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L’âme du fusil d’Elsa Marpeau

Editeur : Gallimard La Noire / Folio

Auréolé d’avis élogieux chez la plupart de mes collègues blogueurs, je me devais de lire le dernier opus en date d’une auteure dont j’apprécie particulièrement la plume.

Philippe a passé vingt ans dans une entreprise agro-alimentaire à mettre des pains au lait dans des cartons, avant de se faire remercier brutalement. Il commence à chercher un emploi avant de se rendre compte que, la quarantaine passée, on est déjà trop vieux pour le marché du travail. Alors, il vit du salaire de sa femme infirmière Maud et regarde son adolescent de fils Lucas s’abrutir sur son téléphone.

Sa passion, c’est la chasse avec les copains du village. La préparation, les réunions au bar devant un verre de vin, les discussions pour refaire le monde, l’ouverture tant attendue et les battues pour ramener du gibier à cuisiner. Philippe ne désespère pas de former son fils, de le sortir des limbes d’Internet où on ne rencontre personne en vrai, de ce monde virtuel où rien n’existe.

Alors qu’il arpente les bois, il débouche sur le lac, où il vient y chasser les canards. Quelle surprise éprouve-t-il en apercevant un jeune homme nu en train de se baigner. Philippe ne peut s’empêcher de l’épier, et, prenant son courage à bras le corps, il accoste Julien le citadin, et lui apprend qu’il doit mettre de la paille pour que les petits canetons puissent manger. Puis, il va inviter Julien à un repas avec les copains de la chasse. Il ne sait qu’il vient d’enclencher une mécanique dramatique.

Elsa Marpeau va prendre son temps pour installer le décor et les personnages, de façon totalement naturelle, et presque poétique quand elle va aborder la nature. L’auteure a décidé de présenter ce roman sous la forme d’une confession de Philippe à son neveu Pierre, ce qui m’a posé quelques problèmes d’incohérence, car j’en attendais plus de termes argotiques par exemple, alors que le style est plutôt littéraire.

Pour autant, elle ne juge pas les chasseurs, nous les montrant même amoureux de la beauté de la nature et respectueux des règles. Elle y emploie d’ailleurs des termes judicieux qui montrent sa grande connaissance de la faune et de la chasse (et je ne suis pas chasseur !). Toutes ces qualités en font un livre très agréable à lire. D’autant que l’on sent un drame arriver.

Et ce drame va subvenir dans les vingt dernières pages du livre, au demeurant relativement court (182 pages). Là encore, Elsa Marpeau va rester factuelle, ne dégageant de ses mots que peu d’émotions pour rester très factuelle. Par contre, le drame en lui-même est surprenant et on ne s’y attend pas. Cela donne une lecture très agréable, tout en respect envers le monde rural et ses habitants, faisant ressortir les émotions brutes des personnages et sans effets impressionnants, un bon roman dont j’attendais probablement plus de passion.

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Presqu’Îles de Yan Lespoux

Editeur : Agullo

Aux commandes du blog Encoredunoir, Yan Lespoux, pour son entrée en littérature, a choisi le format des nouvelles. Nous allons retrouver dans Presqu’îles 37 morceaux, 37 scènes de vie, 37 polaroïds comme autant de personnages soit se promenant en bord de mer, soit arpentant les bois pour une chasse, soit levant le verre de l’amitié. Yan nous propose une visite des Landes, peuplées de personnages hauts en couleurs.

Habitué à ses chroniques, le niveau littéraire ne m’a pas étonné ; par contre, la facilité à installer un décor, instiller une ambiance m’a passionné. Avant de se lancer dans une grande aventure, un grand roman, Yan a choisi des petits bouts de chemins comme des étapes avec des arrêts obligés, comme pour se rassurer. Et comme le dit Hervé Le Corre dans la préface, des 37 ballades nous font rencontrer un écrivain.

Ces histoires ont toutes un point commun, le sud-ouest ; pas celui des villes, mais celui compris entre les forêts de pin et la mer, souvent un petit village avec un bar. Là, on y discute des nouvelles (Carnet du jour), parce que c’est bien plus fiable que ce qu’ils nous montrent à la télévision ; on y devise sur Le premier noyé de la saison. On se moque aussi des gars de la ville (Le Bordelais), thème comique qui reviendra souvent comme une concentration du ressentiment que l’on peut avoir envers les autres, les étrangers. Mais il y a pire que le Bordelais, il y a Le Parisien ; et pire encore, L’écolo, excellente nouvelle comique. Le Charentais, en particulier, est une nouvelle digne d’un sketch comique, excellent.

Ce régionalisme, qui tend ici à se transformer au localisme, donne lieu à de beaux moments tendres et cyniques, comme dans Intégration où un jeune qui vient s’installer dans la maison de son grand-père pour monter une boutique de réparation de vélos, croit avoir gagné la reconnaissance voire l’amitié de ses copains d’enfance. Le thème devient encore plus fort dans Une vie, plus amer comme dans Une histoire d’amour, plus nostalgique dans Le couteau, ou plus drôle quand il aborde les conversations idiotes des piliers (L’Arabe).

Les bois, souvent noyés dans la brume, nous font admirer leur flore (Un secret), et parfois leur faune (Le cerf). Ils servent de décor, et donnent lieu à une des principales occupations du coin, les Parties de chasse, qu’elle soit aux canards (La loi de l’Ouest) ou au plus gros gibier (Dépeçage ou Le Cerf). Pour la cueillette des champignons, Le mirage donne lieu à un personnage très émouvant.

La mer, véritable joyau de la nature, permet un ressourcement qui vaut toutes les séances de yoga (Un jour parfait). Le flux et le reflux, les odeurs, les sons chatoyants permettent de prendre le recul nécessaire. La mer concentre l’autre activité de ces villages côtiers, la pêche, avec ou sans permis. La mer donne lieu à de vrais moments de nostalgie, lors des réunions entre copains (L’enjambeur)

Yan Lespoux n’oublie pas sa culture de base, et nous offre aussi des superbes scenarii noirs, de vrais petits polars comme Rencontre où un pêcheur va faire une mauvaise rencontre ; ou Cambriolage où 2 jeunes ratent celui d’une quincaillerie, sans oublier Incendie ou Moisson qui aborde la culture du cannabis ; à chaque fois, la chute est mémorable. Le voyage de Jésus est terrible de ce point de vue. Et quand il aborde la musique, ce sont de vrais moments de nostalgie qui nous émeut (Le chanteur) ou nous tire un sourire (Le concert fantôme).

Les personnages, tous attachants, sont formidablement vivants. Ils nous partagent leur vie simple, leurs bons moments, leurs conneries (Le Terre-Neuve), même si elles sont parfois fatales (En apnée). Ils se trouvent des Surnoms qui se veulent affectifs, mais peuvent être blessants. Si le ton se veut respectueux, on trouve de beaux moments de pure comédie, teintés d’humour noir. Sécurité routière où deux malfrats sont suivis par des gendarmes. On y trouve aussi de pauvres bougres, au bout du rouleau (Rien ne va plus) dont le destin se retrouve bien sombre.

Enterrement, qui clôt ce recueil, montre tout le talent de Yan quand il aborde avec sensibilité et émotion retenue l’enterrement d’un père. Là encore, la nostalgie des souvenirs passés alliée à la simplicité du style font de cette évocation un pur moment de tendresse.

Quelque soit le genre abordé, l’écriture vous prend par la main, pour vous présenter ces villages visités uniquement l’été par des hordes de touristes, ces villages, abandonnés par les autoroutes, où on passe le temps, simplement, en se laissant bercer par le doux flux des vagues. Chaque nouvelle montrera des personnages attachants que Yan Lespoux ne juge jamais, les rendant plus vrais que nature (Jamais mieux que chez soi). Et à chaque fois, la chute vous laissera coi, tant Yan montre la maitrise de cet art difficile, qu’est la nouvelle.

Ce lien entre nous de David Joy

Editeur : Sonatine

Traducteur : Fabrice Pointeau

Il s’agit déjà du troisième roman de David Joy, après Là où les lumières se perdent et Le poids du monde et on peut y déceler une courbe ascendante dans son œuvre qui a pour but de montrer la vie des délaissés du rêve américain, au travers des habitants des campagnes éloignées des grandes villes qui monopolisent le devant de la scène.

Darl Moody a toujours vu le cerf passer de la propriété des Buchanan aux bois de Coon Coward. Et bien que la chasse ne soit pas ouverte, il part à la chasse à la nuit tombée. Quand il ressent un mouvement à la limite de sa vision, il épaule son fusil et tire. Le calme revient et Darl va voir sa proie. Il est plus que surpris de voir un corps étendu dans la terre boueuse. En le retournant, il découvre Carol Brewer, le frère de Dwayne, que tout le monde surnomme Sissy.

Dwayne Brewer visite le Walmart de Franklin, intéressé par le rayon des bières. Il remarque un jeune garçon en train d’essayer une paire de chaussures, maladif, craintif comme son frère le fut. Deux jeunes hommes se présentent et le harcèlent, le traitant probablement de Minable ! Il ne voit qu’une seule façon de régler le conflit : il coince le plus grand et lui pointe son flingue sur le front, en l’obligeant à tremper ses chaussures dans les toilettes sales. Tout le monde a besoin d’être dompté. Dwayne se hâte de rentrer pour retrouver son frère, qui est parti voler du ginseng chez Coon Coward.

Calvin Hooper finit sa bière, alors que sa petite amie Angie vient d’aller se coucher. Quand le téléphone sonne, il se demande qui peut bien l’appeler au milieu de la nuit. Au bout du fil, Darl lui demande de lui prêter sa pelleteuse, et ça ne peut pas attendre le lendemain. Unis comme les doigts de la main, Calvin ne peut rien refuser à Darl et se rend près du champ de Coon Coward. Il découvre le drame, et se mettent au travail pour enfouir le corps de Carol.

Ce roman dramatique va se dérouler une nouvelle fois dans un village des Appalaches, loin des grandes villes de lumière, et nous montrer la vie de ces petites gens, au milieu de la nature dont ils ont conservé les lois. La loi de la nature, c’est celle du plus fort, celle de régler simplement le plus complexe des problèmes. Quand on a tué par accident un homme, on ne va pas appeler la police, on va l’enterrer en espérant que l’affaire n’aille pas plus loin. Quand on tue un membre de votre famille, la règle s’énonce clairement : Œil pour œil, dent pour dent.

Les personnages placés, le décor planté, David Joy va donc dérouler son histoire comme une tragédie shakespearienne sur des bases simples : trois personnages auxquels vont s’ajouter Angie et le policier Stillwell. Entre eux n’existera aucune notion de bien ou de mal, juste des liens de sang, qui va couler jusqu’à une dernière scène au suspense insoutenable et à la conclusion mystérieuse.

Dans ce drame, on ne parle pas de loi, mais de règles de vie, celles de la famille que l’on doit protéger à tout prix ; de loyauté envers les amis que l’on doit sauver quel qu’en soit le prix. La loi du plus fort fait régner une ambiance lourde tout au long de ces pages en même temps qu’on se rend compte que l’on ne respecte pas son voisin, on le craint car il risque de sortir un flingue et de presser la détente.

Brutal et violent, sans être démonstratif, ce roman dégage une force de narration peu commune, tant la plume de David Joy est juste, simple et toujours expressive. Chaque mot, chaque phrase dit quelque chose, parle à notre oreille et s’avère d’une efficacité redoutable tant dans les scènes intimes que dans les scènes de menace. Il en ressort une tension palpable, une puissance créant un suspense menaçant. Avec ce roman, David Joy montre une trajectoire ascendante dans son style et sa façon de raconter sa région et ses habitants, et dans le cas de celui-ci, il est difficile de trouver mieux : Un écrin noir éblouissant.

La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto

Editeur : Editions Inculte

Je ne connaissais pas cette maison d’édition, je ne connaissais pas l’auteur, et il aura fallu le billet de Laulo pour me convaincre de partir à l’aventure, comme une randonnée dans les montagnes, dans un paysage beau mais dur.

Guillaume Levasseur est un jeune homme qui a bourlingué de par le monde. Quand il débarque dans le village de Ségurian, encastré parmi les montagnes, il sait qu’il va pouvoir vivre là, créer quelque chose, et être heureux. Il ne demande pas grand-chose d’autre. Alors, il décide d’élever des moutons. Il les emmènera en pâturage dans les hauteurs et vivra chichement de leur viande et leur laine.

Au village, s’il est une tradition qu’il ne faut pas changer, c’est bien la chasse au sanglier. Ils sont une poignée à se donner rendez-vous, pour faire une battue dans la montagne, accompagnés de leurs chiens féroces. L’arrivée d’un berger en plein terrain de chasse est vue comme un défi, surtout venant d’un étranger. Il y a une chose dont ils sont sûrs, c’est qu’il va falloir qu’il parte, coûte que coûte.

Il y a une deuxième tradition qu’il ne faut surtout pas changer : La fête de la Saint Barthélémy. Ce jour-là, le village est en liesse, on mange, on boit, on rit. Cette date du 24 août, c’est une date incontournable pour tous et ce n’est pas un berger qui va la perturber.

Il faut avoir bien du courage pour écrire et même éditer un roman dont l’intrigue fait penser à Jean de Florette et dont le cadre ressemble à s’y méprendre à des grands classiques de la littérature française ; on peut parler d’Emile Zola, Jean Giono entre autres. Et pourtant, ce roman dépasse les comparatifs et porte en lui sa propre identité, autant par sa construction que par son style.

De la construction, je noterai le rythme donné par les fêtes de la Saint Barthélémy, pendant six années de suite comme autant de chapitres. Et pendant chaque année, on va voir l’intrigue se dessiner, se construire, et les deux camps se monter l’un contre l’autre. Guillaume va développer sa bergerie envers et contre tous, modernisant petit à petit ses installations, remportant des succès comme cette renommée quant à la qualité de la viande qu’il fournit. De l’autre, le clan des chasseurs, aveuglés et enfermés dans leurs traditions d’un autre temps, se montant la tête pour chasser l’intrus, l’étranger, l’autre qui les nargue dans leur bêtise.

L’histoire va évidemment être dramatique et pour autant, ce roman est passionnant par cette plume qui alterne sur tous les registres avec toujours autant de justesse. Tantôt elle nous prend à parti, tantôt elle est poétique, atteignant des hauteurs immaculées, tantôt elle se veut vulgaire, ou plutôt populaire. Mais à chaque fois, elle est unique car totalement assumée et personnelle.

Si on peut être surpris mais jamais rebuté, on ressort de cette histoire avec un goût amer dans la bouche mais ébloui par quelques morceaux de littérature éblouissants. Car plusieurs fois dans le livre, j’ai levé la tête des pages et me suis exclamé : « Ouah ! Trop fort ! ». C’est un vrai livre d’auteur et je ne peux que vous encourager à le découvrir. Le voyage en vaut largement la chandelle.