Editeur : Livre de Poche
Traductrice : France-Marie Watkins
Depuis la Rome Antique, les auteurs ont pointé des méthodes pour occuper un peuple sous un régime autoritaire par l’expression « Panem et circenses ». Dans une société toujours plus violente, de nombreux artistes ont imaginé ce que l’avenir pourrait devenir en termes de divertissements brutaux voire mortels. Nous pourrions citer les exemples de Hunger Games (2008), Squid Game (2021), Battle Royale (2000). Dans la bibliographie du célèbre auteur Stephen King, on peut également trouver ce genre de livres : Running Man (1982) ou encore Marche ou Crève (1979).
Le roman dystopique Marche ou Crève, dont le titre original est The Long Walk, a été publié en 1979 par Stephen King sous le nom de Richard Bachman. Ce roman peint une société dans laquelle 100 adolescents se portent volontaires pour participer à une course, la Longue Marche. La marche a lieu à travers les Etats-Unis en partant de la frontière canadienne et passant par l’état du Maine. Chacun se voit attribuer un numéro. Ils doivent marcher le plus longtemps possible entourés par des militaires, dirigés par le « Commandant », qui sont en charge de leur apporter de la nourriture et de l’eau. Si un coureur s’arrête, il est « éliminé ». Autrement dit, il meurt tué par un soldat armé après trois avertissements, « il reçoit son ticket ». A la fin, il n’en restera qu’un qui remportera une somme d’argent importante et un « prix » qui peut prendre la forme qu’il souhaite.
Le personnage principal, Ray Garraty, le numéro 47, originaire du Maine, se lie vite d’amitié avec d’autres marcheurs comme Peter McVries, numéro 61, ou Artur Baker, numéro 3, malgré le fait qu’il sache que seul l’un d’entre eux ressortira vivant de cette course. Cependant, un mystérieux marcheur retient l’attention de Garraty : Stebbins. Ce dernier ne parle à personne, marche seul à une vitesse régulière et semble avoir beaucoup de connaissances sur la Longue Marche.
La dystopie de ce livre repose sur le principe même du jeu : « marche ou crève » (expression militaire liée aux batailles sur le front d’une guerre). Les adolescents doivent marcher pour sauver leur vie dans une société qui n’a aucune pitié, prête à tuer. Ces mêmes adolescents sont volontaires pour participer à cette course, ils sont assez fous pour vouloir participer à un jeu pouvant potentiellement les tuer. Les marcheurs sont totalement déshumanisés avec des numéros qui leur sont attribués et qui les qualifient.
Les Etats-Unis sont devenus un régime totalitaire, une dictature militaire où des gens misent de l’argent sur le marcheur qu’ils veulent voir gagner et ne se rendent pas compte de l’atrocité de cette course. Les concurrents sont exposés sur la route au milieu de la foule, dont la cruauté est infâme, comme des bêtes de foire. L’armée contrôle cette course : ils encadrent les coureurs et sont chargés de les exécuter lorsqu’ils s’arrêtent. Le pays récompense le vainqueur pour avoir survécu plus longtemps que tous les autres malgré l’épuisement physique et mental, donc le gagnant a vu les autres coureurs mourir devant ses yeux.
Les liens sociaux entre les personnages est un des thèmes les plus développés du roman. En effet, les interactions entre les marcheurs sont limitées, ils savent qu’ils verront leurs partenaires mourir donc certains essayent de rester seuls et de réduire les contacts avec les autres. Mais il existe aussi un lien entre les coureurs et la foule. Les habitants des Etats-Unis encouragent, sur le bord de la route, les concurrents pour les voir souffrir, se dépasser rendant ainsi inhumaine cette course tandis que les candidats doivent tout faire pour leur plaire car, bien évidemment, la foule n’encourage que les participants qu’elle aime.
Ce roman comporte un certain côté visionnaire puisqu’il a été rédigé il y a environ 40 ans mais il ressemble fortement aux jeux télévisés actuels, comme Koh-Lanta ou Survivor, où l’on voit des participants souffrir pour sauver leur vie. On peut trouver le même principe aux informations diffusées à la télévision où l’on nous montre de plus en plus de personnes souffrantes, avec par exemple la guerre en Ukraine où les chaînes d’informations retransmettent des images de rescapés des bombes lancées par la Russie. Le but de ce livre est de montrer une société dans laquelle le gouvernement abreuve le peuple avec des jeux de plus en plus violents, de montrer comment une société dictatoriale parvient à tenir son peuple avec des jeux brutaux car l’humain est de nature agressive. Ainsi, la violence est toujours plus présente à la télévision surtout maintenant avec les séries, les films, la téléréalité…
J’ai lu ce roman l’été dernier. Je voulais faire une pause dans Le Rouge et le Noir donc j’ai acheté ce livre. En deux jours il était terminé. J’étais captivée du début à la fin. Je le lisais partout et tout le temps. A la plage, le soir dans mon lit, le matin au petit déjeuner. Le rythme était tel que je ne pouvais pas arrêter, je voulais sans cesse connaître la suite et surtout connaître le fameux vainqueur. Je me suis retrouvée à la place d’un voyeur avide de violence exactement comme les spectateurs du livre sont assoiffés de voir les coureurs souffrir.
Stephen King détaille avec précision la psychologie de chaque personnage ce qui en fait un des sujets principaux du livre. Nous nous attachons à leur histoire, leur caractère et on veut de moins en moins les voir mourir car nous le savons tous : il n’en restera qu’un. Nous sommes placés dans l’esprit de Garraty, nous avons accès à ses pensées, ses douleurs à la fois physiques et psychologiques. Nous le suivons tout au long du livre et nous le voyons tenter de donner un sens à sa vie et à sa présence dans ce jeu. Ainsi, nous avançons dans la Marche avec lui, accompagnés de ses pensées. C’est là une des choses les plus incroyables de ce livre : l’auteur possède le pouvoir de créer un lien fort entre le lecteur et les personnages, nous rendant ainsi plus difficile leur mort.
J’adore surtout l’auteur. Si j’ai acheté ce livre c’est parce que je savais que Stephen King l’avait écrit. J’aime son style d’écriture, ses idées, ses histoires. Il est probablement mon auteur préféré. Ce roman nous invite à nous questionner sur notre rapport aux jeux télévisés, à remettre en question nos sources de divertissement. Stephen King souhaite, dans la plupart de ses ouvrages, faire passer un message.
Le principe du jeu en lui-même est affreux mais il ne m’a pas choqué. C’est peut-être parce que, comme veut le dénoncer King, j’ai pris l’habitude de voir ce genre d’horreurs à la télévision. Je me suis même surprise à vouloir voir certains personnages mourir, ceux que j’aimais le moins, seulement pour faire avancer l’action.
Ma scène préférée est lors du premier coureur tué. C’est à ce moment que tous les autres personnages comprennent les enjeux réels de la marche. Ils comprennent également qu’en choisissant de participer, ils mettent leur vie en jeu. Certains ne savent même pas la raison pour laquelle ils se sont engagés dans cette marche folle mais ils continuent pour éviter la mort.
Malgré le fait que ce soit une longue marche insistant sur le côté physique des personnages, leur mentalité est aussi mise à rude épreuve. Ils doivent creuser, au plus profond d’eux-mêmes, cette volonté de vivre à tout prix même si, pour cela, ils doivent regarder tous les autres concurrents mourir avant eux.
La fin est particulièrement touchante. Je ne voudrais pas dévoiler le dénouement donc je vais essayer de donner le moins de détails possible. Le vainqueur de la course, le dernier survivant, n’est plus du tout humain. Il ressemble plus à un zombie marchant avec toujours la foule qui l’acclame. Dans cette scène, nous pouvons voir à quel point les gens peuvent être horribles : ils saluent un homme qui n’en est plus un, il s’apprête à être récompensé pour avoir survécu plus longtemps que tous les autres.