Archives pour la catégorie Littérature française

Free Queens de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Après avoir disséqué l’industrie du tabac dans l’excellent Leur âme au diable, Marin Ledun s’attaque à celle de la fabrication et de la vente de la bière, en se basant sur le scandale Heineken au Nigéria.

Jasmine Dooyun se fait arrêter à la Porte de Pantin à Paris pour prostitution. Etant mineure, elle risque de se faire expulser dans son pays, le Nigeria. Serena Monnier, journaliste au Monde, parvient à obtenir un entretien avec elle et apprend comment on lui a vendu du rêve, avant de la violenter pour qu’elle fasse le trottoir. Mais Jasmine veut continuer à se battre. Serena décide de poursuivre son enquête au Nigeria et est accueillie par une association féministe, les Free Queens.

Oni Goje occupe un poste de policier chargé de la circulation. Bien qu’il accepte des pots de vin, comme la plupart de ses collègues, il garde en lui une volonté d’intégrité et de justice. Il s’approche d’un attroupement géré par un cordon de policiers. En s’approchant, il découvre le corps de deux jeunes femmes assassinées que l’on a dévêtues. Il est persuadé que la police criminelle ne va rien faire et considérer que ce ne sont que des prostituées. Il décide de mener l’enquête.

Master Brewers, la multinationale qui fabrique de la bière, vient de mettre sur le marché la First. Pour son développement, elle a embauché Peter Dirksen qui va rapidement mettre en place un plan marketing. Les bières devront être présentées par des jeunes femmes peu vêtues, que ce soit dans les bars miteux ou luxueux. La stratégie est claire, « le sexe, le fric et une First » et le slogan devra faire mouche auprès de la population : la First permet d’augmenter les performances sexuelles. Peter Dirksen va donc construire un vaste réseau de prostitution en même temps qu’une campagne de corruption à tous niveaux.

Dans quasiment tous ses livres, Marin Ledun donne à ses œuvres une tonalité sociale qui ne peut qu’attirer l’œil. Son précédent roman sur l’industrie du tabac d’ailleurs a eu un fort écho et celui-ci devrait en avoir tout autant. Il revient sur un scandale qui a éclaboussé Heineken à tel point qu’ils ont dû justifier leur rôle dans le massacre des Tutsis au Rwanda, fait dont l’auteur ne parle pas ici.

Il préfère se concentrer sur le Nigéria et la façon dont les dirigeants hollandais ont décidé de déployer leur commerce en laissant les mains libres à un homme qui a vite compris que la loi et la morale devait être mise de coté. Bien que je n’aie pas été au courant de cette affaire en lisant le livre, les articles que j’ai lus depuis m’ont effaré. Car Peter Dirksen a vite choisi son camp pour remplir ses objectifs.

Marin Ledun choisit plusieurs points de vue, plusieurs personnages et le paysage qui en ressort fait froid dans le dos. Il faut se rappeler que tout se passe de nos jours, que l’on permet par l’intermédiaire de pots-de-vin d’exercer des commerces de prostitution pour améliorer les ventes de bière. Marin Ledun démontre très bien l’implication de la police, et on pouvait s’y attendre, mais aussi les hommes politiques jusqu’au plus haut niveau de l’état en passant par de grandes entreprises continentales comme Total mais aussi le PSG.

Contrairement à Leur âme au diable, Marin Ledun préfère dérouler un aspect narratif proche du polar, avec comme fil rouge la résolution du meurtre des deux jeunes filles, et s’attarde moins sur les aspects marketing. Et c’est probablement parce que cette affaire nous touche de moins près que le tabac et les cigarettes que des millions de personnes fument tous les jours.

Il n’empêche que devant toutes les horreurs décrites, ce que l’on pourrait trouver « normal, parce que ça se passe en Afrique » nous touche en plein cœur quand on a ne serait-ce qu’une once d’humanité dans le sang. Les combats des ONG pour le respect des droits des femmes ressemblent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, que faire ? En parler, c’est ce que fait de grande façon cet excellent polar riche et documenté.

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La lisière de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Lévy

Parmi les lectures que je note dès le début d’année, on y trouve le dernier roman de Niko Tackian, puisque l’on a la chance d’avoir droit à un nouvel opus tous les ans. Et pour le coup, celui-ci est un sacré puzzle !

Vivian Legoff se rend chez sa belle-mère en compagnie de son mari Hadrien et de son fils Tom. Rien ne devrait survenir jusqu’à ce qu’un choc secoue la voiture, en plein milieu d’un brouillard breton, dans les monts d’Arrée. Il s’agit sûrement d’un chien errant, mais Hadrien tient absolument à s’arrêter pour voir les dégâts. Et comme Tom a envie de faire pipi, cet arrêt tombe bien.

Au bout de quelques minutes, Vivian, restée seule dans la voiture, n’entend plus rien. Elle sort, appelle son mari et son fils, en vain. Quand elle contourne la voiture, elle aperçoit l’ombre d’un homme armé d’une hache et elle s’enfuit effrayée. A un croisement, à bout de nerfs, elle est recueillie par un chauffeur routier qui la conduit à la gendarmerie, en état de choc. La lieutenante Maëlys Mons recueille son témoignage et envoie immédiatement une équipe sur place. Mais les gendarmes ne retrouvent pas de trace de la voiture. Vivian a-t-elle inventée ce cauchemar ?

Ron habite dans une petite cabane, où il vivote avec le peu d’argent qu’il arrive à récupérer. Il sort un petit sachet de drogue de sa poche et sait que c’est son dernier. Tant pis ! il s’envoie la ligne tant désirée avant d’entendre un bruit. Quand il sort, il voit Vulcain, son chien, venir près de lui tout penaud. En passant ses mains sur son pelage, Ron s’aperçoit que son chien est plein de sang.

Ce roman commence comme un roman psychologique, avec Vivian qui a subi un traumatisme et cherche des explications à ce qu’elle ne peut comprendre … et nous non plus d’ailleurs. Et puis, on ne comprend pas non plus ce que Ron vient faire dans cette histoire. Jusqu’à ce que Vivian parte à la recherche de sa famille en parallèle de la gendarmerie.

Et là, attention ! D’un début mystérieux on entre comme dans une partie de puzzle, où on se retrouve avec des pièces qui ne coïncident pas avec le reste du décor. Mais on retrouve suffisamment de nouvelles pièces pour avoir envie de comprendre le fin mot de l’histoire. Vivian ne devient plus le centre de l’histoire, d’autres personnages font leur entrée et tout cela aboutit à une histoire extraordinaire à la construction diabolique.

Niko Tackian, en grand maître d’œuvre de scénarii complexe nous dévoile petit à petit son histoire avec un art totalement bluffant. Il a minutieusement bâti tous les fils de son intrigue, a tranquillement posé des jalons pour nous faire voir à la toute fin une vue d’ensemble, en évitant des scènes sanglantes. Avec ce roman-là, Niko Tackian déploie tout son génie de faiseur d’histoire pour notre plus grand plaisir.

L’Hallali de Nicolas Lebel

Editeur : Editions du Masque

L’Hallali est le troisième tome des enquêtes d’Yvonne Chen après Le Gibier et La Capture, et est affublé d’un sous-titre : « A jouer double, on perd de vue sa cible ». Evidemment, si vous n’avez pas lu les deux premiers tomes, vous pouvez passer les trois prochains paragraphes qui vont spolier un peu les deux intrigues précédentes.

Depuis qu’Yvonne Chen a perdu son équipier Paul Starski, assassiné par un groupe de tueurs nommés Les Furies, elle voue sa vie à les pourchasser pour se venger. Elle a raté l’occasion dans une aventure en Bretagne et a depuis été radiée de la police. Elle patiente devant sa télévision qu’une nouvelle occasion se présente. Quand Alecto, le stratège des Furies la contacte, elle va accepter cette nouvelle mission sous forme d’infiltration.

Alecto conçoit ses missions comme des danses. Celle-ci se déroulera dans le château de Lieselshertz dans les Vosges, où l’on y concocte le Vin des Glaces, un nectar valant des fortunes. L’objectif de la mission sera d’obliger les barons Ulbricht et Herman Mayer à vendre le château pour combler les dettes d’Herman, jet-setter dépensier. Mais cela devra se dérouler sans aucune effusion de sang.

Alecto convoite les talents d’Yvonne et la convie à les rejoindre, lui, Megara et Tisiphone, mais elle ne connaitra pas le scénario et devra improviser. Tisiphone est déjà sur place, Megara et Yvonne joueront le rôle de négociants de vins. En mettant la pression sur Ulbricht, ils devront lui arracher l’achat du château pour une bouchée de pain … ou une gorgée de vin. Mais rien ne va se passer comme on pourrait le croire.

Une nouvelle fois, Nicolas Lebel va nous surprendre, et le mot est faible, dans cette intrigue retorse au possible, où il est question de double jeu, d’agent double, triple voire quadruple. Si la première partie du roman se déroule de façon plutôt classique, on se retrouve totalement retourné quand Nicolas Lebel nous sort une carte de son jeu que l’on n’attendait pas !

Je ne vais pas faire la liste des qualités de Nicolas Lebel : elle serait trop longue. Le roman est remarquablement bien écrit, les dialogues superbes et le scénario retors au possible. On finit par ne plus savoir qui est la proie, qui est le chasseur et surtout si tout ce petit monde maitrise son scénario entre les Furies et la Police. Une nouvelle fois, on ressent tout le plaisir que l’auteur prend à construire ses intrigues et à nous les partager.

Enfin, il est à noter que si le précédent roman était construit comme une partie d’échecs, celui-ci suit la trame d’un tournoi médiéval, de la présentation des participants au combat jusqu’à sa conclusion. On prend un plaisir fou à essayer de deviner la fin mais cela devient tellement impossible tant l’esprit de Monsieur Nicolas Lebel est tordu. Je note juste un petit regret, c’est d’avoir perdu en humour ce qu’on a gagné en construction de scénario.

Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas

Editeur : Rivages

On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.

Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.

Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.

Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang. 

Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.

On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants. 

L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.

Shit ! de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Chaque roman de Jacky Schwartzmann est un pur plaisir de jouissance, par sa faculté à regarder un pan de notre société par le petit bout de la lorgnette, et toujours avec un humour légèrement cynique. J’adore !

Thibault Morel occupe un poste de CPE dans le collège du quartier de Planoise, dans la banlieue de Besançon. Il loge dans une cité et sa cage d’escalier sert de four au trafic de drogue au clan albanais Mehmeti. Cela ne le gêne pas plus que ça, si ce n’est qu’il doit montrer à Reda une quittance de loyer de moins de trois mois pour rentrer chez luitous les soirs. Et dès qu’il dit un mot, il a droit à une baffe sur l’oreille.

Une nuit, il entend un échange de coups de feu digne des meilleurs westerns. Le lendemain, il apprend que les frères Mehmeti se sont fait rectifier. Poussé par sa curiosité naturelle, il coupe les scellés sur l’appartement d’en face et découvre la réserve de pains de shit cachés derrière la baignoire montée sur vérins, ainsi que des jolis paquets de fric.

Sa voisine Madame Ramla le surprend en pleine visite et ils empruntent quelques liasses de billets. Thibault pourra aider quelques familles à payer un voyage scolaire en Espagne. Mais les deux compères savent bien qu’ils ne peuvent laisser cette fortune dormir sinon un autre clan va venir s’installer. A l’aide d’une connaissance de Madame Ramla, ils vont réembaucher Reda et remettre en route le four, ce qui leur permettra d’aider des familles dans le besoin ; une sorte de deuxième activité à hauts risques.

Comme à son habitude, Jacky Schwartzmann nous décrit des gens dont on n’entend jamais parler, et il déploie tout son talent pour rendre son intrigue bigrement réaliste et transformer un simple CPE en Robin des bois moderne. Il fait montre de son habituel humour cynique qui nous tire au minimum un sourire, et souvent des éclats de rire, dans une situation qui, il faut bien le dire, s’avère dramatique, quand on prend un peu de recul.

Basé sur un début d’intrigue proche de La Daronne de Hannelore Cayre, Jacky Schwartzmann va nous concocter une intrigue bigrement réaliste et farfelue dont le but est bien de montrer comment les gens vivent. Et avec son regard lucide, il ne se gêne pas pour envoyer des piques à tous les corps de métier et tout le monde en prend pour son grade, de l’éducation nationale aux révoltés, en passant par la police ou les racistes de tous poils… et j’en passe.

Et cela aboutit à une lecture jouissive, car il nous montre des facettes et des gens qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer ou qu’on n’a pas envie de voir. Evidemment, le roman est amoral et cela reste un roman noir, mais pas uniquement. Il y a derrière cette intrigue tout un aspect social et politique que tout le monde devrait lire car, avec son humour, il pose des questions, et se poser des questions, c’est devenir plus intelligent. Remarquable ! Le pied intégral !

D’ailleurs, ce roman me fait penser à une réflexion de haut vol signée par les Shadocks : « A tout problème, il y a une solution. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. ». Encore faut-il vouloir trouver une solution …

Shit ! c’est le pied !

Les brouillards noirs de Patrice Gain

Editeur : Albin Michel

On termine cette semaine dédiée à Patrice Gain par son dernier roman en date et j’aurais aimé terminer sur une note positive. Malheureusement, je n’ai pas adhéré à cette histoire à laquelle je n’ai pas crue une seconde.

Raphaël, violoncelliste de son état, termine une tournée de six dates sur la presqu’île de Crozon, quand il reçoit un coup de téléphone de son ex-femme Nathalie. Cela fait onze qu’ils ne se sont pas parlés, onze années pendant lesquelles il n’a pas vu sa fille Maude. Nathalie lui annonce que Maude n’est pas revenue de ses vacances aux îles Féroé avec son petit ami Tomo qui est revenu seul et elle lui demande d’aller la chercher.

Raphaël n’écoute que son cœur de père et s’embarque aussitôt pour cette destination exotique et glacée. Dès son arrivée, il entend parler d’un procès retentissant devant avoir lieu bientôt contre des membres d’une ONG Ocean Kepper. Ils sont en effet accusés  d’avoir tué un féringien.

Tout le monde se passionne pour ce procès, mettant en cause le combat de l’ONG contre les traditions de certaines tribus consistant à chasser des baleines et des dauphins avec une sauvagerie venue d’un autre temps. Raphaël se rend vite compte que ni la police, ni le consulat ne cherchent sa fille activement, et qu’il va devoir se débrouiller seul.

On ne peut pas dire que ce roman met longtemps à démarrer : dès le premier chapitre, Raphaël est contacté par son ex-femme, dès le deuxième il traverse les mers et dès le troisième, le contexte de l’ONG est planté. A ce moment-là, on doit être emporté par l’obstination de cet homme pour retrouver sa fille dans un décor frigorifiant, mystérieux et dangereux.

Hélas, moi qui attendais d’être plongé dans ce décor inédit et peu traité dans les romans, je n’ai jamais ressenti l’ambiance bizarre, les pluies frigorifiés, la géographie particulière de ces îles, ni même le contexte important qui s’y déroulait. A partir de ce moment-là, tout m’a paru survolé, plat. Quand on n’entre pas dans un roman, on peut y trouver tous les défauts qu’on veut.

Je n’ai pas cru aux pluies ni aux brouillards. Je n’ai pas cru à Raphaël ni à ses décisions bien souvent étranges. Je n’ai pas cru aux scènes de massacre des mammifères marins. Cela a même fini pas me montrer un message d’une naïveté infantile, dans un monde binaire qui oppose les gentils aux méchants, sans aucune subtilité. Enfin, je n’ai jamais ressenti la moindre once d’émotion.

Je préfère m’arrêter là, ne voulant pas descendre en flamme ce roman. Je préfère rappeler que ceci ne reflète que mon ressenti et que je n’exprime que mon opinion. Je préfère vous laisser votre libre arbitre en allant lire d’autres avis que l’on peut trouver sur Internet, dont beaucoup sont positifs.

Le sourire du scorpion de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Le Livre de Poche (Format Poche)

Je poursuis ma découverte des romans de Patrice Gain et la semaine dédiée à cet auteur avec ce roman qui démarre comme une balade familiale pour creuser un sujet totalement inattendu.

Alex et Emilie mènent une vie de nomades avec leurs jumeaux Tom et Luna, au gré des contrats de saisonniers. Cet été là, ils passent des vacances dans le Monténégro. Ils rencontrent un serbe nommé Goran qui leur propose une descente en rafting sur la Tara. Emilie n’est pas enchantée de parcourir cette descente dans des eaux déchainées mais Alex se montre confiant et prêt pour l’aventure.

Le début s’avère calme avant d’attaquer les passages plus remuants voire violents dus aux irrégularités des fonds de la Tara. Bientôt, un front nuageux s’affiche et ils se retrouvent dans un orage phénoménal qui fait gonfler les eaux. Le bateau se retourne et ils se retrouvent séparés et obligés de monter les rives pour échapper à la crue provisoire qui s’annonce.

Tom, le narrateur de cette histoire, va rapidement repérer Goran et ils vont partir à la recherche du reste de la famille. Ils doivent se rendre compte que seul Alex manque à l’appel. Ils décident de continuer la descente pour le retrouver mais ne découvrent que son gilet de sauvetage arraché. Il faut bien se rendre à l’évidence qu’Alex s’est noyé. Goran se sentant responsable, il décide de ramener la famille et de les aider dans leur vie quotidienne.

Le début du roman m’a rappelé ma jeunesse et l’excursion et la descente en rafting que j’avais faite il y a plus de 25 ans sur la Tara. J’en garde un excellent souvenir d’autant plus que l’on m’avait expliqué à l’époque le principe. Forcément, je regrette les approximations de Patrice Gain. Dans le cas du rafting, la seule corde qui retient les passagers est située au centre du bateau et non sur les boudins ; on doit donc glisser les pieds sous cette corde ce qui nous assure que le centre de gravité reste à l’intérieur du bateau. Ensuite, les remous sont violents quand le niveau de l’eau est bas et non l’inverse puisqu’ils sont dus aux irrégularités du fond de la rivière. La crue peut être violente, soit, mais elle n’engendre en rien des remous plus importants.

Bref, j’ai donc commencé cette lecture avec des aprioris négatifs et heureusement, le personnage de Tom m’a convaincu de rester en sa compagnie. Tout le talent de Patrice Gain se déploie pour nous montrer cet adolescent effondré par la mort de son père, éploré par la douleur de sa mère et attristé de voir sa sœur se détacher de sa famille. Il est bigrement intéressant de voir chaque personnage adopter une trajectoire différente.

On suit donc Tom et les changements dans sa vie, sa famille qui explose et les événements qu’il découvre. Comme il se repose sur sa sœur depuis sa plus jeune enfance, il cherche à obtenir son avis tout le temps. L’auteur nous montre parfaitement la douleur de son narrateur quand sa sœur prend ses distances avec la famille. Puis Patrice Gain nous amène à une révélation amenée doucement, en additionnant les faits qui justifie tout le roman. Patrice Gain a une façon incroyable de mener le lecteur là où il le veut, comme il le veut, au rythme où il le veut. Ce roman ressemble à un match de boxe, avec le round d’observation, le combat acharné et le KO final.

Terres fauves de Patrice Gain

Editeur : Le Mot et le Reste (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

J’avais adoré De silence et de loup l’année dernière. La sortie de son nouveau romans, Les brouillards noirs, m’a donné l’idée de consacrer une semaine à cet excellent conteur qu’est Patrice Gain. Voici donc Terres fauves …

Alors qu’il peaufine la biographie d’Andrew Kearny, le gouverneur de New York City, David McCae reçoit l’ordre de son éditeur d’agrémenter son manuscrit d’un chapitre supplémentaire où il ferait intervenir un proche du gouverneur. Quoi de mieux que d’aller interviewer Dick Carlson, un ami proche du gouverneur et une idole reconnue de l’alpinisme pour avoir gravi un pic de plus de 8000m dans l’Himalaya ?

Malheureusement pour David, Dick Carlson habite à Valdez en Alaska. Pour y accéder, il faut prendre un hydravion, un bateau, bref toute une aventure voire un cauchemar pour ce citadin pure souche qui ne se sent bien qu’en ville. Arrivé sur place, il est confronté au climat rigoureux et à l’animosité des autochtones mais arrive tout de même à décrocher un rendez-vous avec la Gloire américaine.

Le premier contact avec Dick Carlson s’avère froid, voire agressif. David enregistre leur conversation qui dure toute la nuit autour de quelques bouteilles de whisky. A tel point que les deux hommes finissent par s’endormir. Le lendemain, on vient le ramener dans une contrée plus civilisée mais l’hydravion tarde à se montrer. Il doit bien se rendre à l’évidence, Carlson et ses hommes l’ont abandonné en pleine nature.

Si ma précédente lecture d’un roman de Patrice Gain m’avait impressionné, celle-ci me confirme tout le bien que je pense de lui. D’ailleurs j’avais écrit à propos de De silence et de loup : Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité),

Si ce roman touche moins à l’actualité, il nous démontre à quel point Patrice Gain est un conteur hors pair. Dans un premier tiers, David nous raconte sa vie, son objectif d’être fier devant son père et ses erreurs, en particulier le fait qu’il délaisse sa compagne et sa sœur. Tout est fait pour nous le rendre sympathique malgré son inconstance et son immaturité. On ressent aussi particulièrement bien la torture pour lui de sortir de sa zone de confort et de se confronter à un environnement hostile.

Pour lui, ce voyage en Alaska ressemble à une torture qui va devenir un cauchemar dans une scène effrayante située au milieu du roman, LA scène du roman. A partir de ce moment, Patrice Gain nous dessine un personnage en quête de vengeance, de justice mais aussi de rédemption envers ses proches. Une nouvelle fois, on ne peut que louer les qualités de conteur de l’auteur.

Ce roman confirme donc tout le bien que l’on peut penser de Patrice Gain. Il a cette faculté de créer des personnages aux prises à des situations inextricables et a le talent de nous parler de sujets différents. Ici il s’agit de l’impunité des gens de pouvoir et on retiendra de cette lecture une scène en particulier. Il me conforte à continuer de lire les romans de cet auteur au talent rare.

Sans collier de Michèle Pedinielli

Editeur : Editions de l’Aube

Après Boccanera, Après les chiens, et La patience de l’immortelle, voici la quatrième affaire de notre détective privée niçoise Ghjulia Boccanera, surnommée par ses proches « Diou », dans une intrigue emberlificotée.

Diou et Dan son colocataire viennent de recevoir une nouvelle lettre de menace, sous prétexte qu’il est homosexuel ou qu’elle a ennuyé quelqu’un dans le cadre d’une de ses enquêtes. La menace ne laisse planer aucun doute : « Toi et l’enculé, on t’aura ». Pourtant, depuis son retour de Corse, elle n’a pas eu d’affaire extraordinaire. Et Dan tient une galerie d’art ce qui est difficilement concevable avec le contenu de la lettre.

Shérif Haïchout ressemble à l’exception dans l’entourage de Diou. Il est son ami et inspecteur de travail. Shérif se bat pour faire respecter les lois de protection des travailleurs. (J’adore la description qu’en fait Michèle : « Shérif est basané, communiste, tenace et obèse »). Shérif travaille sur le chantier Emblema, encore un qui ne sert à rien d’autre que détruire le Vieux Nice. A part quelques accidents transformés en incidents domestiques (ce qui est pratique quand une entreprise ne veut pas voir ses cotisations sociales augmenter), Shérif déplore un ouvrier qui s’est volatilisé. Il demande à Diou de retrouver le disparu, un moldave du nom de Marcus Cebanu.

Diou se rend à l’adresse officielle de Marcus, un immeuble délabré derrière la gare, loué une fortune à des sans-papiers. Sur la boite aux lettres, elle voit plusieurs noms et trouve l’appartement de Marcus. Le jeune homme qui lui ouvre est en fait son cousin. Il n’a plus de nouvelles de Marcus depuis le lundi précédent.

Michèle Pedinielli par la voix de Diou continue de nous parler de notre monde, de notre société et en particulier des « petites gens », les exploités qui rament pour survivre. A travers cette intrigue complexe, elle aborde les conditions de travail sur les chantiers et dévie peu à peu sur un trafic de drogue. Elle aborde aussi les conditions de vie des immigrés, l’homophobie, l’impunité de certains, et le difficile héritage d’un passé sanglant.

En parallèle, nous suivons un jeune homme qui passera par Bologne, pendant les années de plomb. Il va se regrouper avec d’autres jeunes qui ne sont pas impliqués par les différentes factions en œuvre en Italie dans les années 80 mais vont en subir les conséquences dramatiques. A l’image de l’attentat de Nice, l’auteure ne prend pas position, mais porte son regard de témoin envers les victimes, en évoquant celui de Bologne en 1980.

Cette nouvelle enquête de Diou comporte tous les ingrédients des précédentes, et se veut un regard chargé de reproches envers des dirigeants qui n’ont rien à faire des gens qui tentent de vivre avec le peu qu’on leur octroie. Malgré une intrigue à multiples entrées, Michèle Pedinielli narre une belle histoire d’amitié-amour-loyauté qui traverse les âges et conserve son regard lucide sur notre société, où de nombreux passages humoristiques permettent de faire retomber la rage chez le lecteur. Continue, Diou, je te suivrai où que tu ailles !

Kepone de Philippe Godoc

Editeur : Viviane hamy

On avait perdu l’habitude de lire des polars engagés relatant des scandales récents, de ceux qui vous révulsent et vous donnent envie de vomir. Le fait que ce soit un premier roman est un argument supplémentaire pour que je me penche dessus.

Marc Montroy est un jeune journaliste pour un magazine écologiste de métropole « L’écologue ». D’origine guadeloupéenne par son père, il doit enquêter sur le scandale de la Chlordecone, produit inventé par Allied Chemical et interdit par les autorités américaines en 1975. Le brevet a ensuite été racheté par une entreprise brésilienne et fabriqué dans quelques pays dont la France. Il a été utilisé aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour ces cultures. Il faudra attendre 1993 pour que cet insecticide fortement polluant soit officiellement interdit. En 2023, un non-lieu a été prononcé par la justice française, alors que depuis 2009, le Chlordecone est inscrit dans la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants.

Marc Montroy commence son enquête à Hopewell (Virginie), où le Chlordecone a été fabriqué. Il y rencontre le Professeur Ashland, qui lui en apprend un peu plus, en particulier sur le fait que tout le monde savait avant 1970 que ce produit était dangereux. Il lui annonce aussi que la société qui a racheté le brevet est domiciliée au Brésil, qu’elle se nomme Farma mais que personne ne connait son actionnariat.

Quand il apprend par son demi-frère que l’on vient de diagnostiquer un cancer de la prostate à Celio son père, il décide de le rejoindre et d’en profiter pour continuer son enquête aux Antilles. Apprenant l’agression et la mort du Professeur Ashland, Marc Montroy se retrouve bientôt confronté à une spirale de violence concernant toutes les personnes proches du dossier Chlordecone.

Bien qu’ayant entendu parler de ce scandale sanitaire, je n’y avais pas prêté plus d’attention que cela avant de commencer cde roman. Et heureusement, Philippe Godoc nous remet les pendules à l’heure dans le début du roman, avant de s’orienter vers une intrigue plus resserrée, rythmée et bien stressante. Et il arrive à tenir le rythme du début jusqu’à la fin, remarquable !

L’auteur a donc choisi une forme classique du polar, avec un personnage principal journaliste et qui a toutes les qualités pour nous paraitre sympathique. Comme je le disais, le roman commence par une partie enquête qui permet de situer le contexte avant que Marc Montroy arrive en Guadeloupe. Et à partir de ce moment-là, les événements s’enchainent à une vitesse folle ce qui rend la lecture de ce roman addictive.

Outre son aspect documentaire complet, Philippe Godoc nous parle de la situation des Antilles, des connivences des hommes politiques et de leurs liens avec les riches industriels, de la haine des locaux envers les « Békés », des systèmes mafieux qui se permettent tout pour conserver leur position dominante, tout cela au travers des différents personnages secondaires (qui ne le sont pas).

Bref, ce roman est une excellente découverte, un premier roman comme je les aime, avec toute la passion de l’auteur envers cette région qu’il adore. Il renvoie dos à dos les différentes parties en conservant le recul nécessaire pour que le message porte. Kepone est un roman emballant, bluffant, qui mérite que l’on en parle, autant par ses qualités littéraires que par son sujet, surtout quand on apprend qu’un non-lieu a été prononcé envers les coupables. Rageant !