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Une saison pour les ombres de Roger Jon Ellory

Editeur : Sonatine

Traducteur : Etienne Gomez

Moi qui ai lu presque tous les romans de Roger Jon Ellory, je peux ressentir derrière ce nouveau titre à la fois l’évolution de l’auteur et sa passion pour la psychologie humaine, la faculté de l’homme à prendre des décisions et les assumer … ou pas. Le Ellory nouveau est arrivé !

Montréal, 2011. Jack Devereaux parcourt la maison qui a été la proie de l’incendie avec son comparse Ludovick Caron. En tant qu’enquêteur pour la compagnie d’assurance, il s’aperçoit vite qu’un court-circuit dans un appareil ménager est à l’origine du sinistre. Jack est surpris de recevoir un coup de fil d’un numéro inconnu. Le shérif de Jasperville l’informe que son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre.

Calvis, son petit frère, vient se rappeler à ses souvenirs, de même que Jasperville, qu’il a voulu oublier ;Jasperville, que l’on surnomme Despairville, petite commune située à l’extrême nord-ouest du Canada et qui vit uniquement grâce à ses mines de métaux ferreux. Pour Jack, Jasperville représente son pire cauchemar, un endroit inhumain ne connaissant que rarement des températures positives, une ville de 5000 habitants enclavée par les monts Torngat, surnommés le lieu des esprits mauvais par les indiens ayant vécu là auparavant.

Canada Ironexploite les minerais issus des roches éruptives de Jasperville. A cause de la crise économique, en 1969, Henri Devereaux accepte un poste de contremaître et y emmène sa famille, Elisabeth sa femme et ses deux enfants Juliette et Jacques, ainsi que le grand-père William. William raconte les légendes indiennes et le Wendigo, un esprit malfaisant qui prend possession des hommes et leur fait faire des meurtres. Dès 1972, un corps de jeune fille est retrouvé dans les bois. Le policier en poste en déduit vite qu’elle a été attaquée par un animal, un ours ou un loup.

Le Ellory Nouveau est arrivé ! cela peut paraitre bizarre comme entrée en matière, comme si je le comparais au Beaujolais. Détrompez-vous, le but de cette phrase d’introduction est bien de mettre l’accent sur tout ce qui change chez cet auteur incontournable dans le paysage du polar contemporain.

Commençons par le contexte : Roger Jon Ellory reste sur le continent américain mais change de pays : direction le Canada et en particulier l’extrême nord du pays, avec son climat rigoureux, inhumain, où les températures descendent à -40°C et la population ne voit quasiment jamais le soleil. L’auteur utilise cet aspect pour les conséquences sur la psychologie des gens, enfermés chez eux, renfermés sur eux-mêmes.

Il apparait donc logique que de nombreuses légendes fassent leur apparition, et en particulier celles émanant des tribus indiennes. Avec la proximité des Monts Torngat qui pèsent sur le village comme une main maléfique se refermant sur la petite ville, Roger Jon Ellory utilise à merveille le contexte pour faire monter l’angoisse et introduire les meurtres de jeunes filles qui vont se succéder.

Utilisant des allers-retours entre le présent (le retour de Jack dans sa ville de jeunesse) et le passé (sa jeunesse, ses drames familiaux), Roger Jon Ellory place au centre de son intrigue Jack qui a amputé son prénom comme s’il voulait laisser derrière lui ces mauvais souvenirs. Prévu pour être sympathique, nous allons avoir affaire à une histoire introspective, une méticuleuse analyse de sa réaction d’homme.

Car le sujet, au-delà de la recherche du ou des tueurs, se situe bien au niveau de ce jeune homme qui a quitté sa ville 26 ans plus tôt à l’âge de 19 ans, laissant derrière lui sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Et une fois sa décision prise, la difficulté d’assumer son choix, surtout quand le passé se rappelle à lui d’une façon particulièrement cruelle et fait ressortir son lot de culpabilité.

De la même façon que le paysage est brutal, les événements violents, le contexte sans pitié, le style de Roger Jon Ellory évolue pour s’adapter à son histoire. Finies les digressions ou la volonté d’expliquer les réactions de ses personnages, place ici à un style plus direct, plus franc, sans pour autant délaisser les qualités de narration, ni les événements placés au bon moment de l’histoire. Indéniablement, cette Saison pour les ombres est remarquable et fait partie des meilleurs romans de l’auteur avec Seul le silence et Papillon de nuit.

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Les Polaroids de 2019

Editeur : Editions In8

Lus en toute fin de 2019, entre deux coupes de champagne, il fallait que je vous parle des deux petits derniers Polaroids parus aux éditions In8. Petits parce qu’il s’agit de novellas, dont la taille ne dépasse pas 100 pages, mais grands par leur identité, le ton personnel donné par chaque auteur.

Rose Royal de Nicolas Mathieu :

Rose a la cinquantaine et la vie ne lui a pas fait de cadeaux. Mariée, divorcée, elle a eu deux enfants qui ont chacun fait leur vie, loin d’elle évidemment. Elle rencontre toujours quelques hommes, mais ce n’est pas pour s’attacher. Elle préfère passer son temps au Royal, un bar miteux ; et y retrouver sa copine Marie-Jeanne, qui le week-end propose de coiffer les clients. Par peur des violences masculines, mais aussi pour se donner la force de se défendre, elle porte sur elle un petit révolver. Cette nuit-là, un homme entre au bar avec son chien qui vient de se faire écraser. Rose va achever ses douleurs et lui tirer une balle dans la tête. Cet homme, Luc, est séduisant. Sera-ce la bonne rencontre pour Rose ?

Avec un style posé et imaginatif, Nicolas Mathieu, auréolé du Prix Goncourt pour Leurs Enfants Après Eux, nous raconte la vie quotidienne des petites gens, avec cette poésie noire qui n’appartient qu’à lui. Il arrive à trouver de la beauté dans les zincs crasseux, à illuminer les visages ridés et tristes, marqués par la vie. En 70 pages, il nous offre un texte lumineux pour une histoire bien noire.

Car la vie n’a pas été rose pour Rose (désolé !). Est-ce dû à de mauvais choix ? Est-ce dû au destin qui lui joue toujours de mauvais tours ? Elle qui a su résister à tant de violences va se laisser mener par un homme qui pourrait tout changer. Et nous voudrions qu’elle y arrive, qu’elle soit moins brute, qu’elle est un peu de chance. Hélas, on ne change pas une trajectoire qui se dirige vers le vide. Et Nicolas Mathieu saura nous montrer une fin brutale et brève (une phrase) d’autant plus brutale qu’on avait espéré. Mais espéré quoi ?

Donneur de Mouloud Akkouche :

Carole se réveille à coté de son compagnon Fabien. Il faut bien se rendre à l’évidence, lui qui prend tant soin de son corps et de sa santé est mort dans son sommeil. Elle sait qu’il a formulé le souhait de donner son corps à la science. Pour cela, elle doit prévenir les urgences dans les 48 heures suivant le décès. Mais elle n’arrive pas à se faire à cette idée, elle n’arrive pas à faire un choix, sauter le pas. Alors elle part pour le week-end dans la maison familiale du Pays Basque, une ancienne baraque de pêcheur que tout le monde a abandonné. Mais quand elle arrive là-bas, c’est un margoulin qui l’attend, Samir.

Avec des chapitres courts, des dialogues qui claquent, Mouloud Akkouche va nous exposer la rencontre de deux êtres abandonnés, perdus, comme deux bêtes sauvages prises dans les phares d’une voiture. Ils vont se parler, apprendre à se connaitre le temps d’un week-end. Sans esbroufe, sûr de sa force, l’auteur construit une courte histoire, un subtil moment dans une existence, une sorte de rencontre rêvée et destinée à ne pas durer. Et il nous montre l’inutilité de la solitude et l’importance des autres, car la fuite n’est pas une solution.

Ne ratez pas l’avis de la Petite Souris

 

Nulle part sur la terre de Michael Farris Smith

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Demarty

N’étant que peu féru de romans post-apocalyptiques, j’avais laissé passer le premier roman de Michael Farris Smith, Une pluie sans fin. Et quand j’ai ouvert ce roman, j’avais certes un petit a priori, et c’est le billet de Claude Le Nocher qui m’a décidé.

Un vieil homme roule sur cette route quand il aperçoit au loin une femme et une jeune enfant qui marche sur le bas-côté. Pris de pitié, il les prend en stop, essaie en vain de lancer une conversation et finit par les déposer dans un motel, en leur donnant un peu de liquide. Maben marche depuis plusieurs jours avec sa fille Annalee pour rejoindre le centre d’accueil de McComb, ville qu’elle connait bien pour l’avoir quittée quelques années auparavant. La petite étant fatiguée, Maben prend une chambre. Quand la petite s’est endormie, elle se dit qu’elle pourrait sucer un conducteur routier pour se faire un peu d’argent. Elle l’a déjà fait … mais elle se fait embarquer par un flic qui veut en profiter gratuitement. Poussée à bout, elle met la main sur le révolver du flic et le descend. Sa fuite semble ne jamais prendre fin.

Russell Gaines vient de sortir de prison, après 11 années de détention. Comme il ne sait pas où aller, il retourne en bus dans sa ville natale, McComb, qui est aussi la ville de ses malheurs. En prison, on lui explique que 90% des ex-taulards reviennent. Dès qu’il arrive, il subit un passage à tabac par Larry et Walt, les deux frères de l’homme qu’il a tué et pour lequel il a été arrêté. Avant de retourner chez lui, il passe chez son père Mitchell, qui vit avec Consuela, une Mexicaine qui entretient la maison (et plus si affinités). Le monde a continué de tourner sans lui pendant ces 11 années. Il doit donc choisir de ce qu’il va faire de sa vie, maintenant qu’il a purgé sa peine.

Il vaut mieux avoir le moral pour attaquer ce roman. Car le roman débute fort dans le glauque, nous montrant l’un après l’autre le quotidien des deux personnages. Maben et Russell sont les deux piliers qui vont illustrer le propos de ce roman, deux personnages forts qui vont essayer de mener leur vie, voire de survivre dans un contexte qui leur est défavorable. Que ce soit Maben ou Russell, ils sont obligés de se prendre en charge, de se démener pour avancer. Mais il faut bien dire que la destinée ne leur est guère favorable. En effet, le hasard les place face à des situations qui les obligent à prendre des décisions dont ils ne verront les conséquences que plus tard.

La rencontre de ces deux personnages dans la deuxième moitié du livre ne va pas arranger les choses, voire poser des problèmes supplémentaires quant aux décisions à prendre pour chacun d’eux. Mais le message qui ressort de ce roman est que quelle que soit la volonté que vous mettiez à vous sortir de la mouise aux Etats Unis, vous serez balayé par la vague à partir du moment où au départ, vous avez fait le mauvais choix, celui qui va vous poursuivre toute votre vie. Russell et Maben sont comme deux boules de flipper qui ne maitrisent pas tout de leur itinéraire.

Pour autant, tous les personnages qui gravitent autour d’eux ne sont pas tous méchants mais ont tous un impact sur leur destinée. Jamais l’auteur ne va juger leurs opinions ou leurs actes, et juste se contenter de faire avancer son intrigue. Tous sans exception ont leur rôle à jouer dans ce drame, et tous sont impeccablement présents et impeccablement décrits. Tout ceci confère à ce roman un plongée dans la campagne américaine, celle qui vit quasiment en autarcie et où la vie se résume à se démerder pour s’en sortir.

Avant que vous vous jetiez sur votre libraire pour acquérir ce roman, il faut que vous sachiez que le style de l’auteur est du genre détaillé. Il va en effet décrire avec minutie chaque petit geste, chaque petite réaction, à l’aide de petite phrase, parfois sans sujet. Si cela n’est pas déconcertant à la lecture et permet de se plonger dans une scène, cela peut en rebuter certains qui trouveront ce roman un peu bavard. Bref essayez le, vous devriez l’adopter.

Ne ratez pas les avis de Yvan, Claude, Yan et Jean Marc