Archives du mot-clé Don Winslow

La cité en flammes de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Don Winslow se lance dans un nouveau projet, une nouvelle trilogie mettant en scène deux clans de mafia, l’une irlandaise, l’autre italienne dans l’état de Rhode Island. Ce roman doit faire partie de vos lectures estivales, du Don Winslow en grande forme.

Danny Ryan est le fils du parrain de la mafia irlandaise de Providence. Ce dernier ayant laissé sa place à Murphy, Danny est relayé au rôle de recouvreur de dettes. S’il connait tous les membres depuis l’école, on l’accepte surtout parce qu’il a épousé la fille de Murphy, Terri. Murphy détient les docks et les syndicats. En face, la mafia italienne, les Moretti, a le monopole des jeux et de la prostitution.

Le marché est bien partagé entre les deux clans, le calme est même accepté du côté des parrains de Boston et New-York. Tous les jeunes des deux clans se connaissent depuis longtemps, boivent des coups ensemble dans les bars, font des barbecues ensemble, en toute cordialité. Mais le calme n’est qu’apparence et il suffit d’une étincelle pour que ce coin paisible en bord de mer se transforme en champ de guerre ?

Quand Danny voit sortir une superbe femme en bikini de l’eau, il sent que les problèmes vont survenir. Sa femme Terri le charrie mais sait bien que son mari l’aime à la folie. Plus tard, lors d’un barbecue fortement arrosé avec les Murphy et les Ryan, Paulie Moretti présente au groupe sa nouvelle compagne, Pamela, la femme de la plage. Plus tard, Liam Murphy emmène Pamela et la pelote. En guise de représailles, Paulie et ses copains tabassent Liam et le laissent pour mort. C’est le début d’une escalade infernale.

Fascinant. Don Winslow lui-même le dit et le martèle depuis toujours : le polar vient des tragédiens grecs et de William Shakespeare. Dans cette histoire, on ne peut qu’y voir un hommage et une volonté de retranscrire les grandes histoires de la littérature dans le monde d’aujourd’hui (même si l’action se situe en 1986). On y retrouve l’affrontement de deux clans qui n’attendent qu’une étincelle pour jeter aveuglément dans une guerre fratricide et meurtrière sans limites.

Fascinant. Don Winslow est un conteur hors pair, probablement l’un des meilleurs actuellement dans le monde du polar. On ne peut qu’être pris dans cette histoire, dès le début avec ce cliché de la femme qui sort de l’eau en bikini. On est emporté par ces personnages qu’il se permet de ne pas présenter dans le détail, nous laissant le soin de les placer sur l’échiquier. On suit avec avidité la tornade qui va balayer ces deux familles, les thèmes de la loyauté, de l’amitié, les non-dits, les décisions difficiles, l’amour plus que tout, la famille, les sacrifices au nom des règles ancestrales, les chocs des générations …

Fascinant. L’enchainement des événements est parfait, presque logique, mécanique, et Don Winslow nous montre les raisonnements des uns et des autres, les raisons de l’escalade, mais aussi le respect (on appelle ça un cessez le feu), en particulier quand il y a un enterrement. Il aborde aussi le thème qui lui est cher, l’arrivée du trafic de drogue qui pourrit tout et fait croire à de l’argent facile, sans risques et qui autorise toutes les horreurs. Il introduit l’implication des politiques, de la police, des services fédéraux, ce qui offre un roman moderne et complet.

Fascinant. Le style de Don Winslow s’est adapté au thème de son livre, et à l’ambition qu’il veut afficher. Il s’avère moins haché que d’habitude, même si à la fin, il se laisse aller, ce qui donne une impression de rapidité. Il adopte une fluidité remarquable, se rapprochent de la grande littérature, ce qui ajoute un plaisir supplémentaire à la lecture, aidé en cela par une traduction impeccable de Jean Esch.

Vous l’avez compris, ce nouveau roman de Don Winslow est juste fascinant, et on attend avec impatience le deuxième tome. S’il est un ton en dessous de sa trilogie La Griffe du Chien, Cartel et La Frontière, il fait partie de ses meilleurs romans.

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Le prix de la vengeance de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traductrice : Isabelle Maillet

Pour les fans de Don Winslow, on se demande toujours comment il va rebondir après avoir écrit un grand livre. Et à chaque fois, il arrive à nous surprendre, ce qui est encore le cas avec Le prix de la vengeance, un recueil de six novellas, d’une centaine de pages chacune. Le fait qu’il ait choisi un genre littéraire différent est une vraie surprise, passant du roman d’action au polar, du romantisme à la critique directe de l’administration Trump.

Ces six novellas ont un point commun : une facilité à mettre en place des personnages plus vrais que nature mis en place par un style enlevé, rythmé et bigrement imagé. Don Winslow, comme je l’ai déjà dit, a su inventer le polar moderne avec ses intrigues ancrées dans le quotidien, mettant en valeur la violence et l’inhumanité de la société en y joignant un style haché, qui va vite, à l’aide de dialogues décalés souvent drôles et bien équilibrés.

Presque toutes les novellas sont soit introduites par une citation, soit dédiées à de grands auteurs. Don Winslow a voulu rendre hommage à ses pères de lettre, mais aussi probablement envoyer un signe à ses fans en insérant dans quelques unes de ses histoires des personnages qu’il avait créé dans ses romans précédents. Don Winslow nous offre avec ces six histoires une vision de la société américaine trumpiste, en même temps qu’il nous remercie, nous lecteurs, de le lire.

Le prix de la vengeance :

« Le monde brise les individus, et, chez beaucoup, il se forme un cal à l’endroit de la fracture. » Ernest Hemingway, L’Adieu aux armes.

Eva McNabb travaille comme opératrice d’urgence au centre 911 de la Nouvelle-Orléans. Elle reçoit l’appel concernant l’assassinat de son fils cadet Danny, policier, par les narcotrafiquants. N’écoutant que sa haine, elle demande à son fils aîné Jimmy de trouver les coupables et de venger cette mort injuste. Jimmy va faire jouer ses relations auprès de ses indics et remonter la piste du groupe de dealers.

Avec son style haché et rapide, Don Winslow va décrire les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans, et nous offrir un polar sur-vitaminé, plein d’action, de violence et de sang. Le rythme apporté à la narration, digne des meilleurs romans de l’auteur en fait une histoire fantastique à lire.

Crime 101 :

Histoire dédiée à Steve McQueen.

Au volant de sa Mustang noire, Davis roule sur la 101, et suit une Mercedes 500 SL conduite par Ben Haddad. Davis a vu Ben Haddad sortir de la boutique avec une mallette emplie de bijoux. Quand ils se garent sur le parking derrière la bijouterie, Davis le braque dans le dos, et sans violence, repart avec le butin. Un nouveau braquage sans violence à mettre au crédit de ce voleur insaisissable. Ronald « Lou » Lubesnick de la brigade des Cambriolages va être le premier à faire le lien entre différents braquages de même genre.

D’une facture plus classique, cette histoire formidablement bien construite va se dérouler comme un duel entre Lou et Davis. A la fois hommage à la classe de Steve McQueen mais aussi à Alfred Hitchcock pour La Main au collet, Crime 101 montre l’amour de Don Winslow pour les paysages américains et les artistes qui l’inspirent.

Le zoo de San Diego :

Histoire dédiée à Elmore Leonard.

Chris Shea est surpris par la nouvelle mission qu’on lui confie : un singe vient de s’évader du zoo, armé d’un revolver et il risque que blesser quelqu’un. Chris se rend sur place et décide, armé de son courage, de monter à l’arbre … mais maladroitement, il tombe et comble du ridicule, les passants le filment et publient son exploit sur les réseaux sociaux. Dans son malheur, il fait la rencontre de la soigneuse du zoo, Carolyn Voight. Et pour Chris, le problème reste entier : pourquoi le singe était-il armé ?

Je n’attendais pas Don Winslow dans le registre de la comédie romantique. C’est pourtant bien le cas ici, où l’on s’amuse beaucoup à la fois des situations et des dialogues percutants. On y retrouve aussi Lou Lubesnick pour un second rôle qui permet à cette histoire de se clore en Happy End.

Sunset :

Histoire dédiée à Raymond Chandler

Duke Kasmajian a fait fortune dans le recouvrement de dettes et dans le paiement de cautions pour des truands trainés en procès. Le changement de loi qui interdit de payer les cautions en liquide l’inquiète ; la fuite de Terry Maddux aussi. Ancien surfeur, ce dernier a plongé dans la drogue et s’est fait arrêté. Duke a payé, bien sur, mais Terry a disparu des radars. Duke va faire appel à Boone Daniels, surfeur et enquêteur pour des personnes disparues.

Sur une trame plus classique mais aussi plus dramatique, Don Winslow fait appel à un personnage qu’il avait créé pour La patrouille de l’aube et l’Heure des gentlemen. Cela lui donne l’occasion de montrer les ravages de la drogue sur un homme qui avait tout pour devenir une légende du surf.

Les aventures intermédiaires de Ben, Chon et O :

Ben, Chon et O (pour Ophélie) sont trois jeunes gens ayant fait fortune dans la fabrication et le commerce d’une drogue de haute volée. Ben s’occupe du business, Chon de l’aspect musclé et O profite de la vie. Ils ont décidé, enfin, Ben a décidé de diversifier leur entreprise à Hanalei, une plage d’Hawaï. Mais le cartel a déjà prévu de mettre la main sur ce coin de paradis.

Cette novella pourrait être dédiée à ses fans tant on y trouve nombre de personnages rencontrés dans ses romans précédents. Outre Ben, Chon et O qui furent les héros de Savages et Cool, on y croisera Bobby Z de façon surprenante ainsi que Frankie Machine à la toute fin. Etant fan de ces romans là, je ne peux que vous engager à lire cette histoire avant de vous pencher sur les trois romans sus cités. Du divertissement haut de gamme.

La dernière chevauchée :

Patrouilleur à la frontière américano-mexicaine, Calvin croit dans son travail de surveillant pour empêcher les immigrés illégaux de rentrer dans son pays. Quand il rencontre le regard d’une fillette arrêtée à la frontière, il se lance dans une croisade pour la ramener à sa mère. Bien qu’il ait voté pour Trump, il n’a pas voté pour que l’on enferme les êtres humains comme des animaux.

Ce récit conclut ce recueil comme un rappel de son combat d’auteur contre les injustices et l’inhumanité de la société américaine. En à peine une centaine de pages, il va montrer dans cette histoire noire comment on traite les gens comme des numéros et comment personne ne fait le moindre effort pour résoudre les problèmes. Allant au-delà de ses prérogatives et de la loi, Calvin va se lancer dans une aventure dramatique et nous éveiller à ces institutions gouvernementales qui font du chiffre et n’en ont rien à faire des gens.

La frontière de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Attention, coup de cœur !

Eh bien voilà, il fallait bien que le cycle consacré à Art Keller, policier de la DEA (Drugs Enforcement Agency) arrive à son terme. Ce cycle est une trilogie, qui a commencé par la Griffe du chien, s’est poursuivie avec Cartel pour se terminer avec La frontière. Trois romans pour suivre un personnage hors-norme, mais surtout pour décrire et nous expliquer comment le trafic de drogue s’est développé, à tel point qu’aujourd’hui, il est impossible de lutter contre un tel monstre.

Trois romans, mais aussi trois reportages, trois documents indispensables pour comprendre un large pan de notre vie d’aujourd’hui. Comment tout cela a commencé, quelles décisions ont été prises, quelles ont été leurs conséquences et les désastres humains que nous ramassons aujourd’hui. Ces trois romans, ces trois coups de cœur pour moi, sont des œuvres que nous devrions être obligés de lire, pour mieux comprendre, même s’ils sont avant tout centrés sur les relations mexico-américaines.

C’est en 2007 que sort La griffe du chien, chez Fayard avant de paraître au format poche aux éditions Points. C’est lors de cette dernière sortie que Jean-Bernard Pouy en fait l’éloge. Commence alors pour ce roman, un succès de bouche à oreille (qui continue d’ailleurs) car on n’a jamais lu un tel roman avec un tel souffle, une telle volonté de démontrer tous les aspects du trafic de drogue entre le Mexique et les Etats-Unis. Personnellement, pour l’avoir lu pendant les fêtes de fin d’année 2008, je me rappelle avoir été littéralement happé par l’ampleur et l’ambition (réussie) de ce livre, qui figure dans mon Top10 de tous les temps.

Simple officier de douane à la DEA, Art Keller va voir se développer le trafic de la cocaïne. La mort de son équipier va le forcer à se lancer dans une croisade personnelle contre le clan Barrera, clan qui de son coté va tenter d’éliminer les concurrents en créant La Federacion. En mêlant les événements réels avec des personnages fictifs, Don Winslow montre l’ascension terrible et inéluctable d’un cartel, ainsi que l’implication de la police, de l’armée, des gouvernements et de la religion. Ce roman, qui couvre la période allant de 1975 à 2004, c’est juste un roman incroyable tant il est juste, vrai, lucide, violent et courageux dans ses dénonciations. Don Winslow aura mis 8 ans à l’écrire et semble prendre ce sujet comme sa propre croisade, à l’instar de son personnage principal.

En septembre 2016, débarque aux éditions du Seuil (et début 2018 aux éditions Points), Cartel, la suite de la Griffe du chien, suite que l’on n’attendait pas. Dans une interview, Don Winslow a vu la guerre civile se dérouler devant ses yeux effarés au Mexique. Il ne pouvait pas la passer sous silence et se lance dans sa deuxième croisade, Cartel, qui va balayer la période de 2004 à 2012. Comme le Mexique qui plonge dans une véritable guerre civile, le roman nous montre comment les différents cartels vont se livrer une guerre de territoire sans merci, en tuant, découpant et affichant les membres du clan ennemi.

Art Keller est obligé de reprendre du service quand Adan Barrera s’évade de sa prison mexicaine. Et Art Keller pense que puisque son pays ne veut rien faire, il ira mener sa guerre sur le propre terrain des cartels, au Mexique. D’une violence insoutenable et basée sur des faits véridiques, ce roman se transforme en livre de stratégie de guerre sans jamais être ennuyeux ou pompeux. Au contraire, comme dans le précédent roman, Don Winslow place les hommes et les femmes au centre de l’intrigue et transforme ce qui aurait pu être un roman gore en un plaidoyer d’une force incroyable pour tous ceux qui souffrent, qui subissent les conséquences du trafic de drogue.

Quelques mois après la sortie de Cartel en France, on a appris que Don Winslow écrirait un troisième et dernier tome dédié à la vie d’Art Keller. Et nous, fans de son personnage, étions prêts à attendre, à être patients. Avec une certaine fébrilité, je ne vous le cache pas. Comment faire aussi bien, voire dépasser les deux premiers volumes ? La tâche semblait impossible mais impossible n’est pas Winslow, surtout quand il s’attaque à son sujet de prédilection. Et ce troisième et dernier tome clôt de façon admirable et grandiose une trilogie inédite qui fera date dans le monde du polar voire dans le monde de la littérature tout court.

La frontière commence en 2012, juste après Cartel et la réunion des cartels au Guatemala, qui s’est terminée dans un bain de sang. Il décide de mettre un terme à sa carrière et de retourner à ses racines à commencer par retrouver sa femme mexicaine Marisol. Alors qu’Obama vient de se faire réélire, le sénateur O’Brien lui propose la direction de la DEA, proposition qu’il va accepter, en pensant pouvoir continuer son combat personnel contre le trafic de drogue.

Du Guatemala, personne n’a de nouvelles d’Adan Barrera et on n’a pas retrouvé son corps. Partout au Sinaloa, des affiches affirment « Adan Vive ». L’absence du chef incontesté des cartels donne lieu à des doutes puis à une guerre de succession entre les différents prétendants. Alors que le Mexique semblait acquérir une forme de calme, l’horreur va à nouveau ensanglanter ce pays.

En suivant le trajet d’Art Keller, Don Winslow a voulu aussi montrer tout ce qui a été fait (ou pas) contre le trafic de drogue. Dans La guerre du chien, il montrait comment la lutte contre le communisme était prioritaire sur le trafic de drogue, quitte même à favoriser les cultures pour financer la lutte contre les factions rouges, impliquant la CIA mais aussi les gouvernements mexicain et américain. Et l’ascension d’Art Keller dans l’organigramme de la DEA lui permettait de découvrir les parties impliquées, jusqu’aux religieux qui bénissaient ce travail des champs qui nourrissait les pauvres.

Dans Cartel, Art Keller a cru que pour abattre le trafic de drogue, il fallait abattre les chefs de cartel. Don Winslow nous a donc décrit un pays en proie à un massacre permanent, à la fois d’un point de vue stratégique et à la fois d’un point de vue humain. Car la force des deux romans qui suivent La griffe du chien est de placer les humains au cœur d’un combat qui les dépasse. Cartel, roman de guerre autant que roman désespéré, s’avère un roman des cimes, tant Don Winslow n’a jamais atteint un tel sommet de violence ni de dénonciation des politiques (le terme est au pluriel et c’est volontaire).

Avec La frontière, Art Keller ne peut que s’avouer vaincu. Quand un chef est abattu, il est remplacé par un autre. La drogue ne cesse d’affluer dans le pays (les USA). Et comme les médicaments y sont chers, les cartels vont proposer des médicaments opioïdes moins chers et donc exploser le marché auprès de tout le monde, y compris ceux qui ont peu d’argent. C’est le retour en force de l’héroïne. Art Keller ne voit plus qu’une solution : s’attaquer à l’argent de la drogue et à son blanchiment.

Don Winslow (pardon, Art Keller) va donc nous montrer avec tout son art et son génie, comment cet argent sale va inonder les marchés, prendre des parts dans des sociétés ou des immeubles sans que cela se voit. Il démonte tous les mécanismes et démontre même comment Donald Trump (pardon, John Dennison) est arrivé à se faire élire à la présidence. Il semble que rien ne puisse arrêter Don Winslow dans sa croisade, et ce roman va tout enfoncer, les portes ouvertes (quand il s’agit d’informations connues) que des portes fermées que l’on espère imaginées par l’auteur.

Ce roman, comme les autres, ne laisse pas de coté la bataille de chefs au Mexique, alternant les points de vue puisque la narration est chronologique. Nous allons donc retrouver quelques événements réels dans ce récit, tel ce massacre d’étudiants se rendant à une manifestation et exécutés sur le bord d’une route. Et comme il faut un gagnant, il y en aura un après de nombreux bains de sang. On y est habitués mais c’est toujours aussi choquant.

Dans ce roman, on aura l’occasion de suivre l’itinéraire de quelques personnages tels Jacqui, une héroïnomane ou bien Nico petit guatémaltèque de 10 ans, obligé de fuir sa ville et de délaisser sa mère pour essayer de survivre aux USA. Ce dernier, personnage phare de ce roman pour moi, montre toute l’hypocrisie du système, qui a créé ces malheureux et arrive au bout du compte à en retirer de l’argent. C’est un parcours réaliste et hallucinant, qui donne envie de hurler.

Pour autant, le roman n’est pas sans espoir : Don Winslow nous offre dans un formidable dernier chapitre des pistes qui peuvent résoudre ce problème de société. Loin de la répression à outrance, il ouvre de nouvelles pistes. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’il aurait écrit un tel chapitre quand il a commencé cette trilogie. Ce dont je suis sûr, ce que j’ai ressenti, c’est que ce dernier chapitre était personnel, et qu’il justifiait ses romans, sa croisade, ce pour quoi il se bat, à son niveau. Don Winslow a voulu nous ouvrir les yeux, il a créé un plaidoyer unique pour l’humanisme.

A l’instar de ses autres romans, les scènes s’enchaînent à un rythme d’enfer, les personnages sont nombreux et le roman est porté par un style efficace et imagé, agrémenté de dialogues géniaux. L’ensemble est si réaliste, si marquant, qu’on ne peut que se laisser emporter par cet ouragan et tant d’inspiration. Evidemment, je ne peux que vous conseiller de les ces trois romans, si ce n’est déjà fait, car il serait dommage de commencer celui-là et de passer à travers les deux autres monuments qui forment cette trilogie.

Car c’est bien de cela que l’on parle : ces trois romans forment un monument du polar, un monument d’intelligence, un monument de dénonciation contre ce phénomène néfaste. Et cela dépasse le simple cadre du polar : c’est un monument d’humanisme, un monument de sociologie, un monument de littérature. Pour moi, ces trois romans, cette trilogie, ce sont sont des coups de cœur que seul un James Ellroy est capable d’égaler.

COUP DE CŒUR ! COUPS DE CŒUR !

Oldies : Cirque à Piccadilly de Don Winslow

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Philippe Loubat-Delranc

Tous les billets de ma rubrique Oldies de 2019 seront dédiés à Claude Mesplède

Quand j’ai créé cette rubrique, j’avais aussi dans l’idée de lire les premiers romans de mes auteurs favoris. C’est une façon de voir le chemin parcouru et pour moi, la possibilité de me rassurer sur mes goûts. Place donc au premier roman de Don Winslow, qui date de 1991, et qui est le premier d’une série mettant en scène Neal Carey, un jeune étudiant barbouze.

L’auteur :

Don Winslow, né le 31 octobre 1953 à New York, est un écrivain américain spécialisé dans le roman policier.

Né en 1953 à New York, Don Winslow a été comédien, metteur en scène, détective privé et guide de safari. Il est l’auteur de nombreux romans traduits en seize langues, dont plusieurs ont été adaptés par Hollywood. Après avoir vécu dans le Nebraska et à Londres, Don Winslow s’est établi à San Diego, paradis du surf et théâtre de certains de ses romans.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Les choses auraient été trop simples si Neal avait pu rester à New York avec Diane et passer son examen sur Tobias Smollett. Mais la sonnerie du téléphone laissait présager une mauvaise nouvelle. Cette fois, P’pa l’envoie courir la campagne anglaise aux trousses de la fille d’un sénateur qui s’est fait la belle. D’après la photo, la fugueuse vaut bien le détour mais on n’a quand même pas idée de faire avaler des scones à la crème à un enfant de Broadway !

Mon avis :

Neal Carey a du s’en sortir seul : sa mère était une junkie, son père parti sous d’autres cieux. Alors il est devenu voleur à la courre (entendez, il pique un portefeuille et court vite). Sauf qu’il est tombé sur Graham, qui l’a pris sur le fait. Dès lors, Graham l’a formé à devenir espion-barbouze-détective privé-étudiant. Graham travaille pour Levine qui lui-même travaille pour les Amis de la Famille. Est-ce la mafia ou des banques surpuissantes ?

La fille d’un sénateur a fait une fugue. En tant que tel, ce n’est pas une information de première primeur. Mais quand celui-ci doit briguer l’investiture pour les élections présidentielles, il vaut mieux que toute la famille soit derrière lui. Pour les Amis de la Famille, il y a aussi beaucoup d’argent à se faire. Neal Carey va donc être chargé de retrouver puis de ramener la gamine, que l’on a identifiée à Londres avec un groupe de drogués.

Avant d’écrire son chef d’œuvre, La griffe du chien, Don Winslow a commencé comme auteur de polars standards. Entendez par là un personnage atypique, de l’action, de l’humour et une intrigue bien faite. Un tiers du livre est consacrée à l’éducation de Neal Carey, un tiers à son passage à Londres et le dernier tiers à la conclusion finale. C’est fait de façon très académique, très appliquée et agréable à lire.

Si on est loin du style que cet auteur adoptera par la suite, on retrouve tout de même une grande qualité dans les dialogues, et cet humour froid et cinglant qui relève la lecture. Ce roman ne restera donc pas dans mes annales, si ce n’est que je ne suis pas du tout déçu de sa lecture en tant qu’objet de curiosité et qu’il m’a fait passer un bon moment de divertissement. Un bon polar, en somme.

Corruption de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Attendu comme un monument en cette fin d’année 2018, Corruption est la dernière parution en date de l’auteur des géniaux La griffe du chien et Cartel. On reste dans le domaine du trafic de drogue, mais vu du coté de la police, au travers de la Task Force de New York.

Devant la recrudescence du trafic de drogue à New-York, la mairie et le New-York Police Department se sont mis d’accord pour créer une force d’intervention de terrain, la Task-Force. Cette équipe comporte quatre personnes chevronnées, Denny Malone, Bill Montague dit Big Monty, Phil Russo et le jeune Billy O’Neill. Malone a presque 20 années de service, et il a choisi ses hommes pour faire régner l’ordre dans son quartier, Manhattan North, sa ville, son fief, son royaume.

La devise de la Task-Force est simple : pas de bordel chez nous. Ils font donc en sorte de maîtriser les dealers et d’éviter les guerres entre gangs. Ce matin-là, ils font une descente chez Diego Pena, le Dominicain, le boss de New-York qui doit recevoir un chargement de 100kg d’héroïne. Cette opération n’est pas forcément un succès mais au moins Pena est tué et la drogue saisie. Mais le jeune Billy n’y survit pas.

Billy n’était même pas marié, sa petite amie était enceinte. Elle n’aura droit à aucune aide de la part de la police. Mais la Task-Force met de l’argent de coté pour ses hommes. Denny Malone décide de prélever 50 kg d’héroïne afin d’assurer un avenir à ses hommes. C’est la première fois qu’il se permet un vol de cette ampleur. Toucher des commissions, ça lui arrive, mais jouer avec des millions de dollars, jamais ! Cet acte va l’entraîner dans une spirale infernale …

Don Winslow est probablement le plus doué et le plus moderne des auteurs américains actuels. Il a adapté son style à un rythme fou, et a allié cette qualité à des dialogues géniaux parce qu’évidents. Quand on lit un roman de Don Winslow, on a donc l’impression de voir un film, de suivre des scènes qui se suivent sans temps mort, et de vivre avec des personnages plus vrais que nature.

Si ce roman n’atteint pas la force de ses deux grands romans (chef d’œuvre est un terme que je n’utilise jamais), à savoir La griffe du chien et Cartel, il n’en reste pas moins un roman puissant, prenant, passionnant et édifiant par ce qu’il montre et dénonce. Il est donc à ranger juste à coté des romans sus-nommés, et un cran au dessus de Savages, qui était déjà génial mais plus simple dans sa construction.

Personnage central de l’intrigue, Denny Malone est un personnage puissant, imposant, qui impose sa présence. Fils de pompier, il est devenu orphelin tôt avec dans l’idée d’aider les gens. Son entrée dans la police était une évidence, et il a gravi tous les échelons, jusqu’à sa position centrale dans la Task-Force. En instance de divorce et père de deux enfants, il voit souvent Claudette, une infirmière en pleine désintoxication.

Faire régner le calme plus que la loi dans la rue, cela veut dire flirter avec la ligne jaune. Malone la chevauche, un pied à gauche, l’autre à droite. Il n’hésite pas payer ses indics, user de chantage, faciliter certaines affaires passant en justice. Avec l’affaire Diego Pena, c’est la première fois que Malone franchit allègrement la ligne jaune. Et le FBI va lui tomber dessus, ce qui va révéler l’ampleur de la corruption aux Etats Unis, à tous les niveaux.

Et c’est bien ce que veut démontrer ce roman, et constituer une véritable charge contre un système policier, politique, judiciaire vérolé du bas de l’échelle jusqu’aux plus hauts sommets. Chacun va œuvrer pour son propre bien, et va avancer ses pions en fonction de celui ou celle qui les paie. Le tableau décrit là est d’une noirceur terrible, tant on en vient à penser qu’il vaut mieux couper l’arbre que d’essayer de sauver quelques branches.

Et malgré la complexité de l’intrigue, malgré le grand nombre d’intervenants, les scènes s’accumulent allègrement pour former un formidable polar passionnant de bout en bout. Et une fois commencé, on est vite emporté par la tornade déroulée par Don Winslow et son style coup de poing. Reste au bout du compte le personnage de Denny Malone, policier trouble, aux multiples visages, avec un fond d’humanité, une loyauté envers son rôle, mais qui n’en est pas moins un truand de grande envergure et un trafiquant qui s’assoit sur les lois, peut-être parce qu’elles ne veulent plus rien dire dans un pays qui est devenu une véritable jungle.

Mais, car il y a un mais, outre le fait que ce roman soit un polar génial, je ne peux m’empêcher d’y ajouter deux bémols. La Task-Force de Denny Malone ressemble à s’y méprendre à la Strike Team de Victor « Vic » Mackey, que j’ai adoré dans la série The Shield au début des années 2000. De nombreuses scènes sont semblables d’ailleurs. Enfin, le dernier chapitre vire au grand guignolesque, comme s’il fallait se débarrasser d’un personnage de façon spectaculaire. Je vous conseille donc d’éviter de le lire et de vous plonger dans l’enfer de New-York tout au long des 550 pages de ce formidable polar.

Missing : Germany de Don Winslow

Editeur : Seuil

Traducteur : Philippe Loubat-Delranc

On avait rencontré Fanck Decker dans sa première enquête Missing : New York, un polar musclé introduisant un personnage humain qui recherche des personnes disparues. Le voici de retour dans une deuxième enquête tout aussi musclée.

Franck Decker a connu Charlie Spraghe en Irak, où ils ont combattu ensemble. En tant que Marines, ils se sont promis de s’entraider toute leur vie. Quand Decker reçoit un coup de fil de Spraghe, disant : « Kim a disparu », il accourt à Miami. Charlie Spraghe a fait fortune dans l’immobilier, sa fortune se compte en milliards de dollars. Kim était partie au centre commercial de Merrick Park Village, et elle n’est pas revenue.

Decker et Spraghe se donnent rendez-vous là-bas. Ils trouvent la voiture de Kim mais il n’y a rien dedans, ni papiers, ni téléphone portable. Pas de trace de lutte à l’extérieur. Le centre commercial étant fermé, ils font le tour des bars mais personne ne se rappelle d’une superbe jeune femme blonde. Même sa meilleure amie Sloane ne sait pas où elle est. Une seule solution : contacter les flics. Ils tombent sur le sergent Dolores Delgado.

Decker déroule donc ses recettes : Vérifier les débits sur ses cartes de crédit, le contenu de son ordinateur, mais il fait chou blanc. Spraghe demande alors à Decker de la chercher. Il fouille la chambre de Kim mais ne trouve rien. Dans la salle de bain, il voit quelques traces de sang sur le carrelage. Après s’être assuré que Spraghe n’a pas frappé sa femme, Decker appelle Delgado. Direction le poste de police pour un interrogatoire en règle. Quelques heures plus tard, un corps est signalé.

Je ne peux que vous donner deux conseils qui n’en fait qu’un : courez chez votre libraire préféré pour acheter ce roman et surtout, surtout, ne lisez pas la quatrième de couverture ! Car je trouve qu’elle en dévoile beaucoup trop, et qu’elle dessert la qualité de narration de cette enquête. Car le mot d’ordre est clairement : Vitesse et action. Le maigre résumé que je viens de faire couvre à peine les cinquante premières pages. C’est vous dire si vous allez trouver de nombreux événements tout au long de ces 310 pages.

Vitesse disais-je. Les chapitres dépassent rarement 5 à 6 pages, le style est rapide fait de phrases courtes. Et tout se tient : chaque phrase en appelle une autre, les dialogues claquent. Nous sommes en présence d’un auteur qui clairement maîtrise son genre, et qui ne se prive pas de raconter une histoire contemporaine avec tous les ingrédients qui ont fait le succès des enquêtes de détective privé.

Et puis, on ne peut rester insensible devant Decker et ses cicatrices, ses souvenirs de la guerre, ses regrets d’avoir raté sa vie privée, et sa loyauté envers ses amis mais aussi envers ses propres promesses. On va y trouver ses scènes d’action, extraordinaires cela va sans dire, mais aussi des scènes plus poignantes. On y trouve aussi certaines remarques par moments telles que « les riches n’ont pas de problèmes aux Etats Unis » ainsi que d’autres sur les maltraitances des femmes dans les campagnes.

On peut voir Decker comme un justicier moderne, n’hésitant pas à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins. Avec cette enquête, c’est aussi un témoin lucide qui n’est pas étonnant de voir que tout se vend, même l’impensable. Alors, accrochez vous, le cru 2018 de Don Winslow est très bon, impossible à lâcher. Ce n’est pas au niveau de La griffe du chien ou Cartel, mais c’est un roman d’action que l’on peut placer sans rougir au dessus du panier.

Ne ratez pas les avis de Jean-Marc et Black Cat

 

Cartel de Don Winslow

Editeur : Seuil

Traduction : Jean Esch

Attention, coup de cœur, gros coup de cœur, énorme coup de cœur !

J’ai bien peur que ce billet s’adresse à ceux qui ont lu La griffe du chien. Pour les autres, dépêchez vous de rattraper votre retard, car Cartel en est la suite, et c’est un MONUMENT ! La griffe du chien fait partie de mon Top 10 de tous les livres que j’ai pu lire, et c’est forcément avec un peu d’appréhension, de crainte, que j’ai commencé cette lecture. Je dois dire qu’il y avait aussi un peu de peur, celle de trouver ce roman bien, mais sans plus, de ternir ce fantastique livre qu’est La griffe du chien.

Il n’en est rien. Cartel se révèle au niveau de son prédécesseur, sans se répéter ou paraphraser l’épopée précédente. Alors que La griffe du chien racontait l’ascension inéluctable du trafic de drogue, approuvé par les Etats Unis, à travers un duel devenu personnel entre Art Keller et la famille Barrera, entre 1975 et 2000, Cartel raconte la guerre civile (ou presque parce que non reconnue comme telle) qui a ravagé le Mexique. Il balaie donc la période qui va de 2004 à 2012.

Le livre s’ouvre sur une liste plus de 200 personnes, 200 journalistes qui sont morts pour avoir enquêté ou parlé des événements qui se sont passés au Mexique pendant son écriture. Comme entrée en matière, ça plombe l’ambiance et après avoir lu Cartel, on comprend que Don Winslow a voulu rendre hommage à tous ces gens qui luttent pour informer, qui veulent faire éclater la vérité, en relatant les faits.

2004, au Nouveau Mexique. Art Keller a quitté la DEA et s’est reconverti en apiculteur dans un monastère. Pour tenter d’oublier son passé, sa vie, mais aussi pour fuir.

2004, San Diego. Adan Barrera, l’ancien roi de la drogue, passe 23 heures par jour dans sa cellule. Son avocat vient lui annoncer la mort de sa fille Gloria, atteinte de Lymphangiome kystique qui engendre une malformation de la tête. Adan veut assister aux obsèques à tout prix. Il demande à son avocat de négocier sa présence contre des informations sur les cartels mexicains. Au retour de l’enterrement, Adan Barrera promet la tête d’Hugo Garza, le leader du cartel du Golfe, à la condition d’être extradé dans une prison au Mexique.

Dans la prison de Puente Grande, Adan organise sa cellule avec un coin bureau et a même droit à une cuisine individuelle avec cuisinier. Il reprend le métier, organisant les transports et recevant toutes les informations sur ses ordinateurs personnels. Il met la tête d’Art Keller à prix, pour deux millions de dollars, car il veut avant tout éliminer son pire ennemi. Dans la nuit de réveillon, il organise une rébellion et en profite pour s’échapper.

Art Keller a été prévenu par deux agents de la DEA. Sa tête est mise à prix. Alors, il reprend la fuite, changeant tous les jours d’hôtel, abattant de jeunes drogués qui lui courent après. Mais la fuite n’a qu’un temps. Il se résigne à retourner voir Taylor, son ancien chef à la DEA, et lui propose ses services pour arrêter Adan Barrera. Car c’est avant tout une question d’honneur et de survie.

Après quelques dizaines de pages pour introduire l’histoire, Don Winslow entre dans le vif du sujet, ou plutôt il nous plonge brutalement dans le Mexique des années 2000, un pays livré aux cartels de la drogue, qui se font la guerre entre eux, engendrant un massacre (et je pèse mes mots !) qui s’apparente plus à un génocide qu’à une guerre civile. Chaque région étant détenue par un cartel, les combats deviennent une guerre de territoire, chaque camp se construisant une véritable armée de milliers de tueurs sanguinaires, chaque camp étant soutenu soit par la police municipale, soit la police fédérale, soit par l’armée. Bref, chaque événement est l’occasion d’engendrer une vague de crimes dont les innocents sont plus nombreux au sol que les coupables eux-mêmes.

Cartel, c’est un livre de fou, qui réussit à nous faire vivre de l’intérieur cette situation inédite d’un pays qui a perdu le pouvoir face au crime organisé comme des armées de mercenaires, des soldats sans aucune humanité.

Cartel, c’est un livre qui vous montre que derrière les horreurs, derrière les compromissions, derrière les corruptions, derrière les hypocrisies des grands pays industrialisés, il y a des hommes et des femmes qui se battent pour vivre, car ils veulent vivre honnêtement.

Cartel, c’est un livre qui démonte tous les mécanismes, toutes les décisions prises si haut au sommet de tous les états (de la Maison Blanche à l’Europe) qui soit disant font tout pour lutter contre la drogue, mais qui en sous-main facilitent le trafic par l’ouverture des frontières pour laisser passer des camions ou des bateaux remplis de cocaïne.

Cartel, c’est un gigantesque roman de guerre politique et économique, comme un énorme jeu de plateau où chacun avance ses pions, fait des alliances avec ses ennemis d’hier pour mieux récupérer une région ou mieux trahir un ami d’hier, tout cela au nom du pouvoir et non de l’argent, puisqu’ils sont immensément riches et ont placé leur argent dans les entreprises industrielles mondiales.

Cartel, c’est un livre qui prend votre tête pour la plonger dans le sable du désert, où sont enterrés des milliers de personnes ; pour vous emmener dans un trajet de bus quand une bande armée débarque et tire dans le tas, qui vous montre que l’on peut élever des enfants de 11 ans et en faire des machines à tuer.

Cartel, au-delà du souffle épique et de son incroyable densité, c’est aussi des personnages, tous plus sublimes les uns que les autres ; qu’ils soient du bon coté ou du mauvais, ils sont tous à vos cotés, ils vous montreront leur vie, leur logique. Au premier rang d’eux, il y aura des femmes, formidables de courage (Marisol en particulier) qui vont reconstruire un village ; il y aura des journalistes grandis par leur courage et à l’espérance de vie si courte ; il y aura des policiers corrompus, des paysans, des barmen, des caïds, des mercenaires, des enfants, et tant de morts.

Cartel, c’est avant tout un grand, un énorme roman, qui se base sur une documentation impressionnante, qui arrange les faits pour faire avancer son intrigue et qui débouche sur une scène finale de feu d’artifice. D’ailleurs, je remercie Damien Ruzé pour m’avoir signalé ce site qui lui relate la situation du Mexique : http://www.borderlandbeat.com/. Parce que, ne croyez pas que c’est fini. La guerre de la drogue est d’ors et déjà perdue. Et les responsables de la situation mexicaine sont aussi à chercher de l’autre coté de la frontière.

Cartel, c’est tout simplement ma meilleure lecture de 2016.

Coup de cœur !

Ne ratez pas les avis des amis Jean-Marc et Yan.

 

Missing : New York de Don Winslow (Seuil)

Don Winslow, c’est l’auteur du chef d’œuvre La griffe du chien. Et quand on a lu ce fantastique roman, on reste marqué à vie … et on devient fan de l’auteur. Alors, à chaque fois que sort un roman de Don Winslow, je me jette dessus. Certes, il y a en a de bons et de moins bons, ou du moins, des romans que j’apprécie et d’autres moins. Par exemple, Savages est un extraordinaire roman qui allie le sujet et le style totalement innovant à base de phrases ultra courtes. A coté de ça, je suis plus hermétique envers ses deux romans mettant en scène les surfers de la cote Est des Etats Unis (La patrouille de l’aube et L’heure des gentlemen).

Don Winslow a commencé sa carrière avec un personnage récurrent, Neal Carrey. Si je ne les ai pas tous lus (ou du moins je crois), je me rappelle lors d’une de ses enquêtes avoir passé un excellent moment de lecture. Il faudrait d’ailleurs que je les relise, pour voir. Avec Missing : New York, Don Winslow nous présente un nouveau personnage, Frank Decker, et on ne souhaite qu’une chose, c’est de le retrouver bientôt dans de nouvelles enquêtes. Car on y croit à fond, et on le suit les yeux fermés.

Frank Decker est un ancien soldat, revenu d’Irak, devenu policier à Lincoln. Quand il est appelé chez les Hansen, au départ, il ne s’agit qu’une affaire de disparition de plus. La petite Hailey, jouait dans le jardin. Le temps que sa mère aille chercher une cigarette dans la maison, la petite avait disparu.

Quelques heures. C’est le temps que les policiers ont pour la retrouver saine et sauve, selon les statistiques. Forcément, on soupçonne la mère, une engueulade qui a mal tourné. Mais la mère Cheryl semble accablée, inquiète. Et les policiers ne trouvent rien.

24 heures, c’est ce que les statistiques disent pour avoir plus de 50% de chances de la retrouver. On ne trouve rien dans le quartier, rien dans les environs. L’ancien mari de Cheryl semble écarté. Les policiers commencent à douter. Les battues dans les environs commencent. Rien, toujours rien.

Au bout de quelques mois, seul Frank Decker y croit encore. Il a donné sa parole à Cheryl. Il démissionne de la police et part avec ses économies, laissant derrière lui sa femme. Sa traque durera plus d’une année.

Quand un auteur sort un chef d’œuvre, on lui reste fidèle. En tous cas, c’est mon cas. Et ce nouveau roman fait partie des bons crus de Don Winslow, des très bons crus même. Il nous présente un nouveau personnage, et la mention en quatrième de couverture laisse augurer qu’il sera récurrent. Et je ne dirai qu’une chose : tant mieux ! Car c’est un personnage buté, obsédé, et droit. Il n’est pas tout blanc, loin de là, mais au moins, il s’est donné une ligne de conduite, il s’est fixé un objectif, et rien ne pourra se mettre en travers de son chemin.

Le fait que Frank Decker soit un ancien de la guerre d’Irak n’est pas un trait principal de ce roman. Certes il en parle, de temps en temps, mais cela lui sert plus comme expérience dans certaines situations que comme souvenir lancinant. En tous cas, l’auteur nous évite les écueils de nous seriner des images de cette guerre. Frank Decker est un obsédé, de ceux qui aiment le travail bien fait, et il va creuser toutes les pistes.

On pourrait trouver dans ce roman trois parties. La première est la recherche de Hailey, et ce compte à rebours déprimant, ces minutes qui passent, ces heures qui défilent et on ne retrouve toujours rien. La deuxième partie est la dérive de Frank, celle où il s’enfonce dans l’Amérique profonde, errant de village en station à essence, laissant désespérément des photos sur des sites internet spécialisés de personnes disparues. La troisième concerne l’arrivée de Frank à New York, la grosse pomme, pourrie pour l’occasion. D’ailleurs la ville n’a jamais aussi bien porté son nom, avec une peau immaculée, ne laissant pas voir les perversions qu’elle peut cacher.

Don Winslow aurait pu en faire des tonnes, nous abreuver de détails glauques et dégoutants. Il préfère utiliser un style efficace, et faire avancer son intrigue dans un style journalistique. Ainsi, la ville est décrite par une visite réalisée par un flic qui va aider Frank. Et ce qu’on va y apprendre n’est définitivement pas joli à voir. Mais aux Etats Unis, l’apparence prime sur tout le reste. La ville doit être belle et le coté sale se cache.

Vous ne saurez pas comment le roman se termine ; d’ailleurs il peut se terminer bien ou mal. En fait, Don Winslow se donne toutes les cartes en main, pour choisir au dernier moment comment il va tourner le fil de l’histoire. En tous cas, ce roman montre tout le talent de son auteur et ne nous donne qu’une envie, c’est de retrouver Frank Decker dans une prochaine enquête. Merci M. Don Winslow.

Dernier verre à Manhattan de Don Winslow (Seuil Policier)

Voici une curiosité, une œuvre inédite de Don Winslow qui date de 1995, qui se situe dans l’œuvre de cet auteur vers la fin du cycle Neal Carey, dont nous parlerons bientôt dans le cadre de la rubrique Oldies.

1958, en pleine guerre froide. Walter Withers est recruteur pour la CIA, et travaille à Stockholm. Ses qualités d’analyse de la nature humaine font qu’il est indispensable pour l’embauche de futurs espions. Pour autant, il n’est pas sur le terrain et vit une vie normale avec sa compagne, Anne Blanchard, chanteuse de jazz. Quand il demande à retourner à New York, la CIA ne peut pas lui proposer de poste puisque la sécurité intérieure est gérée par le FBI. Il est donc embauché par une entreprise de détective privé, qui fait des enquêtes sur la vie des gens en vue d’une embauche.

Une de ses prochaines missions consiste à protéger la femme du sénateur Joe Kenneally, Madeleine. Le sénateur est un personnage important puisqu’il envisage de se présenter aux élections présidentielles. Rapidement, il se rend compte que le sénateur a une aventure avec une superbe jeune actrice suédoise, Marta Marlund, ce qui fait tache d’huile dans le CV d’un futur président. Mais le décor se trouble quand il s’agit de savoir qui est qui et qui joue pour qui ?

Avant d’écrire son chef d’œuvre La griffe du chien, Don Winslow écrivait des polars, de très bons polars. Si celui-ci peut sembler classique, une œuvre de jeunesse je dirai, on y retrouve tout de même toute ses qualités d’écrivain, menant une intrigue en prenant le temps de décrire la vie des gens et leur psychologie. Don Winslow ne prend pas pour personnage principal un super héros, mais un homme standard, avec une vie de couple qui est loin d’un James Bond qui échappe à toutes les balles perdues.

Des descriptions des lieux et de la vie en 1958 en pleine guerre froide, les petits clubs new-yorkais où pullulent les écrivains et les musiciens de jazz, on voit déjà la lucidité de Don Winslow pour décrire la vie des américains, comment ils se font mener par le bout du nez par leurs politiciens, les magouilles des différents services secrets et leurs manigances pour le pouvoir. Il ne se gène pas aussi pour montrer ce que va devenir la vie des gens dont le but est d’aller vivre en banlieue avec leur petit jardin, pour avoir l’illusion de liberté.

On retrouve donc dans ce roman, fort agréable à lire, l’analyse de la société qui fait le petit plus des romans de Don Winslow, sa qualité d’écriture et ses dialogues formidables, ce qui nous donne à nous lecteurs, quelques heures supplémentaires de plaisir. Ce roman se révèle être à la fois une curiosité pour ceux qui ne connaissent pas cet auteur mais aussi une lecture indispensable pour ses fans.

Cool de Don Winslow (Seuil)

Rappelez vous ! Il y a deux ans, Savages débarquait sur les rayons des libraires. Avec un titre comme ça, peu de chances d’attirer les foules. Le scenario ? Simple. Par contre, dès que vous l’aviez ouvert, BIM BAM BOUM, Don Winslow inventait un style à base de baffes dans la gueule, et ça marchait tellement bien que même les messages sur la façon dont se passe le trafic de drogue aux Etats Unis étaient clairs et bien assimilés.

Difficile de faire une suite à Savages, mais pourquoi ne pas en écrire le prequel, ou pour ceux qui ne comprennent pas l’Anglais, une histoire qui se déroule avant Savages. Et là, pareil ! Don Winslow nous matraque la tête, à la façon d’un boxeur dans son punching ball, ne nous laissant aucun répit. Cela peut sembler facile, mais il faut un sacré talent pour montrer en quelques phrases, en quelques mots un personnage.

Et puis, les phrases n’existent plus … D’ailleurs, le monde tel qu’il existait n’existe plus. C’est la foire aux mots, les rafales partent tout le temps, à droite, à gauche. Il y a tout juste une phrase pour décrire un lieu que la scène suivante débarque. Ça peut sembler un peu anarchique, un peu foutraque, mais c’est bigrement efficace … pourvu que l’on y adhère.

Bref, on retrouve Ben, l’idéaliste pacifiste et créateur de génie en matière d’OGM, Chon, la teigne du groupe dont la religion est de sauver les amis, et O, dite Ophelie, la perle immaculée du groupe. Alors que Chon, soldat, doit repartir en Irak, Ben est contacté par un mystérieux vieil homme, affublé d’un T-shirt Les Vieux Règnent, qui lui fait du chantage pour racheter leur commerce de drogue.

En parallèle de cette histoire, nous allons rencontrer les parents de nos trois compères, dans les années 70, 80 puis 90. Cela va donner la possibilité à Don Winslow, de non seulement parler de la drogue (sa croisade personnelle), mais de montrer aussi l’évolution de la société depuis les hippies jusqu’au capitalisme libéral. Et là, il fait fort. Que ce soit l’intrigue ou la démonstration, tout est d’une limpidité effarante, et le message d’autant plus frappant. Il se permet donc, en plus de son style explosé et explosant, de nous asséner quelques vérités, telles celle-ci :

« Qu’est-il arrivé ?

Altamont, Charles Manson, Sharon Tate, Le fils de Sam, Mark Chapman, nous avons vu un rêve se transformer en cauchemar, nous avons vu love and peace, l’amour et la paix, se changer en guerre et violence sans fin, notre idéalisme en réalisme, notre réalisme en cynisme, notre cynisme en apathie, notre apathie en égoïsme, notre égoïsme en cupidité et puis la cupidité est devenue agréable et nous

Avons eu des bébés. »

A la fois très semblable mais aussi très différent de Savages, Cool démontre que l’on peut faire du polar intelligemment, que l’on peut dire des choses crument, que l’on peut encore inventer des choses en littérature. Si vous n’avez pas peur des claques, lisez donc Savages d’abord (qui vient de ressortir au Livre de Poche) puis attaquez ce Cool, qui l’est beaucoup moins que son titre.

Ne ratez pas sur le net les avis des copains et copines : Le Parisien , Unwalkers  , Jean Marc , et Jeanne .