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Buveurs de vent de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Après son transfuge de La Manufacture de livres à Albin Michel, ce roman était attendu avec beaucoup d’impatience mais aussi d’inquiétude. On retrouve dans ce roman toutes les qualités qui nous font craquer pour la plume magique de Franck Bouysse.

Au lieu-dit Le Gour Noir, la légende dit qu’un jour, un homme et une femme sont arrivés avec un enfant. Toujours est-il qu’Elie et Lina Volny furent parmi les premiers à habiter ce coin perdu, surmonté par un viaduc, laissant passer la voie ferrée. Les drames n’ont pas épargné cette famille ; Lina est morte trop rapidement et Elie fut amputé d’une jambe suite à un accident de travail à la centrale électrique. Alors, Elie essaya d’élever sa fille Martha du mieux qu’il put.

Martin est revenu de la guerre et il rencontre Martha dans un bal. Elle est sure qu’ils sont faits l’un pour l’autre. De leur union naît quatre enfants, Marc, Matthieu, Mabel et Luc. Chaque enfant va trouver un moyen d’échapper à ce lieu qui ressemble à une prison : Marc s’évade dans la lecture, Matthieu s’échappe dans la nature environnante, Mabel découvre les premiers plaisirs adolescents et Luc voyage dans sa tête plus lentement et est considéré comme un simplet.

Nul ne sait quand Joyce est arrivé au Gour Noir. Immensément riche, il a donné libre cours à son ambition, sa folie de possession. Il a racheté petit à petit tout le village, renommant les rues à son nom, et bâti la carrière, le barrage et la centrale électrique qui emploie tous les hommes du coin. Joyce est entouré d’hommes de main, Double et Snake, violents et sans morale ; même la police en la personne de Lynch lui rend des comptes.

Les quatre enfants, unis comme les doigts de la main, se réunissent au viaduc, et utilisent une corde attachée au viaduc pour prendre de la hauteur par rapport à la noirceur ambiante. De là-haut, ils voient la nature telle qu’elle est, la faune et la flore intouchées et intouchable, le vent ébouriffant leurs cheveux. Un drame va bouleverser la famille Volny et par voie de conséquence, le village.

Après l’extraordinaire Né d’aucune femme, on pouvait être inquiet quand à la suite qu’allait donner Franck Bouysse à son œuvre littéraire. Dès les premières phrases, on s’aperçoit vite qu’il a choisi de rester dans un environnement rural, dans le Massif Central, en pleine nature. Et la grande nouveauté est que nous avons là un roman avec de multiples personnages, ce qui va donner l’occasion de présenter beaucoup de thématiques.

Evidemment, grâce ou à cause de son précédent roman, beaucoup de lecteurs vont voir dans Mabel le personnage principal, et vont ressentir une certaine frustration quand ils vont voir défiler les autres personnes. Et pourtant, tous ont bien le même poids dans cette intrigue dramatique, qu’ils soient du coté des gentils ou des méchants. Et on a l’impression que c’est plus la vie du village qui intéresse l’auteur, que l’itinéraire de ses personnages.

Franck Bouysse va nous parler de fraternité, de loyauté, de l’adolescence et de la difficulté de passer à l’âge adulte, de la difficulté d’être parent, de lutte des classes, de la beauté de la nature, de la pureté des sentiments. J’ai plutôt eu l’impression que Franck Bouysse voulait nous raconter un conte, pour adulte certes, avec ce qu’il faut de magie dans les images, les décors, les événements, un conte moderne dans un monde intemporel. Et c’est toujours un plaisir immense de se laisser bercer par le style incomparable aussi subtil que poétique, digne des plus grands auteurs contemporains. J’en veux ce passage d’une simplicité évidente et d’une justesse

« La beauté est une humaine conception. Seule la grâce peut traduire le divin. La beauté peut s’expliquer, pas la grâce. La beauté parade sur la terre ferme, la grâce flotte dans l’air, invisible. La grâce est un sacrement, la beauté, le simple couronnement d’un règne passager. »

Si certains peuvent reprocher la dualité Gentils / Méchants, je l’explique surtout par la forme voulue de l’auteur de narrer un conte. Et dans cet exercice là, Franck Bouysse est un conteur hors pair. Seule la fin m’a laissé dubitatif, tant elle est en décalage par rapport à l’histoire et à la morale éventuelle qu’il a voulu mettre dans son histoire. Cela reste tout de même un roman à lire, comme tous les romans de Franck Bouysse.

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Greenland de Heinrich Steinfest

Editeur : Carnets Nord

Traducteur : Corinna Gepner

Quand on lit un roman de Heinrich Steinfest, il faut s’attendre à entrer dans un monde parallèle, à lire un roman décalé, à regarder le monde autrement, pour mieux y voir ses défauts et travers. Greenland nous propose un conte, comme une invitation à retrouver notre âme d’enfant … mais pas seulement … comme d’habitude.

Quatrième de couverture :

« Comment s’appelle ce lac ?

– Tu ne le sais pas ?!

– Je n’ai pas dit que j’étais d’ici.

– Et d’où viens-tu ?

– Vous ne le croiriez pas.

– Probable. »

Telle fut la surprenante réponse du chauffeur. Il m’expliqua alors que ce lac portait le nom de Mohsee. Mais que les gens l’appelaient aussi La Mer des petits péchés.

« Et pourquoi ?

– Eh bien, parce que pour les grands péchés il existe déjà une mer. Une vraie. L’océan là-bas. Tu devrais le savoir. »

Tout a changé pour Theo la nuit où est apparu devant la fenêtre de sa chambre d’enfant un store vert. À sa surface, un paysage sous-marin et des hommes aux jumelles qui semblent l’épier. Passé le premier effroi, il ne peut résister à l’envie d’aller observer l’étrange objet de plus près. Et se retrouve happé dans le monde de Greenland.

Mon avis :

Theo est un enfant des années 2000. Heureux dans une famille de 3 enfants mais solitaire, il s’est habitué à ne pas avoir de rideau sur la fenêtre de sa chambre. Son monde va basculer le jour où on lui installe un store de couleur verte. En regardant de plus près, il s’aperçoit qu’il y a un monde vert derrière le store. Il y voit une jeune fille, attachée à une grosse corde. Une nuit, il décide de plonger dans ce monde vert pour la sauver. Il se trouve un compagnon, en la personne de Lucian, un grand couteau et va réussir à couper la corde. Mais l’aventure ne fait que commencer …

Effectivement, ce roman n’est pas comme les autres. Heinrich Steinfest écrivant des romans faisant appel à l’imaginaire, il était logique qu’il nous offre un conte. Et quelle merveille que ce roman ! L’auteur pousse même le vice jusqu’à écrire les passages avec de l’encre verte quand le lecteur aborde des passages dans Greenland. C’est amusant, et c’est surtout pas commun.

Dans la première partie, Théo März va donc tout faire pour sauver la jeune fille. Il croit qu’elle s’appelle Hélène, mais il s’avèrera qu’elle s’appelle Anna, Hélène étant le nom de son chien ! De cette première partie, l’auteur fait appel à notre âme d’enfant, aux mondes imaginaires que l’on se créé au fond de notre lit, tout en gardant les pieds sur Terre quand il décrit le monde des adultes et leurs travers.

Dans la deuxième partie, nous sommes en 2046. Théo a 46 ans et est deux fois divorcé. Il est devenu divorcé et est en voyage vers Mars. Ceci dit, avec un nom pareil, il ne pouvait pas faire un autre métier. Il apprend, là haut, que Anna a disparu. C’est alors qu’il décide de retourner à Greenland pour la trouver. Et c’est une nouvelle aventure qui démarre. Et Heinrich Steinfest en profite pour nous montrer l’évolution du monde vers plus de machines et plus d’ordinateurs, plaçant l’homme au deuxième plan.

Et c’est l’occasion pour l’auteur de défendre la puissance de l’imagination, l’importance de l’humanité à travers ce conte qui, personnellement m’a fait fondre. Outre sa forme originale, c’est une ode à l’Homme et à cette capacité à créer des choses plus grandes que lui. Si c’est une lecture qui me change de mes habitudes, ce voyage vers un autre monde m’a définitivement conquis. Un livre culte.

Espace jeunesse : Histoire d’un chien Mapuche de Luis Sepulveda

Editeur : Métailié

Traducteur : Anne-Marie Métailié

Illustrateur : Joëlle Jolivet

L’origine de cette lecture vient des suggestions de la médiathèque de ma ville (Montgeron). J’y emmène toujours mes enfants pour qu’ils découvrent d’autres livres, d’autres auteurs et il y avait ce roman dans le cadre du mois « Roman policier jeunesse ». J’ai craqué sur la couverture et sur le titre, sans même savoir de quoi ça parlait. Retour enfance pour un roman que l’on peut raconter en histoire du soir à ses enfants.

Quatrième de couverture :

Le chien, prisonnier, affamé, guide la bande d’hommes lancée à la poursuite d’un Indien blessé dans la forêt d’Araucanie. Il sait sentir la peur et la colère dans l’odeur de ces hommes décidés à tuer. Mais il a aussi retrouvé dans la piste du fugitif l’odeur d’Aukamañ, son frère-homme, le compagnon auprès duquel il a grandi dans le village mapuche où l’a déposé le jaguar qui lui a sauvé la vie.

Dans la forêt, il retrouve les odeurs de tout ce qu’il a perdu, le bois sec, le miel, le lait qu’il a partagé avec le petit garçon, la laine que cardait le vieux chef qui racontait si bien les histoires et lui a donné son nom : Afmau, Loyal.

Le chien a vieilli mais il n’a pas oublié ce que lui ont appris les Indiens Mapuches : le respect de la nature et de toutes ses créatures. Il va tenter de sauver son frère-homme, de lui prouver sa fidélité, sa loyauté aux liens d’amitié que le temps ne peut défaire.

Avec son incomparable talent de conteur, Luis Sepúlveda célèbre la fidélité à l’amitié et le monde des Mapuches et leurs liens avec la nature.

Mon avis :

Assoyez-vous dans votre fauteuil, bien confortablement, et retrouvez votre âme d’enfant. Imaginez que Luis Sepulveda vous raconte une histoire, simple mais dure. Une troupe d’hommes poursuit un Indien et utilise pour cela « Le Chien ». L’Indien est blessé et il suffit de suivre l’odeur du sang grâce à l’odorat très développé de l’animal.

Cette histoire, qui fait une centaine de pages, peut être lue par un enfant ou par ses parents, sans aucun problème. Il y a la simplicité et la poésie des contes, et aussi la cruauté des contes pour enfants. En ce sens, je le conseillerais plutôt pour des enfants d’au moins 10 ou 12 ans.

J’ai particulièrement apprécié la puissance de l’évocation de la nature, sauvage, inhospitalière. En très peu de mots, Luis Sepulveda arrive à nous plonger dans ces contrées enneigées, à nous faire ressentir de la haine envers le groupe d’hommes et à nous esquisser le drame de la situation Mapuche. La traductrice a d’ailleurs fait un travail remarquable pour à la fois retranscrire la simplicité des mots et l’importance du vocabulaire Mapuche, ce qui nous implique encore plus dans cette histoire et dans leur histoire. A consommer sans modération.

 

Novellas chez Ombres Noires

Depuis quelque temps, Ombres Noires publie à bas prix des romans courts, que l’on appelle novellas, écrites par des auteurs connus et reconnus. Si j’avais été peu convaincu par Le convoyeur du 3ème reich de CJ.Box, j’ai été enchanté par les deux romans que je vous propose maintenant :

Secret des tranchées

Le secret des tranchées de Thomas H.Cook :

Quatrième de couverture :

Franklin Altman est parvenu à quitter l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale et a refait sa vie aux États-Unis. Après avoir changé de nom, il a su gagner une place honorable parmi les intellectuels new-yorkais.

11 novembre 1968, cinquante ans après la signature de l’Armistice. Franklin prononce un discours à l’occasion de cette commémoration lorsqu’un ancien camarade de jeunesse se fait connaître à l’assistance, faisant ressurgir chez lui un pan entier de son passé.

Il est évident que les deux hommes ont quelque chose en commun. Un secret peut-être… La lumières viendra-t-elle de ce manuscrit, laissé par cet ancien ami, dont le contenu aurait pu changer le cours de l’Histoire?

Mon avis :

Imaginez que la seconde guerre mondiale n’ait jamais eu lieu. Imaginez qu’un historien vienne faire dédicacer son livre en 1968. C’est un ancien Allemand, ayant émigré aux Etats-Unis, et il rencontre alors un ancien Allemand, comme lui. Qu’est-ce qui peut bien lier ces deux hommes que tout sépare ?

Sans aucune esbroufe, puisque tout se passe dans la librairie, cette rencontre va être emplie de non-dits à travers des dialogues mystérieux qui ne vont donner aucun indice au lecteur, mais plutôt lui poser plein de questions. Thomas H.Cook a probablement atteint dans ce court roman son style le plus subtil qui soit, pour ouvrir au lecteur les questions les plus vastes, sans lui donner jamais aucun indice. C’est un roman remarquable de sensibilité, avec un final qui laisse pantois. Et après avoir tourné la dernière page, le lecteur se pose enfin la grande question : Qu’est-ce que l’Histoire ?

 Prière achever

Prière d’achever de John Connoly :

Quatrième de couverture :

Comment expliquer à la police que l’on a été témoin de la chute d’une femme, sous un train, alors qu’aucune trace de l’effroyable accident n’est visible? C’est ce qui arrive à M. Berger, tranquille célibataire qui vient de s’installer à la campagne dans le vain espoir d’écrire un roman.

L’événement est d’autant plus troublant que, quelques jours plus tard, la même jeune femme se jette à nouveau sous la locomotive. Cette fois-ci, M. Berger décide de suivre cette mystérieuse créature au sac rouge. Il atterrit dans une étrange librairie tenue par un vieil érudit, qui accueille en ses murs les plus grands personnages de la littérature…

Mon avis :

Le format court des romans est à la fois un exercice périlleux mais il autorise aussi toutes les folies. Car il permet de poser des situations inédites sans être obligé de décrire dans le détail des lieux ou des psychologies. Dans ce roman, Connoly rend hommage à l’écriture, à l’imagination et tire son chapeau envers les héros qui ont bercé notre enfance.

Ecrit comme un conte, se voulant intemporel et magnifique de possibles, j’ai lu ce roman avec autant d’émerveillement que d’étonnement devant la créativité qui remplit ces pages. C’est un roman magnifique, un conte pour adulte qui nous plonge dans nos souvenirs, qui nous emplit de rêve. Avec ce roman, John Connoly n’a jamais été aussi près de Edgar Allan Poe.

Un vent de cendres de Sandrine Colette (Denoel)

Après le magistral Des nœuds d’acier, Grand prix de la littérature policière 2013, la lecture du deuxième roman de Sandrine Colette est pour moi une obligation en même temps qu’une curiosité. Et en effet, il est très différent.

Andreas, Octave et Laure sont trois jeunes gens qui reviennent d’un mariage tard dans la nuit. L’ambiance est festive dans la voiture, quand ils aperçoivent devant Matthieu et Aude dans leur Peugeot. Andreas enfonce l’accélérateur de la Mercedes et Laure détache sa ceinture de sécurité pour leur faire signe par le toit ouvrant. Ils n’ont pas vu le camion loin devant eux qui perd son chargement de poutres métalliques. L’accident, à cette vitesse, est inévitable et Laure perd la vie décapitée.

Dix années plus tard, dans leur propriété de Champagne, l’heure des vendanges a sonné. Les travailleurs saisonniers débarquent, et parmi eux deux jeunes gens, Malo et Camille. Malo est un impulsif, n’hésitant pas à monter sur ses grands chevaux dès que le ton monte. Camille est plus jeune, plus pure, plus innocente, plus calme et très belle avec sa chevelure blonde envoutante.

De jour en jour, l’ambiance est bonne malgré la fatigue de la cueillette. Octave, le propriétaire, défiguré par l’accident de voiture, est fasciné par la beauté de Camille et sa ressemblance avec Laure. Malo voit cet attrait malsain d’un mauvais œil, et il se dispute avec Camille, jusqu’à ce qu’à l’aube du troisième jour, il disparaisse sans laisser de message, ni de trace. Camille est partagée entre inquiétude pour Malo et fascination pour Octave.

La scène d’ouverture est terrible, et on retrouve toutes les raisons pour lesquelles on aime Sandrine Colette, cette faculté de rentrer dans la tête des gens, de décrire leur psychologie de façon si simple, juste en trouvant les mots justes, visuels et parfaits. D’une soirée qui aurait du se poursuivre si gaiement, on plonge dans l’horreur, avec ce corps crachant ses litres de sang au milieu d’un paysage vert de printemps.

Changement de décor. Jour 1 : les jeunes gens qui veulent se faire un peu d’argent de poche à la sueur de leur front débarquent dans cette propriété riche de champagne. Là encore, inutile de s’attarder sur les paysages, ou les personnages, leurs paroles, leurs faits et gestes parlent pour eux. Et puis, la présence du propriétaire, mystérieuse, étend son spectre sur les soirées, sans qu’on le voie.

Petit à petit, le mystère va faire place à un personnage brisé, cassé, défiguré, dont on n’a pas peur tant il est touchant, boitant sur sa canne. Mais petit à petit, certaines scènes sèment le doute, les regards entre Octave et Camille se font lourd, et la menace pèse. Seul Malo la sent. Pour le lecteur, c’est le conte de la Belle et la Bête que Sandrine Colette nous réécrit à sa manière. Mais pas pour longtemps … Malo disparait.

Le stress monte d’un cran, en même temps que cette relation étrange, et on balance entre féérie et horreur, car dans un conte, les deux sont forcément liés. Et la tension monte jusqu’à l’apothéose des deux derniers chapitres. En cela, ce roman est proche Des nœuds d’acier mais aussi tellement éloigné. Car il ne se passe rien, mais le lecteur se pose plein de questions, imagine des fins, des hypothèses alors que … Sandrine Colette confirme son art de brosser des tableaux psychologiques, des histoires terrifiantes en nous offrant ce très bon polar. Vivement le prochain !

La velue de Nadine Monfils (Frangrances)

Nadine Monfils a commencé sa carrière d’écrivain en 1984. Et son premier roman s’appelait La velue. Evidemment, ce roman est depuis très longtemps épuisé. Les éditions Fragrances ont la bonne idée de rééditer ce roman …

Ophélie est une professeure, et elle rêve d’emmener en classe son oiseau Ymir, enfermé dans une cage. Comme ce serait plus gai ! Petite en taille, on la comparait à ses élèves. Vivant avec sa tante depuis qu’elle est orpheline, elle a suivi une éducation religieuse stricte. Cet été là, elle part en vacances à la plage, dans la mer du Nord. Et elle rencontre Raphaël. Ces deux là s’aiment d’amour fou, et il lui demande de venir vivre avec lui … dans son château … où il habite avec sa mère … qui a 217 ans.

A partir de ce moment, le roman déraille et devient une sorte d’éducation sexuelle, en même temps qu’une initiation à la vie, au milieu de gens qui tantôt sont des monstres, tantôt sont des animaux. Bienvenue le monde extraordinaire de Nadine Monfils, où les vraies gens sont des êtres bizarres et où les êtres étranges sont les plus humains.

Avec ce premier roman, attendez-vous à être surpris car le début de chaque chapitre n’a rien à voir avec ce qui va suivre. De cet amoncellement de petites scènes, il en ressortira toujours une surprise, des images fortes, grâce aux expressions très imagées de l’auteure, et à son imagination sans borne. Si ce n’est pas un polar, ce roman fait une incursion dans le fantastique, avec des aspects qui rappellent fortement La métamorphose de Franz Kafka, ou bien Histoire d’Ô de Pauline Réage. C’est dire le grand écart que se permet Nadine Monfils.

Malgré cela, on retrouve son art de démonter toute logique, de donner l’impression d’un grand bordel, de faire croire qu’il n’y a aucune construction, alors que le tout forme un ensemble parfaitement cohérent. Et on retrouvera à la fois des thèmes forts pour les habitués de l’univers Monfils, de l’omniprésence de la famille aux étrangers bizarres, de l’horreur des hôpitaux aux policiers frappés ou même des nains lubriques.

Dire que c’est un conte pour adultes est un euphémisme : il y a des scènes érotiques où l’on ne s’autorise aucune limite et tout cela est fait pour amuser la galerie avec des scènes d’une drôlerie irrésistible. Pour vous donner un exemple : A l’hôpital, on soigne les gens en les jetant par la fenêtre ; si l’un d’eux meurt, alors le corbillard les ramasse comme s’il les mangeait, et quand il est trop plein, il les vomit en plein milieu de la rue.

Si ce roman est incontestablement original, s’il est construit avec la cruauté d’un conte, il devra être ouvert à la fois avec l’indulgence d’un premier roman et avec la curiosité de découvrir l’univers de Nadine Monfils qui est déjà bien présent et donnera par la suite à la fois ses romans érotiques et ses polars tels que le Commissaire Léon ou Mémé Cornemuse. C’est une riche idée d’avoir dépoussiéré ce roman et il va en surprendre plus d’un.

Darling Jim de Christian Mork (Pocket)

Ce livre là est l’un des sélectionnés pour Polar SNCF. A priori, je serais passé au travers, et cela aurait été bien dommage.Car il nous convie à un véritable conte pour adultes.

Castletownbere, Irlande, ‘il n’y a pas si longtemps’. Moira Hegarty et ses deux nièces, Fiona et Róisín sont retrouvées assassinées sauvagement. Dans un petit village tranquille, cela créé un choc. Mais comme tout cauchemar, tout le monde s’empêche d’oublier ce drame. Quelque temps plus tard, Niall, le jeune postier du village, récupère une enveloppe contenant le journal intime de Fiona. Il se retrouve envoûté par ce personnage et décide de comprendre ce qui se cache derrière ces meurtres. Il découvre alors l’existence de Jim Quick : un ‘seanchai’, conteur de légendes irlandaises et cherche à comprendre toute l’histoire, aidé en cela par le journal intime de la deuxième nièce.

Il est bien difficile de parler simplement de ce roman foisonnant. Car l’imagination est au rendez vous dans ce livre. Bien que j’ai mis beaucoup de temps pour le lire, pour des raisons de santé, jamais je n’ai voulu le lâcher. Car sa lecture est envoûtante. Autant que le personnage de conteur. Christian Mork a une grande qualité, c’est qu’il vous prend par la main, et vous embarque dans son imaginaire. Il construit son histoire comme on construit un conte, ou un château, pierre par pierre, morceau par morceau. Et le mystère qui plane autour des personnages nous force à vouloir aller plus loin, à essayer de démêler les fils de ce drame.

La construction du livre y est pour beaucoup. Alternant entre l’enquête de Niall et les journaux intimes des deux nièces, cela devient vite passionnant, d’autant que c’est un très bon moyen de manipuler le lecteur. Car dans un journal intime, on ne fait apparaître qu’une partie de la vérité, on cache ou on omet certaines choses. Et il a le talent d’avoir agencé cela comme des poupées russes, mêlant une histoire dans une histoire dans une histoire. Et tout cela sans que le lecteur ne ressente aucune confusion. Très fort.

Alors oui, comme tous les auditeurs du conteur Jim Quick, je me suis laissé prendre à cette histoire, regrettant parfois certains effets de styles, certaines maladresses de style de description ou de faux suspense. J’ai trouvé que Christian Mork était beaucoup plus à l’aise dans les journaux intimes que dans l’avancée de l’enquête de Niall. Mais au bout du compte, j’en ai retiré énormément de plaisir à lire ce conte moderne. Sans oublier, bien sur, le suspense et l’explication finale qui n’intervient que dans les toutes dernières pages.

Comme pas mal de mes collègues blogueurs, j’ai été surpris, bluffé par le talent de conteur de Christian Mork, et je pense qu’il va falloir que je lise les prochains. D’ailleurs, Jim Quick n’est-il pas le double de Christian Mork ? En tous cas, ce conte moderne pour adultes vaut largement d’être lu et dévoré.

Les autres avis dont je vous parlais sont chez

Lecture sans frontières, yspaddaden, Cynic63, et  Pages d’écriture entre autres.