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Viper’s Dream de Jake Lamar

Editeur : Rivages

Traductrice : Catherine RICHARD-MAS

Pour qui a lu Nous avions un rêve, Jake Lamar est un auteur dont il faut lire tous les romans. D’origine américaine, il a choisi de vivre en France et nous parle dans chacun de ses romans de son pays et de la vie des Noirs là-bas. Et quoi de mieux que d’évoquer le milieu du jazz pour en parler, comme il le fait ici.

1961, New York. Viper se retrouve chez Pannonica de Koenigswarter, dite Nica, une richissime baronne qui finance le milieu du jazz. Le jeu de la baronne consiste à demander aux gens qu’elle héberge d’écrire sur une feuille leur trois vœux les plus chers. Il reste quelques heures à Viper avant que la police ne vienne l’arrêter. Car cette nuit, Viper vient de tuer un homme, pour la troisième fois de sa vie.

Viper, c’est le surnom de Clyde Morton. En 1936, Clyde découvre une trompette dans le grenier de ses parents. Son oncle Wilson lui apprend à en jouer et le persuade qu’il deviendra un grand jazzman. Clyde décide de quitter Meachum, Alabama, pour rejoindre New-York, laissant derrière lui sa fiancée Bertha. Mais dès la première audition dans un club de Harlem, on lui fait comprendre qu’il n’a aucun avenir dans la musique.

Alors Clyde trouve un travail au Gentleman Jack’s Barbershop. Ne sachant pas couper les cheveux, il deviendra cireur de chaussures et balayeur. Un richissime client, Mr.O débarque dans la boutique et lui demande s’il sait se battre. Il emmène Clyde sur un ring de boxe et, à la surprise générale, Clyde étend son adversaire. A partir de ce jour, Clyde va devenir Viper, et garde du corps de Mr.O, propriétaire d’un club de jazz et trafiquant de Marijuana.

Ecrit comme un conte, comme une histoire orale (il faut dire qu’à l’origine, ce roman était une pièce radiophonique pour France Culture), on prend un énorme plaisir à s’assoir et écouter Jake Lamar nous narrer la vie de Viper, de son ascension jusqu’à sa chute. Il nous brosse un portrait de l’Amérique, avant et après la deuxième guerre mondiale et la « fameuse » échelle sociale des Etats-Unis. On en déduit à la lecture de ce roman, que pour les Noirs, leur seule possibilité de grimper dans la société réside dans le trafic de drogue, le reste de la société étant noyauté par les Blancs.

Viper’s Dream est avant tout une histoire d’amitié, de tolérance et de loyauté ; amitié envers ses proches, tolérance et accueil des étrangers et loyauté envers ce que l’on croit. Et Viper ne voudra jamais vendre de drogue dure. Viper rencontrera aussi l’amour avec le formidable personnage de femme fatale Yolanda. Tous les codes sont bien présents et c’est bien la façon de raconter cette histoire qui retient l’attention.

Car il y a dans ce roman un rythme lancinant, une mélodie avec des variations de rythme, des improvisations. On ressent le brouhaha de Harlem, et on entend les instruments, parfois du piano, souvent de la trompette. Cet hommage au Jazz se couple à un thème fort sur le poids du passé et les regrets qui se transforment en remords qui me parle. Pour moi, ce roman rejoint ma pile de romans cultes.

Un grand merci à Petite Souris, il saura pourquoi.

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Par le trou de la serrure d’Harry Crews

Editeur : Finitude

Traducteur : Nicolas Richard

Pour tout lecteur de polars ou de romans noirs, Harry Crews tient une place à part dans le paysage littéraire américain, celui d’un auteur humaniste qui a été capable de décrire comme personne la vie des marginaux, des pauvres que le Rêve Américain a laissé sur le bord de la route.

Né en 1935, il a offert au monde entier une vingtaine de romans comme autant de fulgurances noires (et je ne connais pas toute son œuvre, loin de là) avant de nous quitter en 2012. L’éditeur nous apprend comment il a eu ce recueil inédit entre les mains :

« C’est Byron Crews, le fils de Harry, qui a confié à Finitude le manuscrit de ce livre inédit. Quand on lui a envoyé Péquenots (Finitude, 2019), qui est la traduction d’un recueil paru en 1979, le livre lui a beaucoup plu. Il nous a alors appris qu’il avait retrouvé dans les papiers de son père un manuscrit prêt pour la publication. Harry Crews avait rassemblé quelques grands reportages parus dans la presse dans les années 80 (Playboy, Esquire, Fame…), auxquels il avait ajouté certains textes plus autobiographiques. Il avait révisé l’ensemble… puis il était mort. Et depuis, personne ne s’était intéressé à ce manuscrit. »

La « gueule » (excusez moi du terme, je ne trouve pas d’autre mot pour exprimer ce que je ressens quand je la regarde) de l’auteur vous accueille avec ces zones d’ombre, l’air de nous dire : « voilà, je vous présente ce que j’ai vécu ». L’objet livre est fait d’une couverture en carton brut comme s’il s’agissait d’un objet rare, précieux. Et les textes présentés nous rappellent combien Harry Crews était indispensable.

Composé d’articles publiés dans des magazines et de textes plus personnels, on peut penser à des nouvelles disparates. Et pourtant, on y trouve deux points communs parmi tous les textes de ce recueil : cette faculté à observer les gens et à les évoquer sans les juger et enfin cette envie de découvrir le monde qui l’entoure quitte à côtoyer un monde qui n’entre pas dans sa conception de la vie. Harry Crews ne se place pas au dessus des personnes qu’il rencontre, il se met à leur niveau, ne les justifie pas mais explique, entre autres sujets, le rejet des gens différents, la haine des étrangers, le besoin viscéral de violence, mais surtout cette culture américaine qui pousse à amasser toujours plus de fric.

Parmi ces 27 nouvelles, on y trouvera donc des portraits de personnages célèbres, tels ceux du Show-Business (Madonna, Sean Penn, Mike Tyson) où Harry Crews y insère son admiration pour ces personnes à la marge qui ont réussi ou sont tombés dans le cas de Tyson. Et on y trouve ceux de personnages manipulant les pauvres pour mieux profiter de leur argent (David Ernest Duke du Ku Klux Klan, Jerry Falwell à la tête des Partenaires de la Foi ou Garner Ted Armstrong télévangéliste). Dans l’Amérique reaganienne, tout est bon pour faire du fric, et Harry Crews se retient de tourner ces dirigeants en ridicule, mais il ne se gêne pas pour montrer le ridicule de leur discours et de leurs actes.

A coté de ces articles, on y trouve des textes plus personnels où Harry Crews nous explique ses racines et son éducation. Il évoque donc son oncle Cooter et les parties de pêche dans le marais d’Okefenokee comme des leçons de vie, de sa mère, mais aussi sans rien nous cacher, de la mort de son fils, noyé dans la piscine des voisins et de ses relations avec son fils cadet. Dans ces derniers, Harry Crews ne se cache pas, mais se révèle incapable de creuser sa douleur pour analyser les conséquences sur sa vie de famille, dans des passages terriblement émouvants.

Enfin, on y trouve ces scènes de la vie de tous les jours, ces moments qu’il nous fait partager où, en arpentant les routes, il découvre des bars, des poivrots, des bikers, des putes, des gens qui n’hésitent pas à exprimer leur opinion, raconter leur vie ou défendre leur bout de terrain.

Quelque soit le texte, on s’assoit tranquillement, et on laisse Harry Crews nous raconter un morceau de son histoire. On n’y trouve aucune grandiloquence, (comme le dit l’éditeur, Harry Crews écrit à hauteur d’homme), et on croit entendre sa voix rauque nous conter ces moments comme on écouterait un grand parent nous raconter des morceaux de sa vie. Je vais vous dire honnêtement : il est rare que je lise un recueil d’une traite. Habituellement, je lis une nouvelle ou deux entre deux romans. Là, je l’ai lu en une seule fois, parce que j’avais hâte de le retrouver, d’imaginer ce vieil homme assis en face de moi en train de m’expliquer ce qu’est la vraie Amérique. Joseph Incardona signe la postface, intitulée « Harry Crews, mon ami », et on ne peut qu’acquiescer à tous ses arguments. Passionnant.

Pimp de Iceberg Slim

Editeur : Editions de l’Olivier (Grand format) ; Points (Format poche)

Traducteur : Jean-François Ménard

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. De temps en temps, il y a des romans que je me mets de coté, par leur réputation ou par les avis publiés au moment de leur sortie. Ce roman est considéré comme culte par de nombreux jeunes gens. Voici la biographie romancée d’un maquereau.

L’auteur :

Iceberg Slim, alias Robert Beck, et de son vrai nom Robert Lee Maupin, né le 4 août 1918 à Chicago et mort le 28 avril 1992, est un écrivain américain, auteur de roman noir.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, il est l’un des écrivains afro-américains les plus influents grâce à la publication de Pimp, son autobiographie parue en 1969, où il expose sa vie de proxénète (pimp signifiant littéralement « mac »). Ses descriptions crues et réalistes du milieu sordide et très violent où il évoluait (il battait « ses » prostituées avec un cintre en fer qu’il avait torsadé) exercent alors une grande influence sur la culture afro-américaine et sur le hip-hop en particulier (par exemple, sur des rappeurs comme Ice-T ou Ice Cube, qui lui doivent leur pseudonyme). L’écrivaine américaine Sapphire, qui a préfacé l’édition française de Pimp, écrit : « Quelle que soit la désapprobation que nous inspirent sa violente misogynie ou son analyse défaitiste des possibilités de progrès social pour les Noirs, nous sommes obligés de reconnaître qu’il y a une vérité à découvrir dans l’histoire de cet homme. »

Iceberg Slim passe la majeure partie de son enfance à Milwaukee et Rockford (Illinois) avant de retourner à Chicago à l’adolescence. Abandonnée par son mari, sa mère travaillait comme domestique et a tenu un salon de beauté. « Elle s’efforçait de maintenir en moi un peu de l’amour et du respect qu’elle m’avait inspiré à Rockford. Mais j’en avais trop vu, j’avais trop souffert. La jungle avait commencé à insuffler en moi son amertume et sa férocité. » Il évoquera le psychiatre d’une prison qui avait peut-être raison quand il lui avait dit qu’il était devenu maquereau à cause de la haine inconsciente qu’il vouait à sa mère à la suite des mauvais traitements de son père. Il relate également des abus sexuels commis par sa nourrice alors qu’il avait trois ans (c’est d’ailleurs par le récit de ces attouchements qu’il commence son autobiographie).

Au milieu des années 1930, il s’essaie brièvement à des études universitaires au Tuskegee Institute, un des premiers établissements d’enseignement supérieur destinés aux Noirs. À dix-huit ans, il adopte son pseudonyme d’Iceberg Slim et reste souteneur dans la région de Chicago jusqu’à l’âge de quarante-deux ans. Il est incarcéré plusieurs fois et, après avoir passé dix mois seul dans une « cellule de confinement », à la maison de correction de Cook County, il décide de se ranger et de se consacrer à l’écriture à partir de 1960.

Il déménage ensuite en Californie afin de mener une vie « normale ». Il y adopte le nom de Robert Beck, utilisant le patronyme du mari de sa mère.

Dans Mama Black Widow, il décrit la vie d’un travesti noir.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Robert Beck, alias Young Blood, est un jeune vaurien de Milwaukee.

Il y a longtemps que son père est allé traîner ailleurs ses guêtres blanches et son chapeau melon. Sa mère, elle, tient un salon de beauté fréquenté par les filles de joie du quartier. Entre deux séjours en maison de correction, Young Blood s’initie à la vie. Il découvre le monde des gigolos, des macs et des putains, les cabarets où l’on écoute du jazz jusqu’au petit matin, la drogue, les hôtels louches.

Diplômé de la rue, il devient Iceberg Slim, le prince des maquereaux, et règne sur un harem qu’il tient d’une main de fer. Il a une Cadillac blanche, des costumes sur mesure, de la cocaïne plein les poches, sa bouteille réservée dans les meilleurs clubs de Chicago. Mais il y a ce je-ne-sais-quoi qui le sépare des autres…

Mon avis :

Avant de me lancer dans cette lecture, je savais ce qui m’attendait mais j’étais loin d’imaginer la force d’évocation de cette écriture. Je croyais que le style rythmerait les phrases dans un slam proche du rap ; en fait, ce roman est porté par une écriture très littéraire faisant place aux dialogues mais aussi à des scènes très explicites. Ce n’en fut que plus surprenant.

En tant que biographie, j’ai trouvé le roman mal équilibré, puisqu’il parle beaucoup de l’enfance de ce maquereau, beaucoup de son ascension et des rencontres qui vont lui apprendre les règles du métier (hum, hum) et que sa chute va s‘orchestrer dans les dernières centaines de pages. Par contre, l’aspect psychologique est fort bien fait, l’auteur prenant le recul nécessaire pour décrire son monde d’ignobles pourris.

Dans le fond, j’ai trouvé ce lire choquant, (et pourtant, il m’en faut beaucoup) par le racisme qu’il montre (anti-blanc, anti-noir), la façon dont il montre les femmes, la façon dont il les traite. Iceberg Slim se décrit comme un commercial qui, en vitrine vend ses putes, et dans l’arrière boutique les maltraite à coups de pied et les drogue. Et pour les flics, rien de plus facile que de leur verser quelques dollars …

Ce ne sont pas tant les scènes que l’implication qui en ressort, cette façon de traiter les êtres humains comme des serpillères, uniquement par attrait du fric. Le roman évite la caricature (sauf une scène) et conserve sa puissance tout au long de ces 410 pages. Mais on reste accroché à cette histoire pour connaitre la fin, après les trahisons et les séjours en prison. D’ailleurs, l’auteur ne montre jamais aucun remords, il se voit comme un patron qui fait travailler ses ouvrières. Bref … On ne peut retirer à ce livre sa force indéniable même s’il faut avoir le cœur bien accroché.

Cinq cartes brûlées de Sophie Loubière

Editeur : Fleuve Noir

Si je vous dis que ce sont amis Yvan et Geneviève qui m’ont donné envie de lire ce livre, vous allez vous dire que cela n’a rien d’original. Donc, j’insiste. Cela fait un bon moment que je veux découvrir l’écriture de Sophie Loubière, et d’ailleurs j’ai acheté ses 4 précédents romans. Et puis, le manque de temps fait que … Bref ce ne sont que de mauvaises excuses !

Pourtant, la couverture, le titre et la quatrième de couverture m’ont rebuté, ou du moins ont retardé la prise en main du roman, préférant tester d’autres nouveautés. Entendons-nous bien : ce n’est pas parce qu’ils sont ratés. La couverture est énigmatique, le titre fait appel aux jeux (et je ne suis pas joueur dans l’âme) et la quatrième de couverture en dit à la fois peu et beaucoup. Et pourtant, j’ai cédé aux tentations littéraires de mes amis … Et … Quel livre !

Quand Laurence débarque dans ce monde, son frère aîné de trois ans Thierry a du mal à l’accepter. Il va lui faire subir des actes de harcèlement psychologique qui vont la dévaloriser aux yeux des autres. Les parents de Laurence n’y verront rien, Laurence a pour seule réponse la boulimie, s’avalant des bonbons et des barres de céréales. Elle sera donc traitée de de tous les termes insultants liés à l’obésité pendant toute son enfance.

Seul son père lui montre de l’affection, lui faisant des caresses dans le dos qui lui amènent des frissons, avant de dormir. Et cela dure jusqu’à une suspicion d’inceste qui casse la famille.

Le père est obligé de partir, et Laurence se retrouve sans défense face à son frère. Pourtant, les années passant, elle trouve le moyen de rebondir et arrive à entrer à l’INSEP, où elle se donne à fond dans le lancer de marteau.

Sophie Loubière nous écrit la biographie d’une jeune fille puis jeune femme dont la vie est difficile, et ce depuis le plus jeune âge. Elle va nous montrer les difficultés de la vie, les choix que l’on a à faire, leurs conséquences, les périodes de hauts et de bas, et les réactions que l’on a face à des événements inattendus, qu’ils soient bien ou mal. Il faut dire que pour sa démonstration, choisir le cas de Laurence est un bon exemple.

Parce que j’écris mon avis plusieurs jours après avoir lu le livre, j’ai eu le temps de laisser reposer le flot d’émotions qui m’ont traversé pendant la lecture. Malgré cela, il me reste ce personnage, malmené tout au long de sa vie, qui a pris des directions qui n’ont pas toujours été les bonnes, mais qui a toujours eu une constante : se battre. Pour devenir championne de lancer du marteau, elle s’est battu. A la mort de ses parents, elle s’est battue. Pour nourrir son frère, elle s’est battue. C’est une femme courage que nous montre Sophie Loubière et ce n’est pas le final en forme de pirouette qui va me faire changer d’avis.

Alors, oui, c’est un roman psychologique, mais au-delà de cela, c’est un beau portrait de femme forte, battante que nous montre Sophie Loubière. Et plutôt que d’insister sur les réactions de Laurence de façon démonstrative, elle construit son personnage comme le faisait Alfred Hitchcock dans ses films : l’événement d’abord, puis la réaction. Ce que j’ai trouvé terrible dans ce livre, c’est la façon dont sont orchestrés les bons moments et comment arrivent les mauvais, qui remettent tout en cause, et flanquent un coup derrière la tête du lecteur.

Ce roman plaira à beaucoup de monde, sauf aux adeptes d’action. Pour les fanas de romans psychologiques, Sophie Loubière sait trouver les mots justes pour immerger le lecteur et faire ressentir tout un flot d’émotions. Aux fanas de thrillers, elle propose des scènes à la tension constante, à la menace terriblement sensible. Aux fanas de polar, elle propose une fin qui remet tout en cause et qui donne envie de relire le roman. Voilà donc un excellent roman populaire.

J’ai suivi les conseils de Sophie Loubière en fin de livre, et j’ai donc visité le site dédié au roman. Surtout, ne lisez pas le billet ci-dessous avant d’avoir fini le livre. Par contre, après, cela vous montrera tout le travail de l’auteur fait à partir d’un simple fait divers. C’est pour moi un complément indispensable à ce roman.

https://5cartesbrulees.blogspot.com/2019/10/un-fait-divers-dans-la-presse.html

 

Oldies : Night Train de Nick Tosches

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Julia Dorner

Quand j’ai décidé de consacrer cette année 2018 à la collection Rivages Noir, je m’étais dit que cela me donnerait l’occasion de lire des auteurs que j’adore. Ce roman-là, je l’ai déjà lu une fois, j’en parlerai plus bas, et je l’ai relu dans le cadre de la sélection 2019 du Grand Prix des Balais d’Or (N°630).

L’auteur :

Nick Tosches, né le 23 octobre 1949 à Newark, dans l’État du New Jersey, est un écrivain, romancier, poète, biographe et journaliste rock américain.

Né d’un père italo-albanais et d’une mère irlandaise, Nick Tosches grandit à New York. Après divers petits boulots, il publie ses premiers papiers dans les magazines de rock Creem et Fusion.

Son premier ouvrage, Hellfire, une biographie de Jerry Lee Lewis publiée en 1982, le place d’emblée au rang des écrivains majeurs de la scène musicale. Les biographies qu’il a écrites par la suite retracent les itinéraires de Dean Martin, Michele Sindona, Sonny Liston, Emmett Miller (un des derniers chanteurs de minstrel show) et Arnold Rothstein.

Nick Tosches a également publié un recueil de poésie, Chaldea (Chaldea and I Dig Girls, 1999) et quatre romans policiers : La Religion des ratés (Cut Numbers, 1988), qui remporte en France le prix Calibre 38, Trinités (Trinities, 1994), un roman noir opposant la pègre asiatique et la mafia sicilienne, La Main de Dante (In the Hand of Dante, 2002), dans lequel des mafieux tentent de mettre la main sur un manuscrit de La Divine Comédie que possède le Vatican, et enfin, Moi et le Diable (Me and the Devil, 2012), dont le point de départ est la rencontre entre un écrivain vieillissant et une envoûtante inconnue, une nuit, dans un bar de New York.

Le Roi des Juifs (King of the Jews, 2005) est une biographie romancée du gangster Arnold Rothstein. Des articles et divers textes de Nick Tosches ont en outre été publiés dans les revues Vanity Fair et Esquire. La plupart de ces écrits sont regroupés dans le recueil The Nick Tosches Reader en 2000. En 2009, Nick Tosches fait paraître Never Trust A Loving God, un ouvrage écrit en collaboration avec son ami et peintre Thierry Alonso Gravleur.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Devenu champion du monde des poids lourds en 1962, Charles Sonny Liston semblait avoir exorcisé son passé de fils d’esclave. Il s’était frayé un chemin jusqu’au sommet, et ceux qu’il affrontait sur le ring disaient que personne ne pouvait l’arrêter. Ses liens avec la pègre en avaient fait un champion craint mais impopulaire. Et lorsqu’il perdit son titre face à Muhammad Ali, presque sans combattre, tout le monde eut l’air de s’en moquer.

On connaît les qualités de Nick Tosches quand il s’agit de rendre le réel aussi passionnant qu’un roman. Il avait déjà percé à jour le mystère Dean Martin et mis en lumière les démons de l’Amérique dans Dino (Rivages/Noir n° 478). On lit avec la même passion son récit de la vie du boxeur Sonny Liston, personnage également énigmatique.

Témoignages, documents officiels, archives privées, tout est matière pour Nick Tosches qui brosse le portrait d’un homme pitoyable et mythique, dans un style expressif et dense qui révèle son immense talent d’écrivain.

Mon avis :

Être ou ne pas être, là est la question. Relire ou ne pas relire des romans que j’ai déjà lus et adorés, là est la question. Et c’est réellement la question que je me pose alors que je viens de relire ce roman. Comme je l’ai dit, ce roman est sélectionné pour le Grand Prix des Balais d’Or 2019 et donc je me suis re-penché sur ce livre sur l’insistance de mon ami Richard. Si on peut le classer dans la catégorie Polar, c’est bel et bien la biographie de Sonny Liston, champion du monde de boxe des Poids Lourds en 1962.

Les biographies ne sont pas ma tasse de thé, mais je dois dire que Nick Toshes, auteur trop méconnu en France, a l’art d’insuffler un rythme rapide, avec son écriture coup de poing. J’attends d’une biographie qu’elle soit documentée, passionnante, et vivante. Pour la documentation, elle est impressionnante puisque l’auteur fait intervenir des extraits de journaux, des interviews et des personnages dont il va résumer leur vie. Ce roman noir biographique est passionnant, oh oui !, car il nous montre et dénonce l’esclavagisme, le racisme, et surtout l’emprise de la mafia ou des mafias sur un sport qui permettait de se faire beaucoup d’argent rapidement et sans risque. Vivante, éloquente, incroyable, cette histoire l’est assurément.

Incroyable de voir comment Sonny Liston n’a jamais ressenti de frontière entre bien et mal, comment il a participé à des meurtres payés par la mafia, comment il était doué, comment il était lié à la religion, comment il adorait les enfants. Incroyable, ce personnage l’est par sa dualité bon / mauvais, et c’est probablement pour cela qu’il a été aussi mal aimé par le peuple américain. Incroyable, ce roman l’est par la passion que Nick Toshes y a mise, s’impliquant dans certains passages en parlant à la première personne, et en restant derrière les faits comme le journaliste génial qu’il est. Incroyable, cette dénonciation l’est, de toutes les magouilles, à tous les niveaux, les corruptions, les contrats faussés et les paris arrangés d’avance. Incroyable, l’itinéraire de cet homme l’est, à qui on n’a voulu donner sa chance que tard dans sa vie, dont la défaite face à Mohamed Ali est empreinte de doute, dont la mort est encore aujourd’hui empreinte de bizarreries et de contradictions.

Que vous dire d’autre ? Il vous faut lire, dévorer, les romans de Nick Toshes, celui-ci, mais aussi Dino, qui retrace la vie de Dean Martin, sans oublier ses premiers polars ou même La main de Dante. Voilà les romans que j’ai adorés de cet auteur et que je vous recommande pour une analyse juste et rageuse de la société américaine.

Oldies : La reine de la nuit de Marc Behm

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Nathalie Godard

Je continue ma rubrique Oldies qui est consacrée en cette année 2018 à la collection Rivages Noir. Voici un roman choisi presque par hasard dans ma bibliothèque, puisque j’ai suivi le bandeau signé Romain Slocombe : « L’apocalypse érotique du IIIème Reich ».

L’auteur :

Marc Behm, né le 12 janvier 1925 à Trenton, New Jersey, mort le 12 juillet 2007 à Fort-Mahon-Plage (Somme), est un écrivain de roman policier et un scénariste américain ayant vécu à Paris en France. Behm a écrit le scenario du film Help ! des Beatles (1965) et de Charade (1963). Son roman le plus connu est le roman noir surréaliste Eye of the Beholder (1980), traduit sous le titre Mortelle randonnée.

Behm a développé une fascination pour la culture française tout en servant dans l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale; plus tard, il est apparu en tant qu’acteur sur plusieurs programmes de télévision français, avant de s’y installer de façon permanente.

Ses romans font preuve d’un humour ravageur et d’un style surréaliste.

Quatrième de couverture :

La mère d’Edmonde Kerrl adorait Wagner, mais son père traduisait Shakespeare. Elle fut donc prénommée Edmonde en l’honneur du traître Edmund dans le roi Lear. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit devenue la « reine de la nuit », ait rejoint le parti nazi sur un malentendu et, d’aventures en tribulations, se soit retrouvée membre des S.S. puis dans le lit d’Eva Braun…

Premier roman de Marc Behm au scénario pour le moins déroutant, la reine de la nuit est un livre à l’humour noir ravageur, dont l’exceptionnelle force subversive n’a pas fini de marquer les esprits. On peut y trouver une parenté avec le Inglourious Bastards de Tarantino, mais le ton de Marc Behm est unique comme l’est sa façon d’aborder le basculement dans la folie totalitaire à travers un thriller palpitant.

« Quoi qu’il en soit, un fabuleux roman. » Jean-Pierre Deloux, Polar

Mon avis :

Edmonde Kerrl, voilà un nom que je ne risque pas d’oublier, même si j’ai plus ou moins apprécié ce roman. Cette jeune femme va nous raconter sa vie, guidée par ses pulsions sexuelles et l’absence de son père, à travers la montée et la chute des nazis en Allemagne. De son adolescence et la découverte de ses premiers émois avec sa cousine jusqu’à sa condamnation à mort, elle ne nous cache rien et Marc Behm nous rend ce roman à la fois érotique et horrible, violent jusqu’à l’inacceptable et sarcastique.

Grossissant le trait jusqu’au grotesque, Marc Behm a certainement voulu montrer l’absurde du nazisme. Mais là où cela cloche, ce sont toutes ses libertés prises vis-à-vis de la vérité historique et le déroulement de l’intrigue qui place Edmonde toujours là où il se passe quelque chose.

Elle va fréquenter les plus hauts dignitaires de l’Allemagne, grâce aux innombrables orgies auxquelles elle participe, va frayer son chemin sans le vouloir, car elle n’est pas plus nazie qu’une autre. Elle est juste guidée par son égoïsme et son seul plaisir. Si au début j’ai bien accroché, surtout par l’acuité de la psychologie, j’ai petit à petit relâché mon intérêt par la violence de la fin. Vous êtes prévenus, c’est une sacrée charge contre le nazisme, sur un ton sarcastique et cynique mais c’était un peu trop pour moi.

Gueule de fer de Pierre Hanot

Editeur : Manufacture de livres

Si j’aime bien les romans qui ont un fond historique, je ne lis que très rarement des romans biographiques. Alors pourquoi avoir choisi ce roman là ? En premier lieu, je dirai que c’est le billet de Claude qui m’a décidé. Ensuite, je suis fan de boxe. Enfin, la période évoquée (la première guerre mondiale) est une période qui restera pour moi un point d’interrogation, ne comprenant pas comment on a pu faire durer ce conflit avec toutes les horreurs qui ont été perpétrées. Et puis je suis tombé sur ce roman, court mais si intense … L’émotion qui se dégage de ce roman est tout simplement incroyable.

Le roman démarre en 1914. Champion de France Poids Mouche, Eugène Criqui vient de passer Poids Coq et commence par une défaite face à Ledoux. Cette défaite est dure à avaler, c’est comme s’il était passé sous un train. Le moral est en berne, il songe à arrêter. Mais son entraineur lui répète que c’est dans la défaite qu’on forge les champions. Alors, il va remettre les gants et repartir au combat.

Mais le conflit de la Grande Guerre approche et Eugène va être mobilisé. D’abord placé à l’arrière des lignes, parce qu’un gradé est un de ses fans, il demande de passer sur le front, car il veut se battre. Il connaitra tout, l’automne et son vent glacial, l’hiver et son froid paralysant, les assauts, les petites victoires, les grandes morts. Il découvrira l’amitié, la loyauté. Et il retiendra cette envie de se battre, de ne rien lâcher … jusqu’à cette balle qui lui traversera la mâchoire. On lui posera une plaque en fer pour soutenir tout le bas du visage.

Il reprendra la boxe dès 1917, ne cédant rien devant ce besoin d’avancer, fera des tournées en Australie, aux Etats Unis, jusqu’à obtenir sa chance au championnat du monde. Et il deviendra champion du monde, le deuxième champion français après Georges Carpentier. Et Eugène Criqui est tombé dans l’oubli, ce qui est une flagrante injustice.

Construit sur la base de chapitres courts, eux même découpés en scènes, Pierre Hanot choisit minutieusement ses passages pour nous montrer la vie de cet homme, qui si elle n’a pas été spectaculaire, a fait montre de succès à force de travail, de courage et d’amour, à la fois de son sport et de sa future femme.

C’est aussi le style très direct qui m’a époustouflé. J’ai rarement lu un livre qui disait autant de choses avec si peu de mots ; qui faisait passer autant d’émotions avec autant d’économie de phrases. Par moments, j’ai ouvert la bouche d’étonnement, j’ai détourné la tête devant certaines horreurs, j’ai eu la gorge serrée dans les moments tristes et j’ai crié de joie pour sa victoire au championnat du monde alors que cela tient dans un minuscule chapitre.

Tout cela est fait avec beaucoup de simplicité, et avec un choix minutieux des mots, une construction talentueuse des phrases si bien qu’il est difficile de ne pas être touché par la vie de cet homme. L’auteur montre aussi simplement la trajectoire de cet homme exceptionnel de courage et de ténacité, en nous évitant une morale qui aurait terni le propos. Ce roman est en fait un formidable hommage envers un homme injustement oublié et c’est une formidable réussite, un roman qui m’a réellement ému et impressionné.

La daronne de Hannelore Cayre

Editeur : Métaillié

Voici mon avis sur un roman dont on a beaucoup parlé en début d’année, et qui vient de se voir décerner le Grand Prix de la Littérature Policière 2017. Je ne vais vous donner qu’un seul conseil : jetez vous sur ce roman formidable.

Quatrième de couverture :

« On était donc fin juillet, le soleil incendiait le ciel ; les Parisiens migraient vers les plages, et alors que j’entamais ma nouvelle carrière, Philippe, mon fiancé flic, prenait son poste comme commandant aux stups de la 2e DPJ.

– Comme ça on se verra plus souvent, m’a-t-il dit, réjoui, en m’annonçant la nouvelle deux mois auparavant, le jour de sa nomination.

J’étais vraiment contente pour lui, mais à cette époque je n’étais qu’une simple traductrice-interprète judiciaire et je n’avais pas encore une tonne deux de shit dans ma cave. »

Comment, lorsqu’on est une femme seule, travailleuse avec une vision morale de l’existence… qu’on a trimé toute sa vie pour garder la tête hors de l’eau tout en élevant ses enfants… qu’on a servi la justice sans faillir, traduisant des milliers d’heures d’écoutes téléphoniques avec un statut de travailleur au noir… on en arrive à franchir la ligne jaune ?

Rien de plus simple, on détourne une montagne de cannabis d’un Go Fast et on le fait l’âme légère, en ne ressentant ni culpabilité ni effroi, mais plutôt… disons… un détachement joyeux.

Et on devient la Daronne.

Mon avis :

On pourrait penser que la quatrième de couverture en dit beaucoup, voire trop. En fait, il est difficile d’attirer l’œil de l’acheteur devant un tel roman. Certes on en dit beaucoup, mais il y en a tellement plus dans le roman. Tout ce roman tient dans sa narration et son style, et je peux vous dire que ce roman est une bombe de drôlerie et de cynisme, un grand moment de critique et de second degré. On sourit beaucoup, on rit beaucoup des piques sur quelques travers de la société. Et le plus fort de ce roman, c’est quand vous avez tourné la dernière page, et que vous vous rendez compte de l’ensemble du roman, et de tout ce que Patience Portefeux vous aura montré. Vous vous rendez compte de ce que vous voyez tous les jours mais que vous ne remarquez même plus, et c’est jouissif.

C’est le bon terme pour qualifier ma lecture de ce roman : c’est totalement jouissif. La forme du roman est présentée comme une biographie, au travers d’une discussion. Vous êtes assis dans votre fauteuil bien confortablement, et Patience va vous raconter sa vie. Démarrant par sa naissance et la déception de son père d’avoir eu une fille au lieu d’un garçon, à son mariage qui n’aura duré que sept années de furtif bonheur, de ses deux filles qui sont parties bien vite de la maison à ses difficultés à joindre les deux bouts pour élever ses filles du mieux possible, Hannelore Cayre nous raconte la survie d’une femme cherchant à se débattre pour garder une certaine décence.

Le coté comique, décalé de cette histoire tient dans le fait qu’elle parle arabe et qu’elle va devenir traductrice pur la justice puis pour la police. Payée au noir par l’état, comme les jeunes gens qui sont accusés en procès, je vous laisse imaginer le coté cocasse de la situation. Et puis, cette femme qui a atteint la cinquantaine ne rêve que d’une chose : offrir quelque chose à ses filles. Et sa vie simple va devenir un peu plu compliquée par un hasard et une prise de risque due au fait que pour la première fois de sa vie, elle va se prendre des initiatives. Bon, c’est un polar, alors elle va franchir la ligne jaune !

Il y a tant de choses dans ce roman mais aussi une justesse, un ton véridique, que l’on a l’impression d’entendre une confession. Et on en remet jamais en cause ce qu’elle nous dit. La narration est parfaite d’un bout à l’autre. Si vous ne le savez pas, l’un de mes auteurs favoris, toutes époques confondues est Thierry Jonquet. Eh bien, j’ai eu l’impression qu’il était revenu d’entre les morts pour nous offrir ce fantastique roman social. Superbe !

Je vous joint quelques liens vers des billets tout aussi enthousiasmants.

http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2017/04/la-daronne.html

http://www.encoredunoir.com/2017/06/la-daronne-de-hannelore-cayre.html

http://leblogdupolar.blogspot.fr/2017/03/hannelore-cayre-la-daronne-une-femme.html

https://actudunoir.wordpress.com/2017/03/24/hannelore-cayre-revient-et-cest-bon/

Dernier virage avant l’enfer d’Emmanuel Varle

Editeur : Les Presses Littéraires

Voilà un roman que j’ai lu par hasard, au sens où je n’en avais pas entendu parler. Heureusement, l’auteur m’a contacté et m’a donné envie de le lire. Et ce roman se révèle une excellente surprise, venant d’un auteur dont ce n’est que le troisième roman. Le meilleur est à venir, je vous le dis.

L’auteur :

Né à Paris en 1960, Emmanuel Varle a toujours été passionné, dès sa plus tendre enfance, par les faits divers. Il est donc logiquement entré dans la police dont il est sorti avec le grade de Commandant Fonctionnel. Retraité depuis quelques mois, il consacre désormais l’essentiel de son temps à l’écriture de romans. Il entend mettre sa riche expérience professionnelle conjuguée à son amour de la littérature, des arts, du monde animal, de l’histoire, des faits de société et de tant d’autres domaines au service de ses lecteurs. Dernier virage avant l’enfer est son troisième roman.

Mon avis :

Installez-vous dans votre fauteuil, en face de Roland Mertonnier, dit le Baron, enfermé dans sa cellule. Il aura passé autant de temps dehors à faire son boulot de truand qu’en prison. Il va vous raconter sa vie, car il sent qu’il est dans la dernière ligne droite. Il va vous décrire sa vie actuelle, sa vie passée, ses rencontres, ses réussites, ses échecs … Emmanuel Varle nous convie à une biographie d’un truand totalement inventée.

Ce qui est assez saisissant, c’est cette facilité de rentrer dans la peau de ce personnage et de nous faire vivre sa vie. On a vraiment l’impression de suivre une discussion en tête à tête avec quelqu’un. Alors, il nous interpelle, nous prend à témoin et fait défiler les événements qui ont ponctué sa vie selon son bon vouloir, selon ce qu’il pense et part dans des digressions qui ne suivent que le fil de cet esprit brillant et fatigué.

Car cet homme de plus de 70 ans va nous parler de sa jeunesse, de la façon dont il va découvrir que la violence le rend plus respectable aux yeux des autres, du choix qu’il fait de refuser la normalité de sa famille bourgeoise pour embrasser volontairement la carrière de truand, du drame de la mort de sa sœur, de la volonté de devenir le nouveau Clyde, d’éviter la routine, de rechercher l’action, le stress, de se sentir vivant.

De façon totalement non chronologique, et c’est bien une des grosses qualités de ce livre, il va parler des grands noms du banditisme, ceux qu’il n’a jamais rencontrés mais dont il a entendu parler, des cavales, des putes, des amis vrais et faux, de la liberté et de la prison. Il ne cherche pas l’absolution ni aucune justification, c’est juste un témoignage d’un homme qui a choisi de faire ce boulot (et il emploie ce terme plusieurs fois dans le roman), en changeant de branche, passant du racket au vol, du braquage au proxénétisme en fonction de ce qui rapporte le plus d’argent, comme d’autres changent de métier.

Roland ne cherche pas non plus le pardon. D’ailleurs, il se fout des autres et de ce qu’ils ont pu devenir, de ses parents comme de ses enfants (il en a deux reconnus et il en a peut-être un troisième tant il lui ressemble). Il témoigne aussi des nouvelles formes de banditisme, sans foi, ni loi, ni respect, et embraille sur le fait que cela vient des noirs et des arabes, car il est raciste ; il le dit et le clame haut et fort.

Roland dit beaucoup de choses, sur sa vie actuelle, en prison, où il connait par cœur les codes. Il raconte comment il doit se plier aux exigences, comment on paie pour se procurer de petits extras. Il raconte aussi les flics, les ripoux, les rusés, les matons pourris, les gardiens violents. Il narre les autres prisonniers et préfère définitivement être seul, sous menace de se suicider.

Roland nous parle de ce jeune homme, Timothée, qui vient le voir et lui offre des choses à manger. Mais Roland ne nous dit pas tout. Il nous raconte son dernier casse (à 64 ans, un record !) mais il ne nous dit pas combien de gens il a tués, ni combien de femmes il a frappée. C’est aussi cette part d’ombre qui construit le personnage. Ce sont autant les paroles que les non-dits qui construisent son histoire.

Ce roman est une incontestable réussite car l’auteur arrive à nous faire croire à ce personnage bavard qui nous parle de sa vie ; et comme bien souvent, c’est débridé, les digressions sont nombreuses mais à chaque fois justifiées, et on a plaisir à retrouver Roland pour un nouveau monologue, à chaque fois qu’on ouvre le livre. Allez, vous aussi, installez-vous dans ce fauteuil en face du Baron, et écoutez, apprenez !

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul

Trafiquante de Eva Maria Staal (Editions du Masque)

Indéniablement, si vous cherchez un roman noir original, ce roman est fait pour vous. Original autant dans son sujet que dans sn traitement. Et pourtant, j’avais beaucoup de réserves quant à ce roman, pour une seule raison : je n’aime pas quand on dit que c’est inspiré d’une histoire vraie. Pour moi, la littérature doit rester le royaume de l’imagination … mais ce n’est que mon avis.

Bref, à ce moment de mon billet, je devrais vous faire un résumé des premières pages pour que vous ayez une idée du sujet. Sachez que j’en suis incapable, et que donc, en fin de billet, je vous mettrai la quatrième de couverture, qui est remarquablement bien faite. Sachez aussi que pour faire court, ce roman raconte la vie d’une jeune femme qui a été trafiquante d’armes pour le compte d’un Chinois, Jimmy Liu.

J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce roman, mais je pense que c’était surtout lié à mes aprioris que je vous ai cités ci-dessus. Parce que, une fois rentré dedans, on a plutôt affaire avec une histoire autant impressionnante que détestable. Et c’est surtout la forme qui m’a semblé la plus choquante. Sachez enfin, que les chapitres alternent entre passé et présent, entre Eva Maria trafiquante d’armes et Eva Maria mère de famille, mais que tous les chapitres sont écrits au présent.

Et c’est bien là que cela fait le plus mal : ce refus de prendre de la distance dans ce que l’auteure écrit. Que cela soit dans les différents marchés qu’elle réalise en extrême orient, au Pakistan, ou en Tchétchénie, la narration nous plonge dans un autre monde, celui de l’horreur dans ce qu’elle a de plus terrible, car on a droit à des scènes terribles qui montrent les ravages des armes, sans que Eva Maria Staal ne montre une once de sentiment. Que cela soit aussi, quelque dix années plus tard, dans sa vie de mère de famille, on retrouve ce manque d’émotions et ce style sec, direct et brutal qui est aussi choquant que les pires scènes d’horreur du chapitre précédent.

C’est dans cette alternance, dans cette absence de vie, dans ce refus de descriptions pour laisser la plus grande part à l’imagination, que le roman devient le plus terrible, que ce roman frappe le plus fort le lecteur. Indéniablement, ce roman peut dérouter certains lecteurs, mais pour son voyage dans la psychologie d’une personne qui n’a rien à perdre, il en vaut le coup rien que pour l’originalité de son traitement. C’est un roman qui ne vous laissera ni indifférent, ni indemne.

Ne ratez pas en tous cas, l’avis des Unwalkers sur le sujet

Quatrième de couverture :

Il y a dix ans, Eva Maria gardait toujours une arme dans son sac à main. Un cadeau de Jimmy Liu, son patron, marchand d’armes fantasque d’origine chinoise ayant un faible un peu trop prononcé pour les jeunes escort-boys.

Islamabad, Pékin, Karachi: l’improbable duo parcourt le monde pour conclure des contrats de plusieurs millions de dollars. Leurs interlocuteurs: seigneurs de guerre sans pitié et chefs d’État corrompus.

Rattrapée par sa mauvaise conscience après une mission qui tourne mal, Eva Maria décide de raccrocher et se réfugie dans une vie paisible, sans armes mais avec mari, maison et bébé. Dix ans plus tard, le souvenir de son ancienne vie revient la hanter. À travers ses réminiscences, Eva Maria nous entraîne alors dans les turpitudes de son passé, l’occasion pour elle de se livrer à un véritable travail d’introspection et à une profonde réflexion sur le monde qui l’entoure.

Eva Maria Staal est le pseudonyme d’une auteur néerlandaise à succès qui a travaillé dans la vente d’armes pendant plus de quinze ans. Elle contribue régulièrement au magazine Dutch Monthly, ainsi qu’à d’autres publications.