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Jeannette et le crocodile de Séverine Chevalier

Editeur : Manufacture de livres

En un peu plus d’une dizaine d’années, Séverine Chevalier n’aura écrit que quatre roman. Je me rappelle Clouer l’ouest, et ce portrait de villages perdus au milieu de nulle part, peuplés d’âmes errantes.

Jeannette habite à Clat-les-Bains, un village. Pour ses dix ans, elle croit à la promesse de sa mère : ils iront voir Eléonore, un crocodile trouvé dans les égouts de Paris et récupéré par le zoo de Vannes. Jeannette dessine son rêve, colle le portrait qu’elle a réalisé sur le réfrigérateur, car c’est devenu son rêve, l’objectif d’un ailleurs possible. Jeannette vient de mettre le dernier trait sur son dessin numéroté 55. Elle a même fait un exposé pour sa classe.

Blandine, sa mère, ne se sent pas bien ce matin. Elle demande à Jeannette de lui ramener la bouteille d’eau qui est au frais. Elle a vérifié la somme qui est dans le cochon-tirelire, et la bouteille de vodka désespérément vide sous son lit. L’odeur de l’alcool l’obsède, son absence aussi. Elle décide d’aller acheter une bouteille d’alcool, elles iront voir le crocodile l’année prochaine. Jeannette entend un bruit, Blandine est tombée, dans un coma éthylique. Maman est morte ?

Cale fait un an que Blandine n’a plus touché une bouteille d’alcool, depuis qu’elle est sortie de l’hôpital. Mais l’appel court toujours dans ses veines. Elle a maigri depuis, sa peau est devenue flasque. Elle s’amuse dans les rayons du supermarché en regardant les hommes trainer autour des bouteilles. Mais elle n’a jamais reparlé de l’accident avec Jeannette, ni d’Eléonore.

Ce roman commence avec les rêves de Jeannette, dans un contexte qui, s’il n’est pas rose, reste au second plan. L’atmosphère est gentillette, cotonneuse, et l’auteure fait montre d’une grande tendresse envers cette fillette. Le retour à la réalité est d’autant plus brutal quand sa mère décide de dépenser l’agent dans une bouteille d’alcool, illustrant que les problèmes des adultes ne sont pas compatibles des envies des enfants.

Outre cette histoire de trahison, de mensonges quand on lui dit que le voyage pour voir le crocodile est reporté à l’année suivante, Séverine Chevalier introduit le contexte, les personnages, cette petite ville frappée par le chômage, les uns qui préfèrent partir chercher du travail, les autres choisissant de rester, tous réunis autour du bar où on ne peut rien faire d’autre que discuter d’une situation qui les coulent, qui les noient.

Plutôt que de rester en dehors de la situation, l’auteure s’implique, se positionne parmi eux, avec une plume tantôt poétique et tendre, tantôt dure et factuelle mais toujours exempte de naïveté. Et plus l’intrigue avance, plus Jeannette grandit, plus l’écart se réduit entre les illusions et la réalité, plus le monde passe du gris au noir, en oubliant les couleurs de l’arc-en-ciel, formidable illustration de la fragilité de l’espoir, et de la nécessité de protéger le monde des enfants.

Magnifique tant dans la forme que dans le fond, ce roman remarquablement intelligent atteint des sommets de subtilité et de poésie, aussi enchanteur que dur dans sa conclusion. Dans un monde sans pitié, Séverine Chevalier arrive à créer un cocon, si chaud et si doux à l’intérieur, qui protège de l’extérieur si froid. Ne manquez pas ce roman si subtil, cette plume si rare, cette histoire si terriblement actuelle.

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Ceux qui grattent la Terre de Patrick Eris

Editeur : Editions du Riez

Depuis ma lecture de Les arbres, en hiver, je m’étais promis de lire un autre roman de Patrick Eris. Cela tombe bien, L’Oncle Paul avec fait un très bon billet sur Ceux qui grattent la Terre et c’est un roman que j’avais reçu par les éditions du Riez, que je remercie au passage. Si ce roman est à classer dans le genre Fantastique, on y trouve un aspect psychologique et mystérieux qui permet de le situer entre différents genres.

Karin Frémont est une jeune femme qui habite Paris et est chômeuse de longue durée. La proposition d’un emploi de secrétaire pour le célèbre auteur Harald Schöringen est pour elle comme une bouée de sauvetage. Harald Schöringen est en effet un auteur réputé pour ses analyses d’événements surnaturels, qui est paralysé et finit sa vie dans un fauteuil roulant. Donc cet homme ne quitte jamais son gigantesque appartement situé sur les hauteurs de Montmartre et reste bien souvent enfermé dans ses pièces privées.

Karin est reçue par la secrétaire Helen White, qui va bientôt quitter son poste. Elle lui explique qu’Harald Schöringen n’est pas difficile à vivre, ne quittant que rarement son bureau. Il a besoin de quelqu’un qui classe sa documentation impressionnante et qui fasse des recherches pour lui. Parfois, il demandera qu’on lui fasse la cuisine ou qu’on aille lui chercher une pizza au coin de la rue. Karin ne peut qu’accepter ce poste.

Parmi les personnages que karin rencontre, il y a Farida, la femme de ménage. Celle-ci n’a pas plus de prérogatives qu’elle : elle n’a pas le droit de pénétrer dans le bureau de Schöringen. Il y a aussi la concierge, personnage discret, dont la santé semble se dégrader de jour en jour. En effet, elle ne dort plus la nuit depuis qu’elle entend d’étranges grattements sur les murs en faisant un bruit obsédant : scriiitch… scriiitch…

Karin, avec cet emploi, peut reprendre une vie sociale normale. Elle se remet à sortir, avec ses amis quand son travail de classement d’archives lui laisse du temps. Il y a juste ces cauchemars qui lui pourrissent ses nuits où un homme habillé en noir l’observe …

Avec un personnage principal dessinée avec juste ce qu’il faut, ce roman va en étonner plus d’un par sa façon de jouer avec les ambiances et de faire monter le suspense, tout en réservant une sacrée surprise pour la fin. C’est Karin qui va occuper la majeure partie de l’histoire, et plus elle va avancer (vous pouvez choisir Karin ou l’histoire pour remplacer le elle !), plus les mystères vont s’accumuler, et plus le lecteur va se demander dans quoi il a mis les doigts, ou plutôt les yeux. A sa façon de décrire les petits gestes quotidiens, à sa façon de faire avancer doucement le fil de l’intrigue, pour soudainement nous mettre en face des yeux une scène mystérieuse ou carrément stressante, j’ai pensé à Stephen King.

Car la vie de cette jeune femme est somme toute simple. Malgré cela, le stress monte avec les autres personnages qui ne dorment plus (et on les comprend !), ou bien avec la disparition d’un voisin sans laisser aucune nouvelle. On se doute bien qu’il y a anguille sous roche, mais avouez qu’une anguille à Paris, c’est rare ! Donc on parlera plus des mystères (… de Paris).

Puis, Karin et Schöringen vont quitter Paris. On en est déjà à la moitié du livre et les questions qui hantent le lecteur n’ont pas trouvé de réponse. Le fait de décor ne fait qu’amplifier cette sensation de mal-être où l’auteur s’amuse à nous emmener quelque part, mais plus on avance dans le livre, moins on comprend où il veut nous emmener ! Jusqu’à la fin ! Mes amis, cette fin est de celles qui rendent un livre inoubliable. Elle est de celles dont je ne peux rien dire et dont j’ai envie de parler ! Quelle frustration ! Et la dernière phrase est … tout bonnement géniale ! Lisez ce livre hors du commun, il ne se revendique pas être un chef d’œuvre, n’en est pas un mais je peux vous garantir que vous ne l’oublierez pas. Et le soir, dans votre lit, au moment de vous endormir, peut-être entendrez-vous vous aussi ce grattement mystérieux contre les murs … scriiitch… scriiitch…

Ceux qui grattent la Terre s’avère un livre vicieux, obsédant, tout en simplicité.

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul

Les salauds devront payer de Emmanuel Grand (Liana Levi)

Terminus Belz, le premier roman d’Emmanuel Grand, fut une belle découverte. Outre le fait que cela soit remarquablement écrit, il y avait un souci de montrer la vie des pêcheurs et leurs difficultés, voire même d’approcher le sujet de l’immigration clandestine. Si ce roman est bien différent, car il change de région, je trouve, pour ma part que c’est un roman très mature qui vaut plus que le détour.

Wollaing est une petite ville des environs de Valenciennes. Comme beaucoup de villes du Nord, elle est ravagée par le chômage. Il y eut par le passé une usine de plomb et de zinc qui, faute d’investissements, a connu de plus en plus d’accidents de travail. Si l’on ajoute à cela la vétusté de l’outil industriel et les grèves à répétition, l’issue devint inéluctable et l’usine ferma en 1983.

On retrouve de nos jours, une génération plus tard, toute une galerie de personnages ayant subi cette situation. Les anciens se rappellent les 10000 personnes que faisait vivre l’usine, les jeunes n’ont connu que le chômage et les fins de mois difficiles. D’autres ont profité de cette femreture pour ouvrir leur commerce, mais à part un bar, bien peu d’entre eux ont survécu.

En l’absence d’aide de l’état ou des banques, si on veut s’en sortir, il faut emprunter de l’argent auprès d’organismes douteux ayant pignon sur Internet. Et quand on oublie une mensualité, la société en question fait appel à des gros bras pour se faire payer par la force. C’est le cas de Pauline Leroy, une jeune femme douée d’une force de caractère peu commune. Depuis qu’elle est tombée amoureuse de Serge Maes, elle décide d’emprunter 50000 euros pour partir loin de la France. Quand Pauline est retrouvée morte dans un terrain vague, l’enquête fait place à peu de doute. Mais le commandant Buchmeyer et la lieutenante Saliha Bouazem vont avoir à faire avec une intrigue redoutablement retorse.

Habituellement, je fais un résumé des 100 premières pages pour donner un ordre d’idées du contenu d’un roman. Pour celui-ci, il m’aura fallu aller plus loin dans la lecture, non pas parce que le roman a un rythme lent, mais parce que l’auteur installe tranquillement le contexte avant que nous nous trouvions en présence du corps de Pauline. Jugez en plutôt : Les 50 premières pages m’ont plongé dans l’horreur de la guerre d’Indochine, puis d’Algérie, en compagnie de 4 soldats, livrés à eux-mêmes. Puis, nous faisons un saut dans le temps, jusqu’à aujourd’hui, et nous rencontrons une galerie de personnages habitant tous Wollaing, pour nous présenter le contexte.

Ne croyez pas que ce roman est long à lire, c’est tout le contraire : il est passionnant, vivant, véridique, écrit dans un style hypnotique. Il fait partie de ces romans qui vous plongent dans une ambiance et que l’on stoppe avec regret, en étant pressés d’y revenir. J’ai adoré tous les personnages, la minutie que l’auteur a mise à décrire leur quotidien, la subtilité qu’il a employée pour nous décrire la situation passée, pour nous montrer les conséquences sur la vie d’aujourd’hui.

On y trouve de tout : ceux qui ont réussi en ouvrant qui un bar, qui une salle de musculation ; ceux qui survivent en réalisant de petits boulots ; ceux qui ont échoué. Et a coté de cela, il y a ces jeunes, nés dans le chômage et n’ayant qu’un seul espoir : partir le plus loin d’ici. Ce roman montre aussi comment une région ravagée et sans avenir se tourne vers le trafic de drogue ou la prostitution car pour eux, c’est un moyen comme un autre de gagner de l’argent.

Ce roman est passionnant car tout sonne vrai, et malgré le nombre de personnages, on s’y retrouve aisément. Il faut dire qu’Emmanuel Grand a eu une sacrée idée d’associer deux flics à l’esprit totalement opposé : Buchmeyer étant plus bordélique et faisant confiance à son intuition, Saliha étant extrêmement factuelle. Et si on ne lira pas forcément ce livre pour son intrigue, le contexte et les personnages prenant toute la page, celle-ci (l’intrigue) est tout de même fort bien trouvée et sa résolution absolument pas tirée par les cheveux.

S’il faut comparer ce roman avec quelques références, Claude Le Nocher, dans une réponse à son billet, parle de Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu. J’ajouterai pour ma part qu’il y a du Martyn Waites dans sa façon de faire une autopsie d’une société qui va dans le mur, consciencieusement, en laissant à l’abandon des régions entières, des gens honnêtes qui ne demandent finalement pas grand-chose d’autre que de pouvoir vivre décemment.

Ne ratez pas l’avis de l’ami Claude

Le chemin s’arrêtera là de Pascal Dessaint (Rivages Thriller)

Je n’avais pas trouvé le temps d’ouvrir son précédent roman, Maintenant le mal est fait, alors je ne pouvais pas rater celui-là. Pascal Dessaint nous donne un roman noir, social, comme il a l’habitude de le faire, dans la veine de Les derniers jours d’un homme, en donnant la parole à différents personnages.

Ce roman est composé de cinq tableaux, eux-mêmes divisés en chapitres, chaque chapitre donnant la parole à un personnage. C’est donc un roman choral qui nous plonge dans une région imaginaire, en bord de mer, où les chantiers navals ont été fermés pour des raisons économiques. De ces paysages désertés, ne restent que des fantômes, des âmes errantes en quête de survie, des gens laissés sur le bas-côté.

Il y a Louis, 16 ans. Il vit dans une écluse où il n’y a plus rien à faire. Les portes sont commandées automatiquement. Mais lui et son oncle Michel peuvent bénéficier de la maison du gardien de l’écluse. Sylvie, qui fut la femme de Michel, repasse par l’écluse il y a 10 ans. Louis ne s’en rappelle pas, si ce n’est que son départ est arrivé quand sa mère est morte, écrasée par un camion. Sylvie est venue leur annoncer qu’elle est malade, qu’elle a de plus en plus de mal à supporter la chimiothérapie.

Il y a Jérôme. Il vit sur les bords des dunes, ou plutôt tente de survivre avec rien. Le paysage est de plus en plus noyé par le sable. Il était soudeur. De son rêve de travailler sur des plateformes pétrolières, entouré d’eau, il se retrouve entouré de sable, avec une maison qui part en décrépitude … comme sa vie.

Il y a Cyril. Il est arrivé là par hasard, et campe pas loin de la petite écluse. Il habite une petite caravane avec Mona, sa fille, qui travaille au village, dans une parfumerie. Son passe temps, c’est de regarder les pingouins au loin et les oiseaux. Le soir, son petit plaisir, c’est de regarder sa fille se déshabiller. Mona, c’est son ile déserte à lui, même s’il préférerait être plus gentil avec elle.

Il y a Gilles. Lui, son envie, c’est de tuer un phoque, pour se venger des coups reçus de son père. Sa mère, elle, fermait les yeux. Alors il regarde inlassablement la mer, avec l’espoir d’apercevoir un phoque. Parfois, avec Gilles, ils entrent dans des blockhaus, se font des pique-niques.

Il y a Wilfried. Il passe ses journées à la pêche, à faire du surfcasting. Mais il ne pêche pas pour manger. Quand il ramène des poissons, il les laisse sur le bord, à mourir. Sa femme est fan de sport. Alors elle a donné à leurs trois garçons les prénoms de Tony, Carl et Lance. Mieux vaut aller à la pêche que supporter ses gosses. Il se rappelle une jeune femme qui était venue le voir. Elle s’appelait Laurence. Pris d’une soudaine envie, il l’avait violée. Mais elle n’avait pas intérêt à porter plainte …

D’un personnage à l’autre, la vie passe, les petits événements se déroulent. Alors qu’il n’y a rien à faire, chacun déroule sa petite pelote de laine, dans un langage simple, avec ses petites réflexions. Ils n’ont pas conscience de toutes les décisions politiques, juste des conséquences sur leur vie à eux : Ils ont été lâchement abandonnés, comme on laisse des chiens sur les parkings d’autoroute l’été.

Il vaut mieux avoir le moral pour lire ce roman d’une noirceur extrême, d’une justesse incroyable. Ces différents portraits montrent une société qui avance mais qui laisse sur le coté des hommes et des femmes qui n’ont rien demandé et qui ne comprennent pas. Alors, l’homme n’a plus de notion de bien ou de mal et redevient animal, luttant pour la défense des siens, pour sa survie.

Il a une image très belle dans ces différents tableaux aux tons noirs et gris, que j’ai un peu adaptée à ma façon. Dans le chenal, les cargos arrivent, les machines viennent vider les marchandises. Les machines ont remplacé les hommes. Il n’y a plus d’accident du travail, il ne reste que des blessés de la vie.

Pascal Dessaint nous offre un livre noir, qui oscille entre poésie et noirceur, entre le bleu et le gris. Un roman d’une beauté foudroyante, d’une simplicité impressionnante. Mais il ne reste aucun espoir ici bas, quand l’homme devient une bête, il détruit ce qui l’entoure. C’est un livre noir, hanté de spectres qui vous hanteront longtemps la nuit. Et ces spectres, ce sont des hommes …

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu (Actes sud)

Attention, Coup de cœur !

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je me devais de lire ce roman. Tout d’abord, c’est un premier roman, et j’adore ça. Ensuite, les amis Claude Le Nocher et Jean Marc Lahérrère en ont parlé, voire encensé. Effectivement, c’est un roman qu’il faut lire, impressionnant.

Dans les années 60. Pierre Duruy fut un tueur de l’OAS, le genre à ne pas se poser de questions, sans pitié, le genre à tuer de sang froid une femme que l’on soupçonne de faire partie des ennemis.

De nos jours, dans les Vosges. L’usine Velocia fait vivre la petite ville, voire même la région. Tout le monde y travaille, tout le monde se connait. Martel fut soldat à l’armée avant de devenir syndicaliste à l’usine. Puis, un peu par hasard, il est entré au CE. S’occupant de sa mère gravement malade, il se saigne pour lui payer une honorable maison de retraite. Puis, il a commencé à prendre de l’argent dans la caisse du CE. Pas beaucoup, de petites sommes, mais de plus en plus souvent. A la veille du contrôle fiscal du CE, il s’aperçoit qu’il manque 15 000 euros. Comment a-t-il pu se laisser aller comme cela ?

Rita Kleber est inspectrice du travail. Elle est d’une rigueur rare et d’ailleurs, l’affaire dont elle s’occupe est celle d’un stagiaire-boucher qui se fait exploiter par son patron. Elle arrive à dénouer les mensonges du patron et le menace s’il continue son esclavagisme.

Bruce est un collègue de Martel, un mec bati comme un camion. Il passe son temps à sculpter son corps. Pour boucler ses fins de mois, il assure la sécurité de petits concerts. Bruce est le petit fils de Pierre Duruy et le frère de Lydie, jeune femme immature.

Deux événements vont bouleverser la vie paisible de cette petite ville. Une nuit, les patrons de Velocia déménagent une presse de l’atelier sans prévenir personne, pour l’envoyer dans un pays où le cout de la main d’œuvre est moindre. En parallèle, Rita récupère une jeune femme étrangère, très belle, qui semble s’être échappée de son tortionnaire.

S’il y a un roman à citer sur la vie d’une petite ville en temps de crise économique, je crois bien que c’est celui-là. Prenant comme principe de centrer son intrigue sur les personnages, Nicolas Mathieu passe de l’un à l’autre pour faire avancer son histoire, tout en trouvant les petits détails qui font que cette histoire sonne vraie, juste, à tout moment. Même si les personnages ne sont pas forcément sympathiques, on les suit avec un grand intérêt et surtout, on a envie d’en savoir plus.

A la fois chroniques d’un temps qui s’éteint, à la fois chroniques sociales, ce roman se distingue par ces scènes choc, non pas par leur violence mais plutôt par ces petites phrases, ces petits dialogues, qui réveillent en nous ce que certains doivent connaitre aujourd’hui. Et il y en a tellement que c’est difficile pour moi de les citer. Quand Rita négocie avec le boucher, quand elle achète des habits pour la jeune échappée, quand Martel essaie de se sauver, quand les discussions avec la direction tournent autour du déménagement de la presse, ce sont autant de scènes incroyablement justes, vraies.

Ce roman est tellement fort dans sa simplicité qu’il pourrait bien entrer au panthéon des romans sociaux sur la France d’aujourd’hui, juste à coté de Lorraine Connection de Dominique Manotti. Vous n’y trouverez pas de scènes impressionnantes, mais une intrigue implacable, montée avec des personnages simples, des gens de tous les jours comme vous et moi. Et quand vous lirez le dernier chapitre, vous ne pourrez pas oublier ce voyage dans cette petite ville des Vosges, qui vous tirera bien quelques larmes ou bien des accès de rage. Coup de cœur !

Oldies : Un petit boulot de Iain Levison (Liana Levi – Piccolo)

Iain Levison, c’est un auteur que je n’ai jamais lu, alors que j’ai tous ses livres chez moi. La réédition de Un petit boulot pour fêter le numéro 100 de la collection de poche Piccolo de Liana Levi est une bonne occasion de commencer à découvrir l’œuvre de cet écrivain. Ce roman est sorti aux Etats Unis en 2002 sous le titre Since the layoffs (littéralement Depuis les licenciements), et en France en 2003. C’est un roman toujours d’actualité, d’une modernité incroyable. Un grand merci à Amélie et mon dealer de livres Coco.

L’auteur :

Après avoir vécu avec sa mère célibataire dans un taudis d’Aberdeen, il part vivre aux Etats-Unis en 1971. Il poursuit sa scolarité à Philadelphie, où il évolue dans les quartiers huppés de la ville. Il retourne en Angleterre pour effectuer son service militaire, mais supporte très difficilement son affectation en Afrique de Sud. De retour à Philadelphie (après 10 mois de chômage à Glasgow), il monte sans succès une société de cinéma, puis devient travailleur itinérant. Pendant 10 ans, il enchaine ainsi des dizaines de petits boulots. Cette longue expérience lui inspire un récit autobiographique. (Source Dictionnaire des littératures policières)

Quatrième de couverture :

Une petite ville américaine ravagée par la fermeture de l’unique usine. Un héros qui perd non seulement son travail, sa télé, son aspirateur, mais aussi sa petite amie. Pour ne pas perdre aussi sa propre estime, il est prêt à accepter n’importe quel «petit boulot», y compris celui qu’un bookmaker mafieux, lui propose… Un portrait au vitriol de l’Amérique des laissés-pour-compte.

Mon avis :

Ce roman est écrit à la première personne du singulier, au présent. On y suit Jake Skowran qui habite dans une petite ville des Etats Unis, ravagée par le chômage depuis que la seule usine du coin vient de fermer ses portes pour délocaliser le travail au Mexique. Jake essaie de survivre en vivant du peu que lui versent les assurances chômage. Depuis, il a été obligé de vendre sa voiture, s’est séparé de sa copine, et a arrêté son abonnement au câble. Petit à petit son appartement se vide, et il lui reste tout juste assez d’argent pour payer son loyer. Alors parfois il parie sur les matches de football.

Son pote de toujours Tommy lui propose un poste de caissier de nuit dans la station service Gas’n’Go, payé 6 dollars de l’heure, de quoi s’acheter à manger. Puis Ken Gardocki, le dealer de drogue et bookmaker lui propose un marché. Si Jake tue la femme de Ken, il sera payé 5000 dollars. Jake accepte et s’aperçoit même qu’il aime ça. Il va devenir le tueur attitré de Ken.

De ce roman, je retiendrai la rage de Jake et l’intrigue décalée, à la limite de l’humour cynique. Car ce personnage est bigrement marquant, et on suit ses pensées à propos de tout et de rien, mais avec une lucidité moderne et actuelle. Alors si l’intrigue et les différents meurtres qu’il doit réaliser est la trame du roman, elle devient vite secondaires devant certaines scènes dont qui sont frappantes. Je vous citerai par exemple celle d’un salarié de sa banque qui lui dit qu’il est au courant qu’il est sans travail mais qui veut savoir quand il va rembourser son découvert.

La morale de ce roman force à réfléchir, tant elle est comiquement amorale. L’auteur dénonce la course aux profits des entreprises, rendant la société amorale, rendant les gens toujours plus individualistes. Le personnage principal est en rage, et comme la société est amorale, il ne se pose pas de questions et justifie ses actes par sa survie dans une société inhumaine. Avec ce roman, Iain Levison fait une entrée fracassante dans le monde du roman noir, et au travers d’une intrigue amusante, se pose en porte parole des laissez pour compte, des oubliés du Rêve Américain. Ce roman est une lecture importante, d’une actualité confondante.

Né sous les coups de Martyn Waites (Rivages Thriller)

Ce roman est un premier roman. Ce roman est formidable, et pas uniquement parce qu’il s’intéresse à une période qui m’intéresse mais parce qu’il aborde des thèmes forts et parce que son traitement est impressionnant. Ce roman s’appelle Né sous les coups, extrait d’une chanson des Talking Heads (que je ne connaissais pas d’ailleurs) et c’est un des romans à lire absolument en cette rentrée 2013.

Il est construit par des allers retours entre Avant et Maintenant, par chapitres interposés. Hier, c’est 1984, en pleine grève des mineurs en Grande Bretagne. Maintenant, c’est 2001. Tout se déroule à Coldwell, une cité minière imaginée par l’auteur. L’auteur va au travers le destin d’une dizaine de personnages montrer l’impact de la grève des mineurs sur la vie de la ville, sur la vie des gens, sur la vie.

Le personnage central se nomme Stephen Larkin, journaliste de son état. Il a connu et couvert les événement de 1984, ayant été à l’époque un jeune idéaliste prenant fait et cause pour les mineurs. Aujourd’hui il revient à Coldwell pour écrire un livre, pour faire l’autopsie de cette ville et montrer les conséquences de cette grève, pour crier à la face du monde la vérité, celle que les journaux ont caché à l’époque … et encore maintenant.

Tony Woodhouse était un jeune footballeur, promis à un grand avenir. C’est lui qui avait marqué le but si important contre Newcastle en 1984, avant de mettre un terme rapidement à sa carrière. Aujourd’hui, il dirige un centre pour jeunes drogués. Louise qui cherchait l’amour pour s’émanciper est devenue une femme au foyer qui a des problèmes avec sa fille Suzanne. Tommy qui était une petite frappe est devenue l’un des caids du coin, aidé par deux petites frappes comme il fut, mais en plus violent.

Martyn Waites aurait pu faire un roman donneur de leçons, pontifiant, prenant les lecteurs de haut, il distribue des coups bas. En s’attachant à ses personnages, sans jamais les juger, mais en posant petit à petit des morceaux de puzzle, il montre, détaille, autopsie ce qu’est devenue la Grande Bretagne, celle qui est faite d’hommes et de femmes qui, avant, avaient des espoirs, un but dans la vie et qui aujourd’hui, maintenant n’ont plus rien sauf leur instinct de survie et leur désespoir qui leur poisse les mains.

D’un ton volontairement froid et distant, sans empathie inutile, Martyn Waites livre un roman impressionnant qui nous rappelle que la volonté de destruction du gouvernement Thatcher a obtenu le résultat qu’il cherchait. La ville de Coldwell qui était vivante et travailleuse est devenue une ville de zombies, d’âmes errantes qui courent après leur dose de drogue pour oublier leur quotidien déprimant.

La force de ce roman réside bien évidemment dans ces personnages, tous des écorchés sans but, mais il montre aussi comment le gouvernement a lancé ses troupes pour annihiler toute vie, comment il fallait écraser les manifestations, et Martyn Waites nous rappelle que dans ces manifestations il y avait des hommes. Ce roman montre comment le gouvernement a manipulé l’opinion, ne montrant que des photos dans les journaux de manifestants agressifs et de policiers victimes et Martyn Waites écrit au travers Larkin sa volonté, sa rage pour ne pas oublier. Ce roman montre comment le gouvernement, au sortir de la guerre des Malouines a décidé de s’occuper de son peuple et Martyn Waites nous assène à la figure que le travail des ouvriers a été remplacé par une économie parallèle de drogue et de criminalité.

Ce roman est tout simplement impressionnant, sur les conséquences d’une époque dramatique, dont personne ne parle. Il rappelle aussi que la société est faite d’hommes et de femmes et en cela, il en fait un livre humaniste exemplaire. C’est un livre qui va vous prendre à la gorge, qui est dur à vivre, dur à lire, car vous serez plongé dans le quotidien de gens simples, dans leur vie que le gouvernement s’est acharné à détruire consciencieusement pour faire entrer le pays dans la modernité. Quelle démonstration, faite à coups de poing !

Un arrière gout de rouille de Philipp Meyer (Denoel 2010 – Folio 2012)

Je ne vais pas tourner autour du pot … ce roman est magnifique. Et ça commence par ce titre, un arrière gout de rouille, comme un gout amer dans la bouche dont l’on ne peut pas se débarrasser, comme s’il ne restait dans cette région reculée des Etats Unis que des regrets, l’impression de ne rien pouvoir faire, d’être dépassé par les événements. Un arrière gout de rouille annonce la mort d’un pays, par la mort de ses âmes, le déclin d’une civilisation par la perte de toute illusion.

Et c’est dans un roman choral à six voix que Philipp Meyer nous dessine sa toile noire. Dans la petite ville de Buell, les industries sidérurgiques ont toutes fermées les unes après les autres. Les grands fours ont été dynamités et il ne reste que quelques vestiges qui sont petit à petit rongés par la rouille. Même les forêts alentour n’ont plus leur éclat. Et comme le dit Grace : « Il fallait de l’argent pour partir, il fallait partir pour trouver de l’argent ».

L’intrigue démarre avec deux adolescents d’une vingtaine d’années, Isaac English et Billy Poe, qui veulent partir de Buell, pour trouver une meilleure vie ailleurs. Car à Buell, il n’y a aucun avenir. A peine sortis de la ville, ils se trouvent pris à partie avec quelques personnages peu engageants et l’un d’eux menace Poe avec son couteau. Isaac lui balance alors une boule d’acier qui tue l’assaillant.

Isaac, c’est le gringalet intelligent, celui qui pourrait s’en sortir avec sa tête, décrocher une place dans une université grâce à ses facultés intellectuelles. Poe, c’est le sportif, reconnu comme excellent en football américain, qui pourrait aussi trouver une université avec ses dons sportifs. Cet accident va bouleverser leur vie : Isaac va s’enfuir et Poe rester. Isaac va s’apercevoir que le reste du pays est en train de sombrer et Poe va être arrêté et décider de ne rien dire.

C’est Harris qui va se charger d’arrêter Poe. Il est shérif dans la petite ville de Buell, et c’est le travail qu’il a trouvé pour ne pas quitter cette ville. Son idéal n’est pas de rendre la justice, son secret, c’est qu’il est amoureux de Grace, la mère de Poe. Cette affaire va lui permettre de se rapprocher d’elle, au risque que cela se termine mal. Il est aussi confronté aux réductions de budget, ce qui lui impose de se séparer de plusieurs hommes alors que la délinquance augmente dans une région ravagée par le chômage. Grace aurait pu partir quand elle en avait l’occasion, mais elle a préféré se sacrifier pour son fils, en étant obligée de l’élever seule puisque son mari ne revient que très épisodiquement.

Isaac va rendre visite à Lee, sa sœur, la seule qui ait eu le courage de partir faire des études ailleurs. Elle est diplômée de Yale mais a été obligée de revenir s’occuper de leur père, paralysé à la suite d’un accident du travail lors de la fermeture des fours. Et puis, l’habitude aidant, la routine finit par vous prendre dans ses bras impitoyables jusqu’au point de non retour où vous ne pouvez plus quitter votre quotidien.

Vous l’aurez compris, au travers de ces personnages aux psychologies très fouillées et très différentes, Philipp Meyer dont c’est le premier roman prend le temps d’aborder de nombreux thèmes sans jamais prendre parti, mais en ne se gênant pas pour lancer quelques vérités, en particulier sur la prédominance des gains économiques sur les vies humaines. Et pourtant ce livre a été publié en 2009, avant la crise financière de cette même année.

Tout au long de ces 535 pages, ces personnages errent à la recherche d’un idéal, confrontés à leurs problèmes bien sur, mais surtout à la recherche d’un but, d’un espoir. Et la ville, la campagne est de la même couleur morose que leur vie, la couleur est triste comme la rouille qui empoisonne leur vie est les maintient bloqués dans cette région maudite, vouée à mourir. Et jamais, je n’ai ressenti de lassitude, toute phrase a sa justification, les dialogues sont étincelants de justesse et le résultat est noir, éloquent, magnifique.

Tous ces personnages sont des gens courageux, des battants qui ont envie de faire quelque chose. On a l’impression qu’ils sont assommés, dépassés par des forces qui les dépassent. Ils ont l’impression de ne plus avoir leur destin entre leur main, ils sont bloqués dans une région qui ne peut vouloir dire que la mort pour eux. Et ce pays qui prône le rêve américain, est finalement impitoyable envers ses gens pour faire plus d’argent.

C’est un véritable roman d’apocalypse, vu au travers de ses victimes que nous donne à voir Philipp Meyer. Et ce roman n’a jamais été aussi contemporain, aussi impressionnant, car il nous montre ce paysage de l’intérieur, à travers des gens ordinaires. Il est bien facile de passer outre, de se boucher les yeux, et d’allumer la télévision. L’autre alternative est d’ouvrir ce roman, et d’accompagner ses six personnages dans leur vie, et votre vision des gens en sera changée.

Ce roman qui a été publié par Denoel en 2010, a été repris par Folio à la fin de l’année dernière. Il n’y a donc aucune raison de ne pas le lire. C’est un roman noir magnifique.Et merci Richard pour cette lecture, un immense merci !

Bienvenue à Oakland de Eric Miles Williamson (Fayard)

Encore un coup de coeur ! Ce roman, outre sa quatrième de couverture aguichante, m’a été très chaudement recommandé par Holden du blog Unwalkers. Je n’ai pas été déçu par cette peinture des bas-fonds de Oakland.

T-Bird Murphy s’enferme dans un garage de Warrensburg, tout proche de Oakland, qu’il loue 200 dollars par mois. C’est comme ça la vie quand on est pauvre aux Etats-Unis. T-Bird va se rappeler comment il faut tous les jours chercher du travail, non pas pour vivre, mais pour manger, pour survivre. Et T-Bird, fils d’un immigré irlandais, en a des souvenirs à raconter, des choses à dire.

De sa jeunesse, dans un quartier pris en tenaille entre les Mexicains et les Noirs, être blanc n’est pas une chance, mais plutôt une malédiction. Et quand on n’est pas né du bon coté de la barrière, du bon coté de la ligne jaune, on travaille avant l’age de dix ans. On tond les pelouses pour un malheureux dollar, on fait le pompiste, on nettoie les voitures, on ramasse les merdes de chien.

Alors, dès qu’il a un boulot, T-Bird se retrouve avec les potes, les copains de beuverie de toujours, à boire le mauvais whisky, ou alors dans les égouts à vider des bouteilles trouvées au hasard ou bien volées. Mais ne croyez pas qu’il n’y a pas de justice : T-Bird fait partie des pauvres, des miséreux, tout en sachant très bien qu’il ne fera jamais partie de la caste des nantis. Mais peu importe, lui sait jouer du jazz, de la trompette, et il lit des livres, parce que au fond de lui, peut-être qu’il reste encore un petit morceau de rêve.

Ce roman commence par la couverture : Un chien errant, affamé, qui marche en cherchant quelque chose à manger. Puis, les anecdotes : Quand vous cherchez du travail, n’y allez pas bien habillé avec des chaussures de sécurité neuves, sinon le patron va croire au premier coup d’œil que vous allez lui demander un trop gros salaire. Bienvenue en enfer !

Si vous attendez un petit bouquin pépère tranquille peinard, alors il vaut mieux vous prévenir : Ce bouquin parle des bas-fonds, des gens qui tentent de survivre, et c’est écrit avec le langage des bas-fonds. Ce bouquin, c’est plutôt un ouragan supersonique, un marteau piqueur qui va vous défoncer le cerveau, une lancinante musique de trompette qui va vous harceler la nuit.

Sur une pièce de monnaie, il y a deux faces. Mais pour Eric Miles Williamson, les deux faces sont encore trop belles. Il va vous montrer, vous imposer sa vision de la société en dessous des faces de la pièce, celle que l’on ne montre jamais, celle que l’on ne veut pas croire, que l’on aimerait qu’elle n’existe jamais. Putain, bordel de merde, c’est une claque, une gigantesque baffe dans la gueule. Excusez moi, mais je me fonds dans le paysage.

T-Bird va vous montrer sa haine, sa rage de vivre ; pas question pour lui de laisser tomber. Dehors, c’est la jungle, alors il faut connaître les règles, la loi et essayer de s’en sortir par tous les moyens. Parfois, on se dit qu’il serait plus facile pour lui d’être un truand, voler serait plus facile que vivre cette vie là. Heureusement, il a sa trompette, son amour du jazz. D’ailleurs, ce roman est écrit comme un solo, une improvisation d’un joueur amateur.

Amateur ? Que nenni ! Car ce roman est foutrement bien écrit, formidablement bien construit, violent, agressif, vulgaire. C’est une lecture qui se mérite, que certains n’aimeront pas. Sous ses apparences d’empiler les anecdotes, pas forcément chronologiques, d’agrémenter ses nombreuses digressions, ce roman est un joyau de style, de sentiments, de dégoûts, de personnages. On en prend plein la gueule (je l’ai déjà dit, non ?) et de nombreuses références viennent à l’esprit, mais Eric Miles Williamson pourrait bien avoir écrit là un grand roman si ce n’est le grand roman de sa jeune carrière. J’en redemande.

Totally killer de Greg Olear (Gallmeister-Americana)

Après le billet de Richard, il fallait bien que je lise ce roman, qualifié de politiquement incorrect. Avec un sujet dont l’idée, déjà vue, se révèle intéressante, cela faisait suffisamment de raisons pour découvrir Greg Olear.

Todd Lander se souvient. Il lui aura fallu 18 années pour oser coucher sur papier la vie qu’il a connue en 1991. A l’époque, il venait de finir ses études, rêvait de travailler dans le show business comme acteur ou comme scénariste. 1991, c’est aussi la guerre du Golfe, le père Bush aux commandes du pays et la crise économique qui laisse sur le carreau toute une génération de jeunes gens diplômés, ce qui créé chez eux une haine des baby-boomers.

En 1991, Todd vit de petits boulots, et partage son appartement avec Taylor Schmitt, une jeune femme belle et excitante, bourrée d’ambition. Taylor veut travailler dans le monde de l’édition et fait tous les bureaux de placement. Mais la réponse est toujours la même : « laissez nous votre adresse et on vous écrira ». Un matin, elle trouve une invitation d’une nouvelle agence Quid pro quo, dont le slogan est : « Un job pour lequel vous seriez prêt à tuer ».

Chez Quid pro Quo, elle rencontre Asher Krug, un cadre très élégant dont elle s’éprend. Du jour au lendemain, Taylor est placée chez un éditeur, pour un salaire beaucoup plus élevé que ce qu’on lui propose ailleurs. Elle est immédiatement en charge de la promotion d’un nouveau roman. Quid pro quo lui demande en contrepartie de ce travail, 20% de son salaire et une tâche et une seule : le licenciement d’une personne, c’est-à-dire l’assassinat de celle-ci.

A lire tous les billets qui fleurissent sur le net à propos de ce livre, on finit par se faire une idée préconçue de l’intrigue. Je dois dire que j’ai été un peu surpris, je m’attendais à un roman à l’humour débridé, très cynique et inconvenant. J’y ai plutôt trouvé un premier prometteur, une belle analyse de société et un auteur qui sait faire vivre ses personnages et qui sait sacrément bien écrire.

Car si le sujet est annoncé en quatrième de couverture, à savoir pourquoi ne pas tuer nos aînés pour que les jeunes aient du travail, j’ai trouvé un intérêt ailleurs dans cette intrigue : un très beau portrait de jeunes gens perdus face à leur entrée dans le monde du travail. Que ce soient Todd ou Taylor, nous avons deux personnages vivants, confrontés à leurs incertitudes, leurs doutes, leurs difficultés de tous les jours. Les Américains sont très forts quand il s’agit de parler d’eux-mêmes, mais quand c’est un premier roman, ça force le respect.

Et puis il y a le contexte. Sans être lourd ou répétitif, Greg Olear nous montre comment la vie était il y a vingt ans, seulement vingt ans ! Les gens sont les mêmes, les crises économiques sont les mêmes, les gens qui cherchent du travail sont les mêmes, mais la société a évolué d’une façon incroyable. Il sait nous plonger dans le passé de façon remarquable, avec ce détachement et parfois cette petite dose de cynisme qui fait sourire.

C’est aussi une belle démonstration de la guerre des générations, qui existait avant, qui existe aujourd’hui et qui existera demain. Place aux jeunes ! Et les personnages nous font des démonstrations tellement logiques que cela dépasse le simple coup de force littéraire, et il faut une bonne dose d’humour noir pour accepter certaines phrases qui vont du pur racisme à la logique de meurtres des gens haut placés. Ce n’est pas désagréable, mais surprenant de lire cela alors que l’on sort de vingt pages « sérieuses ». C’est un livre vraiment particulier qui donne à réfléchir. Et malgré quelques longueurs et un égocentrisme appuyé, c’est un bon premier roman qui laisse augurer une oeuvre à venir intéressante de Greg Olear.

Alors, n’y cherchez pas un thriller, mais une belle plongée dans les années 90, un roman à ne pas prendre au sérieux mais avec quelques belles réflexions. Et puis, cela vous donnera sûrement envie de lire Le couperet de Donald Westlake (qui est un chef d’oeuvre, plus que le film) dans le genre cynique, Le tri sélectif des ordures de Sébastien Gendron dans le genre délirant ou Mort aux cons de Carl Aderhold pour rire et réfléchir.

De nombreux avis sont disponibles sur la toile, et parmi eux ceux des collègues Jean Marc et Jeanne. A vous de vous faire un avis.