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Oldies : Lord Peter et l’inconnu de Dorothy Leigh Sayers

Editeur : Livre de Poche & Editions du Masque

Traducteur : L.Servicien

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Cette lecture va me permettre de combler des lacunes et de faire un retour aux sources du roman policier avec une auteure mise en valeur par la Reine du Policier, Agatha Christie.

L’auteure :  

Dorothy Leigh Sayers (Oxford, Oxfordshire, 13 juin 1893 – Witham, Essex, 17 décembre 1957) est une femme de lettres et une romancière britannique, également poète, dramaturge, essayiste et traductrice. Elle est aujourd’hui principalement connue pour son travail d’écrivain et notamment pour ses romans policiers, ayant pour héros l’aristocrate dilettante Lord Peter Wimsey, écrits pendant l’entre-deux-guerres.

Fille unique du pasteur de Witham, Henry Sayers, qui est chef de chœur de la Cathédrale Christ Church d’Oxford, elle « grandit dans l’amour des livres et la culture classique » au petit village de Bluntisham dans le Huntingdonshire où son père est nommé recteur. Elle « fait preuve dès son jeune âge d’un intérêt prononcé pour les langues, apprenant le latin à sept ans et s’initiant au français auprès de sa gouvernante ». Elle entre en 1912 au Somerville College de l’université d’Oxford. Après de brillantes études, « elle devient en 1915 (et avec mention) l’une des premières femmes diplômées d’Oxford ». Elle obtient également, « en 1920, un Master of Arts en littérature médiévale ».

Issue « de la bourgeoisie de province anglaise que va ruiner la Guerre de 14 », elle se destine à l’enseignement et est brièvement professeur de littérature, mais elle se rend compte qu’elle ne supporte pas ce métier. Elle séjourne en France comme professeur-assistante d’anglais, mais cela ne l’enchante pas. Son meilleur souvenir de la France est d’y avoir lu tous les romans d’Arsène Lupin et d’avoir fréquenté, à l’École des Roches, en Normandie, le séduisant EricWhelpton, dont elle s’inspire pour créer Lord Peter Wimsey, le héros de ses futurs romans policiers.

De retour en Angleterre, elle trouve, à partir de 1921, « un travail de rédactrice, assez bien payé, dans une agence de publicité de Londres, la Benson’sAdvertising Agency ». « Elle va rester dix ans chez Benson » et cette expérience lui sert plus tard à évoquer le milieu des salles de rédaction publicitaire dans Lord Peter et l’Autre. Elle crée notamment des publicités pour la bière Guinness et la moutarde Colman (sans rapport avec le Colonel Moutarde du jeu Cluedo, plus tardif). Après s’être intéressée un temps aux mouvements socialistes qui façonnent la société anglaise de l’entre-deux-guerres, elle publie en 1923 son premier roman policier, Lord Peter et l’Inconnu, qui met en scène l’aristocratique détective Lord Peter Wimsey, flanqué de son fidèle serviteur Bunter, dans une intrigue où Dorothy Sayers « se moque allègrement des sacro-saintes conventions du genre ». Si ses romans s’intègrent dans le cadre du traditionnel roman d’énigme, elle apporte au genre un ton humoristique, quelques traits acérés contre la société bien-pensante de l’époque, et affuble son héros d’une vie sentimentale faisant totalement défaut aux Sherlock Holmes, Dr Thorndyke, Hercule Poirot et autres célèbres limiers de la littérature policière britannique de l’époque. En effet, Lord Peter s’éprend follement de la belle Harriet Vane, qu’il sauve de la pendaison dans Poison violent, épouse dans Noces de crime, et dont il a un enfant dans Le policeman a des visions, une nouvelle de la fin de cycle.

Outre le personnage de Lord Peter, Dorothy Sayers consacre, à partir de 1933, une brève série de nouvelles au personnage de Montague Egg, démarcheur spécialisé en vins et spiritueux et « un nouvel enquêteur assez drôle », qui se trouve mêlé à des énigmes policières (il découvre souvent un cadavre) qu’il parvient non sans mal à dénouer.

La vie privée de Dorothy Sayers est moins idyllique que celle de ses personnages de roman. Sa vie sentimentale est tumultueuse et décevante. Une « liaison avec un mécanicien en automobiles dont elle aura un enfant en 1924 », se solde par une séparation et la responsabilité d’élever seule son fils, un choix qu’elle assume au mépris des convenances du temps, dont, heureusement, ses succès littéraires lui permettent de s’affranchir. En 1928, elle épouse le capitaine Mac Fleming, un grand buveur et un paresseux notoire. Cette union difficile, sinon ratée, laisse toutefois Dorothy Sayers libre de ses mouvements pour produire, à un rythme soutenu, les aventures de Lord Peter qui lui apportent gloire et fortune.

Dorothy Sayers abandonne Lord Peter en 1940 pour se consacrer à sa passion, la littérature médiévale. Elle fournit notamment des traductions de La Divine Comédie de Dante et de La Chanson de Roland. De ses romans policiers, on retient, outre les titres déjà cité, Lord Peter et le Mort du 18 juin et Le Cœur et la Raison. Pour Romain Brian, « Cependant, qu’on le veuille ou non – et que Sayers elle-même l’ait voulu ou non – Lord Peter Wimsey demeure un acteur majeur sur la scène policière de la première moitié du XXe siècle ».

De 1949 à sa mort, elle préside le Detection Club.

Après avoir toute la journée fait ses emplettes pour Noël, elle meurt d’une crise cardiaque dans sa résidence de Witham le 17 décembre 1957.

(Source : Wikipedia)

Quatrième de couverture :  

Désagréable surprise pour Mr Thipps : il vient de découvrir un inconnu dans sa baignoire, à peine vêtu d’un lorgnon et on ne peut plus mort…

Pour la police, aucun doute : Thipps se moque des autorités et est l’auteur de ce crime à peine déguisé. Qu’on l’arrête sur le champ !

Mais le corps dans la baignoire suscite plus d’une interrogation, et la disparition parallèle d’un riche financier éveille l’intérêt de Lord Peter Wimsey…

Mon avis : 

Outre le fait de découvrir une nouvelle auteure, j’adore revenir vers des vieux romans policiers et celui-ci a été publié en 1923 ; il est donc centenaire ! Il a ensuite été traduit en français en 1939 pour une publication chez La Librairie des Champs Elysées, dans la collection Le Masque et repris en format poche au Livre de Poche en 1967. C’est la version que j’ai lue. Une nouvelle traduction existe depuis 1995 aux Intégrales du Masque et en format Poche.

A cette époque, Lord Peter Wimsley arrive après Sherlock Holmes et Hercule Poirot. S’il possède les mêmes caractéristiques de déduction, il se démarque par son esprit immature. D’origine bourgeoise, il mène des enquêtes pour se distraire tout en gardant sa passion pour les livres anciens. Accompagné de son majordome Bunter, il résout des problèmes en collaboration avec l’inspecteur Parker.

Quand Lord Peter doit se rendre à une vente aux enchères pour une version rarissime d’un livre, sa mère lui demande de l’aide pour un ami. M.Thipps s’est en effet réveillé en découvrant un cadavre nu dans sa baignoire, habillé seulement d’un monocle. L’inspecteur Parker doit de son côté résoudre une affaire concernant la disparition de M.Levy, un banquier influent de la City. Parker et Lord Peter se proposent d’échanger leurs mystères.

Comme je l’ai dit, ce roman est remarquablement bien écrit (et traduit) et le ton est léger, humoristique et décalé. Personne ne se prend au sérieux malgré la gravité des affaires. Les pièces de puzzle sont bien disséminées et il faudra toute la jugeote et le talent de Lord Peter pour résoudre ces mystères. Il est aussi à noter que le dernier chapitre va lever le voile sur les derniers doutes, en étant raconté par le meurtrier lui-même. Ce roman est donc une belle découverte originale.

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La lisière de Niko Tackian

Editeur : Calmann-Lévy

Parmi les lectures que je note dès le début d’année, on y trouve le dernier roman de Niko Tackian, puisque l’on a la chance d’avoir droit à un nouvel opus tous les ans. Et pour le coup, celui-ci est un sacré puzzle !

Vivian Legoff se rend chez sa belle-mère en compagnie de son mari Hadrien et de son fils Tom. Rien ne devrait survenir jusqu’à ce qu’un choc secoue la voiture, en plein milieu d’un brouillard breton, dans les monts d’Arrée. Il s’agit sûrement d’un chien errant, mais Hadrien tient absolument à s’arrêter pour voir les dégâts. Et comme Tom a envie de faire pipi, cet arrêt tombe bien.

Au bout de quelques minutes, Vivian, restée seule dans la voiture, n’entend plus rien. Elle sort, appelle son mari et son fils, en vain. Quand elle contourne la voiture, elle aperçoit l’ombre d’un homme armé d’une hache et elle s’enfuit effrayée. A un croisement, à bout de nerfs, elle est recueillie par un chauffeur routier qui la conduit à la gendarmerie, en état de choc. La lieutenante Maëlys Mons recueille son témoignage et envoie immédiatement une équipe sur place. Mais les gendarmes ne retrouvent pas de trace de la voiture. Vivian a-t-elle inventée ce cauchemar ?

Ron habite dans une petite cabane, où il vivote avec le peu d’argent qu’il arrive à récupérer. Il sort un petit sachet de drogue de sa poche et sait que c’est son dernier. Tant pis ! il s’envoie la ligne tant désirée avant d’entendre un bruit. Quand il sort, il voit Vulcain, son chien, venir près de lui tout penaud. En passant ses mains sur son pelage, Ron s’aperçoit que son chien est plein de sang.

Ce roman commence comme un roman psychologique, avec Vivian qui a subi un traumatisme et cherche des explications à ce qu’elle ne peut comprendre … et nous non plus d’ailleurs. Et puis, on ne comprend pas non plus ce que Ron vient faire dans cette histoire. Jusqu’à ce que Vivian parte à la recherche de sa famille en parallèle de la gendarmerie.

Et là, attention ! D’un début mystérieux on entre comme dans une partie de puzzle, où on se retrouve avec des pièces qui ne coïncident pas avec le reste du décor. Mais on retrouve suffisamment de nouvelles pièces pour avoir envie de comprendre le fin mot de l’histoire. Vivian ne devient plus le centre de l’histoire, d’autres personnages font leur entrée et tout cela aboutit à une histoire extraordinaire à la construction diabolique.

Niko Tackian, en grand maître d’œuvre de scénarii complexe nous dévoile petit à petit son histoire avec un art totalement bluffant. Il a minutieusement bâti tous les fils de son intrigue, a tranquillement posé des jalons pour nous faire voir à la toute fin une vue d’ensemble, en évitant des scènes sanglantes. Avec ce roman-là, Niko Tackian déploie tout son génie de faiseur d’histoire pour notre plus grand plaisir.

Le silence de Dennis Lehane

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

Chaque nouveau roman représente un événement, tant il nous a procuré des sensations inoubliables. Il suffit de se rappeler les enquêtes de Gennaro et McKenzie (Gone, baby gone), Mystic River, Shutter Island ou Un pays à l’aube. Même si ses derniers romans marquaient le pas, on ne peut que se jeter sur ce Silence, dans lequel il revient à un très bon niveau.

1974, Boston. Afin d’améliorer le mélange racial, un juge fédéral modifie la répartition des élèves dans les écoles, collèges et lycées. Des jeunes des quartiers blancs poursuivront leur éducation dans des lycées noirs et inversement, ce qui va nécessiter la mise en place de bus pour les transporter dans des écoles situées potentiellement loin de leur maison. D’un côté comme de l’autre, le mécontentement est grand et cela va aboutir à de violentes manifestations.

Mary Pat Fennessy travaille dans une fabrique de chaussures et habite South Boston, dans la cité Commonwealth, le quartier irlandais. Son mari est parti vivre avec une autre femme plus jeune et son fils est mort d’une overdose, à peine revenu du Vietnam. Il ne lui reste que Julie que tout le monde surnomme Jules. Son travail l’oblige à laisser beaucoup d’autonomie à sa fille, alors que l’effervescence monte dans la ville de Boston à l’approche de la rentrée scolaire et du busing (transport par bus des élèves) imposé.

Quand elle se réveille ce matin-là, Mary Pat trouve la chambre de Jules vide. Le lit n’a même pas été défait. Aux informations, on annonce qu’un jeune noir a été assassiné dans une gare toute proche. Elle va donc voir son petit ami Ronald « Rum »Collins qui lui annonce qu’ils étaient au bord du lac et qu’ils se sont quittés aux environs de minuit. Jules serait donc rentrée seule à pied. Mary Pat va donc voir la police puis le chef de la mafia irlandaise locale. Comme elle n’obtient pas de réponse satisfaisante, elle va mener sa croisade seule.

Ce roman de Dennis Lehane, le dernier a priori puisqu’il a annoncé vouloir se consacrer à sa famille, repose sur trois piliers : Mary Pat tout d’abord, femme forte que rien ne peut arrêter dès lors que l’on touche à la chair de sa chair, Le flic Bobby Coyne et Boston. Et c’est bien Mary Pat qui occupe l’essentiel de la scène tant sa présence illumine ce roman par sa présence et sa volonté. A côté, Bobby m’a paru bien pâle et trop propre sur lui. Je me suis même demandé l’intérêt de l’avoir inséré dans son histoire en parallèle tant l’intrigue se tient parfaitement sans lui. Enfin, Boston, sa vie, ses bruits, ses gens servent de décor de fond, et on sent tout le talent de Dennis Lehane pour nous plonger dans cette époque.

Car malgré mes quelques réserves indiquées ci-dessus, on ne peut que se passionner pour cette période, cet événement que l’auteur a vécu quand il avait neuf ans, et on reste une nouvelle fois abasourdi par son art des dialogues, qui sont juste fantastiques. Il nous fait vivre les quartiers ouvriers, les mécontentements mais surtout la vie quotidienne et la dureté de la vie des employés.

Dennis Lehane aborde aussi clairement les lois arbitraires et unilatérales, qui sous couvert de mixité raciale, ne font qu’exacerber la haine. Sa démonstration du racisme sous-jacent, que j’appellerai « tranquille », est éloquente : Tant que chacun vit dans son coin, tout va bien ; les blancs dans leur quartier, les noirs dans le leur. Dennis Lehane sait aussi montrer la dérive, les panneaux demandant le retour des noirs en Afrique ! Les gens se révoltent aussi contre des règles qu’on leur impose alors que les dirigeants, eux, enverront leurs enfants dans des écoles privées presque réservées aux blancs. Sans se montrer partisan, il montre de façon éloquente les différentes scissions de ce pays.

Enfin, Dennis Lehane nous décrit ce monde dans lequel on peut y voir des échos bien contemporains. La police fait ce qu’elle peut, doit gérer la population mais aussi la mafia irlandaise qui bénéficie de la confiance des gens. Les manifestations se révèlent calmes et pacifiques contrairement à ce que l’on a pu voir dans Un pays à l’aube par exemple, on n’y trouve pas le bruit et la fureur mais une protestation ferme. Et au milieu de tout cela, on voit Mary Pat essayant de creuser son chemin, de trouver sa fille envers et contre tous, seule contre tous. Et tout cela se terminera par une scène finale mythique, ce qui donnera à ce roman une fin digne des très bonnes fresques américaines.

Six versions : les orphelins du Mont Scarclaw de Matt Wesolowski

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traducteur : Antoine Chainas

Auréolé de nombreux avis très positifs, je voulais me faire ma propre opinion de ce roman qui est annoncé comme un renouveau dans le monde du thriller. Très bonne pioche !

Les faits : En août 1996, Tom Jeffries, un adolescent de 15 ans, disparait lors d’un séjour dans un camp de vacances dans les Monts Scarclaw en Ecosse. Malgré les recherches organisées, personne ne le retrouve. Un an plus tard, son corps est retrouvé de l’autre côté du Mont Scarclaw immergé dans un marécage. L’enquête finit par conclure à un accident. Vingt ans plus tard, Scott King anime une émission à base de podcast et propose de revenir sur des « cold cases », construite en six épisodes.

Scott King va donc construire ses émissions en interviewant pour chaque podcast un personnage ayant été impliqué de près ou de loin dans cette disparition. Il commence par le nouveau propriétaire des lieux puisque les Monts Scarclaw ont été rachetés par la famille Saint Clément-Ramsay. Puis il aura comme invité l’organisateur du camp de vacances M.Derek Bickers.

Puis viendront Haris Novak, « l’idiot du village », un homme habitant Belkeld, un village voisin, avant de discuter avec les quatre adolescents, Eva Bickers la fille de Derek, Charlie Armstrong, Anyu Kekkonen, Brian Mings qui l’ont côtoyé pour mieux comprendre comment ce groupe de copains fonctionnait. Et puis rôde sur ces adolescents l’ombre d’une créature malfaisante légendaire, Nanna Varech.

Quelque soit l’avis que l’on peut trouver sur le Net, on y trouvera souligné le fait que la construction est originale. Effectivement, il faut reconnaitre que la présentation de cette intrigue / enquête est inédite et divise donc le roman en six chapitres, un par intervenant. Le choix de les présenter dans cet ordre est minutieusement choisi pour à la fois lever petit à petit le mystère mais aussi de dévoiler le contexte et surtout l’environnement et les événements ayant précédé la disparition de Tom Jeffries.

Mais il n’y a pas que cela. L’auteur est remarquablement doué pour présenter ses chapitres comme un podcast et on y croit vraiment. On peut y ajouter ce qui pour moi est la grosse qualité de ce roman l’aspect psychologique des interviewés, que Matt Wesolowski dévoile lentement à travers les entretiens. L’auteur se permet même de ne pas en faire trop et de laisser le lecteur se faire sa propre opinion sur chacun.

Car si l’on peut deviner ce qui s’est passé avant le dernier chapitre, on se retrouve tout de même surpris par les indices semés auparavant dans le roman. J’aurais juste aimé que ce dernier chapitre soit parfois un peu plus clair. Mais sinon, j’ai été époustouflé par l’aspect psychologique de ce roman dont l’intrigue se situe étonnamment à mi-chemin entre true crime et thriller psychologique.

En lisant les avis des collègues blogueurs sur le deuxième tome qui s’appelle La Tuerie McLeod, il parait qu’il est encore meilleur. Il y a donc de fortes chances qu’on en parle ici dans un futur proche.

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

Accompagné de nombreux éloges mais aussi d’avis contraires, il semblerait que ce roman attise les avis du Net. Je le confirme, il faut se laisser mener par Catriona Ward pour atteindre, cent pages avant la fin, le dénouement et le Nirvana Littéraire.

Ted habite en solitaire une petite maison au fond de Needless Street. Onze années auparavant, une fillette de six ans, surnommée la petite fille à la glace au sirop a disparu proche du lac. La police a interrogé tous les habitants alentour, suivie par les journalistes. Ted fut le seul à être pris en photo, contre son opinion, et fut donc le seul à apparaitre à la Une des journaux. Les gens lui ont jeté des pierres, cassant ses fenêtres, alors il a décidé de cloitrer sa maison avec de grandes planches en bois.

Ce matin-là, sinistre anniversaire de la disparition de la fillette, Ted trouve des oiseaux collés sur le rebord de l’abreuvoir. Quelqu’un a dû apposer de la glu pour les tuer. Tout le monde sait qu’il aime les oiseaux ; les gens ont voulu l’atteindre par l’intermédiaire des oiseaux. Il ne peut rien faire pour les sauver. Par un trou percé dans une planche, il voit la dame au chihuahua ; il est sûr qu’elle le surveille. Il préfère jouer avec sa fille Lauren.

Olivia, son chat, saute sur ses genoux pour avoir son lot de caresses. Olivia confie ses pensées, en léchant sa patte qui lui fait mal. Pour elle, tous les hommes sont des teds. Elle se rappelle comment Ted l’a sauvée en la trouvant dans un fossé. Depuis, elle habite dans un congélateur où Ted a percé des trous pour respirer. Elle regarde dehors en espérant voir un chat passer dans la rue.

Onze ans auparavant, Dee passait de belles vacances au bord du lac avec ses parents et sa jeune sœur Lulu. Jeune adolescente, ça l’énervait d’être suivie par Lulu ; elle aurait préféré rencontrer des garçons ! Alors qu’elle doit aller aux toilettes, elle en oublie sa sœur. En sortant, il faut bien se rendre à l’évidence qu’elle a disparu. Depuis ce jour-là, Dee cherche sa sœur, jusqu’à venir louer une maison dans Needless Street.

Ma foi, je pense que ce roman est et restera le roman le plus étrange que j’aurais lu cette année. Dès le début, on a droit à des fautes de conjugaison avant que Ted explique qu’il a toujours eu du mal avec les verbes. Quand il explique la mésentente qu’il subit, le harcèlement des voisins, il en devient poignant, puis on trouve des éléments perturbants qui ne « collent » pas avec ce qu’il disait.

Le principe est expliqué dans ces premiers chapitres : tout ce que vous croyez lire, ce que vous croyez voir n’est que le prisme de votre interprétation. Car après Ted, Olivia, un chat qui parle, va nous expliquer sa vie, et sa vision de son environnement. Puis entrent en jeu Dee la seule personne saine et Lauren qui nous décrit ses peurs.

La construction, basée sur celle d’un roman choral, fait tout pour nous déstabiliser. La trame est plus ou moins linéaire, avec quelques retours sur le passé, mais les faits décrits ne nous aident pas à comprendre où l’auteure veut en venir. Je me suis demandé si je devais continuer ou arrêter ma lecture, mais j’ai persévéré car je ne pouvais pas comprendre que des blogueurs que je suis (dont Yvan) aient encensé ce roman s’il ne présentait pas un quelconque intérêt.

Il faudra arriver aux cent dernières pages (sur quatre cents) pour avoir un gigantesque chamboulement qui va faire voler en éclat tout ce que nous avions cru comprendre de cette situation. Et du coup, comme dirait mon fils, nos croyances vont exploser ; ce que j’avais pris pour des longueurs se révèlent justifiées par les indices parsemés de-ci de-là. Et la postface de l’auteure nous éclaire à la fois sur ce qu’elle a voulu montrer et sur ce qu’elle a voulu construire. Alors, vous voilà prévenus, si vous voulez un roman surprenant, extraordinaire et que vous êtes patients, La dernière maison avant les bois est fait pour vous. Je peux juste ajouter que la fin en vaut le coup !

Pourquoi tu pleures ? d’Amélie Antoine

Editeur : Le Muscadier

Après L’insurrection impériale de Christophe Léon, Pourquoi tu pleures ? d’Amélie Antoine est le deuxième roman publié dans la nouvelle collection de romans noirs du Muscadier. C’est pour moi la découverte de cette auteure prolifique.

Depuis quatre mois que sa fille Zélie est née, Lilas Colombel n’a pas connu une seule nuit complète. Ce matin-là, elle s’aperçoit que la maison est silencieuse, et la place à côté d’elle est vide. Où est Maxime, son mari ? Le réveil affiche 2H17. Elle se rappelle que la veille, Maxime devait aller à la pendaison de la crémaillère d’un collègue, Nicolas, et avait proposé d’emmener Zélie pour qu’elle puisse se reposer. Elle se rappelle qu’il avait apporté des fleurs pour son anniversaire et depuis, rien …

Lilas envoie des SMS, appelle Maxime, laisse des messages en l’absence de réponses. Vers 8h00, elle doit se rendre à l’évidence, son mari a disparu avec sa fille. Elle doit se résoudre à appeler la police. Après moultes insistances, ils trouvent les coordonnées de Nicolas qui leur annonce que Maxime ne s’est pas rendu à leur fête.

La policière Myriam Solokoff rend visite à Lilas. Elle lui annonce que Maxime a disparu et lui demande de vérifier si des affaires ont disparu de la maison. Lilas vérifie et constate que des affaires ne sont plus dans les armoires. Lilas se retrouve sans soutien : quand elle appelle sa mère, celle-ci, comme à son habitude, rejette la faute sur Lilas, car elle ne sait pas s’occuper ni de son bébé ni de son mari. Un long calvaire commence.

Bien que l’on se retrouve devant une histoire maintes fois racontée, Amélie Antoine choisit Lilas en tant que narratrice pour détailler le drame qu’elle subit et pour mieux nous réserver des rebondissements inattendus. La narration se situe ainsi à deux niveaux : le déroulement de ses journées après la disparition de son mari et de sa fille, et des lettres qu’elle écrit à son père, pourtant disparu plusieurs années auparavant.

Petit à petit va se lever le voile sur la vie de Lilas, ses traumatismes dans sa vie familiale, avec une mère autoritaire, rabaissant sans cesse sa cadette de trois enfants, avec son frère et sa sœur qui ont pris leur distance, avec son père toujours bienveillant mais subissant la loi de la mère, figure toute puissante. Puis Lilas va raconter la rencontre avec Maxime, ces moments de tendresse et la libération quand il lui a proposé une vie commune.

Lilas s’est toujours considérée comme la dernière roue du carrosse, s’est discréditée vis-à-vis des autres. Elle a entendu les autres se demander ce que Maxime lui trouvait. Et pourtant, ils ont vécu un rêve jusqu’à l’arrivée de Zélie qui, dès sa naissance, pleurait sans cesse. La fatigue, la pression, l’impression d’être délaissée ont engendré une fatigue insurmontable.

Même si un énorme rebondissement intervient au tiers du roman, l’auteure va nous réserver de belles surprises par la suite, en conservant le seul point de vue de Lilas. En cela, ce roman est un bel exemple de narration subjective, qui permet de se laisser mener par une seule vision des événements. Et même si toutes les motivations ne sont pas explicitées (ce qui est un point fort pour moi), la psychologie des personnages et la façon dont est racontée cette histoire se révèlent passionnantes.

Sur un arbre perché de Gérard Saryan

Editeur : Taurnada

Cette année 2023 va décidément se positionner sous le signe de la découverte. Sur un arbre perché n’est pas le premier roman de l’auteur mais son deuxième après Prison Bank Water. Une bien belle découverte en ce qui me concerne.

Guillaume a refait sa vie avec Alice après un divorce sans anicroches. Il veut profiter d’avoir la garde de ses deux enfants Barbara et Dimitri pour s’offrir un week-end à Paris. Guillaume étant sur Paris, Alice embarque donc les deux enfants dans le TGV. Elle connait sa première frayeur quand Barbara disparait de sa place soi-disant parce que son voisin ronfle. Son statut de femme enceinte l’a transformé en mère poule attentive à ses beaux-enfants.

Dans la gare de Lyon, à Paris, le foule se dirige vers la sortie à peine le TGV arrivé à quai. Des musiciens jouent sur le piano et Alice reste avec les enfants qui le suivent. Au bout d’un moment, elle s’aperçoit que le petit Dimitri ne la suit plus. Elle est prise de panique, cherche du regard, l’appelle, court dans tous les sens. Elle appelle Guillaume au téléphone qui vient d’arriver ; elle l’aperçoit de l’autre côté de la rue et traverse en courant quand un camion la renverse.

Elle se réveille à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, fourbue de douleurs. Guillaume est près d’elle n’osant lui avouer la vérité. Elle finit par comprendre qu’elle vient de perdre son bébé et que Dimitri a disparu, probablement enlevé. Aux informations, des messages font état d’enfants kidnappés dans les gares. Au-delà de son état de culpabilité, elle décide de chercher Dimitri et de retourner sur les lieux.

Ce roman se révèle une excellente surprise, autant pour son scénario que par l’écriture fluide et bigrement agréable. Grâce à ses chapitres courts, on ressent une réelle urgence, une rapidité et une tension monter en suivant les pérégrinations d’Alice. Ayant une psychologie de battante, ne s’avouant jamais vaincue, elle va vivre des aventures incroyables, menées à un rythme élevé.

Le scénario est particulièrement impressionnant, et complexe à souhait. Des souterrains de la gare de Lyon en passant par Saint Denis et les camps de nomades, de l’Albanie à la Suisse, Alice va découvrir des réseaux qu’elle n’aurait jamais imaginés. Bien qu’aveuglée par sa culpabilité, elle va creuser quitte à mettre sa santé en danger. J’ai juste regretté le passage en Albanie où des coïncidences vont la mettre sur le bon chemin trop facilement et le nombre de fois où l’auteur maltraite son héroïne. .

Par contre, quand on croit en avoir fini avec cette histoire, la dernière partie rebat les cartes et on s’aperçoit qu’une machination que l’on n’aurait pas imaginé est à l’œuvre. Du coup, on repense aux éléments parsemés dans le livre, et à cette conclusion menée de main de maitre. Pour un deuxième roman, ce roman passionnant impressionne et je ne peux que vous conseiller sa lecture.

En attendant Dogo de Jean-Bernard Pouy

Editeur : Gallimard – La Noire

On a du mal à suivre le rythme de parution de Jean-Bernard Pouy et pourtant je ne peux oublier qu’il fait partie des auteurs qui m’ont fait plonger dans le Noir. Dans les années 80, j’ai dû lire toutes ses parutions, au rythme de 2 à 3 par an, jusqu’à ce que je découvre les blogs et que je puisse lire de nouveaux auteurs, découvrir de nouveaux horizons.

Allez savoir pourquoi, en ce début d’année 2022 et aussi poussé par les articles publiés par mes collègues blogueurs, je me suis décidé à acheter ce nouvel opus,  m’attendant à être surpris, (évidemment venant du maître !) m’attendant à être secoué, m’attendant à passer un excellent moment de divertissement et de culture.

Ce roman raconte l’histoire de Simone, une jeune femme d’une trentaine d’années qui n’a jamais été proche de son frère Étienne, et qui pourtant en ressent l’absence après une disparition inexpliquée de 6 mois.  Elle souffre surtout de voir ses parents attendre le retour du fils, même s’il n’a jamais été particulièrement présent ou attentionné. Dans une France qui sort d’innombrables grèves et difficilement d’un virus contagieux, Simone décide de partir à sa recherche.

Etienne était un garçon détaché qui n’accordait aucune réponse à la routine, à la normalité, au temps qui passe. il vivait dans son petit appartement, tranquille, rêvait de devenir écrivain ; bref, vivre sa vie en marge de la société.  Simone aussi est du genre indépendante vit en colocation et d’un travail d’infirmière, qui mais lui permet, par ces innombrables répétitions de gestes de piqûres, d’oublier son quotidien.

Ses deux collègues infirmières lui accordent dix jours pour partir à l’aventure. Elle parvient à rentrer dans l’appartement de son frère et découvre d’innombrables feuilles tapées à la machine qui narrent des chapitres de début de roman. Étienne était comme ça, toujours commencer quelque chose et ne jamais rien finir.

A Lyon, loin de sa tranquillité au bord du Rhône et son soleil printanier, Guignol, Madelon et Gnafron en ont marre de faire les marionnettes pour les gamins gâtés pourris. Une bonne fois pour toute, il s’agit de montrer au monde que la société part à vau-l’eau et qu’il faut un petit peu réagir. Quittant leur théâtre d’histoires sans cesse répétées, ils déposent une bombe pour détruire le Castelet. Et les flammes qui en résultent font finalement un spectacle coloré et agréable.

Le personnage principal et féminin a beaucoup de points commun avec Pierre de Gondol, à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un et se faisant aider de la Culture. J’avais beaucoup apprécié 1280 âmes, roman écrit en hommage à Jim Thompson.  En effet,  cette intrigue se veut autant une recherche d’un personnage disparu que la recherche de sa propre vie, la recherche d’une motivation pour continuer à vivre au milieu d’un quotidien envahissant et totalement inintéressant.

Simone va se débattre, va suivre son instinct, les petites pierres blanches posées ça et là parmi les premiers chapitres de son frère, se faire aider d’un détective privé, rencontrer d’innombrables personnes, entre sérieux et farce et nous proposer un itinéraire en forme de labyrinthe dont on a l’impression qu’on ne sortira jamais. Malgré cela, on lit, on se passionne, on rit autant par le côté décalé du style que par les références littéraires. Par ce message, ce qui donne tu une touche culturelle que l’on me trouve rarement dans les autres roman polar.

Et puis en alternance, on a ces trois personnages (Guignol Gnafron et Madelon) qui en ont marre de la société, des gens qui ne les écoutent pas. Ils vont faire leur chemin, partir en  croisade pour démolir tout ce que la société moderne a érigé comme monuments qui n’en sont pas, pour montrer aux gens qui croient que le football est plus important que la vie qu’ils se trompent.

Derrière son côté foutraque, son intrigue faussement improvisée, Jean-Bernard Pouy utilise tout son savoir-faire et son génie pour à la fois nous distraire mais aussi nous cultiver, en n’oubliant pas de nous demander d’ouvrir les yeux sur la situation, sur les gens, avec une belle lucidité. Mes collègues blogueurs ont dit que c’était un excellent cru, je ne peux qu’ajouter qu’il faut que vous lisiez ce roman typiquement Pouyien, et pourtant irrémédiablement juste lucide et original. Un excellent divertissement !

Et vive Raymond Roussel !

Les disparus des Argonnes de Julie Peyr

Editeur : Equateurs éditions

A propos du sujet, je dois dire que la disparition des soldats appelés de Mourmelon ne me tentait pas trop. Mais l’accroche du bandeau sur son précédent livre a attisé ma curiosité : « Julie Peyr maitrise diablement la construction, les dialogues, la présence charnelle et émotive de chacun des personnages. »Avouez que c’est tentant !

Hiver 1981. Jocelyne attend son fils Gilles qui doit passer le week-end en famille. Après plusieurs heures d’attente, elle doit se rendre à l’évidence qu’il ne viendra plus. Elle l’a pourtant bien élevé mais il a dû préférer faire la fête avec des copains. Quelques jours plus tard, des gendarmes sonnent à sa porte. Gilles ne s’est pas présenté à la caserne et est considéré comme déserteur. Pour Jocelyne qui a appris le respect à son fils, cela sonne comme une insulte et une impossibilité.

Elle va donc déclarer la disparition de son fils au poste de police. Mais comme il est considéré comme majeur, ces derniers ne peuvent rien pour elle. Ne se laissant pas abattre, elle va chercher à savoir ce qui est arrivé à Gilles. Elle contacte ses amis, la caserne, et apprend que sa voiture était en panne et qu’il avait dû partir en faisant du stop. Jocelyne décide alors qe coller des affiches dans les environs.

La petite amie la contacte et lui demande des nouvelles de Gilles. Les deux femmes sont consternées, désespérées de ne pas recevoir de nouvelles. Gilles ne serait jamais parti, les deux amoureux avaient prévu d’annoncer qu’ils attendaient un enfant. Mais elles font face à un déni de la police et de la justice. Alors qu’elle déballe les légumes achetés au marché, Jocelyne voit par hasard un article dans le papier journal, où il est fait mention d’un jeune militaire qui a lui aussi disparu.

Les plus anciens se souviendront de cette affaire qui a fait beaucoup de bruit à l’époque. Plusieurs appelés disparaissent après être rentrés chez eux lors d’une permission et avoir fait du stop. Plusieurs mois, plusieurs années ont passé sans que cette affaire ne connaisse une issue positive ni aucune solution, puisque le ou les coupables n’ont jamais été ni inquiétés, ni appréhendés.

On peut imaginer la détresse des familles devant une telle situation : pas de nouvelles de leur enfant, la gendarmerie qui considère une situation de désertion, la police qui refuse de lancer un avis de disparition puisque le jeune homme en question est majeur. L’auteure met de côté judicieusement l’aspect enquête pour se concentrer sur les actions de Jocelyne et sur ses difficultés à faire bouger un dinosaure administratif devant une situation inédite.

De ce point de vue-là, le roman atteint un sommet de narration, avec un excellent équilibre entre événements, personnalités des personnages et leurs réactions, narration et dialogues. J’ai trouvé ce roman passionnant dans sa première partie, et surprenant par le tournant qu’il prend quand Jocelyne découvre que la disparition de son fils n’est pas un cas isolé. On ressent dans ce moment-là toute la ténacité et la détermination d’une mère qui ne veut jamais abandonner, rien lâcher.

Par la suite, l’auteure pointe la nonchalance de la police, l’incapacité et l’incompétence du système judiciaire. Ce qui est encore plus surprenant, c’est la réaction du système qui justifie son inertie sans aucune émotion et qui après, va chercher un coupable, quel qu’il soit. Sans être un brûlot, l’écriture de Julie Peyr, si fluide et évocatrice, nous pose une problématique sur la base d’un exemple concret. Une sacrée découverte d’une auteure sur laquelle je vais me pencher.

Le carré des indigents de Hugues Pagan

Editeur : Rivages

On ne peut pas dire que j’ai lu beaucoup de romans de Hugues Pagan, si ce n’est quelques uns dans la collection de poche Rivages Noir, en particulier ses premiers parus. On retrouve ici un de ses personnages récurrents, l’inspecteur Schneider.

Novembre 1973. Le président Pompidou agonise, à l’image de son pays. Après avoir dix années en Algérie, L’inspecteur Claude Schneider aurait pu briguer un beau poste à Paris, mais il a décidé de revenir dans sa ville natale. Le voyage en train lui convient bien, ces paysages qui défilent sans dire un mot. Son ami, Monsieur Tom, dont on dit qu’il détient toute la ville l’accueille à son arrivée et le conduit à l’hôtel.

« La Ville dérivait lentement derrière les vitres, avec ses places, ses allées, les rangs de réverbères qui s’ouvraient comme de grandes jambes blanches et glacées … »

Le lendemain, sous une température glacée, Schneider se rend au Bunker, non sans avoir au préalable fumé une cigarette. Le Contrôleur Général Toussaint Mariani, Dieu en personne demande son dossier en aboyant, et le fait attendre. A force d’attendre, Schneider décide d’aller boire un coup à l’abreuvoir. Dieu débarque en rogne. Schneider ne porte pas sa légion d’honneur et ça énerve Dieu qui aimerait bien l’avoir. Schneider récupère le Groupe Criminel.

André Hoffmann, certificat d’études en poche est entré aux chemins de fer. Ne faisant pas de bruit, il a fondé une famille et ils ont eu une fille. Aujourd’hui, sa femme est morte et sa fille une adolescente de quinze ans, respectueuse de sa famille. Hoffmann arrive au Bunker pour signaler la disparition de sa fille Betty. Elle était allée à la bibliothèque et devait rentrer avant la tombée de la nuit. Schneider va prendre sa déposition, les autres fêtant la fin de la semaine au bar. Pour Schneider comme pour Hoffmann, il ne reste plus qu’à attendre pour confirmer une terrible nouvelle.

Dès qu’on ouvre ce roman, on se retrouve plongé dans une époque, dans un cadre et dans les déambulations d’un homme désabusé par son passé. Marquant ses distances avec les autres, taiseux au point de ne jamais dire plus d’une phrase, Schneider porte sa vie et son passé comme une pierre impossible à déplacer. Il regarde passer sa vie en plongeant dans le brouillard gris et les horreurs du quotidien. Et la disparition de la petite Betty, renversée par une voiture, va constituer un crime qu’il ne peut laisser passer, comme tous les autres.

Hugues Pagan prend le temps pour dérouler son intrigue, laissant son personnage le guider dans son enquête, qui ne comporte pas, comme beaucoup d’auteurs du Noir, d’événements retentissants. Hugues Pagan préfère montrer la vie des petites gens, ceux qui se confondent avec les ombres à force de ne pas les regarder. Il nous apporte un ton de véracité, nous décrit autant le décor désolant que les personnages vivant de peu, opposés aux dirigeants de la ville profitant de leur « palaces » ou aux chefs de la police à la poursuite de leur progression dans la hiérarchie.

Et puis, Hugues Pagan nous attrape, nous accroche par ses phrases justes, des phrases qui frappent, tantôt poétiques, tantôt violentes car surprenantes. On ne peut que rester ébahi, enchanté par ce style si vrai, plongeant dans un réalisme cru ; on se laisse emporter par ce pouvoir d’évocation, cette faculté de toucher à la vie qui forme notre quotidien. Ce roman policier noir est un vrai cadeau, offert par un maître du genre, où chaque page dévoile un pan de notre vie comme on ne l’avait pas vue. Un pur joyau magique, bien noir, tout simplement beau.