Editeur : Les Arènes – Equinox
Après la Nouvelle Zélande, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Chili, Caryl Ferey nous emmène dans des contrées tout aussi hostiles, à Norilsk, en Sibérie, l’une des villes les plus au Nord du cercle polaire, mais aussi l’une des villes les plus polluées.
Alors que la tempête se déchaine à l’extérieur, Gleb Berensky tient absolument à prendre une photo du jour qui se lève, chose rare que cette nuit pourpre. Dehors, il fait -64°C, les vents dépassent les 200 km/h. Laissant son compagnon Nikita au chaud, il grimpe les marches en direction du toit. En restant à l’abri de l’escalier, il devrait y arriver ; il aura tout juste deux minutes pour appuyer sur le bouton. Il aperçoit alors le toit d’un immeuble voisin emporté par la tornade, s’écrasant sur le corps d’un homme mort.
Boris et Anya Ivanov forment un couple disparate, lui ayant le double de l’âge de sa femme. Anya apprécie la gentillesse et l’honnêteté de son mari, bien qu’il ne soit pas beau. Lors de la visite chez le pneumologue, ils apprennent des nouvelles bien peu réjouissantes. La seule solution serait d’être acceptée dans un sanatorium sur le continent. De retour au bureau, Adrian Illitch charge Boris d’identifier le corps trouvé sous les décombres du toit. Sa seule piste réside dans les vêtements de la victime, en peaux de rennes, comme les éleveurs autochtones, les Nenets.
Boris commence son enquête par les habitants voisins de l’immeuble en ruine. Il fait la connaissance de Dasha, une costumière et Gleb, mineur de profession dont la passion est la photographie. Sur un blog, il reconnait la victime et l’auteur de la photo. Mais il ne peut que lui confirmer qu’il s’agit d’un Nenets. Il va lui falloir attendre plusieurs semaines avant de rencontrer la troupe d’éleveurs de rennes.
Caryl Ferey adopte le rythme de cette région du bout du monde, où l’Homme tente de survivre dans des conditions extrêmes. Tout ça pour prévenir que le rythme de ce roman policier est lent, et empreint d’une ambiance glaciale. Il insiste sur la météorologie et sur la façon dont les habitants vivent, nous immergeant ainsi dans une zone que je ne visiterai probablement jamais.
L’accent est mis sur les conditions de vie, ainsi que sur l’histoire de cette région, d’un aspect politique, économique et humain. Et comme pour chaque roman de Caryl Ferey, tout ceci est inséré dans l’intrigue, et devient tout de suite passionnant. Comment peut-on expliquer que des femmes et des hommes acceptent de vivre dans une ville bâtie sur un ancien goulag, n’aient pour seul espoir que de travailler dans les mines de Nickel dans une atmosphère létale, si ce n’est pour gagner de l’argent et partir loin vers des contrées plus accueillantes ?
Au-delà de Norilsk, Caryl Ferey nous parle aussi de la Russie, de son rêve de société égalitaire à une dictature corrompue, de consortiums entre les mains des dirigeants politiques à la suite de la chute du communisme, de Norilsk Nickel, société d’exploitation des mines de Nickel qui pollue l’air, tue ses mineurs mais en tire des sommes astronomiques pour les hommes du pouvoir de Moscou.
Encore une fois, Caryl Ferey nous offre un roman à hauteur d’hommes (et de femmes) et ne montre jamais d’émotions, se contentant de faire son travail de témoin et d’écrivain, déroulant son intrigue d’une façon remarquable pour arriver à une conclusion forcément noire. La grosse différence dans ce roman, par rapport aux précédents, c’est l’écriture de Caryl Ferey, qui a muri, qui est portée par une assurance tranquille, nous permettant de nous plonger dans ce décor infernal. LËD est le roman le plus abouti, le mieux écrit par l’auteur.