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Le bon camp d’Eric Guillon

Editeur : La Manufacture de livres (Grand Format) ; Nouveau Monde – Sang Froid (Format Poche)

Pioché au hasard dans ma PAL qui déborde, je me rends compte qu’il va falloir que je lise plus de romans de cette nouvelle collection des éditions Nouveau Monde qui s’appelle Sang Froid. Car ce roman m’a passionné de bout en bout, un sacré roman qui comporte tous les ingrédients qui me plaisent.

Dans sa geôle algérienne, en 1961, Jo sait que, celle fois-ci, il ne va pas s’en sortir. Même sous la torture, il ne parlera pas. Alors, pour supporter la douleur, il se rappelle Lily, l’amour de sa vie, qui l’appelait Loulou. Et tous les noms qu’il a pu porter au cours de ces trente années, Joseph Mat, Marcel Gonthier, Maurice Charpin, ou Joseph Chapuis. Peu importe ! Sa vie aura été mouvementée !

Il se rappelle 1936, quand il a pris le train de Sostès pour Barcelone, pour combattre les franquistes. Orphelin très jeune quand il a perdu son père pendant la guerre de 14-18, il a dû travailler tôt et est devenu typographe. Il a sa carte du parti communiste et s’est engagé naturellement dans la guerre d’Espagne, pour lutter contre le fascisme. Là-bas, il y perdra deux doigts sur une mine.

De retour en France, il reprit son travail et la déclaration de la guerre lui permit de fabriquer des faux papiers, de fausses cartes d’alimentation. L’accord de non-agression entre Hitler et Staline lui fit prendre ses distances avec le parti communiste, plutôt violemment puisque sa tête fut mise à prix. A partir de ce moment-là, il commença son périple de Toulouse à Marseille en passant par Lyon et Paris, en grande partie grâce à Robert Blémant.

Grenouillant parmi les adeptes du marché noir, il se retrouva pris à partie dans les règlements de comptes, entre collaborateurs et résistants, entre communistes et fascistes. Alors que les morts tombèrent autour de lui, il rencontra de nombreuses femmes parmi lesquelles Françoise et surtout Lily, l’amour de sa vie, une vie pleine de périls et de péripéties.

A la manière des grands auteurs français André Héléna à Albert Simonin, Eric Guillon créé un personnage de communiste résistant, prêt à tout pour sauver sa vie, rentre-dedans, assassin à ses heures et regrettant d’être entouré de tant de morts, amoureux des belles femmes mais ne montrant jamais ses sentiments. Bref, Joseph Mat est un beau personnage complexe comme je les aime, pétri de contradictions.

Eric Guillon choisit de placer Joseph Mat en tant que narrateur, chose difficile a priori mais formidablement réussie ici tant on a l’impression de l’écouter nous raconter sa vie. En utilisant un langage parlé, mâtiné de quelques mots d’argot parfaitement compréhensibles, on se retrouve prêt à le suivre n’importe où, tant l’enchainement, ses allers-retours dans le passé se font aisément comme si un lieu, un objet lui rappelait soudain l’anecdote suivante ou une rencontre fortuite.

Fort intelligemment, il utilise ces rencontres pour introduire des personnages célèbres, rendant ainsi son intrigue plus réaliste. On verra donc passer la bande à Bonnot, Pierrot le fou, Abel Danos, Ange Salicetti, le docteur Petiot et surtout le commissaire Robert Blémant. Avec pléthore de détails, de descriptions de lieux, d’ambiances des bas-fonds pendant l’occupation, ce roman est un extraordinaire voyage pour les yeux et les oreilles.

Eric Guillon arrive à lier tout cela grâce à la gouaille de sa langue, grâce à sa capacité à nous faire croire à son personnage et aussi à ne pas utiliser une intrigue linéaire, temporellement parlant. On a l’impression de suivre les mémoires d’un bourlingueur, qui nous montre les liens entre la pègre, les vrais-faux résistants et les vrais-faux collaborateurs. Et quand on a vécu dans l’illégalité, il est difficile d’en sortir.

Ce roman balaie la période 1936 à 1947. Il laisse entendre un passage de Joseph Mat à Saigon, et passe sous silence ce qu’il a pu réaliser dans les années 50 ou pourquoi il se trouve réellement dans les geôles algériennes. Je me dis qu’il y a la place pour une suite qui nous évoquerait les années 50. J’espère sincèrement avoir le droit à un deuxième roman tant celui-ci m’a bluffé. De même, ne vous étonnez pas de voir dans les semaines à venir d’autres romans de cette collection Sang Froid qui en dit tant sur notre passé récent. Exemplaire, Génial !

Ce n’est qu’un début, Commissaire Soneri de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traducteur : Florence Rigollet

Chaque année, je retrouve le Commissaire Soneri comme on rencontre un vieil ami. Lors de cette rencontre, nous devisons sur divers sujets qui bien évidemment dévient sur des sujets contemporains. Avec son air désabusé, il fait montre d’une lucidité remarquable et nous parle ici d’héritage.

Soneri regarde la pluie tomber sur Parme quand Juvara, son adjoint vient lui annoncer la découverte d’un corps. L’homme, retrouvé pendu avec une ceinture, a réussi à sectionner les barbelés enfermant le chantier et pénétrer dans ce lieu peu fréquenté avant de se donner la mort, qui remonte au moins à douze heures. Le problème qui se pose à Soneri est de découvrir son identité puisqu’aucun papier n’a été trouvé.

« Les suicidés sont beaucoup plus clairvoyants qu’on le croit. »

En sortant, Soneri voit une dépanneuse manœuvrer pour emmener une Vespa Primavera 125. Le petit scooter a été trouvé près d’un camp de Roms. Dans la valise du mort, Juvara y trouve des habits de marque. Alors qu’il déjeune avec son ami Nanetti, le téléphone vient les déranger : un homme vient d’être assassiné devant chez lui de 23 coups de couteau, pendant que sa compagne prenait sa douche.

« Les hommes vieillissent mieux que les motos. »

Franca Pezzani les reçoit en état de choc. Elle a entendu l’interphone de la porte, puis plus rien. Quand elle s’est inquiétée, elle est allée voir et a trouvé son mari mort, poignardé. Quand elle donne son nom, Guglielmo Boselli, Soneri se rappelle son surnom, Elmo, l’un des leaders du Mouvement Etudiant de 1968. Pourtant, pour lui, Elmo s’était rangé des affaires politiques. Bizarrement, la Vespa s’avère appartenir à Elmo ; la déclaration de vol date de 34 ans !

« Malheureusement, on a tendance à embellir tous nos souvenirs. La mémoire les arrange. »

Dans chaque roman, Valerio Varesi nous parle d’un aspect de la société avec un recul et une lucidité impressionnante, et propose sa vision avec plusieurs années d’avance. Il faut se rappeler que la série a commencé a être publiée en 2003 et montre des aspects dont on retrouve les conséquences aujourd’hui. Si on répertorie les romans sortis en France par rapport aux dates de publication italienne, on trouve :

Le Fleuve des brumes (2003) : Métaphore entre le Pô et l’état de l’Italie

La pension de Via Saffi (2004) : Regrets vis-à-vis de ses propres erreurs passées

Les ombres de Montelupo (2005) : Les erreurs sur le mauvais jugement de son père

Les mains vides (2006) : Le Nouveau Monde a choisi une idole unique : l’argent

Or, encens et poussière (2007) : La fracture entre les pauvres et les riches

La Maison du Commandant (2008) : Le rejet des étrangers et leur statut de boucs émissaires

La Main de Dieu (2009) : La place de la religion dans la société moderne

« le problème n’est pas tant la mort des autres, mais la part de nous-mêmes qui meurt avec eux. »

Ce roman est sorti en 2010 et aborde le sujet des révoltes communistes des années 60 et de l’héritage à la fois sur la société mais aussi, d’une façon plus intime, sur les conséquences des enfants des leaders. On y trouve une réflexion d’un des personnages interrogés qui dit, (je paraphrase car je n’ai pas retrouvé le passage exact) : Les communistes ont créé le bordel, et les gens veulent des règles, de l’ordre. Il n’est pas étonnant que le peuple se tourne vers l’extrême-droite qui leur promet de la discipline.

« Tout est bon à prendre, surtout quand on n’a rien. »

Quand on voit la situation actuelle de l’Italie, on mesure l’aspect visionnaire de Valerio Varesi. Avec son air débonnaire, son art de l’interrogatoire, où il laisse parler les gens mais sait les provoquer au bon moment, Soneri va réussir à démêler cette pelote de laine bien complexe en nous parlant de nous, en nous mettant en garde. Et après avoir tourné la dernière page, je me suis senti plus serein après ma discussion avec mon ami Soneri. On se donne rendez-vous l’année prochaine, bien entendu ! 

«  – Qu’avons-nous à voir avec la politique et tout ce qui s’ensuit ? se récria Coriani
– Rien, rien …, répéta Soneri, déçu et rempli d’amertume. Nous, on est seulement là pour ramasser les morceaux. »

Babylon Berlin 1 – Le poisson mouillé de Volker Kutscher

Editeur : Seuil (Grand format) ; Nouveau Monde – Sang Froid (Format poche)

Traducteur : Magali Girault

Les éditions Nouveau Monde inaugure leur nouvelle collection de romans en format poche par la série mettant en scène un commissaire de police allemand nommé GereonRath, adaptée en série sous le titre Babylon Berlin.

Commençons par expliquer le titre : Un poisson mouillé est une affaire criminelle non résolue, voire que l’on enterre, expression par Ernst Gennat, directeur de la police criminelle qui a vraiment existé, et qui apparait dans le livre.

Fin Avril 1929, Berlin. Avec l’appui de son père, Gereon Rath a été transféré de la police criminelle de Cologne à la Police des Mœurs de Berlin, suite à une bavure. Il fait ses premières armes avec son collègue Bruno Wolter dit Tonton et participe à une descente dans un studio réalisant des clichés pornographiques avec des sosies de personnages royaux. Un des « acteurs » arrive à s’enfuir et les deux policiers arrivent à le rejoindre dans un bâtiment en construction. Après négociation, Tonton décide d’en faire un de ses indics.

Rath loue une chambre chez Elisabeth Behnke, veuve d’un ami soldat de Tonton, et a pour voisin Berthold Weinert, journaliste. Un matin, il est réveillé par un homme saoul qui se fait appeler Boris, et qui veut parler Alexeï Kardakov, l’ancien locataire. Dans la rue, la colère monte, poussée par les communistes, en vue du premier mai approchant. Rath essaie d’éviter de se prendre des coups ou pire des balles.

Alors qu’il se rend à la morgue, quelques jours plus tard, il reconnait Boris que l’on vient de repêcher dans le canal au volant d’une voiture. Le corps présente plusieurs traces de torture et Boris était mort avant que la voiture ne sombre dans les eaux. Rath décide de ne rien dire pour mener sa propre enquête ; cette affaire lui permettra peut-être de réintégrer la police criminelle. Il remarque alors Charlène Ritter, une jolie sténodactylo qui fait des études de droit pour devenir enquêtrice.

Volker Kutscher a écrit un sacré pavé pour son premier roman, plus de 600 pages dans cette édition de Nouveau Monde. De par sa formation d’historien, il décide de créer un personnage de flic ambitieux et donc à la psychologie complexe. Ce roman comporte les défauts de ses qualités. Voulant montrer la situation de l’Allemagne avant la Grande Dépression, il nous détaille les forces en présence, en particulier les nombreux Russes divisés en trois camps, les bolcheviks, les pro-staliniens et les pro-tsaristes. Les Allemands se méfient des Russes, sans distinction ; ils les prennent tous pour des « rouges », craignent le communisme et les considèrent comme les ennemis de la République. A cela, s’ajoute la défaite non digérée de la première guerre mondiale et l’obligation de ne pas dépasser 100 000 soldats dans leur armée.

En tant qu’historien, il veut être clair dans sa présentation du pays et créé donc une intrigue fortement complexe, par volonté de nous détailler l’état de son pays. Ceci explique la taille de son roman mais aussi les méandres qu’il déroule dans son scénario. Si le roman est très instructif (enfin, cela me passionne), il n’évite pas des longueurs et des détours qui servent essentiellement à appuyer son « cours » d’histoire. Il nous présente évidemment les différents services de la police (dont la police politique !) et les milices créées par les partis politiques, dont les SA.

Dans ce contexte hostile entre les nombreux camps, Volker Kutscher nous présente un personnage qui pense avant tout à lui et à sa carrière. Même s’il va tomber amoureux, et que nous allons y croire, il n’en demeure pas moins que ce personnage parait tout d’abord sympathique avant de laisser un gout amer devant sa capacité à dérouler la pelote de laine et à fomenter des intrigues pour arriver à ses fins.

Il vous faudra du temps pour avaler ce pavé, vous accrocher un peu pour assimiler tous les personnages et toutes les forces en présence, et passer quelques passages inutilement bavard. Pour ma part, j’ai pris du plaisir à lire cette histoire, d’autant plus que Gereon Rath est un personnage récurrent, et j’aime ça. D’ailleurs, le deuxième tome, La mort muette, sort au mois de mai et je serai au rendez-vous.

Enfin, un dernier mot pour les érudits du polar : Philip Kerr avec son personnage de Bernie Gunther reste la référence dans le domaine, notamment avec sa Trilogie Berlinoise. Le poisson mouillé vient compléter une année qui n’a pas été traitée par l’auteur écossais.

Le fleuve des brumes de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traduction : Sarah Amrani

Une nouvelle maison d’édition a vu le jour en 2016, et Le fleuve des brumes de Valerio Varesi, qui est sorti en mai 2016, en est une des premières parutions. Il serait dommage de ne considérer ce roman que comme un roman policier, tant l’ambiance y est glauque à souhait et la plume d’une beauté édifiante.

Dans le Nord de l’Italie, aux environs de Parme, sur les bords du Pô. En ce mois de décembre, cela fait plusieurs semaines que la pluie tombe sans discontinuer, à tel point que le Pô déborde. Au club nautique, les anciens devisent, essayant de se rappeler quand la dernière crue a bien pu inonder la plaine. Quand une péniche leur passe devant, ils pensent que le matelot est un cinglé de naviguer avec ce courant qu’il est difficile de maitriser. Les autres clubs nautiques leur téléphonent, et il semble que la péniche n’ait pas de pilote à son bord, alors qu’il est impossible de passer sans encombre quatre ponts de suite. Quand la péniche s’ensable, le vieux Tonna, son propriétaire, est introuvable.

A l’hôpital de Parme, on vient de signaler un suicide. Un homme s’est jeté du troisième étage. L’inspecteur Soneri est appelé sur place et trouve bizarre qu’un homme qui veut se suicider passe à travers une fenêtre : habituellement, les suicidés ouvrent les fenêtres avant de sauter. L’identité du « suicidé » est Decimo Tonna. Quand Soneri va au club nautique, il apprend que la péniche du frère de Decimo a dérivé sans conducteur. Et les membres du club nautique ont bien des rancœurs envers les Tonna, qui ont fait partie des fascistes pendant la guerre.

Je pourrais commencer mon avis de mille façons, je finirais toujours par la même phrase : Magnifique ! Sous des dehors de roman policier classique, Valerio Varesi nous livre là un roman abouti, le genre de roman écrit par une homme amoureux de son pays, de sa région, de ses habitants. C’est probablement pour cela que j’ai adoré ce roman : l’auteur laisse ses personnages mener son intrigue, en étant toujours à l’écoute d’eux, toujours respectueux de leur vie.

Et pourtant, il aborde des sujets sombres de l’Italie, en abordant aussi bien son histoire chargée que sa situation contemporaine. La mort des deux frères dans la même journée rappelle en effet cette période de la deuxième guerre mondiale où les résistants étaient majoritairement communistes. Il rappelle aussi la rancune tenace d’un camp envers l’autre (les rouges contre les chemises brunes) et énonce froidement comment l’Italie a vite oublié les horreurs perpétrées par les deux camps. L’auteur en profite aussi pour aborder des sujets plus contemporains comme l’esclavagisme moderne, au travers de transports d’émigrés à travers le pays sans qu’aucun contrôle ne soit effectué, et cela dans des conditions tout simplement inhumaines.

Quant à la raison ultime qui doit vous faire craquer, c’est son ambiance et ce parallèle que fait l’auteur entre sa région en plein mois de décembre avec l’enquête de l’inspecteur Soneri. Il semble que le Pô en soit l’acteur principal, inondant la région quand il s’agit de planter le décor et de cacher les raisons du (ou des) meurtres ; puis il se couvre de brume quand Soneri hésite entre plusieurs pistes, avec de balayer doucement le brouillard vers une vérité glaçante dans le dernier chapitre … quand le Pô commence à geler.

Magnifique ! Ce parallèle, cette métaphore est magnifique, de même que cette plume si subtile, si légère, qui laisse la part belle à la nature, restant toujours au second plan pour laisser ses personnages soit raconter leurs histoires, ou les anecdotes que l’on se passe de génération en génération, ou bien les secrets tus, les plus anciens respectant la loi de l’omerta avant tout … pour mieux nourrir leur rancune. Magnifique !