Archives pour la catégorie Oldies

La garce de David Goodis

Editeur : Fayard (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Claude Benoit

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Ce mois-ci, nous avons l’occasion de redécouvrir, de se rappeler un grand auteur du Noir, un monument de la littérature américaine, tombé aux oubliettes dans son propre pays.

L’auteur :

David Goodis, né le 2 mars 1917, à Philadelphie où il est mort le 7 janvier 1967, est un écrivain américain de roman noir.

Issu du milieu juif de Philadelphie, David Loeb Goodis fréquente brièvement l’université de l’Indiana avant de terminer ses études en journalisme à l’université Temple en 1938. Peu après, il se trouve un emploi dans une agence de publicité et, pendant ses temps libres, rédige un grand nombre de nouvelles policières pour divers « pulps » américains. Il publie son premier livre Retour à la vie (Retreat from Oblivion) en 1938. À New York, où il déménage l’année suivante, il travaille comme scripteur dans le milieu de la radio.

Pendant la première moitié des années 1940, les éditeurs rejettent systématiquement ses manuscrits. En 1942, il se rend sur la côte Ouest et est engagé par les studios Universal. Il se marie à Los Angeles en 1943.

Puis vient le succès en 1946 avec la publication de Cauchemar (Dark Passage). L’adaptation de ce récit en 1947, sous le titre Les Passagers de la nuit avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui permet de signer un lucratif contrat de six ans avec la Warner Bros, mais la plupart des scénarios qu’il écrit pour le studio ne dépassent pas l’étape de la rédaction.

En outre, sa vie privée s’effrite et il divorce en 1948. De retour à Philadelphie en 1950, il s’occupe de ses parents et de son frère schizophrène, puis sombre dans l’alcool. Cette version de l’écrivain maudit relèverait toutefois de la légende d’après l’enquête biographique de Philippe Garnier.

Oublié dans son pays natal, David Goodis doit son succès en France à l’adaptation de plusieurs de ses livres au cinéma, notamment de Tirez sur le pianiste par François Truffaut en 1960, dont c’est le deuxième long-métrage, La lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix, Rue Barbare de Gilles Béhat ou Descente aux enfers de Francis Girod.

(Source : Wikipedia, complété par mes soins)

Quatrième de couverture :

Clara Ervin pourrait être votre voisine. Elle vit tranquille auprès de son mari, mais sort traîner la nuit. Elle veut le bonheur de sa belle-fille, mais lui inculque ses conceptions à coups de poing. Elle aime un homme passionnément, mais lui fait littéralement perdre la tête. Elle veut améliorer son niveau de vie et n’hésite pas à tuer pour cela.

Après La Lune dans le Caniveau, Cassidy’s Girl, voici La Garce, le roman sans doute le plus noir, le plus dur de David Goodis qui, longtemps classé parmi les grands du polar, est maintenant considéré comme l’un des maîtres de la littérature américaine.

Mon avis :

Commençons par une anecdote : quand je fais mes courses le week-end, je ne rate jamais l’occasion de passer devant ce que mon hypermarché appelle la Bibliothèque participative. Je suis tombé sur ce roman que je ne connaissais pas et je n’ai pas hésité à le prendre et le lire aussitôt.

Je n’avais pas lu de roman de David Goodis depuis plus de trente ans, puisqu’en tant que grand fan de la collection Rivages Noir, j’en avais lu trois ou quatre. Peut-être étais-je trop jeune, mais je dois dire que je n’avais pas été enthousiasmé par ces romans. Peut-être suis-je aujourd’hui plus attentif à la construction d’une intrigue, aux descriptions, aux psychologies, au style, toujours est-il que La garce m’a totalement emporté.

Le premier chapitre nous présente Ervin, veuf avec une adolescente, conscient de devoir se trouver une femme qui l’aidera dans ses tâches quotidiennes dont l’éducation de sa fille. Ervin est persuadé d’avoir rencontré la femme idéale. Le deuxième chapitre aborde le personnage d’Evelyn et la façon dont elle voit son père, et sa volonté de faire sa propre vie.

Puis arrive Clara, que l’on découvre experte en manipulation. Le prisme change totalement et on découvre un personnage féminin qui, au fur et à mesure du roman, nous est dépeint comme un véritable monstre. Plus l’intrigue avance, plus on découvre un personnage sans sentiment, incroyablement et monstrueusement stratégique dans sa façon d’influencer les événements pour atteindre son objectif de récupérer l’argent de son mari.

Usant de charme, de sexe, de violence ou de chantage, Clara va se montrer remarquablement consciente des atouts qu’elle possède et des possibilités qui s’offrent à elle de façon incroyablement opportuniste. En se rappelant que ce roman date de 1947, je ne suis pas sûr qu’il existe un roman ayant présenté un tel personnage féminin auparavant.

Et puis, même si le roman se concentre sur les personnages, David Goodis fait partie de ces auteurs capables de vous transporter dans les décors qu’il a créés. Les descriptions se révèlent détaillées, remarquables dans leur évocation, imagées (d’aucuns diraient cinématographiques). Avec ce roman, j’ai enfin découvert la puissance de la plume de ce grand auteur et il va me falloir relire ses autres romans.

Je ne suis pas sûr que vous puissiez trouver cette édition au Livre de Poche, car le tirage est épuisé depuis bien longtemps. Vous pourrez le retrouver dans l’intégrale David Goodis des intégrales des éditions du Masque en eBook. Réhabilitons cet auteur incontournable !

Coup de cœur !

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Oldies : L’heure des fous de Nicolas lebel

Editeur : Marabout (Grand Format) ; Marabout & Livre de Poche (Format Poche)

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Et je commence par un auteur que j’affectionne particulièrement et un personnage que j’adore, à savoir le capitaine Mehrlicht, pour sa première enquête qui est sortie il y a déjà 10 ans !

L’auteur :

Nicolas Lebel, né le 29 novembre 1970 à Paris, est un écrivain français.

Après des études de lettres et d’anglais, Nicolas Lebel voyage sur les cinq continents puis habite en Irlande où il enseigne le français. Rappelé en France pour faire son service national, il revient vivre à Paris où il habite aujourd’hui. Traducteur et professeur d’anglais, il publie son premier roman L’Heure des fous en 2013.

Amateur de littérature, de Côtes-du-rhône septentrionales et de whiskies Islay, Nicolas Lebel est aussi un pratiquant assidu de krav-maga.

Quatrième de couverture :

Paris : un SDF est poignardé à mort sur une voie ferrée de la gare de Lyon. « Vous me réglez ça. Rapide et propre, qu’on n’y passe pas Noël », ordonne le commissaire au capitaine Mehrlicht et à son équipe : le lieutenant Dossantos, exalté du code pénal et du bon droit, le lieutenant Sophie Latour qui panique dans les flash mobs, et le lieutenant stagiaire Ménard, souffre-douleur du capitaine à tête de grenouille, amateur de sudoku et de répliques d’Audiard…

Mais ce qui s’annonçait comme un simple règlement de comptes entre SDF se complique quand le cadavre révèle son identité.

L’affaire va entraîner le groupe d’enquêteurs dans les méandres de la Jungle, nouvelle Cour des miracles au cœur du bois de Vincennes, dans le dédale de l’illustre Sorbonne, jusqu’aux arrière-cours des troquets parisiens, pour s’achever en une course contre la montre dans les rues de la capitale.

Il leur faut à tout prix empêcher que ne sonne l’heure des fous…

Mon avis :

J’attendais la bonne occasion de lire la première enquête de Mehrlicht et son groupe, la seule qui me manquait à mon palmarès. Je comprends mieux ce qui m’a passionné avec ce personnage hors du commun, mélange de l’inspecteur Columbo, Paul Préboist et Kermit la Grenouille, mais avec un verbe à la hauteur d’un Audiard.

L’intrigue est menée consciencieusement, sa maitrise en ferait pâlir plus d’un. Le groupe des policiers ont tous une personnalité bien affirmée et on lit cette aventure sans jamais s’arrêter tant le style fluide de l’auteur fait des merveilles. Evidemment, il faut lire cette série de cinq enquêtes dans l’ordre pour les voir évoluer et s’enfoncer dans des problèmes personnels inextricables.

Et déjà, dans ce premier épisode, on ne se lasse pas du lieutenant Dosantos et de ses rappels des articles du code pénal, de Sophie Latour, la seule femme du groupe et la seule à avoir la tête sur les épaules, de Ménard malmené par le capitaine et Mehrlicht aux réparties cinglantes (on aura dans les volumes suivants, des envolées lyriques extraordinaires) et son téléphone aux sonneries rappelant les meilleurs phrases d’Audiard. Et le passage dans les catacombes vaut largement le détour.

Par la suite, le niveau des romans va monter en puissance avec Le jour des morts (Super !), Sans pitié ni remords (Extraordinaire !), et surtout De cauchemar et de feu (Mon préféré !) pour finir avec Dans la brume écarlate. D’ailleurs, je passe un message privé : Dis, Monsieur Nicolas, quand nous referas-tu une enquête de Mehrlicht and Co ?

Je suis un monstre de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld

Les éditions Joëlle Losfeld ont décidé de rééditer les romans de Jean Meckert, ce qui n’est que justice pour un auteur majeur injustement tombé dans l’oubli. Après avoir adoré Nous avons les mains rouges (N°7), La marche au canon (N°1) et La ville de plomb (N°8), je vous propose le N°2 de cette collection, Je suis un monstre.

Afin de gagner de l’argent pour ses études, Narcisse, comme on le surnomme, a trouvé un travail de pion pour une classe verte dans un petit village de Savoie. Cela devrait lui permettre de terminer sa thèse sur la Fatigue pour sa licence ès Lettres. Alors qu’il est assis sous les derniers rayons de juin, il entend des enfants crier, probablement des Aiglons, puis un cri inhumain qui finit de l’inquiéter.

Alors qu’il redescend pour faire l’appel, Mathis lui annonce qu’eun de chez eux va manquer à l’appel. Se remémorant le cri, Narcisse se dépêche et découvre à la faveur du faisceau de sa lampe de poche le corps, lapidé par ses camarades. Devant l’horrible spectacle, Mathis, en tant que témoin, raconte les insultes sur Boucheret, puis le ton qui monte, puis comment ils s’y sont mis à quatre, avec Crussol en chef de bande.

Mathis propose de camoufler le corps, et dans un premier temps, il est de cet avis et rejoins sa cahute sans toucher au corps. Puis, arrivé en bas, il va voit le psychiatre et directeur, M.Gourzon, appelé le Grand-Condor pour lui annoncer la présence d’un blessé. Pour ce dernier, il n’y a pas de doute, il est inutile de faire appel aux gendarmes, Boucheret est sorti contre le règlement et a fait une mauvaise chute …

Dans la bibliographie de Jean Meckert, ce roman paru en 1952 est le dernier qu’il a publié chez Gallimard dans la collection blanche. A ce titre, on sent une certaine rage dans le traitement du sujet et on assiste à une volonté de choquer le lectorat. Que l’on tue quelqu’un pour ses idées, cela s’est déjà vu ; mais que ce genre de règlement de comptes concerne des adolescents de quatorze à seize ans, c’est beaucoup moins commun.

Jean Meckert n’hésite pas une minute pour nous présenter son contexte : au bout d’une dizaine de pages, Narcisse découvre le corps à la tête fracassée. D’emblée, l’horreur ne le choque pas, et il se fait chevalier sans peur et sans reproche du porteur de la vérité contre les hypocrites qui veulent camoufler le meurtre en banal accident de campagne. Dans ces moments-là, sa plume se fait rage pure, et le combat pour l’honnêteté démarre.

Ce roman porte en lui aussi le portrait d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, incertain quant à son avenir, incertain dans sa vie sentimentale, incertain dans sa position dans la société. Quand la colonie de jeunes va se scinder en deux, les rouges contre les popotins, il va se retrouver malgré lui à la tête d’adolescents qui veulent plus braver l’autorité que faire vivre des idées politiques.

Narcisse va aussi découvrir l’amour, se découvrir homosexuel et pédophile en même temps, tombant amoureux d’un jeune garçon auprès de qui il va s’ouvrir à la nature, au monde qui l’entoure, au besoin, au désir, au plaisir de l’autre. Jean Meckert sait nous montrer la poésie de la nature qu’il oppose à la bestialité des idées des hommes. Narcisse apparait à nouveau comme le chevalier blanc.

L’issue dramatique de ce roman ne viendra pas des hommes directement, mais de la nature, d’un événement météorologique qui va se venger de son inaction à faire un choix, par sa vie, celle des autres, l’échec d’un chef de clan qui n’en est pas un. D’une portée universelle, outre le portrait éminemment complexe de Narcisse, Jean Meckert fustige les hypocrites prêts à poignarder dans le dos ceux qui les gêne et pose la question du choix entre responsabilité personnelle et responsabilité collective. Un grand roman sur un être humain perdu dans un monde d’adultes !

La contrée finale de James Crumley

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Illustrateur : Baudoin

Mon petit plaisir de fin d’année ; mon grand, mon énorme nirvana ; mon incommensurable tristesse de se dire qu’il s’agit de la dernière aventure De Milo Milodragovitch, mais quelle aventure !

Alors qu’il a récupéré son héritage accompagné de plusieurs kilogrammes de drogues dérobés à des trafiquants, Milo s’est rangé des problèmes et a investi dans un bar, le Low Water Crossing Bar and grill qui marche bien. Après quatre mariages et quatre divorces, il vit maintenant avec Betty Porterfield dans un ranch au Texas et a délaissé son Montana. Mais il lui manque le rythme, l’adrénaline du danger et vient de recevoir sa licence de détective privé.

En route vers le comté de Travis, que les habitants eux-mêmes appellent Le Mauvais Coin, sa mission consiste à retrouver Carol Jean, la femme d’un timide professeur Joe Warren. Il la trouve sans difficultés dans un bar malfamé, nommé Over the Line, en train de jouer au billard. Après une échauffourée, il lui conseille de retrouver son mari plutôt que de déclencher des bagarres avec ses obus artificiels en silicone.

Il y fait la connaissance de Enos Walker, un type à chercher constamment la bagarre, qu’il ait bu ou non. Apparemment, il vient de tuer à bout portant un homme dans la salle du fond. Après avoir noté le nom de Sissy Duval, il voit Walker partir et appelle les flics. Le capitaine Gannon l’interroge et lui demande de retrouver Walker qui vient de sortir de prison mais Milo va le rechercher pour lui éviter d’autres ennuis, avec des truands ou la police. « Tout le monde, ici, est soit un étranger, soit une personne étrange ».

Et c’est parti … Comme il sait si bien le faire, James Crumley part d’une simple recherche pour créer une intrigue qui part dans tous les sens, pour aboutir dans les dernières pages à la résolution des énigmes en une seule phrase. On a droit à du grand art, à de la baston, des fusillades, du sexe et des visites de bas-fonds. Car où que l’on regarde, où que l’on aille, le Texas regorge d’endroits malfamés.

Et Milo ressemble à un aimant à emmerdes. Dès qu’il va quelque part, cela va mal tourner, et ces scènes incroyablement visuelles s’insèrent parfaitement dans l’intrigue. Et puis, dans un moment de calme, entre deux phrases de dialogue aux réparties saignantes et irrésistiblement hilarantes, la plume de James Crumley se fait légère, imagée, poétique et le lecteur fond.

James Crumley n’a pas son pareil pour nous faire croire à des rades miteux et poussiéreux, à nous faire vivre des bagarres mémorables, à nous asséner des fusillades bruyantes, à nous faire participer à des nuits enfiévrées dans une histoire tortueuse à souhait. On le suit dans ses pérégrinations avec un plaisir incommensurable et son histoire est bien plus compréhensible que celle des Serpents de la frontière.

Et puis, il faut se le dire, ce roman ressemble à un geste d’adieu. Milo subit sa soixantaine et ressent bien les affres de l’âge. Il ne peut plus prendre de l’alcool ou de la drogue sans en ressentir les conséquences le lendemain, il est plus lent, se prend plus de coups. On entend ses os craquer, sa fatigue prend le dessus et les dernières pages m’ont fait ressentir une immense tristesse, celle de quitter un personnage hors-norme. Le crépuscule d’un géant.

Oldies : Un privé à Babylone de Richard Brautigan

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format Poche)

Attention, coup de cœur ! Roman culte ! Amour inconditionnel !

Quand j’ai choisi de rendre hommage aux éditions 10/18 pour leurs 60 années d’existence, je savais que je terminerais par Un privé à Babylone de Richard Brautigan, roman que j’ai dû lire une dizaine de fois.

L’auteur : 

Richard Brautigan (30 janvier 1935 – 14 septembre 1984) est un écrivain et poète américain.

Issu d’un milieu social défavorisé de la côte Ouest, Brautigan trouve sa raison d’être dans l’écriture et rejoint le mouvement littéraire de San Francisco en 1956. Il y fréquente les artistes de la Beat Generation et participe à de nombreux évènements de la contre-culture. En 1967, durant le Summer of Love, il est révélé au monde par son best-seller La Pêche à la truite en Amérique et est surnommé le « dernier des Beats ». Ses écrits suivants auront moins de succès et dès les années 1970, il tombe progressivement dans l’anonymat et l’alcoolisme. Il met fin à ses jours en septembre 1984. Son dernier roman Cahier d’un retour de Troie sera publié 10 ans plus tard en France.

Enfance

Lulu Mary « Mary Lou » Kehoe et Bernard F. Brautigan, les parents de Richard Brautigan, se marient le 18 juillet 1927 à Tacoma dans l’État de Washington, au nord de la côte Ouest américaine. Après sept ans de vie commune, ils se séparent en avril 1934. Dans ses mémoires, You Can’t Catch Death, Ianthe, la fille unique de Brautigan, rapporte ce témoignage de Mary Lou : « Je l’ai quitté [Bernard] avec tout ce que je possédais dans un sac en papier. Je ne savais pas que j’étais enceinte »

Richard Gary Brautigan naît le 30 janvier 1935 à Tacoma. Bernard Brautigan apparaît sur son acte de naissance comme étant le père. Il est cependant difficile de savoir si Bernard fut informé de ce fait. Mary Lou affirme ne le lui avoir jamais dit et Bernard, interviewé à la suite du suicide de Brautigan, s’indigne de n’avoir jamais su la chose. « Je ne sais rien de lui, excepté qu’il a le même nom de famille que moi. Pourquoi ont-ils attendu cinquante ans pour me dire que j’avais un fils ? » D’ailleurs, il est enrôlé dans l’armée américaine le 4 mai 1942 et indique sur son statut marital « divorcé, sans enfants ». Paradoxalement, à sa fille Ianthe et à un de ses meilleurs amis Keith Abbott (et futur biographe), Brautigan raconte avoir rencontré deux fois son père durant son enfance.

L’enfance de Brautigan est marquée par la pauvreté, les déménagements, les abandons et les mauvais traitements dus à ses multiples beaux-pères.

Il grandit jusqu’à l’âge de 8 ans à Tacoma. Mary Lou et le jeune Brautigan emménagent avec Arthur M. Titland, un camionneur. Le 1er mai 1939, Barbara Jo Titland voit le jour. C’est le deuxième enfant de Mary Lou et Arthur Titland en est le père officiel. En 1943, Arthur Titland part faire son service militaire dans la marine de guerre des États-Unis, en pleine Seconde Guerre mondiale.

De son côté, Mary Lou épouse Robert Geoffrey « Tex » Porterfield le 20 janvier 1943. Cette nouvelle relation fait déménager toute la famille à Eugene dans l’Oregon entre 1943 et 1944. Porterfield y travaille en tant que cuisiner. Richard passe sa scolarité en portant le nom de famille de son beau-père « Porterfield » et ne retrouve son véritable nom de famille qu’en 1953, juste avant son diplôme de fin d’études secondaires. Le 1er avril 1945, Mary Lou met au monde Sandra Jean Porterfield. C’est la deuxième demi-sœur de Brautigan alors âgé de 10 ans. La vie du couple est houleuse, faite de violence domestique et de précarité. Après plusieurs séparations, ils divorcent en juillet 1950.

La famille de Brautigan vit de l’aide sociale. À l’école, il est vu comme un marginal du fait de sa pauvreté. Leurs difficultés financières amènent également Brautigan à pêcher et chasser pour leur subsistance. Il exerçait divers petits boulots également (recyclage de bouteilles consignées, vente de vers de terre, tonte de pelouse). Bien plus tard, son roman Mémoires sauvés du vent (1982) évoque cette période.

La mère de Brautigan se marie avec William Folston en juin 1950, un mois avant son divorce officiel de Robert Porterfield.

Adolescence et début dans l’écriture

Brautigan passe sa scolarité à Woodrow Wilson Junior High School puis à Eugene High School entre 1950 et 1953. C’est durant l’année 1952 que Richard retrouve son nom d’origine. À partir de cette date, il n’utilisera plus le nom « Porterfield » mais celui de « Brautigan ». Cette même année, il publie son premier poème The Light dans le journal de son lycée. Il ne participe à aucune activité extrascolaire, ni aucun club d’étudiant. Il est décrit comme un type très grand, discret et solitaire.

Une enseignante en langue anglaise, Juliet Gibson, aurait familiarisé Brautigan à la poésie d’Emily Dickinson et de William Carlos Williams. Ces deux écrivains auront une influence notable dans le style de Brautigan.

Ses premiers poèmes sont notamment encouragés par Peter Webster, son meilleur ami. « Déjà à l’époque, c’était un grand poète et j’aimais le son de sa voix. » La famille Webster représentait un refuge pour Brautigan qui fuyait la violence et l’incompréhension de son foyer. Barbara Titland, demi-sœur de Brautigan, explique : « Mes parents le harcelaient. Ils n’ont jamais écouté ce qu’il écrivait et n’ont pas compris l’importance qu’avait l’écriture pour lui.  » C’est d’ailleurs à Edna Webster, la mère de Peter, que Brautigan confie ses écrits de jeunesse avant de quitter Eugene pour San Francisco.

Le 9 juin 1953, Brautigan obtient son diplôme de fin d’études secondaires et est déterminé à devenir écrivain. Dès lors, son objectif est de rejoindre la Beat Generation à San Francisco, le centre de la révolution littéraire de l’époque.

En attendant, il travaille épisodiquement pour l’Eugene Fruit Growers Association, une usine conditionnant des haricots verts et trouve quelques autres petits boulots. Durant ces années, il écrit constamment et plusieurs de ses poèmes sont publiés.

En novembre 1955, Brautigan confie à Edna Webster plusieurs manuscrits et des effets personnels. Ces écrits, ainsi que d’autres qui viendront les rejoindre, constitueront le recueil Edna Webster Collection of Undiscovered Writings.

Séjour à l’asile de Salem

Le 14 décembre 1955, Brautigan pénètre dans le poste de police d’Eugène, déclare qu’il va commettre un délit puis brise une vitre avec une pierre et demande à être enfermé. Il est arrêté et jugé pour désordre public. Il est condamné à 10 jours de prison et à 25 dollars d’amende. Les motivations de ce geste sont plurielles. Certains évoquent le fait que les conditions de vie de Brautigan étaient tellement misérables qu’il aurait commis ce geste pour des raisons alimentaires. On rapporte aussi que ses parents le croyaient fou et envisageaient de le faire interner. Brautigan aurait également mal supporté la culpabilité liée à ses sentiments pour Linda Webster, âgée de 14 ans à l’époque.

Le 24 décembre 1955, après sept jours de prison, Brautigan est transféré à l’Oregon State Hospital pour une période d’« observation et de traitement ». Il est diagnostiqué schizophrène paranoïaque et subit douze séries d’électrochocs. Durant son hospitalisation, il prend conscience de la gravité de ses actes et met tout en œuvre pour devenir le patient modèle et sortir au plus vite de l’hôpital. Il écrit à Edna et Linda Webster pour les rassurer sur sa santé mentale. Il correspond avec D.Vincent Smith en vue de faire publier son roman The God of the Martians (encore inédit à ce jour). Brautigan s’écrit également à lui-même pour vérifier qu’il ne perd pas la mémoire à cause du traitement.

Le 19 février 1956, Brautigan est relâché de l’hôpital. Son séjour aura duré trois mois. Il quitte définitivement l’Oregon, laissant sans nouvelles sa famille. Sa mère avoua ne pas s’être soucié de son devenir dès lors. « Quand vous savez que votre enfant est célèbre, vous ne vous en faites pas pour lui, non ? » Seules Barbara et Sandra, ses demi-sœurs, tentèrent de garder le contact, sans succès jusqu’au 18 juillet 1970, où Brautigan leur signifia une fin de non-recevoir.

San Francisco 1956-1967

En automne 1956, Brautigan déménage à San Francisco. Il tente d’intégrer le milieu littéraire et y rencontre le mouvement Beat. Il gagne sa vie grâce à divers jobs, tel que la livraison de télégrammes pour Western-Union. Sans domicile fixe, il dort dans des terminaux de bus, des voitures ou des hôtels bon marché.

Brautigan fréquente « The Place » sur Grant Avenue et en particulier ses « Blabbermouth Night », un concours hebdomadaire autour d’une lecture publique, organisé par John Alley Ryan et John Gibbons Langan. On le croise aussi au Vesuvio, un bar très populaire de North Beach, et au Co-Existence Bagel Shop. Pierre Delattre, jeune pasteur protestant, dirige la mission « Bread and Wine » qui offre le couvert aux nécessiteux et diverses actions sociales. Cette mission devient le point de ralliement de la contre-culture et du Dharma Committee qui rassemble Joanne Kyger, Philip Whalen et Robert Duncan. Brautigan les rejoint pour des lectures de poésie et des repas gratuits au même titre que Bob Kaufman ou Gary Snyder.

Le 8 juin 1957, il épouse Virginia Dionne Adler. Ils vivent à North Beach et Virginia subvient aux besoins du foyer grâce à son travail de secrétariat. Brautigan, libéré des contingences matérielles, se consacre entièrement à l’écriture.

En automne 1957, l’anthologie « Four New Poets » est publiée, faisant apparaître quatre poèmes de Brautigan chez Inferno Press. Au même titre que Martin Hoberman, Carl Larsen, and James M. Singer. C’est la première fois que Brautigan apparaît dans un livre.

Enmai 1958, The Return of the Rivers est publié par Inferno Press. Ce poème est imprimé sur une double page, dans une couverture noire et est considéré comme le premier livre de Brautigan. Les 100 exemplaires produits sont tous signés de la main de Brautigan. Cette même année voit la publication chez White Rabbit Press de The Galilee Hitch-Hiker dont le leitmotiv est une représentation fictive de Charles Baudelaire. Suivi de Lay the Marble Tea en 1959 et de The Octopus Frontier, un recueil de 22 poèmes en 1960.

Le 25 mars 1960, sa fille unique Ianthe Elizabeth Brautigan naît. L’été 1961, Brautigan fait du camping en famille dans l’Idaho et commence l’écriture de son futur best-seller, La Pêche à la truite en Amérique. À Noël 1962, Brautigan et sa femme se séparent et il faudra attendre février 1970 pour le divorce officiel. Virginia part vivre à Hawaï fin 1975.

Le premier roman publié de Brautigan, Un général sudiste de Big Sur (1964), est un échec commercial. Grove Press est échaudé et refuse de publier les trois romans suivants (La Pêche à la truite en Amérique, Sucre de pastèque et L’Avortement). Le contrat qui liait Brautigan et Grove Press est rompu en 1966. Brautigan se trouve à nouveau sans revenus autres que les ventes de ses recueils de poèmes mais il persévère dans son désir de devenir un écrivain lu et reconnu. Il participe à de nombreuses lectures publiques et à des rencontres artistiques qui rythmaient la vie de San Francisco. Brautigan apparaît notamment sur la célèbre photographie de Larry Keenan The Last Gathering of Beat Poets& Artists, City Lights Books qui tente de regrouper devant la librairie les artistes Beat de 1965 à San Francisco. Sur cette photographie, on peut voir Brautigan au deuxième rang, portant un chapeau blanc.

Tandis que le mouvement Hippie prend son ampleur à San Francisco, Brautigan se rapproche en 1966 des Diggers, un groupe d’anarchistes militants du quartier de Haight-Ashbury dont il partage l’idéalisme hippie et les causes. Il admire particulièrement leurs actions envers les nécessiteux et leurs soupes populaires. Il déménage à Geary Street et devient le voisin d’Erik Weber, un ami et photographe qui réalisera la plupart des portraits promotionnels de Brautigan.

En 1966-1967, Brautigan est nommé poète en résidence au California Institute of Technology. Il participe également à plusieurs événements organisés par les Diggers, travaille à la Communication Company, leur imprimerie artisanale de propagande, et distribue des tracts dans les rues, notamment à Haight Street. Il apparaît toujours lors de diverses lectures publiques de ses écrits. The Communication Company édite un poème de Brautigan intitulé All Watched Over by Machines of Loving Grace.

Le succès de La Pêche à la truite en Amérique

La Pêche à la truite en Amérique est publié en 1967 chez Four Seasons Foundation, dirigé par Donald Allen. La presse critique et le public acclament ce livre. Brautigan multiplie les lectures publiques et les colloques à travers le pays.

L’année suivante, Four Seasons sort Sucre de pastèque et The Pill versus The Springhill Mine Disaster, un recueil de la plupart de ses précédents poèmes édités. Please Plant This Book est publié également par Graham Mackintosh. Il s’agit d’un ensemble de huit poèmes imprimés sur les sachets de graines, distribué gratuitement dans la rue.

Prévenu du succès de Brautigan sur la côte Ouest par l’intermédiaire de Kurt Vonnegut, le New Yorkais George T. Delacorte rachète les droits de La Pêche à la truite en Amérique, The Pill versus The Springhill Mine Disaster, In Watermelon Sugar à Four Seasons Foundation et compile les trois livres en un volume qui est vendu à 300 000 exemplaires l’année de sa publication. Plusieurs nouvelles de Brautigan paraissent dans les magazines Rolling Stone, Vogue et Playboy.

Delacorte publie le nouveau recueil de poèmes de Brautigan titré Rommel Drives On Deep Into Egypt en 1970. Life fait paraître en août 1970 un article dédié à Brautigan : Gentle Poet of the Young: A Cult Grows around Richard Brautigan de John Stickney.

Initialement prévu sous le label Zapple Records, un enregistrement de plusieurs poèmes et courts écrits Listening to Richard Brautigan, lu par Brautigan chez Harvest Records, une annexe britannique de Capital Records. Les prises sonores eurent lieu aux studios Golden State Recorders ainsi que dans l’appartement de Brautigan, sur Geary Street.

Les éditions Simon and Schuster publient The Revenge of the Lawn: Stories 1962-1970 et L’Avortement au début des années 1970. Brautigan est au sommet du succès et les années qui s’annoncent verront le déclin irrémédiable de cette popularité.

Bolinas

En décembre 1971, Brautigan achète une maison de style Arts & Crafts à bardeaux du début du XXème siècle faisant face à l’océan, dans la ville de Bolinas, une localité juste au nord de San Francisco. Cette demeure a été décrite comme hantée par le fantôme d’une servante chinoise qui se serait suicidée et aurait été enterrée sur la propriété. C’est dans le salon de cette maison que Brautigan mettra fin à ses jours, treize ans plus tard.

À Bolinas, on retrouve une communauté d’artistes, d’écrivains et d’éditeurs tels que Donald Allen, Bill Berkson, Ted Berrigan, Jim Carroll, Robert Creeley, Lawrence Ferlinghetti, Bobbie Louise Hawkins, Joanne Kyger, Thomas McGuane, David Meltzer, Daniel Moore, Alice Notley, Nancy Peters, Aram Saroyan et Philip Whalen. L’État de Washington décerne un prix de littérature à Brautigan pour son recueil de nouvelles La Vengeance de la pelouse en avril 1972.

Brautigan écrit Le Monstre des Hawkline en 1972 à Pine Creek, dans le Montana, à l’occasion de son premier voyage dans cet État. Il y fait la rencontre d’une communauté d’artistes surnommée le « Montana gang », comprenant des écrivains et des acteurs, tous plus ou moins voisins. Les éditions du Seuil publient la première traduction française de Brautigan : L’Avortement, en 1973.

Les grands espaces du Montana

1974 est l’année de la publication de Le Monstre des Hawkline ((en) The Hawkline Monster: A Gothic Western) et de la première traduction en français de La Pêche à la truite en Amérique et de Sucre de pastèque aux éditions Bourgois. Brautigan achète aussi un ranch à Pine Creek, dans le Montana pour avoir un pied à terre dans la région. Cette propriété de 42 acres est constituée d’une maison et d’une grange dans laquelle est aménagée une salle d’écriture avec vue sur les montagnes d’Absaroka. Il y retrouve le « Montana gang » et compte parmi ses voisins William J. Hjortsberg (futur biographe), Jim Harrison, Peter Fonda et sa femme Becky, Jeff Bridges, Warren Oates, le cinéaste Sam Peckinpah.

Willard et ses trophées de bowling (Willard and His Bowling Trophies: A Perverse Mystery) est publié en 1975. À San Francisco, les travaux bruyants sur le tunnel de Geary font quitter Geary Street à Brautigan qui déménage à Union Street.

Sa passion pour le Japon

De janvier à juillet 1976, Brautigan visite le Japon pour la première fois. Il est installé au Keio Plaza Hotel de Tokyo. Durant ces sept mois, il écrit le matériel que l’on retrouve dans Journal japonais et dans Tokyo-Montana Express. Il rencontre également Akiko Nishizawa Yoshimura qu’il épousera l’année suivante. Au Japon, il trouve la célébrité qui s’étiole en Amérique et Brautigan est un grand admirateur de certains écrivains japonais. Dès lors, Brautigan voyage régulièrement au Japon plusieurs mois par an.

Cette même année 1976, deux livres de Brautigan sont publiés : Loading Mercury With a Pitchfork, un recueil de poèmes, ainsi que Retombées de sombrero (Sombrero Fallout: A Japanese Novel). 1977 voit la publication d’un nouveau roman parodique : Un privé à Babylone (Dreaming of Babylon), reprenant les canons des romans noirs autour d’un narrateur Antihéros. Le 1er décembre 1977, Brautigan épouse Akiko Nishizawa Yoshimura à Richmond en Californie. Un nouveau recueil de poèmes profondément teinté par le Japon est publié en 1978 : Journal japonais (June 30th, June 30th).C’est en décembre 1979 que Brautigan et Akiko se séparent pour finalement divorcer en 1980.

Les livres de Brautigan ne reçoivent plus un accueil chaleureux du public et son œuvre est progressivement ignorée. Dans ce contexte peu favorable, Brautigan publie Tokyo-Montana Express et reprend ses efforts promotionnels en participant à des lectures publiques et des actions diverses pour faire connaître son nouvel ouvrage.

Sa fille, Ianthe Brautigan, épouse Paul Swensenen septembre 1981. Brautigan n’approuve pas ce mariage, estimant sa fille trop jeune pour un tel engagement (Ianthe avait alors 21 ans). Il refuse de se montrer lors de la cérémonie et il déclare « Je préférerai ton second époux. »

Pour la publication de Mémoires sauvés du vent (So The Wind Won’t Blow It All Away), Brautigan poursuit ses actions marketing et ses voyages aux États-Unis, en Europe et au Japon, mais le roman passe inaperçu et est vendu à seulement 15 000 exemplaires. Il écrit son dernier roman, An Unfortunate Woman, qui ne connaîtra qu’une publication posthume.

Son suicide à Bolinas

Le 25 octobre 1984, après un long moment sans nouvelles de Brautigan, on part à sa recherche et découvre son corps dans sa maison de Bolinas, une blessure par balle à la tête. On trouve également un revolver Smith &Wesson de calibre 44 avec une unique douille dans le barillet. L’état de décomposition du corps laisse à penser que l’auteur était mort depuis plusieurs semaines. La nouvelle du suicide de Brautigan fait le tour du monde et suscite de vives réactions de la part de ses amis et de ses lecteurs.

C’est le 14 septembre 1984 que Brautigan laisse ses derniers signes de vie. Il aurait été vu par plusieurs personnes au restaurant japonais Cho-Cho de San Francisco. Très alcoolisé, il rentre chez lui à Bolinas en fin de soirée. Marcia Clay dit l’avoir eu au téléphone peu après 23h. Brautigan prétexte devoir raccrocher pour retrouver un texte qu’il voulait lire à Marcia et cesse de répondre au téléphone malgré les multiples rappels de Marcia. Dès ce moment, seul le répondeur réceptionne les appels et plus personne n’a de nouvelles de Brautigan.

La question de la préméditation est posée. De notoriété publique, Brautigan pouvait se montrer profondément déprimé et parlait à mots plus ou moins voilés de suicide depuis bien longtemps. Brautigan se définissait essentiellement par son métier d’écrivain ; or la baisse des ventes de ses livres et l’abandon progressif du public l’entraînait sur le chemin de l’alcoolisme et de l’autodestruction. Dans ses mémoires En marge, Jim Harrison rapporte une discussion durant laquelle Brautigan déclara qu’il ne s’ôterait pas la vie tant qu’il serait capable d’écrire et tant que sa fille Ianthe dépendrait de lui. Harrison se pose également la question de l’œuf et de la poule : Brautigan était-il un « écrivain poussé au suicide ou un suicidaire devenu écrivain ? »

Le corps de Brautigan fut incinéré et ses cendres reposent dans une urne chez Ianthe Brautigan. Elle avait l’intention de l’enterrer dans un cimetière sur le littoral californien (probablement Bodega Calvary Cemetery) mais ne sachant quelle épitaphe graver dans le marbre, elle ne put se résoudre à inhumer les cendres de son père dans le cimetière.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

San Francisco, 1942. C.Card est un détective privé dont les affaires ne marchent pas très fort. Et pour cause : au lieu de s’occuper de la sordide histoire de cadavre volé dans laquelle l’a embarqué une femme mystérieuse (et fatale, comme il se doit), ou de trouver une nouvelle secrétaire après que la précédente a claqué la porte, C.Card passe son temps à rêver. En imagination, le voici qui se transporte dans le temps et l’espace à Babylone, où il devient le fin limier le plus célèbre et adulé de la cité antique.

Détournement jubilatoire des codes du polar, portrait hilarant et poignant d’un homme pour qui la vie est littéralement un songe, Un privé à Babylone est l’un des joyaux de l’œuvre de Richard Brautigan, et sans doute l’un des romans les plus personnels de cet écrivain culte, devenu le saint patron littéraire de tous ceux qui tournent le dos au monde pour mieux le ré-enchanter par la fantaisie et la poésie.

Mon avis :

Coup de cœur ! Roman culte ! Coup de foudre !

Quand j’ai découvert ce roman, en format poche, en 1994, je suis tombé amoureux de la poésie de Richard Brautigan, de son univers loufoque et de la vision de sa vie. D’ailleurs, ne ratez sous aucun prétexte Mémoires sauvés du vent, que je considère comme un chef d’œuvre et Tokyo-Montana express pour les amateurs de nouvelles. L’auteur nous présente dans ce roman un détective privé extrêmement pauvre dans un monde absurde et noir qui ne trouve pas d’autre moyen pour s’échapper que de rêver à Babylone, lieu où il est une vedette, tantôt écrivain de science-fiction, tantôt chanteur irrésistible.

Au premier degré, Richard Brautigan utilise les codes du polar, les étrangle, les malmène, les détourne dans une enquête délirante. C.Card n’a même pas cinq cents en poche pour manger quand il décroche un potentiel client qu’il doit rencontrer dans la soirée. Il tient absolument à trouver des balles pour son revolver, et va faire le tour de ses connaissances (il n’a plus d’amis depuis bien longtemps) à qui il a déjà emprunté beaucoup d’argent.

Derrière tous les registres humoristiques possibles, Richard excelle dans les phrases définitives, nous propose des dialogues simplissimes et donc génialissimes, et nous emmène dans une quête qui commence par des balles et se termine par un cadavre dans une intrigue totalement folle. Tout cela est raconté par C.Card lui-même, le détective qui ne porte qu’une seule chaussette et qui rêve.

Derrière ce roman comique, on y trouve des portions de la vie de l’auteur, comme sa pauvreté, l’errance et le rejet de tous, les relations biaisées avec les autres, mais aussi le fait que C.Card ait tué son père à l’âge de quatre ans et que sa mère le lui reproche continuellement. Tout au long de ce roman, on ne peut qu’éprouver de la compassion pour C.Card et pour Richard Brautigan lui-même.

Et puis, on y trouve cette allégorie de Babylone, ce pays imaginaire qui lui permet de s’évader de son quotidien. Il nous parle de la force de l’imagination, de la puissance de la littérature qui nous permet de sortir du quotidien, de la poésie comme un sauvetage de l’humanité, et toujours avec un humour décalé irrésistible.

J’ai lu ce roman une dizaine de fois ; j’y reviens souvent ; il me sert de soupape, au même titre que Tous les matins je me lève de Jean-Paul Dubois. Dans ces deux romans, on y trouve un homme qui rêve, qui s’échappe grâce à la force de l’imagination. N’y cherchez pas un message personnel, il faut juste ne pas oublier le principal, lisez !

Coup de cœur ! Roman personnellement culte ! Coup de foudre !

Oldies : Demande à la poussière de John Fante

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format Poche)

Attention, coup de cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Ce mois-ci, je vous propose de découvrir un des meilleurs auteurs américains, dont je ne connaissais que Bandini, le premier tome de son quatuor. Demande à la poussière en est le troisième.

L’auteur :

John Fante, né le 8 avril 1909 à Denver (Colorado) et mort le 8 mai 1983 à Los Angeles (Californie), est un romancier, nouvelliste et scénariste américain.

Fils d’immigrants italiens (son père était né à Torricella Peligna et sa mère, italo-américaine, était la fille d’un immigré de l’Italie méridionale)1, John Fante naît au Colorado (États-Unis) en 1909, au sein d’une famille croyante et conservatrice. Son enfance de gamin des rues turbulent se fera au sein d’une école jésuite, où Fante découvrira le besoin de liberté, la sexualité et l’écriture.

Il commence à écrire très tôt et, si on en croit ses romans autobiographiques, se montre un enfant particulièrement sensible, enflammé, charismatique et avide de la beauté du monde. À trois reprises entre 1927 et 1931, ses tentatives de mener des études universitaires échouent au bout de quelques mois.

À 20 ans, il se rend à Los Angeles (en 1929) où il travaille notamment dans une conserverie de poisson (évoqué dans La Route de Los Angeles) et exerce de nombreux petits boulots pour survivre. Avide de littérature, le jeune homme se nourrit spirituellement avec Knut Hamsun, Dostoïevski, Nietzsche, Jack London et Sinclair Lewis, et fait ses premières gammes en écriture.

Ses premières nouvelles attireront l’attention de H. L. Mencken, rédacteur en chef de la revue littéraire The American Mercury, qui publiera régulièrement, dès 1932, la prose du jeune Fante (sa première nouvelle est publiée alors qu’il a 23 ans, mais il se fait passer pour plus jeune, par orgueil et goût de la mise en scène de son propre talent) et gardera même une correspondance de 20 ans avec le jeune écrivain.

En 1933, son roman La Route de Los Angeles (The Road to Los Angeles) est refusé car jugé trop cru et trop provocant (malgré une correction de son ébauche vers 1936, le roman ne sera publié qu’en 1985, après sa mort).

Son premier roman Bandini, paraît en 1938. Largement autobiographique, le récit y suit les pérégrinations du jeune Arturo Bandini, fils d’immigrés italiens, habile rhéteur, manipulateur, joueur et jouisseur, qui a quitté son Colorado natal pour se faire une place au soleil. L’œuvre est habile, élégante, montre un Bandini/Fante sûr de lui et de sa folie, bien en adéquation avec la personnalité de Fante : menteur, joueur, il n’a pas hésité ici, et comme il ne cessera de le faire, de travestir la réalité, pour lui donner plus de substance, plus de goût, plus de puissance. Et l’effort marche à merveille : Bandini est un héros inimitable, borderline, toujours à chercher l’extrême et la nausée dans ses envies : l’art, la philosophie, les femmes. Bandini constitue le premier quart d’un cycle autobiographique constitué de La Route de Los Angeles, Demande à la poussière (Ask the Dust, publié en 1939), et beaucoup plus tardivement de Rêves de Bunker Hill (Dreams from Bunker Hill, publié en 1982).

L’autre cycle de Fante, Molise, comprend Les Compagnons de la grappe (The Brotherhood of the Grape, 1977) et Mon chien Stupide (My Dog Stupid, 1986).

À l’époque de Demande à la poussière, Fante est encore un gamin torturé et impulsif, qui s’est installé dans un petit hôtel tenu comme une pension de famille par une dame patronnesse. Fante vit alors seul et envoie de l’argent à sa mère dès que tombe un cachet de l’American Mercury. Il prophétise le monde et est sans cesse tendu entre deux abîmes : les femmes et la littérature.

Sa rencontre avec Joyce, une étudiante fortunée, éditrice et écrivain, qu’il épouse en juillet 1937 lui permettra de s’adonner pendant de longs mois à ses deux passions, le golf et le jeu. Il trouve tout de même le temps d’écrire et d’éditer son plus grand succès de librairie Pleins de vie (Full of Life, 1952) dont la manne financière lui permet d’acquérir une maison à Malibu. Le succès de sa dernière parution lui ouvre aussi les portes d’Hollywood. De 1950 à 1956, John Fante vit sous le règne de l’abondance, il travaille notamment pour la Fox et la MGM où il devient un scénariste important et reconnu avec les films My Man and I (1952), Full of Life (1956), Un seul amour (Jeanna Eagels, 1957), Miracle à Cupertino (The Reluctant Saint) (1962), La Rue chaude (Walk on the Wild Side, 1962), Mes six amours et mon chien (My Six Loves, 1963) et le téléfilm Something for a Lonely Man (en) (1968). Il est nommé aux Writers Guild of America Award du meilleur scénario en 1957 pour Full of Life. Durant cette période, il se rend également pour travailler à Rome et à Naples et ces séjours réveillent en lui la nostalgie de ses origines italiennes.

Cette carrière fut vraisemblablement alimentaire pour Fante, qui regrettait la cruauté bruyante de son travail de romancier. Il tombe alors dans un oubli relatif jusqu’à ce que Charles Bukowski, qui le vénérait, entreprenne avec son ami et éditeur John Martin de Black Sparrow Press, de rééditer Demande à la poussière. La situation matérielle de Fante s’améliore dans les années qui suivent grâce à l’éditeur de Black Sparrow Books et à Bukowski qui font tant pour le faire redécouvrir du grand public ; mais Fante est désormais aveugle et cul-de-jatte à cause de complications liées à son diabète. À l’occasion de sa rencontre avec Charles Bukowski, Fante dit alors : « La pire chose qui puisse arriver aux gens c’est l’amertume. Ils deviennent tous si amers ». Peu avant sa mort, il dicte à sa femme Joyce les épreuves de Rêves de Bunker Hill. Il meurt en mai 1983, à l’âge de 74 ans.

Fante est le père de quatre enfants, dont l’écrivain Dan Fante.

(Source Wikipedia)

Résumé :

Pendant la grande dépression, Arturo Bandini est un écrivain tourmenté et fauché vivant dans un hôtel résidentiel de Bunker Hill (Los Angeles). Il crée inconsciemment une image de Los Angeles comme une dystopie moderne à l’époque de la grande dépression. Démuni, il erre dans les cafés et fait la connaissance de Camilla Lopez, une serveuse au tempérament fougueux. Bien qu’attiré par cette belle Mexicaine, Bandini, d’origine italienne, rêve plutôt d’une alliance avec une Américaine, qui faciliterait son ascension sociale.

Or, chaque fois qu’il tente de s’éloigner de Camilla, celle-ci lui revient, sans qu’il puisse lui résister. Bandini lutte alors avec sa propre pauvreté, sa culpabilité catholique et son amour pour Camilla dont la santé se détériore. Elle-même est amoureuse de Sammy, mais il part s’exiler dans le désert en apprenant qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre, et refuse de la voir. Camilla est finalement admise dans un hôpital psychiatrique.

Lorsque son éditeur lui offre une somme importante pour son roman, Bandini décide d’emmener Camilla loin de Los Angeles et part s’installer avec la serveuse dans un bungalow sur la côte, où leur amour et l’ouvrage autobiographique en chantier se font écho. Il lui achète un chiot et repart à Los Angeles récupérer ses affaires. Lorsqu’il revient, elle a disparu. Il suit ses traces jusque chez Sammy, qui l’a déjà chassée et lui apprend qu’elle est probablement en train d’errer dans le désert avec son chien. Bandini essaie de la retrouver, en vain. Il prend une copie de son dernier roman tout juste publié, le dédicace à Camilla et le lance le plus loin possible dans la direction qu’elle a prise.

Mon avis :

Dans les années 30, un tsunami a déferlé sur la littérature américaine. Largement autobiographique, John Fante va donc décrire son arrivée à Los Angeles après avoir quitté son Colorado natal. S’il se persuade d’être le nouveau génie de la littérature, sa passion pour l’écriture va lui imposer de survivre un peu plus longtemps pour écrire, encore et encore, sur ses émotions, mais aussi son environnement.

A première vue, il s’agit d’une autobiographie mais ce roman dépasse très largement ce cadre tant au niveau du style que de ce qu’il raconte. Dès le début du roman, on est emporté par la fougue montrée par Arturo Bandini, l’alter-égo de John Fante. Chaque phrase est mûrement pensée, chaque mot comporte une puissance incroyable, une force d’évocation hors du commun. John Fante nous montre sa capacité à décrire son environnement, ses pensées, son entourage, son style emporte tout par sa passion, sa fougue, sa verve, son rythme. Et j’ose à peine le dire, peu importe ce qu’il raconte, on le suit.

Qui dit autobiographie, dit descriptif de la vie d’Arturo Bandini. Il va nous décrire sa vie et derrière ses tribulations va apparaitre un homme obsédé par l’écriture en se persuadant qu’il est un génie. On pourrait croire qu’il se veut écrivain parce que c’est un moyen facile de gagner sa vie, et de profiter de bons moments, des femmes et de l’alcool. Il n’en est rien, le peu d’argent lui sert à aller à la rencontre des autres pour alimenter ses nouvelles, pour leur donner plus de vie, plus de passion.

Pour autant, Arturo Bandini est un personnage à part. Voleur, menteur, bonimenteur, fabulateur, fabuliste, formidable conteur, il se représente la figure d’un écrivain comme un témoin maudit. Il ne faut pas croire qu’il écrit pour l’argent, il tient ce rôle comme une profession de foi, comme une nécessité pour vivre. De même, il considère qu’un écrivain doit vivre durement pour toucher à la vérité de ce qu’il exprime. Dès qu’il touche de l’argent, il dépense tout pour être sûr de vivre dans la pauvreté, pour être convaincu de toucher le fond. Seul un homme qui souffre peut devenir un artiste.

Contrairement à d’autres grands auteurs, il ne cherchera pas d’expédients, d’excitants, comme la drogue même s’il en parle. Sa volonté de vivre vite, de vivre durement, se retrouve motivée par l’alcool (surtout pour passer le temps) et les femmes. Sa relation avec Camilla et Vera se situera toujours dans une opposition Amour / Haine, avec toujours ce mantra qu’on sait ce qu’on aime quand on l’a perdu. Il malmènera, violentera les femmes de sa vie pour les perdre, juste pour être persuadé qu’il devra agir pour les retrouver. On retrouve d’ailleurs la même relation d’amour / haine envers la religion quand il appelle Dieu avant de le rejeter comme une gigantesque imposture.

Arturo Bandini va donc nous narrer la ville de Los Angeles, la grande ville pour lui qui est un campagnard. Il va nous montrer les rues et les quartiers glauques, les bars enfumés, les pauvres qui font la manche. Tout ce contexte servira de moelle épinière pour développer sa faculté à exprimer des émotions, à nous faire ressentir la pauvreté, la faim, la torture nécessaire qu’il s’impose pour atteindre le sommet de l’écriture.

Ce portrait d’un écorché vif, toujours en train de courir après un objectif dont il n’a aucune idée, est un voyage fantastique qui aborde le sujet de la difficulté d’écrire mais aussi la nécessité d’apporter un peu de beauté, de poésie dans un monde noir et sans pitié. Ce roman, c’est une pépite, un monument de la littérature, probablement encore plus fort que Bandini, que j’avais lu il y a plus de trente ans, car plus rythmé et empli de rage de vivre. Et on se rend compte du nombre d’écrivains qui ont été influencé par les romans de John Fante, auteur que l’on a tendance à oublier. Quelle injustice !

Coup de cœur !

Jesus’ son de Denis Johnson

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format poche)

Traducteur : Pierre Furlan

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose un recueil de nouvelles pour cette rubrique Oldies, d’un auteur américain bien peu connu chez nous.

L’auteur :

Denis Johnson, né le 1er juillet 1949 à Munich en Allemagne de l’Ouest et mort le 24 mai 2017, est un auteur américain. Il est surtout connu pour son recueil de Jesus’ Son (1992) et son roman Arbre de fumée (2007), qui a remporté le National Book Award.

Dans sa jeunesse, Denis Johnson suit son père au gré des affectations de celui-ci. Il devient dépendant ensuite à diverses substances. Finalement, il obtient une maitrise (MFA) à l’université de l’Iowa. Ses principales influences sont Dr Seuss, Dylan Thomas, Walt Whitman et T. S. Eliot. Il a reçu de nombreux prix pour ses œuvres, y compris un Prix du Whiting Writer’s en 1986 et une bourse Lannan pour la fiction en 1993.

Selon un groupe de critiques, écrivains et autres membres du milieu littéraire, son recueil Jesus’ son fait partie des meilleures œuvres de fiction américaines des 25 dernières années.

Denis Johnson fait des débuts remarqués avec la publication de son recueil de nouvelles Jesus’ Son (1992), qui a été adapté au cinéma en 1999 sous le même titre, et qui a été cité comme l’un des dix meilleurs films de l’année par le New York Times, le Los Angeles Times, et par Roger Ebert. Denis Johnson a un petit rôle dans le film, interprétant l’homme ayant été poignardé à l’œil par sa femme.

Il est titulaire en 2006-2007 de la chaire Mitte d’écriture créative à l’université d’État du Texas, à San Marcos (Texas).

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Révélation terrifiante et admirable à la fois pour l’univers intérieur d’une certaine jeunesse américaine hantée par la violence et la drogue, les onze nouvelles de ce recueil retracent les tribulations d’un narrateur unique. Vies brisées, agonies dérisoires, accidents spectaculaires, l’auteur décrit tout cela comme autant de vignettes de l’existence quotidienne vécue par les junkies errant à travers le paysage américain. Pour Christophe Mercier (Le Point) : « L’ensemble forme comme une tapisserie pointilliste, la radiographie d’une frange, invisible à l’œil nu, de l’Amérique moyenne. Une découverte impressionnante. »

Mon avis :

Dès la première nouvelle, on est frappé par l’absence de sentiments, lors d’un accident décrit comme des images colorées. On y trouve un coté détaché, halluciné malgré la violence du propos. Le ton est donné pour tout le reste de ce recueil, une violence omniprésente et détachée comme si elle était irréelle.

L’auteur nous présente un monde qui alterne entre réalité et cauchemar, fait de passages décalés soit dans la description soit dans les remarques qui peuvent paraitre choquantes. Dans ce monde de drogués, la réalité est altérée et l’impression que l’on en retire reste toujours étrange, inimaginable, fantasmagorique, comme quelque chose qui ne peut jamais arriver en vrai.

L’auteur semble nous présenter des moments de sa vie, des cartes postales sur des rencontres (Deux hommes), dans des situations communes (Un travail, Urgences). Il y est rarement question d’amour, mais quand c’est le cas, le ton est toujours violent, désabusé et décalé. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait rencontré un grand succès avec ces nouvelles d’un ton qui semble imagé avec un filtre imposé par les stupéfiants, avec une bonne dose de poésie. Intéressant !

Last exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr

Editeur : Albin Michel (Grand format); Livre de Poche puis 10/18 (Format Poche)

Traducteurs : Jeanne Colza puis Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet

Attention, Coup de Cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Cela faisait plus de trente ans que je voulais lire ce roman, surtout grâce à sa réputation de chef d’œuvre de l’auteur, l’accusation d’obscénité qu’il a subie en Angleterre ne me faisant ni chaud ni froid.

L’auteur :

Hubert Selby, Jr., né le 23 juillet 1928 à New York, et mort le 26 avril 2004 (à 75 ans) à Los Angeles, est un écrivain américain.

Né à New York, dans l’arrondissement de Brooklyn en 1928, Selby quitte l’école à l’âge de 15 ans pour s’engager dans la marine marchande, où son père, orphelin, avait travaillé. Atteint de la tuberculose à 18 ans, les médecins lui annoncent qu’il lui reste deux mois à vivre. Il est opéré, perd une partie de son poumon, et restera 4 ans à l’hôpital.

Lors de la décennie suivante, Selby, convalescent, est cloué au lit et fréquemment hospitalisé (1946-1950) à la suite de diverses infections du poumon. « C’est à l’hôpital que j’ai commencé à lire avant d’éprouver le besoin d’écrire. » Incapable de suivre une vie normale à cause de ses problèmes de santé, Selby dira : « Je connais l’alphabet. Peut-être que je pourrais être écrivain. ». Grâce à sa première machine à écrire, il se lance frénétiquement dans l’écriture.

Son premier roman, Last Exit to Brooklyn, une collection d’histoires partageant un décor commun, Brooklyn, entraîna une forte controverse lorsqu’il fut publié en 1964. Allen Ginsberg prédit que l’ouvrage allait « exploser sur l’Amérique comme une bombe infernale qu’on lirait encore cent ans après. ». Il fut l’objet d’un procès pour obscénité en Angleterre, interdit de traduction en Italie, et interdit à la vente aux mineurs dans plusieurs états des États-Unis. Son éditeur, Grove Press, exploita cette controverse pour la campagne de promotion du livre, qui se vendit aux alentours de 750 000 exemplaires la première année. Il fut également traduit en douze langues. L’auteur le résume ainsi : « Quand j’ai publié Last Exit to Brooklyn, on m’a demandé de le décrire. Je n’avais pas réfléchi à la question et les mots qui me sont venus sont : « les horreurs d’une vie sans amour». ». L’ouvrage est republié sous une nouvelle traduction française début 2014.

Son second ouvrage, La Geôle, publié en 1971, est un échec commercial, malgré les critiques positives, ce qui décourage l’auteur.

Selby connaît des problèmes d’alcool, et devient dépendant à l’héroïne, ce qui le conduira deux mois en prison et un mois à l’hôpital, et lui permettra de sortir de cette dépendance. Cependant, après cette cure, il tombera encore plus dans l’alcoolisme.

En 1976 sort son roman Le Démon, l’histoire de Harry White, jeune cadre New-yorkais en proie à ses obsessions. Cette histoire présente de grandes similitudes avec American Psycho, écrit quinze ans plus tard par Bret Easton Ellis.

Deux ans plus tard, il publie Retour à Brooklyn ((en) Requiem for a Dream), qui sera adapté plus de 20 ans plus tard au cinéma, en 2000, sous le même titre, par Darren Aronofsky, avec qui il écrira le scénario.

En 1986 sort son recueil de nouvelles Chanson de la Neige Silencieuse ((en) Songs of the Silent Snow), et en 1998 son roman Le Saule (The Willow Tree), plus apaisé : « Mes premiers livres avaient tous ce côté pathologique, il fallait parler du « problème » sous tous les angles possibles alors que, dans Le Saule, j’essaie de parler de la solution et des moyens d’y parvenir. ». Enfin, en 2002, est publié Waiting Period, roman où le héros, contraint de reporter son suicide, reconsidère son projet.

Il a vécu à Manhattan, puis à Los Angeles, où il a enseigné à l’Université. Il a été marié trois fois et a eu quatre enfants, deux filles et deux garçons.

À la fin de sa vie, il confiait à l’un de ses amis  » je peux tout juste taper une lettre sur ce putain d’ordinateur « . En effet, Selby avait acheté un ordinateur, dans le seul et unique but de remplacer sa  » bonne vieille machine à écrire « .

Il est mort le 26 avril 2004 à Los Angeles d’une maladie pulmonaire chronique, consécutive à la tuberculose contractée durant sa jeunesse. Il s’est éteint accompagné de ses proches : son ex-femme Suzanne, chez qui il se trouvait, les enfants de son premier mariage, et son chien.

Quatrième de couverture :

Consacré à la violence qui déchire une société sans amour mais ivre de sexualité, ce livre a imposé d’emblée Selby parmi les auteurs majeurs de la seconde moitié de ce siècle. D’autres oeuvres ont suivi : La Geôle, Le Démon, Retour à Brooklyn, toutes parues dans notre « Domaine étranger ». Last Exit to Brooklyn reste le point d’orgue de ce Céline américain acharné à nous livrer la vision apocalyptique d’un rêve devenu cauchemar. Où la solitude, la misère et l’angoisse se conjuguent comme pour mieux plonger le lecteur dans ce qui n’est peut-être que le reflet de sa propre existence. Implacablement.

Mon avis :

Autant vous prévenir tout de suite, ce roman se mérite, il nécessite des efforts et du courage mais vous trouverez la récompense au bout du chemin. Ce roman est composé de six nouvelles plus ou moins longues qui tournent autour d’un quartier de Brooklyn, le bar grec d’Alex. Dans ce microcosme, on va trouver un échantillon de la société américaine représentative de ce qu’elle était mais aussi de ce qu’elle est devenue. Car ce roman reste encore d’actualité et démontre la violence inhérente à ses règles, ses lois, son éducation.

Dès la première nouvelle, le ton est donné : un groupe de clients du bar passe son temps à boire puis, pour se dégourdir les jambes et les poings, entraine quelqu’un dehors pour le tabasser, qu’il soit soldat ou pédé. Cet extrait permet aussi d’entrer dans le monde d’Hubert Selby Jr. Les gens passent leur temps comme ils le peuvent, vivent en meute mais malgré tout, se retrouvent seuls devant les secondes qui s’écoulent avant leur mort. Il permet aussi d’appréhender ce que sera le style imposé de l’auteur : de longs paragraphes, pas d’indication de dialogues, tout est noyé dans une même narration, car le lecteur doit être capable d’écouter cette musique rythmé que le narrateur leur assène, comme une batterie battant la mesure infernale.

On retrouve la solitude au menu de la deuxième nouvelle, La reine est morte, avec Georgette, un travesti qui est amoureuse de Vinnie qui l’ignore. Et ce n’est pas le fait d’avoir un enfant qui va combler cette solitude, selon Trois avec bébé. Mais c’est bien dans Tralala ou La grève que l’on retrouve le thème principal du livre, celui d’exister dans une société aveugle et écrasante, où l’on voit deux personnages qui cherchent à exister (Tralala qui devient une prostituée sans se l’avouer et Harry qui se cherche sexuellement).

Ces nouvelles forment un tout, comme une farandole enlacée, avec ses phrases qui harcèlent le lecteur, sans lui donner la possibilité de respirer. Si le livre se mérite, il a le mérite de poser des questions, mettant en cause une société avide du paraitre beau et sans tâches, éliminant de fait la possibilité de faire sa vie indépendamment des autres. Et tous ces personnages comprendront trop tard leur erreur, la société se vengeant d’eux de façon extrêmement violente.

J’ai eu l’occasion de comparer les deux traductions disponibles en France. Les deux se basent sur le même texte et pourtant, cela n’a rien à voir. Celle de Jeanne Colza me semble plus respecter la forme et le rythme voulu par Selby, mais pâtit de termes argotiques liés à l’époque de la traduction alors que celle de Jean-Pierre Carasso, plus littéraire me semble être une interprétation du texte. Les deux sont intéressantes, respectueuses, surtout quand l’on considère que ce texte est intraduisible, tant les nuances sont difficiles à retranscrire.

Pour peu que vous fassiez un effort, notez ce titre et lisez ce monument de la littérature américaine, qui n’a pas pris une ride et qui pose les bonnes questions sur ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir, notre rapport aux autres et l’image qu’ils ont de nous. Last exit to Brooklyn est un texte puissant, indémodable, grandiose et d’une modernité impressionnante. Un classique !

Coup de cœur !

Je vous conseille aussi de lire ce texte de Jean-Pierre Carasso qui parle sa façon d’appréhender ce texte et ses difficultés. Après cela, vous le lirez peut-être en Anglais !

Blackwater de Michael McDowell : Tomes 1 & 2

Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Traductrices : Yoko Lacour et Hélène Charrier

Annoncé comme une événement éditorial, Blackwater arrive enfin chez nous après quarante années d’attente. L’auteur, Michael McDowell, voulait divertir son public, et lui offrir une intrigue en six tomes à raison d’un par mois. Chez nous, les sorties se feront à un rythme d’un tome toutes les deux semaines. Et quand on voit les couvertures, sublimes, on se plonge avec délectation parmi les flots agités de la Blackwater.

Tome 1 : La crue 

1919. La crue a submergé la ville de Perdido, située aux confluents de la Perdido et de Blackwater. Oscar Caskey et son domestique noir Bray parcourent en barque la ville, à la recherche de survivants. Par la chambre de l’hôtel, Oscar croit apercevoir une ombre ; Bray jette un coup d’œil mais ne voit rien. Oscar tient à y aller, enjambe la balustrade du balcon et sauve une jeune femme, Elinor Dammert.

Mary-Love Caskey mène son clan d’une main de fer et voit d’un mauvais œil l’arrivée de cette jeune femme mystérieuse, qui a soi-disant survecu quatre jours sans manger et sans boire. D’autant plus que d’étranges phénomènes et d’inquiétantes disparitions surviennent. Logeant chez l’oncle d’Oscar, James Caskey, propriétaire d’une des scieries de Perdido, Elinor s’intéresse de plus en plus près à Oscar.

Tome 2 : La digue

Alors qu’Oscar et Elinor se sont mariés, laissant même à Mary-Love l’éducation de leur fille Miriam contre la liberté d’habiter leur propre maison, la guerre sous-jacente continue à couver. Elinor ne prend aucune nouvelle de sa belle-famille et Mary-Love cherche à tout prix comment elle pourrait lui nuire. La mauvaise santé financière des scieries des Caskey, des Debordenave et des Turk va lui en donner l’occasion.

Alors que Perdido reste sous la menace d’une nouvelle crue, les banques refusent de leur prêter de l’argent pour se refaire. Les trois propriétaires s’accordent à faire construire une digue qui les mettrait à l’abri de futures montées des eaux. Pour ce faire, elles embauchent un jeune ingénieur Early Haskew, que Mary-Love propose de loger, car elle sait l’affection qu’a Alienor pour l’eau et ces rivières en particulier.

Mon avis :

Dans une interview, Michael McDowell décrit son écriture comme suit : « Je suis un écrivain commercial et j’en suis fier. J’aime être publié en livre de poche. Et je suis un artisan. Je suis très impliqué dans cette notion d’artisanat, dans le fait d’améliorer mon écriture, de la rendre claire, concise et de dire exactement ce que je veux dire, exactement ce que je pense, d’améliorer ma plume et de faire de mon mieux dans le genre dans lequel j’écris. J’écris des choses qui seront mises en vente dans une librairie le mois prochain. Je pense que c’est une erreur d’essayer d’écrire pour la postérité. J’écris pour que des gens puissent lire mes livres avec plaisir, qu’ils aient envie d’attraper un de mes romans, qu’ils passent un bon moment sans avoir à lutter. »

Je tenais à parler de cette série, puisqu’elle met à l’honneur le roman populaire, celui des grandes épopées familiales, des sagas qui ont marqué l’Histoire de la littérature. A la lecture des deux premiers tomes, je ne peux que confirmer le plaisir ressenti à entrer dans cette histoire, qui comporte tous les ingrédients pour nous passionner.

Outre la présentation de la ville de Perdido, dont l’auteur nous fournit même le plan, nous allons découvrir le contexte économique ainsi que la famille Caskey. Le premier tome va directement nous plonger en pleine catastrophe et permettre de présenter la famille Caskey, Mary-Love qui dirige sa famille d’une main de fer, son fils Oscar Obéissant et James, l’oncle richissime à la tête de la scierie.

A leurs côtés, on trouve les autres enfants mais aussi les domestiques, que l’on appelle ainsi mais qui ressemblent à s’y méprendre à des esclaves. Il faut se rappeler que même si l’intrigue se situe après la première guerre mondiale, Perdido est une ville du sud des Etats-Unis où l’émancipation des noirs n’a pas encore eu lieu. Au milieu de cette famille, va débarquer une jeune femme étrange et surtout étrangère.

Elinor semble avoir un lien étroit avec l’eau mais aussi avec les chênes d’eau qu’elle va planter sur les rives de la Blackwater et qui, bizarrement, vont pousser à une vitesse surnaturelle. Le personnage d’Elinor va permettre à l’auteur d’introduire dans son roman des aspects fantastiques, qui peuvent même pencher du côté de l’horreur. Outre que l’auteur ait été un ami de Stephen King, c’est dans ses moments-là qu’on retrouve une filiation claire entre les deux écrivains.

Michael McDowell va toujours inventer des événements permettant de faire avancer son intrigue et de la faire rebondir. Dans le deuxième tome, ce sera les étapes de la création de la digue et les liens qui vont se créer entre l’ingénieur et la fille de Mary-Love. Et, sous-jacent, comme un fil conducteur, nous allons suivre la guerre que se livrent Mary-Love et Elinor pour le pouvoir, l’emprise sur la famille.

Derrière les couvertures juste magnifiques, on retrouve une intrigue prenante, toujours en mouvement, rehaussée par un style simple et imagé, très évocateur. Le plaisir de lecture est au rendez-vous, ajouté aux remerciements de l’éditeur à côté du code barre pour les lecteurs, ce qui est bien rare. Après avoir fini les deux premiers tomes, je n’ai qu’une envie, plonger dans les deux suivants. Pour mon avis, il vous faudra attendre le mois prochain, à moins que vous ne les ayez achetés avant ! Un conseil : n’hésitez pas !

Oldies : L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

Editeur : Fleuve Noir (Grand Format) ; 10/18 (Format Poche)

Traductrice : Roxane Azimi

Attention, Coup de Cœur !

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Je ne me rappelle plus pourquoi j’avais acheté ce roman, sûrement suite à un conseil d’un collègue blogueur, mais je peux vous dire que je n’ai jamais lu un roman pareil, un voyage entre réalité et imaginaire, un voyage dans les livres.

L’auteur :

Jasper Fforde, né le 11 janvier 1961 à Londres, est un écrivain britannique.

Il a travaillé vingt ans dans l’industrie cinématographique en tant que « responsable de la mise au point » (de la caméra) sur des films tels que Haute Voltige et Golden Eye, avant d’abandonner ce métier afin d’avoir plus de temps pour jouer avec les mots. Il vit au pays de Galles où il pratique l’aviation et la photographie.

Les romans de Jasper Fforde sont publiés au Royaume-Uni et aux États-Unis par Penguin Books. En France, ils sont édités par Fleuve noir, puis en poche par 10/18.

Son premier roman, L’Affaire Jane Eyre, a essuyé 76 refus d’éditeurs avant d’être finalement accepté et publié par Penguin. Le livre a connu, dès sa sortie, un grand succès. L’auteur y raconte l’histoire d’une héroïne nommée Thursday Next qui travaille à la section de la brigade littéraire. Son rôle est d’empêcher les méfaits dont les cibles sont les livres, ou d’enquêter sur eux. Un métier bien tranquille, voire ennuyeux, jusqu’à ce jour où un terrible meurtrier kidnappe Jane Eyre, l’héroïne de son roman fétiche.

Fort de ce premier succès, Jasper Fforde a poursuivi les aventures de Thursday Next dans plusieurs romans. Ces aventures prennent place dans un monde loufoque, une uchronie où la littérature est très prisée (entre autres), et appartiennent en partie au genre du roman policier, mais on peut également les classer dans le genre light fantasy dans la mesure où l’humour en est l’ingrédient dominant.

Paru en 2003, Délivrez-moi ! (Lost in a Good Book), deuxième titre de la série Thursday Next, remporte le prix Dilys 2004.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Nom : Thursday Next

Age : trente-six ans

Nationalité : britannique

Profession : détective littéraire

Signe particulier : vétéran de la guerre de Crimée

Animal domestique : un dodo régénéré, version 1.2, nommé Pickwick

Loisirs préférés : rencontrer des personnages de romans, chercher à découvrir le véritable auteur des pièces de Shakespeare, occasionnellement, aider son ami Spike à traquer des vampires

Mission actuelle : capturer l’un des plus grands criminels de la planète, j’ai nommé… Ah ! c’est vrai, j’oubliais, il ne faut surtout pas prononcer son nom car il vous repère aussitôt ; disons simplement que c’est l’homme qui tue dans un éclat de rire !

Mon avis :

Je n’ai jamais lu un livre pareil. Imaginez le monde comme une sorte de mélange entre réalité et fiction, où vous pourriez rencontrer vos personnages de littérature préférés. Imaginez que vous puissiez entrer dans les livres et en modifier l’intrigue, voire les personnages, si vous aviez en votre possession l’original de l’œuvre. Bienvenue dans ce roman, qui place au premier plan le pouvoir de l’imagination.

En 1985, la guerre de Crimée s’est transformée en guerre mondiale. La Grande Bretagne est dirigée par une hydre nommée Goliath et qui surveille tous les faits et gestes sous couvert de lutter contre la criminalité. Thursday Next est une jeune femme passée par la police (appelée OpSpec pour Service des Opérations Spéciales), puis s’est engagée dans l’armée avant de revenir à l’OS27, la Brigade littéraire. Elle est chargée d’enquêtes liées aux livres, de l’édition de faux manuscrits au vol ou au recel d’œuvres littéraires. Alors que l’Ennemi Public Numéro 1 menace à nouveau Londres, j’ai nommé Archeron Hadès, Thursday est mutée à l’OS05 pour le retrouver mais son intervention pour arrêter Archeron se solde par un fiasco. De retour à l’OS27, elle accepte alors d’être mutée à Swindon.

Ce roman est un étrange roman, nous faisant sans cesse alterner entre monde réel et monde imaginé ou fantasmé. On côtoie les personnages du roman avec ceux inventés par d’illustres auteurs, on est surpris par la peinture de ce monde fictif et bizarrement inhumain (les animaux de compagnie sont des clones que l’on fait naitre nous-mêmes), à tel point que l’on finit par adopter cet univers et se plonger dans une intrigue décalée.

Et on est surpris, à chaque page, par l’inventivité, la créativité de l’auteur, qui arrive à imaginer des passages d’un espace temps à l’autre, qui crée des personnages complètement farfelus qui nous font éclater de rire (et à ce titre, je décerne une palme à Mycroft Next, l’oncle de Thursday pour ses inventions) tout en déroulant une intrigue animée proche d’un roman policier.

Formidable hommage à la grande littérature anglo-saxonne, mais aussi hymne à l’imagination et la la puissance d’évocation de la littérature, ce roman est un OLNI, un Objet Littéraire Non Identifié, qui vous surprendra à chaque page et qui vous enchantera d’un bout à l’autre. Bizarrement, je l’aurai lu doucement, juste pour me délecter de ce monde, pour faire durer un voyage ailleurs qu’on voudrait ne jamais voir finir. Totalement décalé, déjanté, L’affaire Jane Eyre est un livre de fou comme je les aime, un voyage drôle et imaginatif dans le monde des livres.

Coup de cœur !