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Le chouchou du mois de février 2022

Il semblerait que cette année 2022 soit une très bonne année pour tous les amateurs de polar.  Toutes les lectures que j’ai pu lire que ce soit en janvier ou en février sont  intéressantes ;  et si je ne me limitais pas, j’aurais déjà mis trois ou quatre coups de cœur parmi tous les titres chroniqués. C’est encore le cas pour ce mois de février où, quelques soient les titres évoqués, on y trouve de la passion, de l’émotion et une fantastique envie de lire, de découvrir.

Commençant par La cour des mirages de Benjamin Dierstein (Les Arènes – Equinox), un roman terrible qui va mélanger la politique, les magouilles financières et les réseaux pédophiles, un roman porté par deux personnages forts, fracassés, malmenés dans leur vie personnelle mais qui gardent en eux la fibre, la passion de leur métier et la volonté de justice. Avec son style haché, avec son rythme, avec ces images ignobles et ses personnages indescriptibles, ce roman clôt de grande façon la trilogie sur la chute du Sarkozysme. Evidemment, c’est un coup de cœur, évidemment vous devez lire ce livre, ces trois livres, même si certaines scènes le réservent à un public averti.

Dans la catégorie Oldies, Le diable de Glasgow de Gilles Bornais (10/18) nous introduit un nouveau personnage de détective, Joe Hackney, travaillant au Scotland Yard. Il doit résoudre une affaire bien loin de la ville et dès le départ le mystère semble insoluble. Mélangeant le fantastique et le polar pur et dur, Gilles Bornais utilise un style direct, très moderne, proche de Robin Cook, qui contraste avec la période du 19e siècle qu’il décrit. En tant que premier roman d’une série, il donne furieusement envie de se plonger dans la suite des enquêtes de Joe Hackney.

Entendez-vous dans les campagnes d’Ahmed Tiab (Editions de l’Aube) marque le retour d’Ahmed Tiab. Et pour ce roman, il place au devant de la scène Lofti Benattar que nous avons rencontré précédemment dans Pour donner la mort tapez 1. Lofti va quitter Marseille pour se retrouver dans le Morvan, quitter le soleil pour le brouillard. Il va être confronté à une affaire de disparition puis de meurtre.  Comme d’habitude avec Ahmed Tiab, il s’agit de montrer la société française et ce portrait des campagnes ressemble à s’y méprendre à ce qu’on trouve dans les villes que l’on nous montre dans les journaux télévisés, du racisme, des jeunes radicalisés et des gens qui en profitent. C’est à nouveau une grande réussite.

Béton rouge de Simone Buchholz (Atalante – Fusion) marque le retour de Chastity Riley, le personnage principal créé par cette auteure allemande au talent immense. Avec son style direct, elle a réussi à créer un personnage attachant et moderne. Même si on peut regretter une intrigue légère il n’en reste pas moins qu’on a l’impression d’avoir passé un bon moment avec une amie que l’on ne voudrait jamais quitter.

Le carré des indigents d’Hugues Pagan (Rivages – Thriller) : Au tout début de cette année Hugues Pagan a marqué son retour par un roman noir, situé dans les années 70, juste avant la mort de Georges Pompidou. Schneider, de retour de la guerre d’Algérie, revient dans sa ville natale pour une affaire de disparition d’une adolescente, ce qui va venir confirmer tout le mal qu’il pense de cette société ainsi que la couleur noire de sa vie. Hugues Pagan est un pur styliste il le montre encore ici de façon éclatante, flamboyante.

La forêt des silences de Serge Brussolo (H&O éditions) est un roman étrange comme son nom l’indique, un inédit publié directement au format poche, un polar qui va vous faire passer par toutes les émotions et qui balaye tous les genres. Commençant comme un roman angoissant, il continue comme un polar pour tourner petit à petit vers la politique. Ecrit simplement, il malmène ses trois personnages principaux qui vont être confrontés à une intrigue qui va constituer un très bon divertissement

Les cow-boys sont fatigués de Julien Gravelle (Seuil – cadre Noir) : Il est rare de lire un roman québécois et l’occasion est trop belle de plonger dans un polar qui comporte à la fois suffisamment de rebondissements, un personnage vieillissant qui dit ce qu’il pense et langage mâtiné de temps en temps d’expressions du cru ou d’anglicismes. On rentre rapidement dans l’histoire, le style est vif, rapide, et bigrement agréable. Une bien belle découverte

Ordure d’Eugene Marten (Quidam éditeur) : J’aurais pu donner le titre de Chouchou à ce roman tant il m’a impressionné. D’un format ultra-court il propose un personnage d’homme de ménage dans une grande société, isolé, vivant dans un sous-sol loué par sa mère. Puis un événement va bouleverser sa vie. Eugène Marten est un auteur minimaliste et ce qui est effrayant n’est pas ce qu’il écrit mais les vides qu’il laisse entre deux phrases. A la façon d’un Larry Fondation, il nous montre un personnage sans espoir, une ombre qu’on ne voit pas et qu’on ne veut pas voir. Voilà un roman qui a tout pour devenir culte.

Le titre de chouchou du mois revient donc à Les silences d’Ogliano d’Elena Piacentini (Actes Sud). Dans un paysage inventé de village du Sud, encastré entre les montagnes, Elena Piacentini atteint des sommets d’écriture, et recrée une tragédie digne des plus grands, autant par les personnages que par cette intrigue d’émancipation du jeune Libero.

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Les silences d’Ogliano d’Elena Piacentini

Editeur : Actes Sud

Moi qui adore les romans policiers et l’écriture d’Elena Piacentini, que j’avais découverte grâce aux deux Claude regrettés (Mesplède et Le Nocher), je ne pouvais laisser passer son entrée en littérature blanche. Et même si le clivage, l’étiquetage des livres m’horripile, je dois avouer qu’Elena nous offre ici une tragédie de haute volée, un roman époustouflant.

Ogliano, petit village engoncé au pied du massif de l’Argentu, abrite des familles de chevriers. Argentina Solimane a élevé seule son fils Libero Solimane. Pour lui, l’Argentu représente sa vie, son univers, son futur aussi. Quand il avait 18 ans, il avait été invité à une fête au Palazzo Delezio, la demeure du Baron, que tout le monde nommait la Villa Rose. Ces fêtes étaient annonciatrices de l’été.

Libero se rappelle l’enterrement de Bartolomeo Lenzani, un homme violent autant envers les animaux que sa famille. Libero se rappelle avoir sauvé un de ses chiens, tabassé à mort, et l’avoir appelé Lazare. Libero se rappelle que Bartolomeo avait enlevé à sa sœur Fiorella son fils Gianni, alors âgé de 14 ans pour l’envoyer travailler ; Gianni son presque frère puisque lui aussi n’avait pas de père ; Gianni si frêle et devenu un costaud aux mains de géant.

Quand un cri déchire l’assistance, un cri que Libero reconnait entre mille. La magnifique rousse, Tessa Delezio vient de se faire piquer par une guêpe. Libero est amoureux de cette jeune femme de 25 ans, délaissée par son vieux mari. Il décide même d’aller voir Nina, une prostituée brune pour qu’elle lui apprenne les mystères de l’amour. Libero se rappelle aussi ses baignades avec Raffaello, le fils lettré des Delezio. Mais un drame se cache parmi ces montagnes aux cimes intouchables.

Le décor ressemble à s’y méprendre au Sud, à la Corse ou bien à l’Italie, et pourtant il est inventé. Le village ressemble à s’y méprendre à un village de pierre perdu dans les montagnes, et pourtant il est inventé. Les histoires de famille ressemblent à s’y méprendre à celles que l’on connait, et pourtant elles sont inventées.

Elena Piacentini créé une peinture avec un personnage central sensible et innocent pour mieux nous plonger dans une histoire aux accents de tragédie digne des plus grands, qu’ils soient grecs ou français. Elle fait même intervenir en plein milieu des événements les personnages de cette histoire, comme on le faisait en laissant parler le chœur. Pour autant, elle y apporte une touche de modernité par les sujets évoqués et surtout elle y apporte une construction proche du polar.

Elena Piacentini commence en effet son roman par poser le cadre, et les personnages, et propose des anecdotes, sortes de souvenirs que Libero nous partage pour mieux nous imprégner et nous présenter ce village. Dans ces passages, la nature est décrite de façon majestueuse, le paysage est pesant, menaçant comme certains membres de ces familles dont on sent bien l’influence d’une mafia.

Puis elle nous plonge dans l’événement qui va bouleverser la vie de Libero, aussi bien dans sa sphère personnelle que dans son environnement. Le rythme va se faire plus élevé et l’auteure va faire monter la tension, à mesure que Libero découvre des secrets et les mensonges des adultes. Cela débouche sur une fin aussi dramatique que magnifique et démontre que ce roman, porté par une écriture majestueuse, se révèle bien différent de ce que l’on peut lire habituellement.

Histoires de villages, histoire d’éducation, d’émancipation, de secrets et de mensonges, Elena Piacentini nous démontre une autre facette de son talent, cette faculté de nous plonger ailleurs et de nous délivrer un message de liberté. On ressort de ce roman ébloui, épanoui et ébouriffé, et surtout heureux d’avoir arpenté les sentiers de l’Argentu en compagnie de jeune homme devenu grand, comme le roman.

Ne me cherche pas demain d’Adrian McKinty

Editeur : Actes Sud

Traducteur : Laure Manceau

Après Une terre si froide et Dans la rue j’entends les sirènes, cela faisait sept ans que nous attendions la troisième enquête de Sean Duffy ; et ceci d’autant plus que chaque tome de cette série nous laisse en suspens quant au devenir de notre inspecteur.

Fin 1983. Cela fait plusieurs mois que Sean Duffy a été rétrogradé au poste de simple policier de patrouille. Ce jour-là, il rentre au poste avec ses hommes, en prenant soin de ne pas se faire tirer dessus par les membres de l’IRA. Après cette journée éprouvante, une de plus, Duffy finit au pub avec son groupe avant de raccompagner chez eux ceux qui ont trop bu et qui sont incapables de conduire, dont McGivvin dont la femme vent de partir avec les trois enfants.

Lors du trajet, leur voiture heurte un obstacle mais continue sa route. Alors que Sean Duffy ne conduisait pas, sa hiérarchie le désigne comme coupable d’avoir heurté un piéton et le renvoie de la police. Même McFaul qui était au volant, ne s’insurge pas contre cette injustice. Commencent alors pour lui des jours passés entre télévision et bière jusqu’à ce que le MI5 ne débarque et lui propose de retrouver Dermot McCann, un chef artificier de l’IRA qui vient de s’évader de prison, en échange de son immunité.

Duffy se lance donc sur les traces d’un homme qu’il a connu au lycée, bien qu’ils ne fussent pas en bons termes. La dernière fois qu’ils se sont côtoyés, c’était après le Bloody Sunday, quand Duffy a demandé à McCann de rejoindre l’IRA ; proposition qui lui a été refusée sous prétexte que Duffy obtenait de bons résultats scolaires et que l’IRA avait besoin de futures têtes. Duffy va donc visiter la famille puis les amis sans grand résultat, jusqu’à ce qu’on lui propose de résoudre un mystère de chambre close en échange d’informations capitales concernant McCann.

Après les deux fantastiques premières enquêtes de Sean Duffy, on pouvait se demander comment Adrian McKinty allait pouvoir rebondir et nous intéresser avec un travail de patrouilleur. Dès les premières pages, le stress nous prend à la gorge, dans une simple scène où la patrouille de Duffy rentre au poste, une scène tellement visuelle où la menace de se faire tirer dessus suffit à insuffler la tension.

Après le renvoi de Duffy, l’auteur choisit donc une pirouette pour retrouver Dermot McCann, en faisant intervenir le MI5. Cela va à la fois lancer l’intrigue principale, avec le risque associé d’un potentiel attentat à la bombe, mais aussi introduire le deuxième fil directeur du livre, une enquête plus classique de mystère en chambre close. Une nouvelle fois, on se laisse emmener dans cette histoire qui parait improvisée comme l’est la vie …

On retrouve tout le contexte des années 1983 / 1984, la menace perpétuelle des attaques de l’IRA, la grève des miniers en Angleterre qui débute, la poigne de fer de Margaret Thatcher qui ne cède rien, et les Irlandais toujours divisés en deux clans, sans que l’on sache qui fait partie de l’IRA et qui n’en est pas. Si l’enquête policière s’avère des plus classiques, le dernier tiers du roman fait monter le stress comme seuls les grands auteurs savent le faire.

On en apprend aussi un peu plus sur Sean Duffy, sur sa jeunesse et sur sa personnalité. Auparavant, on avait l’impression d’avoir à faire avec un inspecteur doué et obnubilé par la justice. On s’aperçoit qu’il a voulu s’insurger après le Bloody Sunday et demandé à rejoindre l’IRA. Cela laisse augurer de nombreuses possibilités pour la suite. Et on en regretterait presque la toute fin, presque trop romanesque, dans la chambre d’hôpital.

Enfin, Adrian McKinty garde cette plume acérée, descriptive mais sans un mot de trop, et ces formidables dialogues aux réparties cinglantes, à l’humour noir omniprésent teinté d’un cynisme typiquement irlandais. On a toujours droit aussi à une bande-son sans faute (d’ailleurs, les Smiths apparaissent pour mon plus grand plaisir). Toutes ces qualités font de cette série un passage obligé pour tout amateur de polar. D’autant plus qu’il en reste deux à traduire … A suivre ? Il en reste deux à traduire …

Et n’oubliez pas qu’il vous reste quelques jours pour jouer et tenter de gagner la trilogie complète !

L’arbre aux morts de Greg Iles

Editeur : Actes Sud

Traductrice : Aurélie Tronchet

En tant que deuxième tome de la trilogie consacrée au Mississipi, L’arbre aux morts commence juste après les événements relatés dans Brasier noir et s’affiche comme un pavé presque aussi gros que son prédécesseur. Il est donc indispensable d’avoir lu Brasier noir avant de lire celui-ci.

Caitlin Masters et Penn Cage, qui doivent se marier, ont échappé à la mort après l’incendie de la résidence de Brody Royal, où ils étaient retenus prisonniers. Henri Sexton, le journaliste qui a enquêté sur les Aigles Bicéphales, groupuscule raciste anti-noir, s’est sacrifié pour les sauver et a emporté avec lui l’infâme Brody Royal dans les flammes. Mais Caitlin et Penn vont se séparer car la course poursuite n’est pas terminée.

Caitlin Masters veut à tout prix publier les recherches d’Henri Sexton dans le journal dont son père est le propriétaire, en forme d’hommage envers Henri qui lui a confié plus de trente années de documents. De son coté, Penn Cage doit retrouver son père, le vieux médecin Tom Cage, accusé du meurtre de l’infirmière noire Viola Turner, et déterminer une bonne fois pour toutes les zones d’ombre de son passé.

Tom Cage sait très bien qu’il ne peut compter sur personne, sauf Walt Garrity, un ancien Marines et son meilleur ami. Il se retrouve avec un tueur à gages, ligoté sur la baquette arrière, envoyé par Forrest Knox pour le tuer. Car Forrest, chef de la police d’état, veut se débarrasser du vieux docteur pour qu’il ne dise pas ce qu’il sait sur les rencontres qu’il a pu faire dans les années 60, suite aux meurtres de jeunes noirs.

Aussi imposant que le premier tome, ce pavé possède toutes les qualités qui ont fait le succès de Brasier Noir, à savoir une intrigue complexe basée sur un nombre important de personnages ayant chacun leurs chapitres, des rebondissements et des dialogues très bien faits. A la limite, ce deuxième tome, contrairement au premier, apparaît très calibré, et cela se ressent par moments, d’où une sensation de quelques longueurs.

Mais l’impression globale est très positive, et ce roman est à classer dans les polars historiques américains où des personnages fictifs côtoient les faits historiques pour expliquer des événements contemporains. Dans Brasier Noir, Greg Iles montrait comment les dirigeants politiques, économiques et policiers œuvraient contre les noirs, quitte à perpétrer des meurtres pour se débarrasser des personnes gênantes. Ici, Greg Iles décrit comment la mafia de la Nouvelle Orléans a mis la main sur l’économie et la politique, et tente de donner une explication de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Et il décrit aussi comment la mafia a renforcé sa position après l’ouragan Katrina.

Alors la construction est passionnante car faisant avancer les pions sur l’échiquier en fonction des différents événements, passant en revue les conséquences en décrivant les réactions des différents protagonistes. Et chacun va courir après un objectif qui lui est propre, Penn Cage après son père, Caitlin après son scoop, Tom pour sa survie, Forrest pour effacer les preuves et témoins l’incriminant à l’aide des membres des Aigles Bicéphales ; à cela, il faut ajouter John Kaiser du FBI et Walker Dennis le shérif qui représentent le coté de la loi.

Si ce deuxième tome m’a paru un ton en dessous de Brasier Noir, c’est parce qu’on arrive à voir la recette utilisée par Greg Iles pour construire son intrigue. J’ai eu l’impression qu’il en faisait trop, par moments. Pour autant, je l’ai lu avec un grand plaisir et je l’ai trouvé passionnant et convaincant dans sa démonstration des événements survenus en 1963 et j’ai beaucoup apprécié la fin, où certains personnages n’en sortent pas indemnes. Cela augure de belles heures de lecture pour la suite, car toutes les questions n’ont pas encore trouvé leurs réponses. A suivre … avec Le sang du Mississippi.

Format court

Depuis quelques années, les éditeurs nous proposent des polars plus courts, de l’ordre de 150 à 200 pages, là où habituellement, nous avons des romans dépassant les 300 pages. A cause de ce format, il m’arrive de ne pas parler de mes lectures. Le hasard fait que je viens d’en lire deux l’un derrière l’autre et j’ai eu l’idée de les inclure dans le même billet, d’autant plus qu’ils sont, chacun dans un genre différent, très bons.

Atmore Alabama d’Alexandre Civico

Editeur : Actes Sud

Le narrateur va prendre l’avion à destination des Etats-Unis, la Floride pour être précis. Il récupère une voiture de location et prend la route vers Atmore, Alabama. Il débarque là-bas au moment d’une fête qui célèbre l’anniversaire de la création de la ville, où il rencontre Eve, une droguée mexicaine. Entre rencontres avec les habitants et ses balades à pied, son centre d’intérêt devient bientôt plus clair : la prison de Holman Correctional Facility, où sont enfermés les condamnés à mort.

S’il peut apparaître court par le format, c’est surtout un roman plein que nous livre Alexandre Civico, empli de nostalgie et de poésie noire. En lisant les premières lignes, on se rend compte que l’on a entre les mains le dessus du panier en termes d’écriture. Le format oblige a une efficacité de l’expression, et les descriptions sont impressionnantes de concision et de visualisation.

S’il est un roman de l’errance dans un lieu clos, le roman fait la part belle aux personnages secondaires, ceux qui travaillent pour rien, ceux qui boivent leur malheur, qui vomissent leur rancœur contre le rêve américain qu’on leur a vendu. Pour autant, on est bien dans le domaine du roman noir, avec une fin aussi brutale que dramatique et qui rend ce roman unique, immanquable, irremplaçable.

Un noir écrin

Carrément à l’Est de James Holin

Editeur : AO éditions

Le narrateur rencontre un homme qui fait la manche ; peut-être est-il bien aviné ? Il reconnait son vieil ami Roy, avec qui il a arpenté les routes de la Balanklavie. Le narrateur s’était engagé dans une ONG, la YCQF, pour reconstruire ce pays qui a été détruit par une terrible guerre civile. Bien que de passage dans ces terres pauvres, il raconte ce qu’il a vécu, ce qu’il a vu, une année de perte d’illusion…

On connait James Holin pour son humour ravageur. Je peux vous dire qu’il n’a pas changé ! Même si le pays est imaginaire, le contexte fait furieusement penser à l’ex-Yougoslavie. Des jeunes sont embringués dans une reconstruction d’un pays qu’ils ne connaissent pas. Et le roman démarre sur des chapeaux de roue avec des situations ubuesques irrésistibles, telles la présentation du contexte :

« Le cœur montagneux de la Balanklavie se réveille doucement … affreusement amoché. Un doigt sur la carte et voilà trois tribus qui s’affrontent : Dragovites, reconnaissables à leurs moustaches pointées vers le bas, Berzites, moustaches vers le haut, et Sagudates, une en haut et une en bas. »

Les jeunes volontaires bénévoles sont coiffés d’une casquette orange, ce qui permet de les voir de loin. Sauf que les snipers les utilisent comme des cibles. De même, ils construisent 3 ponts pour enjamber une rivière, dont personne n’a besoin. Mais cela permet de se montrer. Et c’est là où le roman touche juste, quand il montre toute l’hypocrisie derrière des actions qui devraient améliorer une situation alors que la réalité est toute autre. Entre rire et sérieux, ce roman est un excellent moment de pure férocité mais louable. Un peu de lucidité n’a jamais fait de mal à personne.

Fendard !

Pour plus d’infos sur ce livre et cet éditeur, suivez le lien

Le chouchou du mois de janvier 2019

Allez, on redémarre pour une nouvelle année après une année 2018 fort réjouissante pour les découvertes de polars. Evidemment, je vous souhaite une excellente année 2019 pleines de lectures fantastiques !

Comme ont pu le constater les fidèles du blog, les chroniques de ce mois ont beaucoup concerné des romans au format de poche et des lectures de 2018. Le seul roman de cette rentrée littéraire étant Dix petites poupées de B.A Paris (Hugo & Cie), où cette auteure britannique arrive encore une fois à nous surprendre dans un polar psychologique ayant pour cadre la famille et le couple. Je suis fan !

L’année 2018 s’est bien mal terminée, avec la disparition soudaine de Claude Mesplède, le pape du polar, le père des blogueurs. J’ai décidé de lui dédier mes chronique Oldies de 2019, en les consacrant à la Série Noire de Gallimard, collection qu’il appréciait tant. J’ai chroniqué ce mois-ci La danse de l’ours de James Crumley, nouvellement réédité par les éditions Gallmeister, un roman qui commence simplement et qui s’avère une enquête furieuse.

Le mois de janvier, c’est aussi le mois de mon anniversaire. Je n’avais pas prévu de publier un billet mais mon amie Suzie m’a fait un cadeau en parlant des 7 jours du Talion de Patrick Senécal (Fleuve Noir), un thriller qui pose la question de la différence entre justice et vengeance, un roman à lire.

Je me lance des challenges dans mes lectures. J’ai décidé de lire La compagnie des glaces de GJ.Arnaud (French Pulp), et j’ai de quoi faire. Les tomes 7 et 8 s’appellent Le gnome halluciné et La compagnie de la banquise et ce sont deux excellents romans à la fois foisonnants et passionnants, qui relancent la série vers des contrées inexplorées. J’ai hâte de continuer !

J’ai aussi fini de lire les aventures de Charlie Parker, le détective récurrent inventé par John Connolly. Je suis à jour de ses romans quant à leur parution en format poche avec mon avis sur Le chant des dunes de John Connoly (Pocket). Encore une fois c’est un très bon thriller, où notre héros, mal en point, a affaire avec des nazis.

Je me suis lancé dans un nouveau challenge, aussi : lire ou relire les aventures de Bob Morane. Comme il y en a beaucoup, je vais me limiter au combat entre notre héros préféré et l’Ombre Jaune, l’un de ses ennemis les plus marquants. La couronne de Golconde d’Henri Vernes (Marabout) est un roman d’aventure exotique qui vaut surtout pour la première rencontre entre les deux personnages et son style imagé, simple et passionnant.

Je continue mon implication dans le Grand Prix des Balais d’Or, en tant que juré, organisé par mon ami Richard Contin. Dans ce cadre, j’ai chroniqué deux excellents polars, très différents, mais qui valent très largement le détour. Etoile morte d’Ivan Zinberg (Points) possède un scénario redoutablement bien construit et nous montre l’envers du décor du cinéma pornographique extrême, avec deux personnages principaux que l’on a envie de suivre. L’essence du mal de Luca d’Andrea (Folio) est un premier roman attachant, à l’atmosphère énigmatique et stressante qui met en scène un scénariste de reportages documentaires en train de se reconstruire et aux prises avec un mystérieux massacre dans les montagnes italiennes ; c’est une grande réussite.

Pour rester dans le noir, Enfermé-e de Jacques Saussey (French Pulp) est un roman orphelin de cet auteur prolifique que j’adore. Depuis quelques romans, Jacques Saussey vire dans une veine plus noire et plus violente. Ce roman parle et défend la cause des Trans-genres, en ne nous épargnant pas les tortures subies par son personnage principal. Lêle s’il faut s’accrocher, c’est un roman important.

Dans le veine Violence à gogo, quoi de mieux que de placer une intrigue en Afrique du Sud, l’un des pays les plus meurtriers du monde ? Avec La mort selon Turner de Tim Willocks (Sonatine), l’auteur nous montre grâce à une intrigue simple, la lutte entre les riches et les pauvres avec un personnage de flic droit et intègre. Duel au sommet et au soleil, si on peut penser à une aventure d’un Rambo moderne, il n’en reste pas moins que la tension est omniprésente.

Une secrétaire de Jérémy Bouquin (French Pulp) est le dernier roman en date de cet auteur que je défends. Conçu comme un hommage envers ses auteurs fétiches (Dantec, Palaniuck, Orwell) mais aussi envers les petites gens qui construisent leur vie comme ils le peuvent, ce roman à l’intrigue mi-policière, mi-fantastique se lit comme du petit lait.

Santiago Quinones, voilà un personnage que je suis grâce à la plume magique de son auteur. Sa troisième enquête La légende de Santiago de Boris Quercia (Asphalte) est d’une noirceur sans fond, et elle nous montre la descente aux enfers de notre inspecteur favori. C’est un roman noir énorme, rare. Et c’est mon premier chouchou !

Mon deuxième titre de chouchou revient à Brasier noir de Greg Iles (Actes sud), le pavé du mois. 1040 pages pour une intrigue se déroulant en 2005 dans le Sud des Etats-Unis. Le format ne doit pas rebuter tant le savoir faire pour passionner le lecteur est impressionnant. Quel talent pour démontrer l’importance et la puissance du Ku Klux Klan encore de nos jours, quel plaisir on prend à dévorer, quelle force émotionnelle passe à chaque chapitre. J’ai été totalement bluffé par ce roman.

Deux chouchous pour bien démarrer l’année, que demander de mieux ?

J’espère que mes avis vous auront aidé dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Brasier noir de Greg Iles

Editeur : Actes Sud

Traductrice : Aurélie Tronchet

Le Père Noël est une des personnes que je vénère le plus au monde. Il a le bon goût de me ramener chaque année des kilogrammes de pages à lire. Cette année, si la masse était aussi imposante que les autres années, le nombre de romans était moins important, à cause ou grâce au Brasier noir de Greg Iles. Presque 1050 pages vont nous plonger dans les années 60, au Mississipi et nous montrer l’importance et l’influence du Ku Klux Klan sur la vie américaine.

Natchez, Mississipi, 1964. Après avoir servi comme cuisinier pendant la seconde guerre mondiale, Albert Norris est revenu dans sa ville natale et y a ouvert un magasin d’instruments de musique. Noir de peau, son activité est respectée de tous et il accueille des jeunes pour qu’ils s’entraînent ou pour accorder leurs instruments. Albert permet aussi à des « couples illégitimes » noir/blanc de profiter de la petite pièce au fond de la boutique, au nom de l’amour.

C’est un bruit de verre cassé qui le réveille cette nuit là. En descendant à la boutique, il voit deux hommes en train de déverser des bidons d’essence dans la boutique. Ils veulent qu’il leur disent où est le jeune noir Pooky Wilson, qui retrouve parfois Katy Royal, la fille du magnat du pétrole et propriétaire de la compagnie d’assurances du coin. Albert ne sait que répondre. Alors les deux jeunes mettent le feu et retrouvent un troisième homme dehors : ils regardent la boutique partir en fumée et Albert mourir dans les flammes.

22 jours plus tard, Frank Knox, Sonny Thornfield, Glenn Morehouse et Snake Knox travaillent à l’usine de piles Triton. Ils en ont marre des noirs, des juifs et de la politique des Etats Unis qui part à vau l’eau. Ils décident de créer un groupe extrémiste plus violent encore que le Ku Klux Klan, les Aigles Bicéphales, qui sera financé par Brody Royal. Leur signe distinctif sera une pièce de monnaie trouée d’une balle pour la porter autour du cou. La cible finale des Aigles est JFK, son frère Robert Kennedy et Martin Luther King.

Natchez, Mississipi, 31 mars 1968. Cela fait deux ans que Frank est mort au Vietnam, mais les Aigles Bicéphales sont plus que jamais vivants. Snake, son frère en a pris la tête. Sonny et Snake kidnappent deux activistes noirs Luther Davis et Jimmy Revels pour les droits civiques et les emmènent vers un endroit appelé L’arbre des morts où ils les assassinent. Ils est vrai qu’ils n’en sont pas à un méfait près, puisqu’ils comptent à leur compteur plusieurs meurtres et le viol de Viola Revels, la secrétaire du docteur Tom Cage.

Trente sept ans plus tard, en 2005. Viola Turner (elle s’est mariée à Chicago et a eu un enfant) qui a fui à Chicago suite à son viol revient dans sa ville natale pour y mourir ; elle est atteinte d’un cancer incurable. Tom Cage va rendre visite à son ancienne secrétaire tous les jours. Le fils de Tom est maire de Natchez depuis quelques années. Ancien avocat, il essaie d’être juste pour sa population, et prend soin de son père, qui a fait une crise cardiaque quelques années auparavant.

Le corps de Viola est retrouvé dans sa chambre. Elle a fini par succomber à son cancer. Shad Johnson, le pire ennemi de Penn Cage l’appelle et lui annonce qu’il a dans son bureau un homme qui veut qu’on arrête son père pour meurtre. Cet homme n’est autre que Lincoln Turner, le fils de Viola, et assure que Tom a aidé Viola à terminer sa vie par un suicide assisté. Cette affaire va remuer de bien vieilles affaires monstrueuses …

La taille du roman ne doit pas vous faire peur. Ce n’est pas parce que ce roman fait 1050 pages que vous devez passer votre chemin. Au contraire, ce roman, par son format, va permettre de montrer la force et l’emprise du Ku Klux Klan sur la vie du Sud des Etats Unis, à tous les niveaux, à un point que l’on peut envisager mais ne surement pas croire. Avec ce roman là, vous allez perdre vos illusions et vos espoirs devant l’ampleur de l’intrigue et de ce qu’elle nous montre.

Je ne connaissais pas Greg Iles, n’ayant jamais lu un de ses romans, mais je dois dire que cet auteur est très doué pour planter un décor et décrire la psychologie humaine. Et avec un sujet pareil, son roman devient passionnant et, en un mot, impossible à lâcher. Car la force et la grande qualité de ce roman, c’est d’avoir descendu son intrigue au niveau des personnages, et d’en faire un roman humain plus qu’un simple polar mené par son scénario.

Et des personnages, on va en suivre un certain nombre dans ce roman, dont tous sont formidables. Au centre, on trouve Penn Cage, qui va se débattre comme un beau diable pour sauver son père, puis sa famille. Penn est en ménage avec Caitlin, grande reportrice qui a remporté le Prix Pulitzer. Tom Cage, quant à lui, va choisir de garder le silence, comme il en a le droit, mais il va semer le doute sur son innocence. Henry Sexton, reporter local, mène sa croisade personnelle contre les Aigles bicéphales et va voir dans cette affaire l’occasion de dénicher l’erreur qui lui permettra de faire tomber Brody Royal. Brody, en voilà un méchant extraordinaire, auquel on peut rajouter les Aigles vivant encore en 2005. Il y a aussi Shad, le procureur, obstiné dans sa quête de faire tomber Tom et par là même Penn ou bien subit-il des pressions ? Et je pourrais continuer cette liste longtemps …

Car la force de ce roman est là : un scénario en béton armé mais surtout une histoire que Greg Iles a choisi de raconter à hauteur d’homme, enchaînant les chapitres consacré à un personnage (sans en faire un roman choral), en décidant de rester humain. Et peu importe le nombre de chapitres, le nombre de pages ou le nombre de rebondissements, quand c’est humainement écrit, c’est passionnant et impossible à lâcher. C’est incroyable, le nombre de scène dont la puissance de force émotionnelle vous arrache des larmes, des sourires ou même des cris de rage.

Car le sujet est aussi révoltant que la forme est émotionnelle : Les arrangements entre amis, le racisme évidemment et les actions du Ku Klux Klan. Mais il y a bien plus encore : Ces exactions existent encore aujourd’hui. Et ces hommes ont tous les pouvoirs, presque jusqu’à la plus haute marche (quoiqu’on puisse se demander qui a fait élire Donald Trump !). Ces gens là détiennent la police, ou plutôt les polices, les médias, la justice et les politiciens. C’est un roman à l’ampleur rare, d’une ambition démesurée, qui a été rendu possible grâce à la passion que l’auteur a su y insuffler. Un roman à ranger aux cotés de ceux de James Ellroy dont il n’a pas à rougir. Oui, oui, à ce point là.

Ne ratez pas les avis de Wollanup et Isis

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu (Actes sud)

Attention, Coup de cœur !

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je me devais de lire ce roman. Tout d’abord, c’est un premier roman, et j’adore ça. Ensuite, les amis Claude Le Nocher et Jean Marc Lahérrère en ont parlé, voire encensé. Effectivement, c’est un roman qu’il faut lire, impressionnant.

Dans les années 60. Pierre Duruy fut un tueur de l’OAS, le genre à ne pas se poser de questions, sans pitié, le genre à tuer de sang froid une femme que l’on soupçonne de faire partie des ennemis.

De nos jours, dans les Vosges. L’usine Velocia fait vivre la petite ville, voire même la région. Tout le monde y travaille, tout le monde se connait. Martel fut soldat à l’armée avant de devenir syndicaliste à l’usine. Puis, un peu par hasard, il est entré au CE. S’occupant de sa mère gravement malade, il se saigne pour lui payer une honorable maison de retraite. Puis, il a commencé à prendre de l’argent dans la caisse du CE. Pas beaucoup, de petites sommes, mais de plus en plus souvent. A la veille du contrôle fiscal du CE, il s’aperçoit qu’il manque 15 000 euros. Comment a-t-il pu se laisser aller comme cela ?

Rita Kleber est inspectrice du travail. Elle est d’une rigueur rare et d’ailleurs, l’affaire dont elle s’occupe est celle d’un stagiaire-boucher qui se fait exploiter par son patron. Elle arrive à dénouer les mensonges du patron et le menace s’il continue son esclavagisme.

Bruce est un collègue de Martel, un mec bati comme un camion. Il passe son temps à sculpter son corps. Pour boucler ses fins de mois, il assure la sécurité de petits concerts. Bruce est le petit fils de Pierre Duruy et le frère de Lydie, jeune femme immature.

Deux événements vont bouleverser la vie paisible de cette petite ville. Une nuit, les patrons de Velocia déménagent une presse de l’atelier sans prévenir personne, pour l’envoyer dans un pays où le cout de la main d’œuvre est moindre. En parallèle, Rita récupère une jeune femme étrangère, très belle, qui semble s’être échappée de son tortionnaire.

S’il y a un roman à citer sur la vie d’une petite ville en temps de crise économique, je crois bien que c’est celui-là. Prenant comme principe de centrer son intrigue sur les personnages, Nicolas Mathieu passe de l’un à l’autre pour faire avancer son histoire, tout en trouvant les petits détails qui font que cette histoire sonne vraie, juste, à tout moment. Même si les personnages ne sont pas forcément sympathiques, on les suit avec un grand intérêt et surtout, on a envie d’en savoir plus.

A la fois chroniques d’un temps qui s’éteint, à la fois chroniques sociales, ce roman se distingue par ces scènes choc, non pas par leur violence mais plutôt par ces petites phrases, ces petits dialogues, qui réveillent en nous ce que certains doivent connaitre aujourd’hui. Et il y en a tellement que c’est difficile pour moi de les citer. Quand Rita négocie avec le boucher, quand elle achète des habits pour la jeune échappée, quand Martel essaie de se sauver, quand les discussions avec la direction tournent autour du déménagement de la presse, ce sont autant de scènes incroyablement justes, vraies.

Ce roman est tellement fort dans sa simplicité qu’il pourrait bien entrer au panthéon des romans sociaux sur la France d’aujourd’hui, juste à coté de Lorraine Connection de Dominique Manotti. Vous n’y trouverez pas de scènes impressionnantes, mais une intrigue implacable, montée avec des personnages simples, des gens de tous les jours comme vous et moi. Et quand vous lirez le dernier chapitre, vous ne pourrez pas oublier ce voyage dans cette petite ville des Vosges, qui vous tirera bien quelques larmes ou bien des accès de rage. Coup de cœur !

La maison des chagrins de Victor Del Arbol (Actes sud)

J’étais passé au travers de son précédent roman, La tristesse du samouraï, malgré tous les avis positifs qui ont été publiés. Il fallait bien que je m’essaie au petit dernier, que je qualifierai de surprenant à plus d’un égard. Nul doute que ce roman sera promis à un grand succès de par son intrigue, ses personnages et sa maitrise.

Eduardo est un peintre doué qui a laissé tomber sa carrière depuis la mort de sa femme et de sa fille dans un accident de voiture. Heureusement que sa galériste Olga, qui a toujours cru en lui, le soutient en lui offrant des portraits à réaliser, ce qui lui permet de survivre. Ses séances de psychiatre, une fois par mois, l’aident bien à tenir le coup, mais il reste dans un état instable. Sa seule satisfaction est de fréquenter sa voisine Graciela à qui il paie la location de son appartement et qui a une petite fille adorable.

Olga le contacte pour lui proposer un marché un peu spécial : Une riche veuve Gloria Tagger, veut qu’il réalise le portrait de Arthur, le célèbre propriétaire de l’INCSA, une des boites de gestion de fonds d’investissement en euros les plus connues. A travers cette peinture, elle souhaite voir ce qu’il y a derrière le visage de cet homme richissime et surpuissant qui a tué son fils, en l’écrasant sur un passage piéton.

Arthur qui purge une peine de prison arrive à se faire protéger au milieu d’une faune qui ne fait pas partie de son monde. Alors qu’il va réussir à alléger sa peine de prison pour bonne conduite, il va pouvoir poursuivre sa quête …

Les deux premiers chapitres sont vertigineux, montrant au travers les yeux de Eduardo son environnement, et Victor Del Arbol écrit comme un peintre construirait sa toile. J’ai tout simplement été époustouflé par ce début, tout en me demandant s’il allait pouvoir tenir jusqu’au bout des 475 pages que comporte ce récit. Puis il introduit petit à petit d’autres personnages, et, comme il est dit sur la quatrième de couverture, ce qui s’apparentait au début à un exercice de style devient un puzzle inextricable.

Alors que le rythme est lent, le style hypnotique et parfois éblouissant nous entraine dans une Espagne contemporaine, en nous détaillant les personnages par une analyse minutieuse de leur passé, et on a l’impression que l’auteur agit comme un médecin légiste, ouvrant le ventre de ses personnages pour en extraire leur racine. Le point commun de tous ces personnages, ce sont leurs cicatrices, ces moments douloureux du passé, leurs décisions parfois aléatoires qui font ce qu’ils sont aujourd’hui, des ombres sans but se fixant un objectif bien mystérieux.

Et au moment où je commençais à trouver le livre un peu long, c’est-à-dire après une grosse moitié du livre, Victor Del Arbol m’a asséné un grand coup de poing derrière la tête. Et ce que je pensais être un gigantesque puzzle devient en fait un château de cartes, que l’auteur a patiemment mis en place, avant de brutalement le détruire, par morceaux, par coups de scènes incroyablement violentes (sans effusions de sang) et incroyablement visuelles. Et tous les personnages se retrouvent liés les uns aux autres par le fil de l’histoire, de leur histoire, de leur douleur, de leur horreur. Avec pour fond de toile ou toile de fond, cette philosophie : la douleur comme règle de vie, la vengeance comme motivation, le malheur comme conclusion.

Victor Del Arbol nous aura proposé avec ce roman une histoire originale, forte, impressionnante et passionnante qui laissera des marques au fer rouge et qui passionnera grand nombre de lecteurs, malgré les quelques longueurs. En tous cas, il passionnera ceux qui recherchent les histoires fort bien écrites pour peu que l’on apprécie les surprises. Comme il est de bon ton en cette rentrée littéraire, sortez des sentiers battus, et laissez aller vos envies, laissez vous surprendre par cette Maison des chagrins.

Femmes sur la plage de Tove Alsterdal (Actes sud)

Voici un premier roman d’une jeune auteure suédoise qui aborde un sujet délicat et difficile, l’esclavagisme moderne.

Quatrième de couverture :

A l’aube, Terese, une jeune Suédoise, se réveille sur une plage du Sud de l’Espagne. Elle descend vers la mer en chancelant et trébuche sur le cadavre échoué d’un Africain. A la faveur de la nuit, une femme débarque en cachette dans le port voisin. Elle est arrivée en bateau clandestinement et a été sauvée des vagues. Elle s’appelle Mary, mais plus pour très longtemps. A New York, Ally tente désespérément de joindre son mari, un journaliste célèbre qui travaille en free-lance. Il s’est rendu à Paris pour écrire un article sur l’esclavage moderne et le commerce d’êtres humains. Bravant sa claustrophobie, Ally s’envole pour l’Europe afin de retrouver le père de l’enfant qu’elle porte.

A travers le douloureux destin de trois femmes, Tove Alsterdal interroge nos préjugés les plus ancrés et fouille les zones d’ombre d’une Europe prête à tous les marchandages. De Stockholm à Tarifa en passant par Paris, Prague et Lisbonne, elle signe un thriller troublant qui conjugue les verbes “acheter”, “vendre” et “tuer” à tous les modes.

Mon avis :

Nous allons suivre le chemin de trois femmes, mais c’est surtout Ally, la jeune épouse de Patrick Cornwall qui occupe le devant de la scène. Alors qu’elle tombe tout juste enceinte, elle va rechercher son mari qui est parti pour un reportage en France à Paris. Elle va découvrir les dessous de l’immigration illégale, mais aussi l’esclavagisme moderne, celui qui consiste à faire venir des Africains pour effectuer des travaux « que les Européens ne veulent pas faire ».

La documentation et la description de Paris est tellement bluffante, les faits divers décrits tellement actuels que l’on s’y croirait. Assurément, Tove Alsterdal a bien potassé son sujet pour les insérer dans son intrigue. Et le roman se lit très facilement, basé essentiellement sur des dialogues.

Mais c’est là où j’ai eu du mal à accrocher : j’y ai trouvé bien peu de psychologie, les dialogues me semblant bien plats et l’ensemble me paraissant finalement plus bavard que passionnant. Et pourtant, le sujet, le commerce de hommes et femmes, me paraissait bien intéressant, et méritait certainement mieux que ce roman au final bien moyen. Voilà donc une lecture qui laissera bien peu de traces.