Archives du mot-clé Albin Michel

Les brouillards noirs de Patrice Gain

Editeur : Albin Michel

On termine cette semaine dédiée à Patrice Gain par son dernier roman en date et j’aurais aimé terminer sur une note positive. Malheureusement, je n’ai pas adhéré à cette histoire à laquelle je n’ai pas crue une seconde.

Raphaël, violoncelliste de son état, termine une tournée de six dates sur la presqu’île de Crozon, quand il reçoit un coup de téléphone de son ex-femme Nathalie. Cela fait onze qu’ils ne se sont pas parlés, onze années pendant lesquelles il n’a pas vu sa fille Maude. Nathalie lui annonce que Maude n’est pas revenue de ses vacances aux îles Féroé avec son petit ami Tomo qui est revenu seul et elle lui demande d’aller la chercher.

Raphaël n’écoute que son cœur de père et s’embarque aussitôt pour cette destination exotique et glacée. Dès son arrivée, il entend parler d’un procès retentissant devant avoir lieu bientôt contre des membres d’une ONG Ocean Kepper. Ils sont en effet accusés  d’avoir tué un féringien.

Tout le monde se passionne pour ce procès, mettant en cause le combat de l’ONG contre les traditions de certaines tribus consistant à chasser des baleines et des dauphins avec une sauvagerie venue d’un autre temps. Raphaël se rend vite compte que ni la police, ni le consulat ne cherchent sa fille activement, et qu’il va devoir se débrouiller seul.

On ne peut pas dire que ce roman met longtemps à démarrer : dès le premier chapitre, Raphaël est contacté par son ex-femme, dès le deuxième il traverse les mers et dès le troisième, le contexte de l’ONG est planté. A ce moment-là, on doit être emporté par l’obstination de cet homme pour retrouver sa fille dans un décor frigorifiant, mystérieux et dangereux.

Hélas, moi qui attendais d’être plongé dans ce décor inédit et peu traité dans les romans, je n’ai jamais ressenti l’ambiance bizarre, les pluies frigorifiés, la géographie particulière de ces îles, ni même le contexte important qui s’y déroulait. A partir de ce moment-là, tout m’a paru survolé, plat. Quand on n’entre pas dans un roman, on peut y trouver tous les défauts qu’on veut.

Je n’ai pas cru aux pluies ni aux brouillards. Je n’ai pas cru à Raphaël ni à ses décisions bien souvent étranges. Je n’ai pas cru aux scènes de massacre des mammifères marins. Cela a même fini pas me montrer un message d’une naïveté infantile, dans un monde binaire qui oppose les gentils aux méchants, sans aucune subtilité. Enfin, je n’ai jamais ressenti la moindre once d’émotion.

Je préfère m’arrêter là, ne voulant pas descendre en flamme ce roman. Je préfère rappeler que ceci ne reflète que mon ressenti et que je n’exprime que mon opinion. Je préfère vous laisser votre libre arbitre en allant lire d’autres avis que l’on peut trouver sur Internet, dont beaucoup sont positifs.

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Harlem Shuffle de Colson Whitehead

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

Je n’ai pas encore entamé Underground Railroad que le nouveau roman de Colson Whitehead est déjà sorti. Après deux Prix Pulitzer, Harlem Shuffle est annoncé comme le premier tome d’une trilogie, dont le deuxième tome sortira aux Etats-Unis dès cet été.

Raymond Carney ne veut pas faire comme son père, un truand alcoolique et violent travaillant pour la pègre de Harlem. Il érige en règle de vie une volonté de rester honnête, et de faire vivre sa famille composée de sa femme Elisabeth et de sa fille May. A la mort de sa mère, il a été élevé par sa tante et ressent une responsabilité envers son cousin Freddy, qui cultive l’art de se retrouver dans des embrouilles à cause de ses petits larcins.

Ray Carney a acheté une petite boutique de vente de meubles, son objectif étant de développer son commerce et de proposer à sa clientèle des produits de meilleure qualité. Pour cela, il faut forcément de l’argent, et il lui arrive d’accepter des produits « tombés du camion » qui lui permettent de survivre. Pour lui, tout l’argent mis de côté doit lui permettre d’acheter un appartement plus grand pour sa famille.

Ray aurait dû refuser la proposition de Freddy de faire le receleur pour sa prochaine affaire. Surtout qu’il s’agit du casse de l’hôtel Theresa, une résidence de luxe qui compte comme clientèle toutes les stars de Harlem, mais aussi les membres de la mafia. Mais Freddie va l’entrainer bien malgré lui dans cette (més) aventure, le désignant auprès de ses comparses comme son receleur officiel.

Colson Whitehead nous présente son roman en trois parties, trois facettes d’un seul homme, trois époques mais une seule facette de Harlem, personnage à part entière de cette fresque sur l’évolution de la cause noire aux Etats-Unis. Harlem Shuffle se veut le portrait d’un quartier, et il va balayer la période allant de 1959 à 1964. Et à travers le personnage de Ray, nous allons assister à la vie de ce quartier noir, parallèle remarquablement bien fait.

Colson Whitehead arrive à nous immerger dans ce quartier exclusivement noir dans les années 60, et nous montre sa vie, ses couleurs, ses ambiances, ses bruits, par l’évocation des décors et des personnages. Si Ray est au centre de cette histoire, Harlem en ressort clairement comme son comparse, bien au-delà d’un simple faire valoir.

Ray, justement, personnage complexe, attire à lui la sympathie du lecteur. Simple père de famille dont la seule ambition est d’améliorer le quotidien de sa femme, veut développer son commerce en toute légalité ; mais en toute hypocrisie aussi quand il s’agit de revendre des équipements « tombés du camion ». Au-delà du refus de tomber dans la délinquance comme son père, il se retrouve obligé de suivre son cousin par loyauté familiale.

De 1959 à 1964, en trois parties, nous allons suivre trois facettes de Ray, la première qui concerne la présentation du personnage et de son environnement, la deuxième où Ray montre son coté sombre, pour conclure sur la troisième et la conclusion finale des deux cousins. Des petits trafics à la grande délinquance, la trajectoire de Ray va suivre celle du quartier de Harlem.

Si ce roman apparait plus comme une gigantesque fresque de Harlem, contrairement à ses deux précédents plus engagés pour la cause noire, on retrouve ici quelques remarques acerbes non dénuées d’humour cynique, tels ces pontes de la mafia qui réservent les drogues dures pour les Noirs. On trouvera aussi l’assassinat d’un jeune noir par la police, entrainant une émeute, comme quoi rien ne change, ni là-bas, ni ici. Pour tout vous dire, je piaffe d’impatience de lire la suite …

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

Lady Chevy de John Woods

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Diniz Galhos

L’Ohio semble receler d’un vivier d’auteurs très intéressants et à la clairvoyance remarquable. Il n’y a qu’à se rappeler de Stephen Marklay, Tiffany McDaniel, David Joy, Benjamin Whitmer pour n’en citer que certains. John Woods arrive avec un roman coup de poing, une autopsie de l’Amérique des campagnes, très largement suprémaciste, d’aucuns diraient trumpiste, même si le roman se déroule pendant le gouvernement de Barack Obama.

Subissant les moqueries de ses camarades de classe, Amy Wirkner porte sur son dos le surnom de Lady Chevy, en lien avec son surpoids et son postérieur très large. La fête organisée chez Sadie Schafer regroupe toute sa classe qui va entamer sa dernière année de lycée, avant d’essayer d’obtenir une place en université pour quitter enfin cette petite ville de Barnesville. Paul McCormick et Sadie forment le petit cercle d’amis d’Amy, surtout parce qu’ils se connaissent depuis la petite enfance.

Amy intégrera l’Ohio State University si ses moyennes restent à ce niveau. Elle deviendra vétérinaire, quittera enfin son père, qui a loué ses terres à une entreprise extrayant le gaz de schiste, sa mère qui va se faire baiser tous les soirs par des inconnus, son oncle, ex-soldat, enfermé dans ses théories paranoïaques et suprémacistes, et tous ces imbéciles qui passent leur temps à soigner leur apparence et vomir sur elle. Mais l’université coûte cher, et elle compte sur une bourse et un don de la paroisse.

Brett Hastings représente la loi à Barnesville en tant qu’adjoint du shérif. Il conduit dans le désert, avec comme passager, un homme dont la tête a été recouverte d’un sac poubelle. Randy s’est fait kidnapper parce qu’il est un dealer, parce qu’Hastings veut faire le ménage dans sa ville, à moins qu’il en ait besoin. Il le sort et les deux hommes avancent dans les collines, avant qu’Hastings lui ordonne de s’arrêter. La discussion ne dure pas longtemps et il lui tire une balle dans la tête à travers le sac poubelle.

Toute la ville devient malade, même son frère Stonewall, petit être chétif atteint de saignements et de crises. Tout le monde sait que cela vient des produits qu’ils injectent dans le sol. Paul, ce soir-là, vient voir Amy pour lui demander de l’aide. Il a fabriqué des bombes artisanales pour détruire les installations gazières ; Sauf que leur plan va tourner au drame et Amy va devoir réagir.

John Woods aurait pu donner la parole à Amy, en faire l’unique narratrice ; il a préféré un duo de raconteurs avec Amy et Hastings. Et il ne faut pas prendre ce roman comme un énième roman sur l’adolescence, ou même une simpliste description des campagnes américaines ou encore un pamphlet contre l’extraction du gaz de schiste. Ce serait bien trop réducteur par rapport à ce que John Woods a voulu montrer.

Car dans son premier roman, il a voulu parler de beaucoup de thèmes, et pour cela, il a choisi un personnage féminin hors normes (je ne parle pas de son poids), au sens où il a minutieusement construit sa psychologie. S’il l’a voulue en surpoids, c’est pour montrer une adolescente qui s’est construit un mur contre sa famille, contre ses amis, contre le monde ; et ce mur est tellement haut qu’elle a fini enfermée dans son monde. On la voit ainsi écoutant les autres, regardant les autres, mais ne suivant que son chemin, aidée en cela par une acuité et une intelligence au dessus du troupeau peuplant Barnesville.

Il a voulu aussi son héroïne en prise avec un environnement familial perturbé, mais il n’a pas fait dans la simplicité. Son père d’abord, au chômage, mais responsable, se retrouve obligé de louer ses terres à un processus mortel pour lui et les autres, car c’est sa seule source d’argent. Sa mère ne rêve que de s’enfuir, même s’il ne s’agit que d’une nuit dans les bras d’inconnus.

Enfin, son oncle, que l’auteur a appelé Oncle Tom (quel humour !), apparait comme un homme cultivé, qui est passé par la guerre et qui en a déduit sa propre logique philosophique raciste et s’est donné comme but dans la vie, la sauvegarde de la race blanche. Ces passages, où Amy et Tom discutent en s’entrainant au tir au fusil, sont les plus réussis du livre et font froid dans le dos. Ils apparaissent comme un portrait lucide de l’Amérique contemporaine (et pas que l’Amérique).

Bien sur, on y voit l’église essayer de fédérer cette ville, les riches profiter et les pauvres souffrir, mais on y voit surtout par ces descriptions les campagnes subir les lois des grandes villes, de l’Etat, et le ras-le-bol des politiques (Rappelons nous que ce roman se déroule sous l’ère Obama). On y voit aussi la police, pas plus douée que les gens du cru, à part Hastings, que l’on peut prendre comme un justicier de l’ombre et qui s’avère un assassin qui se débarrasse des gens qui le gênent.

Tout au long du roman, on va se retrouver gêné par ce qui est dit, par la façon dont c’est dit, par les événements qui vont se dérouler. Car on n’y trouve plus de notion de bien ou de mal, la morale n’existe plus, on parle ici de survie ; et pour Tom, il s’agit de survie de la race blanche. Plus que choquant, ce roman est provoquant, poussant toujours le bouchon un peu plus loin, en gardant son ton clairvoyant pour montrer la vérité du terrain, celui que les politiques ne veulent pas voir.

A part quelques passages un peu long où on a l’impression que l’auteur en rajoute, ce roman porté par Amy et Hastings m’a impressionné par ce qu’il montre. J’ai tendance à dire que les auteurs mettent leurs tripes dans leur premier roman, et cela semble être le cas ici, tant John Woods est capable de faire une démonstration éloquente sans jamais juger qui que soit ; au lecteur de se faire sa propre opinion. John Woods a écrit l’autopsie de l’Amérique moderne et il va falloir suivre ses prochains écrits.

Un dernier mot : ne ratez pas la fin, avec quelques retournements de situation qui font que je ne suis pas prêt d’oublier ce roman. Impressionnant !

De silence et de loup de Patrice Gain

Editeur : Albin Michel

Depuis que l’on me harcèle pour que je découvre ce roman et cet auteur, j’ai enfin succombé à la tentation avec le dernier roman en date de Patrice Gain, un voyage dans les terres inhospitalières de la Sibérie. Fichtre !

Anna Liakhovic, journaliste de son état, a accepté de suivre une mission scientifique en Sibérie pour un reportage. Cette mission doit faire des prélèvements en Arctique pour déterminer l’impact du réchauffement climatique sur les étendues glacées. Après la mort de sa fille Zora par noyade et de sa compagne Romane qui s’est suicidée, elle a voulu mettre de la distance avec ses malheurs. Elle débarque donc à Tiksi, une petite ville balayée par le vent glacial du pôle Nord, avant de rejoindre le Yupik, un bateau spécialement conçu pour des températures extrêmes.

Sur le bateau, elle va faire connaissance avec l’équipage, Jens le capitaine, Margot la microbiologiste, Jeanne la glaciologue, Loicet Erwan les marins, Louise la biologiste, Zoe la cuisinière et Valery le militaire russe chargé de les surveiller tous. Puis commence le dangereux périple sur la Lena, entre la dangerosité de la faune et les icebergs qui dérivent suite au réchauffement climatique.

Cela fait deux ans que Sacha, le frère d’Anna, a rejoint le monastère de la Grande Chartreuse, en Isère. Suivant le rythme imposé par l’instance religieuse, entre deux prières, Dom Joseph, puisque c’est son nouveau nom, parcourt un journal, celui de sa sœur. Il va découvrir ainsi le périple d’Anna et toutes les difficultés qu’elle a rencontrées.

Alternant entre 2017 (avec Anna) et 2019 (avec Dom Joseph), Patrice Gain nous déroule cette histoire dramatique voire dure voire glauque sans voyeurisme, sans esbroufe, avec une simplicité remarquable. C’est par ce déroulement inéluctable et cette simplicité de style que passe les émotions avec une efficacité redoutable. Autant dans la vie et les réactions de Dom Joseph que dans le journal d’Anna, on ressent une véracité et une réelle immersion dans la psychologie des personnages.

Ce voyage dans des confins inimaginables, l’auteur va éviter de nous noyer sous des termes scientifiques, mais ne se gêne pas pour nous apprendre beaucoup de choses sur la vie au pôle et sur les conséquences du réchauffement climatique. Etant de formation scientifique, j’ai trouvé ces aspects simples, et très instructifs. Mais le paysage montré dans ce roman ne concerne pas les contrées enneigées mais bien la noirceur de l’âme humaine.

Le choix d’une expédition dans des contrées inhumaines et de présenter la vie d’un équipage en huis-clos se révèle un choix remarquable pour fouiller les psychologies des passagers, la lutte de pouvoir qui tourne à un recours à la force où les femmes deviennent les victimes. Anna, enfermée dans le bateau (au moins dans la première partie du roman) et Sacha / Dom Joseph enfermé dans le monastère ont choisi tous les deux une même punition pour eux-mêmes mais pas pour les mêmes raisons.

Avec une simplicité remarquable dans le style, mais avec une vraie profondeur dans les thèmes traités, ce roman comporte des scènes d’une force dramatique impressionnante et des thèmes tristement contemporains dans l’actualité. L’auteur en conclut que l’Homme est le pire des prédateurs et on ne peut qu’acquiescer et le regretter tous les jours. Il va me falloir lire les précédents romans de cet auteur, tant celui-ci m’a impressionné.

Ohio de Stephen Markley

Éditeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

Suite à tous les éloges publiés sur les blogs, il fallait que je me fasse mon idée sur ce premier roman publié dans l’excellente collection Terres d’Amérique d’Albin Michel. Je ne vais pas le cacher, j’en attendais un Coup de Cœur. Ce n’en est pas un, malgré la puissance du roman et sa démonstration, surtout à cause de sa forme. Je le classerai donc dans les excellents romans, illustrant le constat d’échec de la société américaine.

2007, New Canaan, Ohio. C’est en plein mois de juillet que le cercueil vide du caporal Richard Jared Brinklan, loué chez Walmart, descend l’avenue principale en grandes pompes. Recouvert du drapeau étoilé, accompagné de trompettes et d’une foule reconnaissante, le cortège poursuit sa route avec 4 mois de retard à cause d’une enquête sur les circonstances de sa mort. Autour de sa tombe, quatre de ses amis manquent à l’appel : Bill Ashcraft, Stacey Moore, Dan Eaton et Tina Ross. En 2013, ces quatre-là vont revenir à New Canaan sans se concerter.

Bill Ashcraft aurait bien mérité de faire carrière dans le basket-ball professionnel, s’il n’avait été sceptique envers les informations qu’on lui donne. Remettant tout en cause, même le 11 septembre, il a dû quitter New Canaan pour se créer une vie emplie de vide et de drogues. Ce jour-là, il doit convoyer un paquet scotché dans son dos.

Stacey Moore a fait une belle carrière d’universitaire, enfermant en elle des blessures intimes. Dès sa plus jeune adolescence, elle s’est rendue compte qu’elle était homosexuelle, chose qui n’a jamais été accepté, ni par sa famille ni par ses copains du lycée. Si elle revient, c’est pour parler à la mère de l’amour de sa vie.

Dan Eaton, à l’instar de Richard Brinklan, revient aussi du front. Envoyé en Afghanistan puis en Irak, il prolonge son enrôlement pour éviter d’avoir à affronter sa famille et ses amis, qui ne peuvent s’empêcher de lorgner son œil manquant. Dan aimerait tant mener une vie normale, sans les horreurs qui courent dans sa tête.

Tina Ross n’aura laissé qu’un souvenir à New Canaan, celui d’une Cochonne. Alors qu’elle était superbement belle, sa première expérience sexuelle s’est déroulée sous GHB, droguée et plusieurs fois violée, au vu et au su de tous. Elle a été le témoin de la vie qui s’est écoulée à New Canaan, irrémédiablement marquée par ce drame, avant de partir et devenir caissière chez Walmart.

Il va vous falloir un peu vous accrocher pour apprécier ce roman, et en particulier se laisser emmener par ces quatre personnages dont l’auteur va nous raconter la vie, les bonheurs (un peu) et les malheurs (surtout). Ces quatre parties, entourées par une fantastique introduction (l’enterrement de Richard) et une excellente conclusion, sont parsemées de retours en arrière pour étoffer les psychologies, et pour expliquer pourquoi chacun est parti de New Canaan, presque sans raison apparente.

Personnellement, si la forme convient bien à l’exercice, je lui ai trouvé un manque de subtilité. L’auteur ne peut s’empêcher d’être bavard, même si c’est remarquablement écrit, et certains flashbacks sont inutiles et ne font pas avancer l’intrigue. Par contre, la forme convient bien à la démonstration que veut nous étaler l’auteur, en prenant un sportif doué, une scientifique homosexuelle, un militaire voué aux honneurs et une jeune fille innocente à qui tout aurait dû sourire. Même si les personnages ne sortent pas d’un certain stéréotype connu, ils sont remarquablement bien brossés.

Et on ne pourra dès lors qu’apprécier la passion avec laquelle l’auteur à décrit cette génération post-septembre 2001, qui s’est ouverte au monde sur des mensonges visibles et qui a réalisé que dans son pays, on ne doit pas remettre en cause le gouvernement ni braver les lois de la morale bien-pensante. La trajectoire de chacun de ces jeunes, de même que les cicatrices qu’ils portent en eux, valent toutes les paroles et tous les actes.

D’ailleurs, le titre du roman est trompeur, limitant sa portée à l’Ohio alors que je trouve qu’il est bien plus grand que ce périmètre réducteur. Ohio se révèle donc un excellent premier roman, avec des scènes terriblement violentes, avec quelques défauts dont celui d’être parfois trop démonstratif, mais au message clairement affiché et remarquablement lucide sur le plus grand pays libre qui cache en réalité une éducation castratrice et dictatoriale et une morale en apparence immaculée. A ne pas rater.

Le chouchou du mois d’octobre 2020

Rares sont les mois où je suis pleinement satisfait de mes lectures. Ce mois d’octobre 2020 sera donc à marquer d’une pierre blanche tant, quelque soit le genre abordé, les émotions que j’aurais ressenti auront été fortes, très fortes. Dans ces cas-là, le choix du chouchou s’avère une torture pour moi ; pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ?

Heureusement, dans la liste des huit romans en lice, j’ai décerné un coup de cœur pour un roman qui, malgré ses 600 pages, m’a transporté dans le Hollywood des années 50, parmi les stars vieillissantes du grand écran et les jeunes qui rêvent d’un avenir parmi le paradis qu’elles imaginent et dont elles rêvent. Il s’agit bien entendu de Avant les diamants de Dominique Maisons (La Martinière) et je pourrais encore en parler pendant des heures tant le scénario et les thèmes abordés sont nombreux. Envoutant !

Dans ma rubrique Oldies, j’ai décidé de ressortir une vieillerie dans le but de mettre sous les projecteurs un auteur trop injustement oublié avec Paperboy de Pete Dexter (Points). En racontant une affaire judiciaire sur fond de racisme anti-noir, ce roman se veut surtout une défense du droit de parole et du travail des journalistes, raconté comme une affaire familiale. J’adore cet auteur !

Je ne suis pas un grand lecteur de nouvelles. Pourtant, quand elles sont si bien faite parce que simples (en apparence) et fouillant notre quotidien, cela en devient un régal. Un accident est si vite arrivé de Sophie Loubière (Pocket) va prendre des petits moments de l’existence pour créer toute une histoire en quatre pages seulement. Un sacré tour de force.

Du polar coréen, j’en connais surtout les films, pas du tout les romans. Une toute nouvelle maison d’édition prend le pari de nous faire découvrir des romans en provenance de ce pays si peu connu chez nous. Le jour du chien noir de Song Si-Woo (Matin Calme) est une charge contre les médicaments prescrits pour le traitement de la dépression et en cela, il est frappant. Il permet aussi de découvrir un pays, ses habitants et sa culture, cette pression constante faite sur ses travailleurs pour qu’ils réussissent car l’échec n’est pas imaginable. A découvrir d’urgence.

Comme j’ai adoré Candyland ! Je ne pouvais décemment pas passer au travers de Les lumières de l’aube de Jax Miller (Plon). Oh surprise ! ce n’est pas un roman mais ce que les Anglo-saxons appellent un True Crime, un compte-rendu de l’enquête de l’auteure à propos d’une affaire de disparition de deux adolescentes, qui a obsédé Jax Miller. Bien que ce ne soit pas mon genre de prédilection, j’ai été pris par la passion que l’auteur met dans son écriture, jusqu’à la folie.

Parmi les auteurs dont je ne rate auquel roman, et que je défends, il en est un qui a l’art de construire des intrigues simples de personnages qui cherchent à sortir de la fange. Ange de Philippe Hauret (Jigal), puisque c’est de lui dont je parle, malmène ses deux personnages en s’amusant à flinguer le monde des médias. On y ressent de la rage, de la hargne mais aussi de la compassion envers Ange et Elton que le destin n’épargne.

Lui aussi, je pourrais en écrire des tonnes, en termes de maitrise de l’intrigue policière. Larmes de fond de Pierre Pouchairet (Filatures) reprend deux personnages rencontrés dans ses précédents romans, rajoute une connexion avec un autre polar (Tuez les tous …) et donne une cohérence à son œuvre, qui décrit les magouilles de notre société au travers d’une intrigue menée sur un rythme palpitant.

Le Chouchou de ce mois revient donc à Nickel boys de Colson Whitehead (Albin Michel), une histoire juste hallucinante sur un jeune homme enfermé à tort dans une « maison de correction » parce qu’il est noir. Outre l’histoire, magnifique et dure, il y a la vérité d’une école qui n’a fermé ses portes qu’en 2011 et un style simple et naïf qui, pour moi, en fait un Candide moderne. C’est un roman utile, indispensable, obligatoire.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Nickel boys de Colson Whitehead

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

« Même morts, les garçons étaient un problème. »

Pour son Noël 1962, Elwood Curtis reçut un cadeau qui allait changer sa vie : un disque appelé Martin Luther King at Zion Hill. Les mots gravés sur la galette de vinyle lui apportèrent une vérité : un homme noir a autant de droit qu’un homme blanc. Elwood, jeune noir, se rendit compte qu’il valait autant que n’importe qui. Elevé par sa grand-mère Harriet, il travailla dès l’âge de neuf ans à l’hôtel Richmond à la plonge.

Dans sa volonté d’exister, il chercha à devenir le meilleur à la plonge. Alors que les cuistots organisaient un concours d’essuyage d’assiettes, Elwood fut opposé à Pete, un petit nouveau. Pour le vainqueur, le prix était une encyclopédie complète qu’un représentant avait oubliée dans sa chambre. Elwood gagna et eut toutes les peines du monde à ramener les 10 tomes par le bus. Rentré à la maison, fier de sa victoire, il se rendit compte que seul le premier tome était complet, les neuf autres ne comportaient que des feuilles blanches.

Persuadé de faire la différence par son intelligence, Elwood lisait beaucoup. Les années passèrent et il vit sa chance arriver quand les écoles s’ouvrirent aux jeunes noirs, avec l’arrêt Brown vs Board of education. Elwood avait quitté l’hôtel Richmond pour le bureau de tabac de M.Marconi. Ce dernier l’aida à économiser son argent si bien qu’un jour, Elwood fut capable d’aller à l’université. Alors qu’il faisait du stop pour s’y rendre, une voiture s’arrêta. Il monta sans arrière-pensée. Quand la voiture fut arrêtée par la police, le conducteur noir et Elwood furent accusé d’avoir volé la voiture. Les deux passagers étant noirs, le juge n’hésite pas : ils iront en prison pour vol ; et comme Elwood est mineur, il sera envoyé à la Nickel Academy, une maison de correction chargée de remettre les jeunes noirs sur le bon chemin.

Quelle histoire ! Quel roman ! Ce roman, qui a valu son deuxième Prix Pulitzer à son auteur, m’a ouvert les yeux sur un écrivain hors norme. A la fois engagé pour la cause noire, mais aussi et surtout humaniste, Colson Whitehead construit une histoire hallucinante en prenant le recul nécessaire pour ne pas être accusé de partisanisme, tout en montrant les incohérences qui en deviennent des évidences, des anormalités qui devraient relever du simple bon sens.

On peut donc être surpris par ce style froid, factuel, qui se contente de dérouler les scènes, sans y insérer le moindre dialogue (il y en a moins d’une dizaine dans le roman). Personnellement, j’ai eu l’impression de relire Candide de Voltaire, une version moderne autour d’un combat d’un autre âge, la lutte des noirs pour leurs droits civiques. Le style se veut simple, et les conclusions de chaque scène sont ponctuées de remarques, que même un enfant de dix ans comprendrait et en déterminerait le ridicule.

On peut dès lors trouver un ton de cynisme dans l’écriture de Colson Whitehead, voire même trouver certains passages drôles tant cela nous parait ridicule. Par exemple, quand ils se font arrêter par la police à bord d’une Plymouth Fury 61, le juge en déduit qu’un noir ne peut pas conduire une telle voiture et que c’est donc forcément une voiture volée. C’est aussi dans ces évidences que le roman tire sa force, une force dévastatrice.

A la fois combat pour une cause de toute évidence juste, et malheureusement toujours contemporaine (il suffit de regarder les journaux télévisés), ce roman décrit aussi la perte de l’innocence mais aussi la naïveté d’une partie de la population, par l’écart gigantesque entre les discours officiels et la réalité. Et le retour à la réalité sont illustrés par des scènes de punition (non décrites dans le détail) qui sont autant de rappels sur le chemin qui reste à faire.

En conclusion du roman, Colson Whitehead explique le pourquoi de son roman, nous donne les pistes pour comprendre que ce genre de maison de correction a existé et qu’il s’est inspiré de la “Arthur G. DozierSchool for Boys”, qui a fermé ses portes en 2011 ! D’une puissance rare, ce roman est un vrai plaidoyer rageur contre un combat qui n’est pas fini, et que la lutte doit continuer.

Si vous êtes anglophones, je vous joins l’article du Tampa Bay Times, sinon, je vous joins le billet de Hugues de la librairie Charybde

Buveurs de vent de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Après son transfuge de La Manufacture de livres à Albin Michel, ce roman était attendu avec beaucoup d’impatience mais aussi d’inquiétude. On retrouve dans ce roman toutes les qualités qui nous font craquer pour la plume magique de Franck Bouysse.

Au lieu-dit Le Gour Noir, la légende dit qu’un jour, un homme et une femme sont arrivés avec un enfant. Toujours est-il qu’Elie et Lina Volny furent parmi les premiers à habiter ce coin perdu, surmonté par un viaduc, laissant passer la voie ferrée. Les drames n’ont pas épargné cette famille ; Lina est morte trop rapidement et Elie fut amputé d’une jambe suite à un accident de travail à la centrale électrique. Alors, Elie essaya d’élever sa fille Martha du mieux qu’il put.

Martin est revenu de la guerre et il rencontre Martha dans un bal. Elle est sure qu’ils sont faits l’un pour l’autre. De leur union naît quatre enfants, Marc, Matthieu, Mabel et Luc. Chaque enfant va trouver un moyen d’échapper à ce lieu qui ressemble à une prison : Marc s’évade dans la lecture, Matthieu s’échappe dans la nature environnante, Mabel découvre les premiers plaisirs adolescents et Luc voyage dans sa tête plus lentement et est considéré comme un simplet.

Nul ne sait quand Joyce est arrivé au Gour Noir. Immensément riche, il a donné libre cours à son ambition, sa folie de possession. Il a racheté petit à petit tout le village, renommant les rues à son nom, et bâti la carrière, le barrage et la centrale électrique qui emploie tous les hommes du coin. Joyce est entouré d’hommes de main, Double et Snake, violents et sans morale ; même la police en la personne de Lynch lui rend des comptes.

Les quatre enfants, unis comme les doigts de la main, se réunissent au viaduc, et utilisent une corde attachée au viaduc pour prendre de la hauteur par rapport à la noirceur ambiante. De là-haut, ils voient la nature telle qu’elle est, la faune et la flore intouchées et intouchable, le vent ébouriffant leurs cheveux. Un drame va bouleverser la famille Volny et par voie de conséquence, le village.

Après l’extraordinaire Né d’aucune femme, on pouvait être inquiet quand à la suite qu’allait donner Franck Bouysse à son œuvre littéraire. Dès les premières phrases, on s’aperçoit vite qu’il a choisi de rester dans un environnement rural, dans le Massif Central, en pleine nature. Et la grande nouveauté est que nous avons là un roman avec de multiples personnages, ce qui va donner l’occasion de présenter beaucoup de thématiques.

Evidemment, grâce ou à cause de son précédent roman, beaucoup de lecteurs vont voir dans Mabel le personnage principal, et vont ressentir une certaine frustration quand ils vont voir défiler les autres personnes. Et pourtant, tous ont bien le même poids dans cette intrigue dramatique, qu’ils soient du coté des gentils ou des méchants. Et on a l’impression que c’est plus la vie du village qui intéresse l’auteur, que l’itinéraire de ses personnages.

Franck Bouysse va nous parler de fraternité, de loyauté, de l’adolescence et de la difficulté de passer à l’âge adulte, de la difficulté d’être parent, de lutte des classes, de la beauté de la nature, de la pureté des sentiments. J’ai plutôt eu l’impression que Franck Bouysse voulait nous raconter un conte, pour adulte certes, avec ce qu’il faut de magie dans les images, les décors, les événements, un conte moderne dans un monde intemporel. Et c’est toujours un plaisir immense de se laisser bercer par le style incomparable aussi subtil que poétique, digne des plus grands auteurs contemporains. J’en veux ce passage d’une simplicité évidente et d’une justesse

« La beauté est une humaine conception. Seule la grâce peut traduire le divin. La beauté peut s’expliquer, pas la grâce. La beauté parade sur la terre ferme, la grâce flotte dans l’air, invisible. La grâce est un sacrement, la beauté, le simple couronnement d’un règne passager. »

Si certains peuvent reprocher la dualité Gentils / Méchants, je l’explique surtout par la forme voulue de l’auteur de narrer un conte. Et dans cet exercice là, Franck Bouysse est un conteur hors pair. Seule la fin m’a laissé dubitatif, tant elle est en décalage par rapport à l’histoire et à la morale éventuelle qu’il a voulu mettre dans son histoire. Cela reste tout de même un roman à lire, comme tous les romans de Franck Bouysse.

Des poches pleines de poches – Spécial 813

Voici le retour de cette rubrique consacrée aux livres au format poche. Cette fois, nous allons passer en revue des titres finalistes pour le trophée 813, l’association des amis des littératures policières. Je vous rappelle les finalistes de cette année, dont la liste est disponible sur le blog de l’association ici : http://www.blog813.com/2020/05/les-813-ont-vote.html.

Rejoignez-nous vite à 813 qui regroupe autant de passionnés que d’auteurs.

Nuits Appalaches de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons

Tucker revient de la guerre de Corée et rentre chez lui, dans le Kentucky. Sur la route, il tombe sur une bagarre entre un homme d’une cinquantaine d’années et une jeune femme. Apparemment, il veut la violer. Tucker intervient et sauve Rhonda. Elle vient de perdre son père et c’est son oncle que Tucker a neutralisé. Cette rencontre fortuite va les rapprocher. Ils vont se marier et dix ans après, se retrouveront avec 5 enfants, dont quatre avec des malformations. Alors que Tucker fait du transport d’alcool de contrebande, les services sociaux de l’état envisagent de leur enlever leurs enfants.

Chris Offutt revient à la littérature après une longue absence, pour nous conter la vie de ce jeune couple sur une période d’une quinzaine d’années. On suit avec plaisir cette plume magnifique, à la fois sèche et tendre, directe et lyrique, en fonction de ce qu’elle raconte. L’auteur choisit une écriture factuelle, béhavioriste quand il parle des actions humaines et se permet des envolées magiques quand il évoque la nature. Il place d’emblée une antinomie entre le calme de la végétation et l’excitation humaine.

C’est aussi l’évocation d’une famille pauvre, cherchant à créer une famille et à élever leurs enfants, et dont les événements malheureux qui leur arrivent viennent systématiquement de l’extérieur. Tucker apparaît alors comme un père de famille responsable, prêt à flirter avec la délinquance pour défendre sa famille et Rhonda une mère aimante de son mari et de ses enfants. Si la psychologie est simplissime, le ton n’est pas au jugement, l’histoire se révèle belle, formidablement bien racontée et rappelle de grands auteurs tels Steinbeck ou Hemingway (parmi ceux que je connais).

De bonnes raisons de mourir de Morgan Audric

Editeur : Albin Michel (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

A Pripiat, en Ukraine, non loin de Tchernobyl, le cadavre d’un homme est découvert par un groupe de touristes, suspendu à la façade d’un immeuble. L’identité du mort, Leonid Sokolov, fait apparaître qu’il est le fils d’un ancien ministre soviétique. Le capitaine de police Joseph Melnyk va être chargé de l’enquête, aidé par sa subordonnée Galina Nowak, tout juste sortie de l’école de police. En parallèle, Alexandre Rybalko est contacté par le père et, moyennant finances, il accepte de trouver le coupable et de le tuer. Les deux policiers, Melnyk et Rybalko vont arriver à la même déduction séparément : ce meurtre est lié à celui de sa mère, Olga Sokolov, survenu en 1986, le jour de l’explosion de la centrale nucléaire.

Étiqueté (à mon avis à tort) thriller, ce polar / roman policier vaut plus que le détour tant la façon de plonger le lecteur dans un monde inconnu est fascinante. Pour le côté thriller, il y a peu de scènes sanguinolentes, à part la découverte du corps et son autopsie. Par contre, du côté de la vie des Ukrainiens, ce roman est une mine d’informations et à ce titre, on apprend plein de choses et cela en devient passionnant.

On pardonnera bien volontiers la présentation des deux personnages principaux, pleine de clichés, Melnyk étant un flic droit, cinquantenaire, débonnaire, lourdaud mais efficace, doté d’un sens de l’observation aigu et d’une loyauté sans faille envers son travail, Rybalko étant condamné par un cancer, alcoolique, divorcé, déprimé, mais redoutablement efficace.

Par contre, lors des méandres des deux enquêtes, l’auteur va aborder la vie quotidienne des Russes et des Ukrainiens, la corruption, la peur ancestrale et datant du communisme de l’échec, le règne de l’argent, l’impunité des politiques véreux, les rapports de force entre les habitants, et aussi la vie disparue des environs de la centrale, la folie et la curiosité malsaine des touristes, la nature qui revit dans un environnement létal, les luttes des écologistes pour faire entendre leur voix, la désorganisation sur le terrain d’une société qui veut se montrer irréprochable, les violences conjugales qui sont « normales » chez eux, …

Ce roman est une véritable réussite, que l’on n’a pas envie de lâcher tant chaque page nous apporte une nouveauté, aussi bien sur la vie dans cette zone aujourd’hui, que ce qu’il se passait à l’époque du KGB, où on pouvait torturer quelqu’un tant qu’il n’avait pas avoué, car l’aveu est la seule chose qui comptait. Je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur ce roman tant l’immersion est totale et le dépaysement garanti. Un excellent polar.

Surface d’Olivier Norek

Editeur : Michel Lafon (Grand Format) ; Pocket (Format poche)

La capitaine Noémie Chastain reçoit de la chevrotine en pleine tête lors d’une intervention visant à arrêter un trafiquant de drogue. Défigurée, elle va subir de nombreuses opérations chirurgicales ainsi qu’un suivi psychologique du docteur Melchior. Quand elle sort de l’hôpital, personne ne veut d’elle, ni sa hiérarchie, ni son compagnon Adriel. Le compromis se trouve dans une mission au fin fond de l’Aveyron, à Avalone, où elle doit observer l’activité du commissariat en vue de diminution de budget. Bientôt, un fût dans lequel dort le corps d’un jeune garçon remonte à la surface d’un lac. Noémie apprend alors que l’ancien village a été noyé pour créer un barrage. C’était en 1994, 25 ans auparavant.

Les premières pages de ce roman, les 70 premières pour être précis, sont totalement prenante et fascinante, à la fois d’un point de vue psychologique, que d’émotion retenue. La descente pour enfermer Sohan, trafiquant de drogue sans scrupules, tient en un chapitre. Et le retour de Noémie Chastain à la vraie vie est d’une justesse qui m’a fait réaliser le drame qu’elle a subi. Justesse que l’on retrouve quand elle change de prénom, passant de Noémie à No. Justesse encore quand le fût rempli par un cadavre fait surface, créant un parallèle entre le visage à moitié défiguré et le village englouti, entre la part visible de Noémie et sa par d’ombre qui ne s’accepte pas.

Et puis, il y a cette enquête, cold case vieux de 20 ans, qui est bien menée, qui possède un scénario fort bien trouvé, mais qui perd à mon gout, sa justesse, son efficacité du début. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. C’est un très roman policier, les pistes ne sont pas nombreuses, l’intrigue avance avec difficulté, les suspects ne sont pas nombreux mais tous potentiellement coupables. Tout y est bien fait. J’ai juste eu l’impression qu’Olivier Norek en rajoutait alors que cela n’était pas utile. Du coup, ce roman sera pour moi un très bon roman policier au lieu d’être un coup de cœur.