Editeur : Finitude
Mais où s’arrêtera-t-il ? Joseph Incardona est probablement le seul auteur à savoir me surprendre à chacun de ses romans, le seul aussi à me donner à chaque fois un plaisir sans cesse renouvelé.
Anna essaie de s’en sortir avec son adolescent Leo. Elle achète ses poulets dans une ferme bio du coin, et a aménagé une camionnette en rôtisserie pour arpenter les marchés du coin. Un soir, elle heurte un sanglier sur la route et échappe de peu au feu qui se déclenche et détruit son outil de travail. Cet événement représente le premier grain de sable dans un engrenage fragile.
Leo, naturellement doué pour le surf, doit s’entrainer avec une planche qui a vieilli. Mais il doit aussi subir le harcèlement d’élèves de son collège. Alors que l’assurance refuse de rembourser la camionnette, Anna se retrouve en difficulté pour faire vivre ou survivre sa famille. L’annonce d’un nouveau jeu télévisé permettant de gagner une voiture d’un montant de 50 000 euros peut changer la donne.
Dans les hautes sphères, l’idée d’un nouveau jeu fait son chemin. Le but du jeu est simplissime, vingt candidats devront toucher le fleuron de la gamme française jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Ce jeu cache aussi d’autres objectifs, tels relancer le constructeur au losange, replacer la première chaine au sommet des audiences mais aussi donner de l’espoir au petit peuple.
Après Le formidable Soustraction des possibles, dont l’intrigue était implantée parmi les cadres de la finance internationale, Joseph Incardona nous propose un roman parmi les pauvres gens, ceux qui luttent tous les jours pour trouver assez d’argent pour passer la journée. Pour eux, le moindre événement peut avoir des conséquences catastrophiques, ce qu’il nous démontre dans la première partie, en grossissant un peu le trait.
La deuxième partie va s’intéresser au jeu proprement dit, en élargissant le scope, et cela en devient jouissif. De la réalité du terrain, on passe à une gigantesque manipulation des masses, pour occuper le peuple (la chaine de télévision cherche à améliorer ses audiences), pour relancer l’industrie automobile (le constructeur veut redorer son image) et pour assurer un calme social (jusqu’au plus haut niveau de l’état). Dans ce contexte, il est évident qu’il devient nécessaire d’adapter les règles du jeu pour favoriser le bon poulain.
Car les participants à ce jeu ne sont rien d’autres que des animaux que l’on veut faire courir plus vite au nom du spectacle. Et ce sujet a déjà été abordé par Joseph Incardona, dans Trash Circus (description d’un présentateur de télé-réalité) ou bien Chaleur (un concours extrême de sauna). Ici, nous nous retrouvons avec un sujet plus proche de On achève bien les chevaux d’Horace McCoy, sa version modernisée, actualisée dans notre monde d’aujourd’hui.
Et Joseph Incardona insiste bien sur notre monde de jeux à outrance, en n’exagérant pas son propos. Il suffit de regarder les programmes télévisés actuels, leur propension à aller toujours plus loin dans l’horreur, cette façon de désincarner l’humain pour le transformer en simple jouet. Comment avons-nous pu transformer ce formidable outil potentiel de culture et d’éducation en un tel balai à chiottes ?
Sans jamais juger aucun de ses protagonistes, Joseph Incardona se contente d’être le questionneur en chef d’une intrigue qu’il a créé pour poser des questions à ses lecteurs. A la fois émotionnel et terriblement factuel, il n’en rajoute pas dans le pathos, ni dans le démonstratif, et présente cette intrigue avec juste ce qu’il faut de recul pour nous frapper en plein abdomen. Très fort !