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Nuit bleue de Simone Buchholz

Editeur : L’Atalante. Collection : Fusion

Traductrice : Claudine Layre

Ce roman me donne l’occasion de parler de deux retours, celui de L’Atalante dans le monde du polar avec une nouvelle collection nommée Fusion et celui de Chastity Riley sur les étals de nos libraires.

Fusion, voici le nom de cette nouvelle collection estampillée Polar aux éditions de l’Atalante. A sa tête, on trouve Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, connus pour avoir créé l’association Fondu au noir depuis 2007, et éditeurs de l’excellente revue trimestrielle L’indic, une véritable source de savoir du polar.

Chastity Riley a fait une brève apparition en France, aux éditions Piranha en 2015, dans un roman nommé Quartier rouge, qui était le premier de la série. Il nous présentait un personnage féminin complexe, « rentre dedans », extrême, mais aussi attachant et original.

Il est tabassé par trois hommes dans une ruelle et laissé en sale état. Allongé sur son lit d’hôpital, il se fait appeler Joe, car il se terre dans son mutisme et ne veut rien dire. Dans le cadre de la protection des victimes, on lui octroie un policier de garde devant sa chambre.

Chastity Riley est passé tout proche de la correctionnelle. Pour avoir voulu faire tomber son chef pour corruption, on lui offre un placard doré, la création d’un poste de procureure spéciale pour la protection des témoins. Sa première affaire va être celle de Joe et à force de visites à l’hôpital, elle va réussir à lui tirer quelques informations, en forme de pièces de puzzle pour découvrir une affaire qui fait froid dans le dos.

Le titre de ce roman vient directement du nom du bar BlaueNacht, où Chastity passe ses nuits et rencontre ses amis. Je retrouve avec un énorme plaisir ce personnage féminin hors norme dans une enquête qui va petit à petit se mettre en place, au gré de ses errances diurnes (elle s’ennuie dans ce faux poste) et nocturnes dans les quartiers chauds de Hambourg lors de virées alcooliques.

Je ne vais pas entrer dans le détail pour vous décrire Chastity puisque je l’ai fait grandement dans mon billet sur Quartier rouge. Elle s’appuie sur son entourage, entre amis, amies et amants, ainsi que sur sa cicatrice principale, celle de n’avoir pas connu son père. C’est bien pour cela qu’elle reste proche de Georg Faller, un de ses anciens chefs à la retraite. D’ailleurs, ce dernier a conservé une obsession en tête, celle de faire tomber le ponte albanais de Hambourg, Malaj Gjergj.

On ne peut qu’apprécier la façon d’aborder cette intrigue, et ce style direct, fait de petites phrases, en disant peu mais suffisamment pour créer des personnages plus vrais que nature. Ni bons, ni mauvais, ils ont tous une vraie personnalité et une loyauté que seuls les vrais amis peuvent avoir. On ne peut aussi que se passionner par les valeurs disséminées dans ce roman, par les obsessions de ses personnages et par le sujet de fond, une drogue puissamment mortelle qui va déferler sur l’Europe.

Entre deux chapitres, nous trouvons des témoignages ne dépassant pas quelques paragraphes, passant en revue les pensées de certains des protagonistes. Toute l’originalité tient dans ces passages qui vont nous expliquer certaines choses, puis nous embrouiller pour enfin nous montrer que ce qui est montré n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Même la fin nous pousse à nous demander qui, dans cette histoire, a manipulé qui ?

Jetez-vous sur cette enquête de Chastity Riley car vous allez y rencontrer une femme formidable, inoubliable ; vous allez être plongé dans leurs relations, devenir membre de leur clan, au milieu des Klatsche, Faller, Calabretta, et Carla. Et puis, vous succomberez au style de Simone Buchholz, court, simple, rapide. Et même après la dernière page, vous n’aurez qu’une envie : reprendre tout depuis le début, ne serait-ce que pour aller boire une bière au Blaue Nacht.

Ne ratez pas l’avis de Jean-Marc Lahérrère

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L’aigle des tourbières de Gérard Coquet

Editeur : Jigal

Je suis passé au travers de Connemara Black, son précédent roman, alors la lecture de ce roman fait office de session de rattrapage. Je vous propose de partir à la découverte d’un nouvel auteur : Gérard Coquet.

L’action débute en 1981, en Albanie. La dictature d’Enver Hoxha est en bout de course. Les prétendants à la prise du pouvoir sont nombreux. Il n’empêche que ce dictateur, au pouvoir depuis la fin de la deuxième guerre mondiale fait des envieux. Susan Guivarch, membre du PCOF, débarque là-bas pour faire une interview du chef suprême, accompagnée de son fils Robert, dit Bobby.

Cela fait un an qu’elle attend son entrevue : on lui explique qu’elle doit s’imprégner de la culture albanaise. Elle obtient enfin un rendez-vous avec le ministre Carçani. Il lui annonce que le Numéro 2 du régime vient de se suicider et que dorénavant, c’est lui qui lui servira d’intermédiaire. Mais le guide et amant de Susan, Bessian Barjami, sait que l’on ne se suicide pas d’une balle dans le dos. Ils doivent fuir l’Albanie au plus vite, aidés par un contrebandier Zlatko.

Irlande, 2015. Ciara McMurphy est convoquée dans le bureau de son chef. Elle pense qu’elle va se faire renvoyer, mais elle est accueillie par des représentants du MI6 et d’Interpol. On lui demande de mettre la main sur un terroriste international, Bobby le Fou, dit Bobby McGrath, dit Robert Guivarch. La première piste est un corps retrouvé dans une tourbière, sans mains, et broyée par une pelleteuse. Ce n’est que le début d’une macabre série.

Ce roman est surprenant dans sa forme, puisque divisé en deux parties. D’aucuns auraient fait des allers-retours entre le passé et le présent. Gérard Coquet préfère placer sa première partie de 90 pages en Albanie avant d’installer l’intrigue de son polar en 2015. Et autant dans la première partie, on a plusieurs personnages à suivre (Susan, Bobby, les militaires du gouvernement), autant la deuxième partie se concentre sur Ciara.

Et les deux parties sont déroulées selon deux modes de narration différentes : une course poursuite tout d’abord en Albanie, puis une enquête sous couvert de complot, d’espionnage en Irlande. Cela peut donner l’impression d’avoir deux livres pour le prix d’un, ce qui est le cas. Ce qui est sûr, c’est que Gérard Coquet réussit le pari de nous plonger dans deux espaces temps différents, deux lieux géographiques différents et deux genres différents avec à chaque fois la même facilité. Car dans les deux cas, on retrouve la même sécheresse de ton avec un style rêche, âpre.

On ne peut s’empêcher de comparer aussi les ambiances des deux parties : l’air est étouffant, l’ambiance est menaçante, la loi du Kanun albanais (œil pour œil, dent pour dent) fait qu’on ne peut se fier à personne ; en Irlande, le climat est humide et froid, le rythme de la narration y est plus élevé, mais le mystère entourant cette enquête est pesant. On a la sensation que l’on ne nous dit pas tout, qu’on se fait manipuler pendant que le nombre de cadavres augmente sérieusement.

Tout ceci donne un roman au style indéniablement irlandais, et un polar costaud, réussi dans la forme, même si j’ai plus apprécié la deuxième partie, parce que j’ai pu me reposer sur un personnage central fort. C’est un polar qui insiste sur les lois ancestrales implicites, dures, violents et sanglantes, que nous, européens ne pouvons que difficilement appréhender. Et c’est un excellent sujet pour un polar, empli de trahisons, de vengeances et de sang. Après cette lecture, je sais qu’il ne me reste qu’une chose à faire : lire Connemara Black pour retrouver Ciara dans sa première enquête.

Ne ratez pas les avis de Psycho-Pat et de mon ami Jean le Belge

Six fourmis blanches de Sandrine Collette (Denoel-Sueurs Froides)

Après Des nœuds d’acier, Grand prix de la littérature policière, et Un vent de cendres, voici donc le troisième roman de cette jeune auteure. A chacun de ses romans, on change de lieu, de personnages, mais on retrouve toujours ce talent pour faire monter la tension. Bienvenue en Albanie, dans les montagnes enneigées, pour le meilleur … et surtout pour le pire.

Ils sont six jeunes gens, et ont décidé de se retrouver, alors qu’ils ne se connaissent pas. Ils vont partir en Albanie, faire une excursion en montagne, à l’ancienne, dans un pays qu’ils ne connaissent pas et qui est sauvage. Lou est la narratrice de cette histoire. Elle y va avec son compagnon Elias. S’ajouteront à leur voyage un autre couple, Marc et Arielle, et Etienne et Lucas. L’ambiance est bonne et ils se retrouvent avec un guide du cru, Vigan.

Il s’appelle Matthias, il grimpe sur la montagne, portant dans ses bras une chèvre. Il a le Don, celui de déterminer lequel de ces mammifères va apporter le bon augure, la bonne destinée, la chance. Il est sacrificateur dans ce petit village d’Albanie. Son métier est de jeter une chèvre qu’il a choisi du haut des montagnes pour que le baptême, la mariage ou la naissance se passe bien. Le patriarche et légèrement mafieux patriarche nommé Carche lui demande de prendre Artur sous son aile pour lui apprendre le métier. Artur semble doué, mais il étouffe les chèvres avant de les balancer, et semble y prendre du plaisir.

D’un coté, six jeunes inconscients et un guide, de l’autre un sacrificateur, le décor est planté pour une rencontre sous haute tension.

Dire que ce roman ne comporte pas d’action serait mentir. Mais ce n’est pas ce qui a retenu mon attention. C’est surtout la tension qui règne dans chaque page qui rend ce roman stressant. De même, le fait d’alterner les chapitres entre Lou et Matthias est classique, mais cela donne à la fois une possibilité de souffler un peu et de faire durer le suspense. Ce que je veux dire, c’est que le roman se tient du début à la fin, et qu’on a l’impression de le lire en apnée.

Et tout tient dans cette façon de décrire les personnages ou les lieux. Car Sandrine Colette n’insiste pas sur les montagnes, elle ne passe pas son temps à décrire les compagnons de Lou ou à détailler les superstitions de ce petit village. Elle brosse ses tableaux par petites touches, nous rendant complices de l’ensemble, comme si nous étions de connivence avec elle pour connaitre le fond du décor. Nous avons droit à quelques passages nous montrant la beauté immaculée des sommets enneigés, mais Sandrine Colette nous les montre par les yeux de Lou. De même, les fêtes du village nous sont décrites par les yeux de Matthias, d’un air détaché. Cette immersion dans les personnages, parfaitement réussie, nous rend d’autant plus violente la suite de l’histoire.

Cela fait de Six fourmis blanches un roman à la fois au suspense insoutenable et à la fois un roman psychologique impeccable. Sandrine Colette a décidément un style à part, bien à elle, pour nous emmener dans des situations incroyables. Et pourtant, au début, le point de départ est simple, et on se fait des plans sur la suite. Et à chaque fois, l’auteure nous prend à contre-pied. Pourtant, on n’a pas vraiment envie de jouer, car je peux vous dire que le stress va crescendo tout au long du livre, jusqu’à la scène finale, très belle et très visuelle.

Sandrine Colette est sacrément douée, elle a le talent de nous mettre à la place de ses personnages, elle a le don de faire monter la tension par cette façon si subtile de décrire un environnement, elle a l’art de nous surprendre. Le seul point commun que je trouve à ses romans, c’est le huis clos. Dans le premier roman, c’était une cave ; dans le deuxième, c’était une propriété vigneronne, ici ce sont des sommets enneigés. Car l’air de rien, nos alpinistes amateurs se retrouvent enfermés aussi.

Et dire que ce n’est que son troisième roman ! Je me demande bien ce qu’elle va nous réserver par la suite. Un autre décor, d’autres personnages, un autre scenario diabolique. Une nouvelle fois, Sandrine Colette m’a épaté et je piaffe d’impatience, dans l’attente du prochain.