Editeur : Agullo
Traducteur : Florence Rigollet
Chaque année, je retrouve le Commissaire Soneri comme on rencontre un vieil ami. Lors de cette rencontre, nous devisons sur divers sujets qui bien évidemment dévient sur des sujets contemporains. Avec son air désabusé, il fait montre d’une lucidité remarquable et nous parle ici d’héritage.
Soneri regarde la pluie tomber sur Parme quand Juvara, son adjoint vient lui annoncer la découverte d’un corps. L’homme, retrouvé pendu avec une ceinture, a réussi à sectionner les barbelés enfermant le chantier et pénétrer dans ce lieu peu fréquenté avant de se donner la mort, qui remonte au moins à douze heures. Le problème qui se pose à Soneri est de découvrir son identité puisqu’aucun papier n’a été trouvé.
« Les suicidés sont beaucoup plus clairvoyants qu’on le croit. »
En sortant, Soneri voit une dépanneuse manœuvrer pour emmener une Vespa Primavera 125. Le petit scooter a été trouvé près d’un camp de Roms. Dans la valise du mort, Juvara y trouve des habits de marque. Alors qu’il déjeune avec son ami Nanetti, le téléphone vient les déranger : un homme vient d’être assassiné devant chez lui de 23 coups de couteau, pendant que sa compagne prenait sa douche.
« Les hommes vieillissent mieux que les motos. »
Franca Pezzani les reçoit en état de choc. Elle a entendu l’interphone de la porte, puis plus rien. Quand elle s’est inquiétée, elle est allée voir et a trouvé son mari mort, poignardé. Quand elle donne son nom, Guglielmo Boselli, Soneri se rappelle son surnom, Elmo, l’un des leaders du Mouvement Etudiant de 1968. Pourtant, pour lui, Elmo s’était rangé des affaires politiques. Bizarrement, la Vespa s’avère appartenir à Elmo ; la déclaration de vol date de 34 ans !
« Malheureusement, on a tendance à embellir tous nos souvenirs. La mémoire les arrange. »
Dans chaque roman, Valerio Varesi nous parle d’un aspect de la société avec un recul et une lucidité impressionnante, et propose sa vision avec plusieurs années d’avance. Il faut se rappeler que la série a commencé a être publiée en 2003 et montre des aspects dont on retrouve les conséquences aujourd’hui. Si on répertorie les romans sortis en France par rapport aux dates de publication italienne, on trouve :
Le Fleuve des brumes (2003) : Métaphore entre le Pô et l’état de l’Italie
La pension de Via Saffi (2004) : Regrets vis-à-vis de ses propres erreurs passées
Les ombres de Montelupo (2005) : Les erreurs sur le mauvais jugement de son père
Les mains vides (2006) : Le Nouveau Monde a choisi une idole unique : l’argent
Or, encens et poussière (2007) : La fracture entre les pauvres et les riches
La Maison du Commandant (2008) : Le rejet des étrangers et leur statut de boucs émissaires
La Main de Dieu (2009) : La place de la religion dans la société moderne
« le problème n’est pas tant la mort des autres, mais la part de nous-mêmes qui meurt avec eux. »
Ce roman est sorti en 2010 et aborde le sujet des révoltes communistes des années 60 et de l’héritage à la fois sur la société mais aussi, d’une façon plus intime, sur les conséquences des enfants des leaders. On y trouve une réflexion d’un des personnages interrogés qui dit, (je paraphrase car je n’ai pas retrouvé le passage exact) : Les communistes ont créé le bordel, et les gens veulent des règles, de l’ordre. Il n’est pas étonnant que le peuple se tourne vers l’extrême-droite qui leur promet de la discipline.
« Tout est bon à prendre, surtout quand on n’a rien. »
Quand on voit la situation actuelle de l’Italie, on mesure l’aspect visionnaire de Valerio Varesi. Avec son air débonnaire, son art de l’interrogatoire, où il laisse parler les gens mais sait les provoquer au bon moment, Soneri va réussir à démêler cette pelote de laine bien complexe en nous parlant de nous, en nous mettant en garde. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis senti plus serein après ma discussion avec mon ami Soneri. On se donne rendez-vous l’année prochaine, bien entendu !
« – Qu’avons-nous à voir avec la politique et tout ce qui s’ensuit ? se récria Coriani
– Rien, rien …, répéta Soneri, déçu et rempli d’amertume. Nous, on est seulement là pour ramasser les morceaux. »