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Nous sommes bien pires que ça de Guillaume Audru

Editeur : Editions du Caïman

Cela peut ressembler à une lapalissade, et pourtant, chaque nouveau roman de Guillaume Audru est attendu comme le facteur qui m’apporte des livres à lire. J’ai ouvert avec fébrilité l’enveloppe, sachant que l’auteur s’attaquait à un sujet bien difficile, les bagnes positionnés en plein désert algérien pendant et après la première guerre mondiale.

1955. Gabriel Fleurus débarque en Algérie sous un soleil étouffant. Depuis l’insurrection de la Toussaint, la situation reste fortement tendue, en Kabylie comme ailleurs. Il arrive à Bougie et se dirige vers l’hôpital, où il a rendez-vous avec le colonel Julien Gardanne. Ce dernier lui a envoyé une lettre pour lui parler de Simon Fleurus, le père de Gabriel et des circonstances dans lesquelles ils se sont côtoyés.

1918. Le capitaine Simon Fleurus s’est illustré lors des batailles de la Marne et de Verdun, mais sa réputation auprès des troupes s’est ternie suite à sa participation aux tribunaux militaires condamnant les mutins du Chemin des Dames.

1919. La guerre finie, le capitaine Simon Fleurus n’en peut plus des horreurs de la guerre. Chargé de comptabiliser les corps sur le champ de bataille, de leur trouver un nom, il demande sa mutation. Sa hiérarchie ne l’entend pas de cette oreille. Le colonel Duchet et le général Bréville le chargent d’une mission d’enquête auprès des bagnes que la France a installés en Algérie, pour mater les récalcitrants à l’autorité. Le capitaine, forcé d’obéir aux ordres, prend donc la direction de Marseille puis d’Alger, avant d’entamer une marche de plusieurs jours dans le désert vers Ouchkir, un nom associé à l’enfer.

Il semblerait que Guillaume Audru nous fasse voyager par l’intermédiaire de ses polars. Après l’Ecosse (L’île des hommes déchus et Les chiens de Cainrgorm), et un bref passage par le France (Les ombres innocentes), nous prenons la direction de l’Algérie, au lendemain de la première guerre mondiale. L’auteur va nous parler d’événements peu connus, les bagnes situés en plein désert.

L’atmosphère lourde et étouffante va appesantir l’ambiance de ce roman, dans un climat torride le jour, glacial la nuit. Sous un soleil implacable, de pauvres bougres cassent des pierres sous l’œil froid des gradés pour les remettre dans le « droit chemin ». On ne leur reproche que des broutilles, pour la plupart, une insulte envers un supérieur, voire juste refuser de porter un pantalon trop petit.

On assiste effarés à la discipline, poussée à ses extrémités, transformant des hommes à l’état de choses. Cette maison de correction visant à remettre ces jeunes gens dans le droit chemin se transforme alors en camp de concentration où les surveillants peuvent s’en donner à cœur joie sans risque de représailles. En face d’eux, le capitaine Fleurus, avec ses fragilités (on le voit pleurer devant la dureté des conditions de vie) et le major Louis Zamberlan, fils de général et étrangement distant, se retrouvent seuls dans cette bataille, d’autant plus que les morts vont s’accumuler.

On connait l’existence de bagnes depuis le dix-huitième siècle et même peut-être avant. La situation présentée ici est d’autant plus inacceptable que la guerre est finie, que les sanctions exigées par la discipline armée ne sont plus nécessaires, que les causes même qui ont amené ces jeunes dans le désert sont idiotes en temps de paix. Cette illustration de l’obéissance aveugle mais aussi des monstres qui peuplent les armées nous touche devant tant d’absence d’humanité.

Même si les personnages sont très clivés, opposant les méchants et les gentils, le scénario, les décors et les ambiances nous plongent dans un monde impitoyable d’un autre temps, où les limites n’existent plus. Humainement fort, avec un sujet peu abordé, ce roman mérite aussi que l’on se penche dessus pour la formidable plume évocatrice de Guillaume Audru, très littéraire, qui ajoute au plaisir de lecture.

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Marseille 73 de Dominique Manotti

Editeur : Les arènes – Equinox

Après Or noir, Dominique Manotti continue son exploration de la situation de la côte d’Azur en 1973, à travers son personnage récurrent de Théodore Daquin, plus jeune commissaire de France et homosexuel caché, car cela ferait tâche d’huile dans la police marseillaise. Retour donc sur une période noire de notre histoire contemporaine où l’on assassinait impunément les Algériens.

La situation est explosive à Marseille pendant cet été 1973. De nombreux assassinats de ressortissants algériens ont lieu dans la cité phocéenne et ses environs et la police locale, la Sureté, classe systématiquement ces affaires en non-lieu ou en « règlement de comptes entre bandes rivales ». Il faut dire que l’amnistie de l’OAS de 1968 a permis de réintégrer certains de ses membres dans la police. De son côté, la résistance algérienne s’organise pour lever des fonds pour renverser Houari Boumediene. Et depuis juin 1973, les étrangers doivent justifier d’un contrat de travail et d’un logement décent pour obtenir un titre de séjour.

Le commissaire Théodore Daquin est chargé de la permanence au bureau de la Police Judiciaire, pendant ce week-end du 15 août, dans l’attente du nouveau patron. On déplore encore un mort et un blessé lors d’une rixe ; algériens, bien sûr. Alors qu’il reçoit son amant Vincent, avocat, Daquin apprend que cette affaire se terminera par une légitime défense, lors d’une rixe entre un français et trois algériens.

Le lundi 20 août, le commissaire principal Percheron débarque, avec l’assurance d’une armoire à glace. Il charge Daquin et son équipe de se rapprocher de l’antenne de Toulon qui enquête sur l’UFRA, l’Union des Français Repliés d’Algérie, qui pourrait ouvrir des centres d’entrainement et ainsi préparer des attentats contre les « traîtres français » qui ont abandonné l’Algérie et les ennemis algériens.

Le dimanche 26 août, un déséquilibré va égorger le conducteur d’un bus et poignarder quatre passagers, avant d’être maitrisé. Ceci va entraîner une grève des traminots. Le mardi 28 août, Malek, un jeune homme de 17 ans attend sa petite amie. Deux voitures passent, repassent puis s’arrêtent. Les armes sortent, il est abattu de sang froid de trois balles. Daquin et son équipe se rendent sur place. Leur rapport est contradictoire avec celui de l’équipe de la Sureté passée juste avant.

Dominique Manotti prouve encore une fois sa valeur dans le paysage du polar français. Cette grande Dame du Noir utilise sa formation d’historienne et illustre une situation actuelle à l’aide d’un événement passé, fût-il du passé récent. Elle démontre combien l’étude de l’histoire est une science importante qui peut nous éviter de refaire les mêmes erreurs. Je pense qu’il est inutile que j’illustre plus avant mes arguments.

Parler de la situation de l’Après-Guerre d’Algérie, positionner cette histoire dans un contexte éminemment compliqué et le rendre fluide au lecteur, c’était un pari qu’il fallait oser relever. Car comme à son habitude, elle entoure son personnage central (Théodore Daquin) d’une multitude de gens au second plan, qui mériteraient presque de figurer sur le devant de la scène. Ce qui est inédit à Marseille, c’est que la Sureté et la PJ se partagent un même local, appelé l’Évêché, d’où des relations et connivences entre les deux services aux hiérarchies différentes et souvent concurrentes.

La plus grande partie de l’intrigue se situe dans les services de police, et ils sont pléthore à Marseille. Pour bien commencer la lecture et positionner chacun à son poste, je conseillerai presque de lire la postface qui décrit les différences entre la Police Urbaine (de proximité), la Sureté (chargée des crimes locaux) et la Police Judiciaire (chargée des crimes nationaux ou de grande envergure).

Dominique Manotti va donc planter le décor dans un endroit où la situation est particulièrement tendue, voire explosive même si les exactions décrites dans le roman ont eu lieu partout en France. Ponctuant ses chapitres (courts, c’est une marque de fabrique made in Manotti) d’extraits de journaux, alimentant son histoire de faits divers et de personnages réels, l’effet n’en devient que plus immersif et passionnant.

Pour autant, je ne pense pas que l’auteure ait voulu pointer du doigt les violences policières, mais plutôt la faculté française à accuser les étrangers, ceux qui sont différents, de tous nos maux ; même si la situation à l’époque était particulière. Elle montre aussi l’aveuglement des politiques, l’asservissement des journalistes et les liaisons troubles entre la justice et la police. Elle nous démontre aussi d’une grande manière le racisme commun, celui que l’on entend tous les jours au coin de la rue.

Alors que le roman commence doucement, il faudra attendre une cinquantaine de pages et l’assassinat de Malek pour voir l’intrigue décoller. A ce moment-là, on voit les pièces de puzzle se mettre en place, la tension monter dans un suspense insoutenable. Car on ne sait pas si cela va se terminer bien ou mal, étant donné le nombre de crimes impunis dont on nous a parlé auparavant.

Autant vous dire que c’est tout de même un sacré pavé, 380 pages et que pour vingt euros, on en a pour son argent. Il faudra juste s’accrocher un peu avec le grand nombre de personnages que l’on suit, et prévoir plus d’une heure de lecture à la fin, car elle est haletante et il est impossible de faire une pause dans sa lecture. Avec ce nouveau roman, Dominique Manotti tient son rang et nous apprend un pan de notre histoire, qui nous appartient aussi, et qu’il nous faudrait bien remâcher pour éviter de faire les mêmes erreurs et répéter les mêmes crimes.

Telstar de Stéphane Keller

Editeur : Toucan

J’avais été très impressionné par le premier roman de Stéphane Keller, l’année dernière, Rouge Parallèle, par son intrigue qui s’appuie sur trois personnages forts et par sa faculté à nous immerger dans une autre époque, les années 60. Telstar sort moins d’un an après et reprend les mêmes personnages.

Une suite ? Non, plutôt une explication du parcours des policiers et militaires rencontrés dans Rouge Parallèle. Les anglo-saxons appellent cela un pre-quel ; moi j’appelle ça un « Revenons en arrière » ! Original, non ? Et donc, pour bien appréhender les Lentz et Holliman, quoi de mieux que de les envoyer dans les années 50, plus précisément 1956, en Algérie.

Alger, 24 décembre 1956. Le corps d’une jeune fille est retrouvé. Elle a été violée puis étranglée ; il lui manque une socquette. Pour l’inspecteur principal Brochard, ce n’est qu’une horreur de plus dans un pays de plus en plus ensanglanté. Depuis le début du mois, ce sont plus de 120 attentats mortels qui ont déferlé, dont la responsabilité incombe au FLN, le Front de Libération Nationale. Son adjoint, Joanin ne s’est pas encore remis d’un massacre dans une petite ferme du coin. Sa mère leur donne son nom : la petite s’appelait Henriette Pellegrini. Quelques témoins font état d’une voiture américaine de couleur, avec à son bord un homme blond. Cela n’arrange pas Brochard qui viserait plutôt les fellaghas.

Chypre, 24 décembre 1956. L’armée franco-britannique a remporté la victoire du Canal de Suez face à Nasser mais a dû faire marche arrière sous la pression des Américains et des Russes. Alors l’état major leur ordonne de rallier Alger, pour sécuriser la situation. La 10ème DP, accompagnée du capitaine Jourdan allait s’atteler à cette mission. Ils avaient carte blanche. La chasse au FLN débutera dès le 26 décembre, date de leur arrivée sur place. Par contre, Jourdan devra se coltiner la colonel Stuart Hollyman, observateur américain sur place.

Sainte Marthe, 25 décembre 1956. Norbert Lentz est un simple soldat, dont l’objectif et la motivation tiennent en quelques mots : faire la chasse aux communistes. Et il est sur d’en trouver à la pelle en Algérie. Direction donc Marseille, pour embarquer vers cette colonie qui a la prétention de revendiquer son indépendance. Il va leur faire passer cette envie, aux communistes …

Que c’est dur de faire un résumé du contexte de ce roman, environ les 50 premières pages, alors que la situation est inextricable. Après Rouge parallèle, l’auteur m’avait indiqué qu’il envisageait de traiter cette période sanglante pour y placer quelques uns de ses personnages, et expliquer leur histoire. Alors, si je dois vous conseiller quelque chose, c’est de lire celui-ci avant Rouge parallèle … ou pas. En fait, je pense que l’on peut suivre un déroulement chronologique mais on peut aussi lire Telstar en premier. En aucun cas, vous ne serez gêné dans votre lecture.

Passé cette introduction, je retrouve la puissance d’évocation de cette période, la sensation de danger permanent alors que le style de l’auteur est plutôt descriptif. Stéphane Keller nous montre la difficulté de cette situation qui ne peut que dégénérer, où les différents camps en présence se livrent à une guerre mortelle sans aucun état d’âme. Aux attentats aveugles, la police française y répond par des meurtres sans enquête pour boucler ses dossiers et l’armée se livre à des tortures qu’on a du mal à imaginer.

En fait, Stéphane Keller arrive à atteindre le juste équilibre entre personnages et contexte, entre action décrite et dialogues réduits au strict minimum. Et surtout, il réussit la gageure, en s’appuyant sur une documentation sans faille mais pas lourdingue, à nous montrer toute l’inhumanité des hommes quand ils sont persuadés de leurs actes. Il n’est pas étonnant que l’on ait vu aussi peu de romans traitant ce sujet et il semble bien que les vannes de l’imagination littéraire s’ouvrent depuis peu. Et c’est finalement une bonne chose pour l’Histoire.

Quant à Stéphane Keller, il passe haut la main le risque du deuxième roman en gardant le même thème. Et ça, c’était un sacré pari, un pari qu’il a formidablement transformé. Enfin, le titre, il s’agit d’un titre des Tornadoes, sorte de musique désenchantée, qui tourne en rond comme si les hommes refaisaient tout le temps les mêmes erreurs.

Ne ratez pas les avis de Wollanup

Adieu Oran d’Ahmed Tiab

Editeur : Editions de l’Aube

Ce n’est un secret pour personne, je suis fan de cet auteur algérien, dont c’est déjà le 5ème roman, après Le Français de Roseville, Le désert ou la mer, Gymnopédie pour une disparue et Pour donner la mort, tapez 1.

A Oran, les Chinois ont débarqué en force, en particulier pour construire des quartiers entiers abritant à court terme des failles asiatiques. Les autorités ne disent rien, pourvu que l’argent rentre. C’est sur un chantier que Kemal Fadil est appelé, pour prendre en charge une affaire de meurtres de deux Chinois, dans un quartier malfamé de la ville. Mais quand il arrive, il apprend que les corps ont disparu, qu’ils ont été rapatriés par les autorités asiatiques.

L’Algérie est aussi aux premières loges des vagues de migrants, ce qui est mal vu de la population. Fatou, originaire d’Afrique noire est sensible à cela, et en tant qu’infirmière, aide ces pauvres gens pour les soigner. C’est d’ailleurs elle qui alerte Kemal Fadil sur la disparition de quatre enfants. S’agit-il d’un enlèvement ?

Entre Chinois et migrants, les Algériens n’ont plus l’impression d’être chez eux. D’autant plus que les rivalités entre bandes font l’objet de fusillades avec de nombreuses victimes à déplorer. Si l’on ajoute que le pouvoir est déficient ou absent, tous les ingrédients sont présents pour une situation explosive, dont la conclusion va se révéler plus noire que tout ce que l’on peut imaginer.

On avait l’habitude de lire des romans policiers de la part d’Ahmed Tiab. Nous voici dans un roman d’une noirceur prégnante qui flirte avec la géopolitique. Mais Ahmed Tiab pose cette problématique au niveau des gens, du peuple, à travers Kemal qui doit faire face à une société de plus en plus cosmopolite et violente, de Fatou qui en tant qu’infirmière s’efforce de rester humaine et de respecter le serment d’Hippocrate et de Léla, la mère de Kémal, qui désespère de voir son fils se marier, et qui, du fond de son fauteuil roulant ne souhaite qu’une chose : que rien ne change, que rien ne vienne impacter ses souvenirs.

J’ai l’habitude d’une certaine originalité dans la façon de mener une intrigue. Ici, Kemal ne va pas rester au premier plan puisqu’une bonne moitié du roman va être consacrée au trafics d’humains, pour fournir de la chair fraîche aux réseaux de prostitution et de pédophilie. C’est vrai que les migrants sont des cibles faciles puisque personne ne va s’inquiéter de leur absence ou disparition. Et quand les services de police sont impliqués dans ce trafic pour toucher leur part du butin, cela contribue à déstabiliser un pays.

C’est un roman bien noir que nous offre Ahmed Tiab, comme un écho aux événements récents survenus en Algérie cet hiver. Il ne se veut pas une explication ou une démonstration, il ne propose pas de solutions, mais nous assène juste une illustration d’un pays qui se réveille alors que le monde a changé, un pays qui dérive et tombe. A l’image de ce monde qui repousse les limites et nie la légalité et tout humanisme, ce roman se termine dans le chaos. Espérons que cela ne soit pas prémonitoire.

Ahmed Tiab a écrit son meilleur roman à ce jour, à mon avis, bien sur.

Claude, qui nous manque, avait chroniqué ce roman ici

Requiem pour une république de Thomas Cantalouble

Editeur : Gallimard – Série Noire

Du coté de la Série Noire, en ce début d’année, on annonçait un polar politique ancré dans un contexte historique fort, la France du début des années 60. Sur le papier, ce roman a tout pour me plaire.

Septembre 1959. Sirius Volkstrom, ancien collabo, a quitté la France à la défaite des Allemands, pour rejoindre l’Indochine et l’Algérie, où il y a perdu un bras. Malgré cela, il a gardé son instinct de tueur. Convoqué par Jean-Paul Deogratias, directeur adjoint de cabinet du préfet de police Maurice Papon, il apprend que la police veut se débarrasser d’un avocat proche du FLN,  Abderhamane Bentoui. Deogratias a acheté les services d’un tueur à gages, Victor Lemaître, et Sirius Volkstrom devra se débarrasser de Lemaitre. Mais le complot ne se déroule pas comme prévu, puisque Lemaitre assassine de sang froid toute la famille présente et s’enfuit. Sirius ayant laissé ses empreintes sur une poignée par inadvertance, doit retrouver très vite le tueur à gages.

Antoine Carrega est conducteur de camionnette et transporte du pastis de Marseille à Paris. Il connait bien la route, l’endroit des barrages policiers et comment s’en sortir sans encombre ; même quand il n’y a pas que du pastis à l’arrière de la camionnette. Ancien résistant, il répond positivement à son ami maquisard Aimé de la Salle de Rochemaure, quand il lui demande de retrouver l’assassin de sa fille. En effet, celle-ci était la femme de l’avocat Abderhamane Bentoui. Il va se renseigner auprès de ses connaissances dans la pègre parisienne.

Maurice Papon l’annonce et le clame haut et fort : ce crime ne restera pas impuni. Aux cotés de son directeur adjoint, il va annoncer à la presse que le FLN sera puni pour ce crime, et qu’il a choisi la meilleure équipe pour cette enquête : Amédée Janvier l’ancien qui tête souvent de la bouteille, et Luc Blanchard le petit jeune qui débarque. Cela n’arrange pas Luc Blanchard, qui aurait bien voulu résoudre l’affaire de viol dont il s’occupe, et à propos de laquelle il cherche l’Algérien coupable.

Trois personnages, trois piliers pour raconter un versant de la France de 1959 à 1962. Rien de tel pour faire un roman équilibré que de s’appuyer sur trois bases solides. C’est bien ce que sont Blanchard, Carrega et Volkstrom, trois personnages forts, ni tout à fait blancs, ni tout à fait noirs, sillonnant entre les événements noirs dans une période pour le moins trouble. On ne peut qu’être attiré par Blanchard et sa naïveté liée à sa jeunesse, par Carrega et sa loyauté à toute épreuve, par Volkstrom et la poursuite de son but ultime qui n’a rien à voir avec les meurtres.

Depuis quelque temps, on voit fleurir des polars évoquant ce début des années 60, où le monde a digéré la deuxième guerre mondiale, où l’on rêve de paix éternelle, cette stratégie de repousser les combats le plus loin possible de ses frontières. On parle enfin de cette France, menée de main de maître, et tous les courants idéaux qui manœuvrent dans l’ombre pour obtenir un peu plus de pouvoir, de la montée des extrêmes, des nazis aux extrêmes gauches, des luttes pour redorer le blason d’une France forte.

La période 1959-1962 choisie par l’auteur en est un bon exemple. Et si tout cela n’avait pas été vrai, cela donnerait un formidable polar. Sauf que voilà, tout ce qui est relaté dans ce roman est vrai, et nos trois personnages vont le vivre en étant plus ou moins impliqués. C’est avec un beau plaisir que l’on suit cette histoire, d’autant plus que les personnages sont vivants et la plume d’une belle fluidité.

Mais ce roman m’a fait réagir. Ayant non pas connu cette période, mais discuté avec des gens qui l’ont connue, je trouve que la vision montrée par l’auteur est très centrée sur Paris. La France provinciale dont on m’a parlé était totalement derrière De Gaulle, seul personnage absent du livre d’ailleurs, et les fauteurs de trouble (français ou étrangers) des terroristes qu’il fallait passer par la guillotine. Du coup, j’ai eu l’impression d’une certaine superficialité car je n’ai pas été totalement convaincu par ce qui y était écrit. J’ai eu l’impression d’y voir une vision parigo-parisienne de cette période. Ceci dit, je serai bigrement intéressé de connaitre votre avis sur ce polar que je vous conseille, ne serait-ce que par l’aspect historique qui vaut le détour.

Ne ratez pas les avis de Marie-Laure et Jean-Marc

La guerre est une ruse de Frédéric Paulin

Editeur : Agullo

Attention, coup de cœur !

On avait plutôt pris l’habitude de lire chez Agullo des romans étrangers (excellents, d’ailleurs) et c’est avec une surprise non dissimulée que je me suis jeté sur leur première parution hexagonale.

1992. Les élections démocratiques d’Algérie ont donné une majorité au Front Islamiste du Salut. Suite à ce résultat, l’armée réalise un coup d’état pour conserver le pouvoir. En réaction à ce coup d’état, de nombreux groupes islamistes se forment et entreprennent des actions armées pour faire valoir leur droit gagné par les urnes. Ces attentats arrangent les généraux en place, légitimant leur pouvoir par la lutte contre le terrorisme.

Au centre de cet imbroglio où tout le monde place ses pions, se méfie de l’autre et cherche à avoir un coup d’avance, le GSR, les services secrets de l’armée, est chargé d’assurer la position du gouvernement. Il est aidé et soutenu par la DGSE française, qui conserve plusieurs postes en Algérie et partage ses renseignements pour légitimer une présence dans son ancienne colonie.

Le commandant Bellevue a connu toutes les luttes dans les colonies françaises. Doté d’un esprit de déduction et d’une faculté d’analyse psychologique hors du commun, il est capable de prévoir les actions des uns et des autres longtemps à l’avance. L’un des agents les plus prometteurs de Bellevue est le lieutenant Tedj Benlazar, qu’il guide comme un pion, là où il a besoin d’informations. Car ce dont la France a peur, c’est bien que le conflit arrive dans l’hexagone.

Lors d’une séance de torture « habituelle », Benlazar surprend des phrases lui confirmant que la victime serait transférée dans un camp au sud de l’Algérie. La rumeur selon laquelle il existerait des camps de concentration en plein désert devient une possibilité. Benlazar envoie donc un de ses agents pour suivre la voiture qui s’éloigne vers le sud. Mais il y a pire : L’un des membres du GSR serait en contact avec des terroristes du GIA. Bienvenue dans la manipulation haut de gamme !

Ce roman va aborder les années de sang en Algérie de 1992 à 1995, commençant juste après le coup d’état pour se terminer par l’attentat à la station Saint Michel. Et c’est un sujet bien difficile, qui nous touche de près pour l’avoir vécu pour certains d’entre nous, sans en avoir compris les raisons. C’est d’ailleurs un gros point noir dans mes connaissances, que cette guerre d’Algérie et tout ce qui a pu se passer après.

Ce roman ne se veut pas un cours d’histoire, ni une dénonciation, ni une quelconque leçon de morale pour un camp ou pour l’autre. Il va, comme tous les grands polars historiques, ramener une guerre contemporaine à hauteur d’homme. En prenant des faits historiques connus, il va construire ce qui va devenir l’un des plus grands massacres que le XXème siècle ait connu. Je vais juste vous donner un chiffre : il y aurait eu plus de 500 000 morts en Algérie pendant cette période.

Ce roman va nous montrer sans être démonstratif tous les rouages qui œuvrent pour le pouvoir, au détriment du peuple, engendrant des attentats et des massacres tout simplement hallucinants. Si Tedj Benlazar est au centre de l’intrigue, nous allons suivre pléthore de personnages sans jamais être perdu. Et ce roman va parler de l’Algérie mais aussi la France qui a du mal à lâcher son ancienne colonie. Frédéric Paulin ne met pas d’émotions mais il fait pour autant vivre ses personnages.

Ce roman est tout simplement un grand roman, qui aborde une période trop méconnue où les intérêts des uns convergent avec les autres. L’armée veut imposer sa loi, les islamistes veulent faire respecter le résultat du scrutin, et la France veut surtout protéger ses fesses et éviter que le conflit arrive sur son sol. A aucun moment, personne ne s’inquiète des victimes, que ce soit du coté des militaires ou des espions divers et variés.

Ce roman possède un souffle romanesque, une efficacité stylistique, une agilité et un rythme qui le montent au niveau des meilleurs romans du genre. Ses personnages ont une force telle qu’il est difficile de les oublier. Oui, il y a du DOA dans ce roman dans l’ampleur du traitement du sujet. Oui, il y a du Don Winslow dans la construction des scènes. Et il y a du Frédéric Paulin dans la passion qu’il a mis dans ce roman et qu’il nous transmet à chaque page.

Coup de cœur, je vous dis !

Ne ratez pas les avis de 404, Yan , Kris et Jean Marc

Un travail à finir d’Eric Todenne

Editeur : Viviane Hamy

Premier roman certes, mais apparemment pas forcément premier roman, puisque ce roman est annoncé comme un roman écrit à quatre mains par deux auteurs qui ne se dévoilent pas. La seule chose que l’on peut espérer est que ce roman soit le début d’une série …

Philippe Andreani est un vieux e la vieille à la brigade criminelle, avec ses vingt deux années au compteur. Même s’il a un taux de résolution d’affaires enviable, il n’est pas bien vu de sa hiérarchie. Cela est du à sa propension à utiliser des méthodes drastiques et directes pour mettre un point final à ses enquêtes. Seul son collègue Laurent Couturier le supporte, lui apportant un soutien grâce à ses qualités de fouineur informatique.

La dernière affaire en date risque de mettre un point final à sa carrière : Lors d’une planque pour arrêter un dealer de drogue, il est cantonné à une surveillance pendant que la brigade des stupéfiants fait sa descente. Quand il voit le dealer sortir d’une impasse pour se sauver, il n’hésite pas et tire sans sommation dans le dos du dealer, et le touche à la jambe. Andreani est immédiatement suspendu de ses fonctions en attendant l’enquête des bœufs-carottes et est obligé de participer à des entretiens avec une psychologue.

Mais ce soir, ce n’est pas ce qui l’occupe : il doit fêter l’anniversaire de sa fille Lisa, qui travaille dans une maison de retraite. Quand il arrive sur son lieu de travail, elle fond en larmes, lui annonçant qu’un de ses pensionnaires vient de se tuer en tombant sur le coin de sa table de nuit. Pour lui faire oublier ses soucis, il lui prépare un bon petit plat.

Andreani est tout de même embêté pour sa fille. Après avoir fait un détour par son bar « Le Grand Sérieux », tenu par un inénarrable ex-professeur en langues mortes Pierre Tournier, il va voir Legast le légiste. Après avoir analysé le corps du mort, plusieurs choses l’interpellent : La forme du coup derrière la tête du mort n’est pas logique puisqu’elle semble aller vers le haut, donc le corps n’est pas tombé sur la table de nuit. Sur sa nuque apparaît un étrange tatouage « SO. 3-02. AB+ ». Enfin, Lisa lui apprend que le mort n’a pas de numéro de Sécurité Sociale. Il n’en faut pas plus pour Andreani pour se jeter dans cette affaire.

Je ne vais pas vous parler de l’auteur, puisque ce roman a été écrit à quatre mains par deux auteurs qui ne se dévoilent pas. Le sachant avant d’attaquer ma lecture, j’ai effectivement ressenti une façon différente d’aborder les premiers chapitres. Est-ce du au fait que ce soit écrit à quatre mains ? En tous cas, passés les trois premiers chapitres, on est emporté par le rythme de la narration, et cela en devient passionnant.

Je ne connais pas suffisamment la réglementation pour juger si cela est réaliste ou pas, toujours est-il que quelques mystères vont rendre cette affaire douteuse et justifier qu’Andreani s’y plonge, pour aider sa fille d’abord puis par intérêt personnel, l’envie d’Andreani de rendre la justice de découvrir la vérité étant plus forte que tout. Et je dois dire que la psychologie de ce « commissaire » est bluffante.

Je dis « commissaire » car je fais référence au patron du bar « Le Grand Sérieux » qui est un second personnage énorme, qui pratique le latin comme ses clients les ballons de rouge. Ces passages, outre qu’ils sont des moments de calme dans l’enquête, s’avèrent fort drôles. Ce qui m’amène à dire que les personnages qui gravitent autour du « commissaire » sont tous très réussis et rendent le décor passionnant.

Quant à l’affaire elle-même, elle va se montrer au grand jour, après le deuxième meurtre dans la maison de retraite qui concerne un algérien. A partir de ce moment, les auteurs vont nous concocter une intrigue qui va revenir sur des moments peu glorieux de notre histoire contemporaine, voire carrément dégueulasses, nous apprenant sans en dire trop des implications de sociétés embauchant des mercenaires tuant sans foi ni loi, et n’étant jamais inquiétés.

Si le roman est relativement court, il a suffisamment posé de jalons pour nous inviter à suivre de futures enquêtes d’Andreani. Ce premier roman (puisqu’il faut le rappeler) est un pur plaisir à lire, et j’ai personnellement avalé les deux cent dernières pages en une journée, incapable que j’étais de m’arrêter dans ma lecture. Maintenant, Andreani fait partie des personnages que je vais suivre avec attention.

Toutes ces nuits d’absence d’Alain Bron

Editeur : Editions Les chemins du hasard

Son précédent roman, Le monde d’en bas, m’avait impressionné, à tel point que j’avais regretté de l’avoir laissé dormir sur mes étagères trop longtemps. Toutes ces nuits d’absence confirme qu’Alain Bron est un auteur à la plume rare qui parle de sujets graves.

Jacques Perrot est écrivain et était en train de déguster son thé, quand son chat Iago fit des siennes : perché sur une étagère, il fait tomber une boite métallique. Quand celle-ci tombe par terre, elle s’ouvre et répand son contenu : de vieilles photos datant de la jeunesse de l’auteur. Parmi elles, Jacques Perrot trouve une vieille photographie de classe, quand il était au lycée de Troyes. Il se rappelle aussitôt Brigitte, son amour de jeunesse, retrouvée assassinée.

Ce meurtre lui a laissé un gout amer dans la bouche. C’est Brigitte qui l’a initié aux joies de l’amour, en 1966. Elle avait son appartement et il la retrouvait après avoir traversé la ville sur son vélo de course jaune. Si elle avait une réputation de fille facile, il s’en moquait bien, puisque la seule chose qui comptait pour lui était son amour pour elle. Tout cela s’est terminé par un corps abandonné, après avoir été violé et étranglé.

Jacques Perrot s’arrange donc avec son éditeur pour organiser une séance de dédicace dans une librairie troyenne. Cela lui permettra de rendre visite aux bureaux du journal local, et ainsi de revenir sur ce qui s’est passé à cette époque. Il en profite pour y passer un week-end entier, et il fait la connaissance de Ninon, stagiaire au journal, qui accepte de l’aider à fouiller les archives. Il se rappelle, grâce aux articles, qu’un coupable avait été arrêté et que ce dernier s’était pendu dans sa cellule, scellant ainsi la fin de affaire. Mais il ne fait pas bon remuer la boue du passé.

Une nouvelle fois, Alain Bron nous emporte dans la passé, avec sa plume magique, qui nous fait visiter la France du début des années 60, avant les événements de mai 1968. Il y a dans sa façon de raconter une histoire, une sorte d’évidence et de naturel qui fait que l’on est prêt à suivre l’auteur dans tout ce qu’il raconte. C’est l’une des grandes qualités de ce roman qui m’a transporté ailleurs dans un passé que je connais mal.

Car le sujet de ce roman est bien cette période peu connue et trouble des années 60 qui a été occultée par ce qui s’est passé ensuite. Il nous montre la vie en ce temps-là dans une petite ville de province, avec ses notables qui dominaient les affaires, et les ouvriers qui vivaient dans un monde séparé. Dans une période de plein emploi, tout ne pouvait que bien se passer. L’affaire du meurtre de Brigitte aurait finalement pu remettre en cause cette joie de vivre de l’époque.

Sauf que la communication ne passait que par les journaux ou la radio et qu’elle était contrôlée par des gens qui avaient beaucoup d’argent. Et que ces gens là avaient des origines politiques extrémistes, issus des mouvements armés luttant contre l’indépendance de l’Algérie et que … Bref, je ne vais pas tout vous raconter, mais Alain Bron va dérouler son intrigue comme on déroule une pelote de laine … bien sale.

Contrairement à beaucoup de romans historico-contemporains, Alain Bron ne choisit pas de faire des Allers–Retours Présent – Passé mais bien de suivre l’enquête personnelle de Jacques Perrot et s’avère une belle dénonciation de la création de certains mouvements d’extrême droite et leurs financements actuels. De simple roman policier, il nous offre un roman fort intelligent dans la forme et dans le fond, en même temps qu’il est un pur plaisir à lire. Si après ce que je viens de vous dire, vous avez encore des doutes, alors je ne comprends plus rien !

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul

Ils ont voulu nous civiliser de Marin Ledun

Editeur : Flammarion

Marin Ledun fait partie des meilleurs auteurs français de polar social, du moins c’est mon avis, et ce n’est pas son dernier en date qui va me faire changer d’avis. Marin Ledun nous convie donc au pays basque pendant la tempête de 2009.

Thomas Ferrer est un escroc à la petite semaine, vivant de petits larcins. Il se contente de vols de volailles et les revend à Baxter pour quelques centaines d’euros. C’est sa façon à lui de survivre, surtout depuis qu’il est sorti de ses quelques mois de prison. Baxter est officiellement fournisseur de matériel de surf, sport pour lequel il voue une passion sans bornes. Ses activités de receleur lui permettent d’augmenter ses fonds. Ce jour-là, Ferrer rapporte des canards dérobés dans une ferme des environs. Baxter lui propose la moitié de l’argent qu’il avait promis. Ferrer devient furieux et laisse Baxter pour mort en emportant le contenu du tiroir de bureau de Baxter soit 112 000 euros dans une enveloppe.

Ferrer prend la fuite dans sa voiture pourrie, et a bien du mal à rester sur la route tant les vents sont violents. Il s’aperçoit un peu plus loin qu’il est suivi par Baxter, accompagné des deux frères Corral et Villeneuve, deux complices réputés pour être des tueurs sans pitié. La voiture de Ferrer finit dans le fossé quand celle de Baxter est écrasé par un arbre. Ferrer s’enfonce dans la forêt de pins et cherche refuge dans une maison isolée.

Cette maison perdue au fond des pinèdes est habitée par un vieil homme, bucheron de son état. Tout le monde l’appelle Alezan. Car il a fait la guerre d’Algérie, a connu l’horreur, la peur de tous les instants et en est venu à détester tout le monde. C’est pour cela qu’il ne sort jamais sans son pistolet et que son fusil est toujours à portée de main dans la cuisine. Ferrer et Alezan vont devoir s’allier pour faire face aux assauts de leurs poursuivants dans un décor d’apocalypse.

Ceux qui connaissent la plume de Marin Ledun ne seront pas surpris, tant le style s’avère sec et sans concession. Si je ne parlerai pas d’efficacité, il n’en reste pas moins qu’il y a une réelle volonté de n’écrire que ce qui est utile au propos. De ce coté là, on est en territoire connu et on retrouve le même plaisir à lire ce livre, puisque notre imagination remplit les vides que l’auteur ne veut pas remplir.

Par contre, là où d’habitude il place les personnages au devant de la scène, l’auteur prend son temps pour peindre son décor, un décor bien particulier puisque les forces de la nature se déchainent tout au long du livre. De ce point de vue là, le style minimaliste remplit son aoeuvre puisque l’on s’imagine les arbres tombés, les maisons transformées en ruine et un paysage dévasté.

Une nouvelle fois, les personnages sont très bien campés : outre Baxter et les frères qui sont les truands cinglés de l’histoire, il dessine Ferrer comme un marginal créé par la société et Alezan comme une victime collatérale de la guerre d’Algérie. De tout cela, on retrouve le thème cher à Marin Ledun qui est que la société maltraite les gens alors qu’elle devrait œuvrer pour leur bien. Pour autant, comme d’habitude, il ne prend pas position, laissant le lecteur se faire sa propre opinion.

Je pourrais conclure ce billet en vous disant que comme d’habitude, le nouveau Marin Ledun est formidable, s’il n’y avait cette thématique de fond, qui n’arrête pas de me hanter. Marin Ledun confronte ses personnages fous furieux à la folie de la nature. Il n’y aura pas de gagnant, que des perdants, mais il restera de cette lecture une question : Est-ce la nature qui rend les hommes fous ou les hommes qui la rendent folle ? Ils ont voulu nous civiliser est une nouvelle fois une grande réussite.

Ne ratez pas l’avis des amis Claude, Yan,  et Fred

Le Français de Roseville de Ahmed Tiab

Editeur : Editions de l’Aube

Voici un nouveau venu sur la scène du roman policier qui va nous donner l’occasion de suivre un nouveau personnage de commissaire Kémal Fadil. Pour un premier roman, c’est une franche réussite, à tel point que j’ai hâte de lire sa seconde enquête.

Oran, 2013. Dans le vieux quartier espagnol, la rénovation des immeubles bat son plein. Sur un chantier de la rue des Bougainvilliers, le grutier remarque des os. Il arrête tout de suite son travail et se trouve effectivement en présence d’os humains. Le commissaire Kémal Fadil va être chargé de cette affaire. Le médecin légiste Moss confirme que c’est le corps d’un petit garçon et qu’il a du être enterré plusieurs dizaines d’années auparavant. Entre la pression de la hiérarchie pour cette affaire non prioritaire et celle des promoteurs immobiliers, Kémal va avoir fort à faire. Dès le départ, il trouve un bijou en forme de crucifix en or avec les initiales A C. Puis, c’est un deuxième squelette qui fait son apparition. A priori, un homme et un enfant ont été enterrés là.

Kémal est célibataire et vit avec sa mère, Léna, handicapée suite à un accident de la route qui a vu la mort de son père. Il a bien une femme dans sa vie, Fatou, d’origine nigériane, mais il ne peut vivre avec elle car elle et sa mère ne s’entendent pas. Léna était dans les années 60 interprète et traduisait des discours officiels en espagnol lors de réunions politiques. C’est là qu’elle a rencontré l’amour de sa vie …

Années 50. Arthur Guillot est un Français travaillant en Algérie. Il est comptable, et ses déboires sentimentaux vont le faire plonger dans la délinquance au moment où il rencontre Roméro, un truand notoire.

Ce premier roman est époustouflant par son ambition. Il arrive, par des allers-retours passé présent à différentes époques, à nous présenter à la fois Kémal et ses parents, la situation de l’Algérie avant, pendant et après l’indépendance. Et tout cela est fait à travers des personnages, de façon parfaitement subtile, tout en ne prenant jamais partie pour qui que ce soit. En cela, je trouve que ce roman est à la fois intelligent et instructif.

Il ne faut pas attendre de ce roman beaucoup d’action. On a à faire avec un roman policier du type Cold Case (référence à une série télévisée que j’aime beaucoup) voire même aux premiers romans d’Arnaldur Indridason. On y trouve la même volonté de décrire les ambiances, les couleurs, les sons, et cette force d’inventer des personnages secondaires aussi forts que celui de Kémal lui-même.

Vers le milieu du roman, un nouveau personnage fait son entrée, Arthur Guillot. On se doute bien qu’il a quelque chose à voir avec cette affaire. C’est encore une fois l’occasion pour l’auteur d’évoquer l’Algérie avant l’indépendance. Mais cela a aussi pour conséquence de gâcher le suspense final ou du moins une partie.

Vous l’aurez compris, ce roman m’a impressionné. Cela m’a donné l’occasion d’apprendre plein de choses, qui sont évoquées par petites touches. Ma seule envie, c’est maintenant de poursuivre cette série pour en apprendre encore plus. Pour votre information, le deuxième tome des enquêtes de Kémal vient de sortir aux éditions de l’Aube et s’appelle Le désert ou la mer.