Editeur : Agullo
Traducteur :
Sur Facebook, Sébastien Wespiser avait annoncé son énorme coup de cœur pour ce roman qu’il a publié en annonçant être persuadé de son échec commercial. Je l’ai donc acheté et lu, dévoré, et j’en parle.
Un vétéran de la guerre ayant combattu dans l’armée de Bosnie-Herzégovine se réveille dans une ville inconnue et calme, loin du tumulte des combats. Il perd ses repères dans ce monde, dans son présent, dans son passé. Alors qu’il déambule à proximité d’une fête foraine, il rencontre un fakir qui lui propose une séance d’hypnose. Comme s’il se retrouvait séparé de son corps, il plonge dans son passé.
Il se rappelle son enfance, sur les bords de l’Una, une rivière de Croatie, à l’ouest de la Bosnie. Il se rappelle la nature calme, accueillante, la flore cotonneuse, la faune passionnante, et le bruit apaisant de l’eau qui s’écoule. Il se rappelle la maison de sa grand-mère, en bordure de l’Una, et cette aura magique qu’il a conservée dans ses souvenirs. Il se rappelle tout ce qu’elle lui a appris, tout ce que la nature lui a apporté.
Et puis, vers la fin du roman, bien qu’il s’en défende, il aborde la guerre, dans ce qu’elle a de plus cruel, de plus violent, de plus horrible. Il doute même qu’il y ait participé, il pense qu’il s’agit de Gargan, son autre moi, son double maléfique, son ennemi, celui qui a perpétré tant de meurtres, pour se défendre certes, mais ces actes restent des horreurs, qui font tant de bruit dans sa tête.
Pour paraphraser certains collègues qui parlent de romans « différents », ce roman se mérite, nécessite qu’on lui consacre un peu de temps pour bien profiter de l’ambiance qu’il évoque. Le premier chapitre à cet égard brouille les pistes et nous montre un narrateur perdu dans le brouillard ne sachant ni où il est ni qui il est. Jusqu’à ce qu’il rencontre cette roulotte et ce fakir étrangement pénétrant.
L’auteur étant avant tout un poète, ce roman s’approche plus d’une poésie en prose que d’un roman introspectif. Le narrateur va immédiatement revenir dans un environnement lui apportant calme et réconfort. Il va nous décrire la faune et la flore qu’il a examinées et appris en utilisant des images d’une beauté rare. Les passages nous narrant sa vie avec sa grand-mère jouent la carte de la tendresse et de l’humour, voire le fantastique quand la maison est emmenée par les eaux de la crue.
Puis arrive l’horreur, même s’il recule sans arrêt le moment de l’aborder. Et pourtant, la guerre déboule et un jeune homme comme lui, élevé dans la douceur de la nature. Même l’Una, si pure, immaculée, va être touchée et le narrateur profondément choqué dans ses valeurs. Obligé de subir des horreurs, d’en commettre aussi, il va nous livrer ses fractures et l’impact sur sa vie.
Opposant la Nature à l’Humanité, la Vie à la Mort, ce roman joue sur toutes les partitions, entre poésie et philosophie, entre roman sur la nature et roman de guerre. Ce roman regorge de passage d’une beauté irrésistible, atteignant des sommets que l’on accoste rarement, même si certains passages sont difficilement appréhendables et nécessitent une lecture plus attentive. Assurément, ce roman de Faruk Šehić est un roman à part à apprécier au calme.