent à leur culture, leur religion et leur gastronomie (d’ailleurs, on y trouve des menus et des recettes pour les amateurs). Ce serveur de Brick Lane est un bon premier roman policier classique dans la forme et fort intéressant. Si j’espère évidemment retrouver Kamil dans une prochaine enquête, je me demande bien comment l’auteur va pouvoir le faire rebondir. A suivre … peut-être …

Les aveux de John Wainwright

Editeur : Sonatine

Traductrice : Laurence Romance

On m’a chaudement recommandé ce roman et je n’ai pas hésité quand j’ai vu que ce roman par l’auteur de A table !, roman qui a inspiré le film Garde à vue de Claude Miller avec Lino Ventura, Michel Serrault et Charlotte Rampling. Quel roman !

Années 80, Rogate-on-Sands. Herbert Grantley a suivi la tradition familiale, reprenant la pharmacie familiale que son grand-père puis son père ont monté et développé. Face à l’inspecteur-chef Lyle, il vient s’accuser d’avoir empoisonné sa femme Norah, décédée un an plus tôt. Herbert va devoir être persuasif pour démontrer sa culpabilité face à Lyle, plus que dubitatif, puisqu’officiellement la mort de Norah est naturelle.

A sa sortie des études universitaires, Herbert a travaillé dans la pharmacie paternelle, comme un passage de témoin progressif. Quand il rencontre Norah, Herbert est persuadé qu’elle est la femme de sa vie. Lors de leurs fiançailles, son père lui demande s’il est persuadé de prendre la bonne décision, arguant que Norah est trop semblable à lui et que des différences sont l’assurance d’un mariage réussi.

Malgré cette mise en garde, Herbert et Norah se marie. Lui va prendre la gérance de la pharmacie et elle devenir femme au foyer. Bientôt, Norah va prendre l’ascendant, par des petites remarques désagréables, créant en Herbert un ressentiment grandissant contre elle. Deux événements vont bouleverser sa vision du couple : la mort de son père et son incinération au lieu d’un enterrement et la naissance de leur fille Jenny.

A la lecture de ce bref résumé, on pourrait penser à un duel entre Herbert et Lyle, alors qu’il s’agit plutôt d’une confession entrecoupée de chapitres présentant les dialogues entre les deux personnages. Raconté à la première personne, le récit totalement subjectif de Herbert va détailler sa vie de couple, quasiment exclusivement, et l’évolution de ses sentiments envers sa femme et sa famille, pour justifier le meurtre dont il s’accuse.

La façon de raconter cette histoire ressemble à s’y méprendre à Garde à vue, en inversant les rôles. Ce pied de nez envers les codes du genre policier, envers les huis clos que l’on a l’habitude de lire s’avère d’une originalité rare mais surtout d’une acuité impressionnante quand il s’agit de montrer un homme qui passe lentement, au fil des années, du ressentiment à la colère, de la rancune à la haine, jusqu’à envisager le pire.

Puis, en pleine milieu du roman, l’auteur introduit un événement, comme un rebondissement, qui va totalement modifier l’intrigue et surtout nous rappeler que nous lisons un témoignage donc un récit empreint de subjectivité. Effectivement, à partir de ce moment, le lecteur doute et débouche sur la conclusion de l’inspecteur-chef Lyle qui, à la façon d’une Agatha Christie, reprend tous les indices parsemés ça et là, pour afficher la Vérité, la terrible vérité d’une affaire de famille peinte en noir.

Les aveux de John Wainwright s’avère bien plus qu’un simple huis-clos, bien plus qu’une redite à la recette connue et éprouvée. Il détaille et autopsie les liens familiaux du couple, les petits gestes marquants, les petites phrases blessantes et la subjectivité des réactions. Il montre aussi la difficulté de communiquer, d’accepter les autres et la psychologie butée et unilatérale de Herbert. Un excellent roman policier, surprenant.

Regarder le noir – Recueil de nouvelles

Sous la direction d’Yvan Fauth

Editeur : Belfond

Yvan Fauth s’était lancé un défi, donner la voix à l’art de la nouvelle, l’année dernière. Cela s’appelait Ecouter le noir. Cette année, il récidive avec un deuxième sens, la vue pour Regarder le noir. Pour cela, il a réuni 12 auteurs pour former un recueil de 11 nouvelles autour d’un seul et même thème : la vue. Si le défi de ce blogueur et ami est relevé, voyons dans le détail de quoi il retourne :

Regarder les voitures s’envoler d’Olivier Norek :

Joshua est un garçon de 13 ans, qui vit au fond d’une impasse avec sa mère handicapée suite à un accident de la route. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est observer la rue, les gens. Une infirmière passe une fois par jour, sa tante de temps en temps. Son quotidien va être changé le jour où des voisins emménagent en face.

Esther a 14 ans et arrive dans cette ville où elle ne connait personne. Son père, violent et alcoolique, frappe sa femme et voudrait bien profiter de sa fille, dont les formes se dessinent. Heureusement, la mère est là pour la défendre. Elle aperçoit son voisin et aimerait devenir son ami.

Ecrite simplement avec des chapitres courts, cette nouvelle pourrait être anodine si elle ne comportait pas cette fin, terriblement noire et horriblement cynique. Malgré quelques incohérences, on appréciera surtout cette utilisation de mots simples pour se mettre à la place d’un enfant et la chute mémorable.

Nuit d’acide de Julie Ewa :

Sabbir est un jeune garçon qui habite au Bangladesh au bord du Gange. Une seconde d’inattention a suffi pour que des hommes ne l’empoignent et le balancent dans une camionnette. Après un trajet relativement long, il se retrouve dans une pièce où deux hommes le tiennent fermement pendant que l’un d’eux lui verse une goutte d’acide dans chaque œil. Devenu aveugle, il devra arpenter les lieux touristiques et sa vie d’esclave commence en tant que mendiant.

D’une noirceur difficile à supporter, Julie Ewa ne nous épargne rien, par sa façon de décrire le calvaire de ce jeune garçon même si elle met beaucoup de distance dans son récit. Et de cette noirceur, terriblement réaliste, elle arrive à nous trouver une fin encore plus cruelle. Quand le Noir devient glauque …

The Ox de Fred Mars :

The Ox se présente comme un building en brique perdu au milieu d’une zone industrielle et plongé dans le noir à cause de l’absence d’éclairage. Il s’agit en fait d’un baisodrome où les membres se retrouvent pour assouvir leurs fantasmes dans le noir complet. On vient d’y retrouver le corps d’un homme écartelé. Au Curtis Green Building où siège Scotland Yard, deux témoins sont interrogés séparément dans une salle : Panuelo, homme de ménage malvoyant originaire du Pacifique et Alexander Fallon, membre du club qui attendait, caché dans les broussailles, la sortie d’une superbe femme qu’il ne connaissait pas et dont il est tombé amoureux.

Avec son style simple et son rythme soutenu, cette nouvelle policière est franchement emballante. Les scènes s’enchaînent, sont très visuelles, et sont un bel hommage aux films américains (entre autres) basés sur des interrogatoires. C’est une lecture jubilatoire, avec une fin digne des meilleurs polars, dotée d’un scénario jouissif boosté par des dialogues percutants. Une excellente nouvelle. 

Le mur de Claire Favan :

Après 2030, après le cataclysme, les seuls rescapés de l’humanité vivent à bord d’un cargo, le Havana Bay. Survivant à l’aide de la récupération des déchets qui peuplent les mers, ce navire ressemble à s’y méprendre à l’Arche de Noé. Tous sont malvoyants et la hiérarchie respecte leur capacité à voir. Le capitaine a 80% de vision, Jérémy son second 55%. Jérémy en pince pour Léa, une belle blonde.

On n’attendait pas Claire Favan dans ce registre et c’est une franche réussite. Si le décor est futuriste, l’histoire s’approche plutôt d’un drame. Et malgré le fait que ces hommes et femmes soient condamnés à arpenter les mers, ils n’en restent pas moins humains avec leurs besoins et leurs désirs. Avec son style simple et expressif, une fin pessimiste, et des personnages vrais, cette nouvelle nous alerte sur la pollution et l’écologie. Pour tout cela, c’est une nouvelle importante.

Demain de René Manzor :

Au volant de sa Volvo, Ganaêlle cherche à rejoindre le supermarché où elle pourra cacher sa fille appelée Chance et la sauver du tueur qui les poursuit. Une balle éclate son pare-brise, juste en arrivant. Ganaëlle et Chance courent et poussent les portes. Dans la première allée, La jeune mère prend une balle en pleine poitrine, puis c’est le tour d’un employé du magasin. Chance parvient tout de même à rejoindre le rayon des jouets, mais l’homme au tatouage ressemblant à la lettre Psi parvient devant elle. Une balle d’un tireur du RAID l’abat immédiatement. Ce cauchemar la poursuit sans cesse, alors qu’elle devient mentaliste à succès et remplit des salles de spectacle.

Dans cette nouvelle qui est presque un mini-roman, René Manzor rend hommage aux auteurs américains de fantastique, dont James Cameron avec Terminator ou Stephen King avec Dead zone. Les scènes s’enchainent à un rythme de fou, dans un scénario digne d’un film passionnant et on a hâte de le finir pour savoir quelle va être la chute. Cette nouvelle, c’est divertissement haut de gamme, prenant, emballant et passionnant, avec une fin qui n’a pas à rougir devant les meilleurs thrillers.

Transparente d’Amélie Antoine :

Hélène a décidé de passer chez Renato, son coiffeur pour se faire teindre les cheveux. Alors qu’elle vient de dépasser la quarantaine, elle ressent cette fatuité de l’existence, cette impression de n’exister pour personne. Même son mari l’a quittée pour une plus jeune, même sa fille et son compagnon ne remarquent rien. Cette impression d’être transparente aux yeux des autres est de plus en plus pesante.

Amélie Antoine a le don de trouver les mots justes pour décrire la psychologie d’une femme mal dans sa peau. Quelques soient les situations, elle se rend compte de l’inutilité et de la tristesse routinière de sa vie. Amélie Antoine nous écrit là une nouvelle ancrée dans le monde d’aujourd’hui qui tourne trop vite pour prêter un moment d’attention aux autres, et qui aboutit à un drame prévisible et évitable. 

Anaïs de Fabrice Papillon :

Sur les marches de l’université, M.Darcy accoste une étudiante qu’il appelle Anaïs. Elle le corrige, lui rappelle qu’elle s’appelle Myriam. Il décide la séduire et l’invite à découvrir une crypte située dans une chapelle près de Chartres.

Belle illustration d’un voyage dans un esprit fou.

La tache de Gaëlle Perrin-Guillet :

Thomas Bernet est écrivain, auteur de romans noirs. Lors d’une soirée avec son ami Eric, ce dernier lui dit : « Regarde le noir, il est ton inspiration ». Quelques jours plus tard, mettant le point final à son roman, il voit une tache noire sur le mur de la cuisine. Elle devient pour lui une obsession, au fur et à mesure qu’elle grandit.

Gaëlle Perrin-Guillet construit une histoire simple et pour autant prenante, à mi chemin entre fantastique digne d’un Stephen King et le Noir avec sa chute inéluctable. Le personnage de Thomas et les situations, toutes prises dans notre quotidien aident à nous immerger dans cette histoire jouissive.

Private eye de Roger Jon Ellory :

Traducteur : Fabrice Pointeau

Raymond Whyte est journaliste d’investigation en freelance et plonge son regard dans les dessous de la société américaine, peu ragoutants. Marié à Carole, la patience incarne, il a un travail qui lui permet de passer du temps avec son amante Diane. Mais tout change quand il s’aperçoit qu’un homme le suit …

Roger Jon Ellory créé une variation sur le thème du journaliste habitué à fouiller dans les dessous d’une ville à la recherche d’un gros titre alléchant et rémunérateur. La paranoïa va bientôt le miner et lui qui est habitué à tout voir, ne va pas s’apercevoir de ce qu’il a sous les yeux. C’est une nouvelle fort amusante, au second degré, avec une chute mâtinée de cynisme et d’humour noir.

Tout contre moi de Johana Gustawsson :

La narratrice écrit une sorte de lettre confession sur l’amour qu’elle éprouve pour lui, l’amour de sa vie. Elle va passer les événements marquants jusqu’à la fin qui signera la défnitive rupture entre elle et lui.

On n’attendait pas Johana Gustawsson dans ce registre d’histoire psychologique. On y retrouve bien des scènes juste esquissées et fortes en sensations. Et toute l’histoire est comme brossée sur un tableau, pour l’aisser la place au lecteur de laisser courir son imagination. C’est une bien belle réussite.

Darkness de Barbara Abel et Karine Giebel :

Le capitaine de police Jérôme Dumas se rend à l’hôpital pour voir la victime de l’affaire dont il a la charge. Ses yeux ont été attaqués à l’acide et il semblerait bien que son agresseur ait pris son temps. Mais Dumas ne connait pas l’identité de la jeune femme et elle a été plongée dans le coma pour que l’on puisse la soigner.

Le duo Abel / Giebel est de retour et contrairement à l‘année dernière, j’ai trouvé une vraie unité dans cette histoire, au niveau du style. C’est une histoire un scénario remarquablement retors et vicieux dont on n’aura la finalité qu’à la toute fin de cette nouvelle qui est la plus longue de ce recueil … pour notre plus grand plaisir.