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Tant qu’il y a de l’amour de Sandrine Cohen

Editeur : Editions du Caïman

Auréolée du Grand Prix de la Littérature Policière pour Rosine, une criminelle ordinaire, qui était son premier roman, Sandrine Cohen nous revient avec un deuxième roman qui comporte la même fougue et la même charge émotionnelle. Un roman fort, bouleversant.

Dans un pavillon de Saint Denis, Suzanne élève ses quatre enfants qu’elle a eus de quatre pères différents. Avec son salaire de caissière de supermarché, les fins de mois sont difficiles. Heureusement Achille, l’ainé de 17 ans, joue l’homme de la maison auprès des petits. Suzanne mène sa troupe comme un capitaine de frégate face aux soubresauts de la tempête. Elle a voulu son foyer comme un cocon contre les agressions extérieures, où la bonne humeur est reine. D’ailleurs les enfants se nomment eux-mêmes « Les trois mousquetaires », unis comme les doigts de la main, à la vie, à la mort, Achille, Jules, Arthur et Mathilde.

Suzanne aime les gens, tout le monde mais pas le monde. Elle est capable de tomber amoureuse d’un regard, ce qui explique tous ses enfants. Suzanne est née début novembre, comme Mathilde. Comme c’est un mois triste, on fêtera celui de Mathilde le 18 juin. Son dernier amour en date, Ismaël ne donne pas de nouvelles, ne lui a pas souhaité son anniversaire, alors inquiète, elle demande aux enfants de scruter son profil sur un réseau social. Mais Jules reste penché sur son jeu de Smartphone, Arthur s’acharne sur son devoir d’école tandis que Mathilde rayonne au milieu de cette joyeuse troupe.

Malgré les mauvaises nouvelles serinées par BFMTV, toute la famille décide de mettre de la musique et danse, avant d’aller se coucher. Mathilde a peur de dormir toute seule, la faute à son père violent Toni, tout juste sorti de prison, Mathilde que le clan protègera envers en contre tous. Jules lui, vient de recevoir une nouvelle promesse de son père Clément, un week-end à Eurodisney, à laquelle il croit mais qui n’aura jamais lieu.

Le lendemain, les enfants vont à l’école et Suzanne a décidé que cette journée serait belle. A ce moment, elle reçoit un texto d’Ismaël, son dernier amour en date. Il s’excuse de son silence, de son absence, et passe la voir. Il lui fêtera son anniversaire samedi prochain. Mais pour cette famille qui vit positivement, le monde va s’acharner à coups de mauvaises nouvelles, à commencer par les attentats du 13 novembre, puis l’absence d‘Ismaël. Suzanne va en finir avec ce monde et les enfants vont devoir trouver des solutions pour que Mathilde ne retourne pas auprès de son père.

Bien que ce ne s’agisse pas à proprement parler d’un polar, on retrouve dans ce roman toute la fougue, la verve, le rythme et le ton que l’on avait apprécié dans Rosine, une criminelle ordinaire. Sandrine Cohen y ajoute une passion, celle de conter l’histoire de cette famille hors du commun, que l’on pourrait juger, vu de l’extérieur, comme irresponsable. Seulement, à force de montrer chaque enfant vivre, Suzanne en capitaine de l’équipe, on arrive à croire à ce groupe. Mieux même on va vivre avec eux.

Cette magie, ce pari hautement relevé, se réalise non seulement grâce aux personnages bigrement réels (à tel point que je me suis demandé si Sandrine Cohen ne connaissait pas une telle famille), mais aussi à ces situations et à ces dialogues savoureux et d’une véracité incroyable. On se prend d’affection pour ce groupe, tous un par un, du plus grand au plus petit et même pour ceux qui gravitent autour, Clément, Ismaël et l’autre Mathilde.

Ces trois mousquetaires, protégés du monde extérieur grâce à la force insufflée par Suzanne, va tout de même devoir faire avec les règles et leur injustice, les lois et leur rigidité, car il s’agit pour eux d’une question de survie. Sandrine Cohen pointe l’absence de compréhension, le refus de chercher à comprendre les gens différents de la normalité, la facilité d’appliquer à la lettre des règlements qui ne s’appliquent pas à des cas particuliers.

Elle nous montre aussi dans ce très beau roman, qu’il reste encore une place pour le bonheur, qu’il réside peut-être juste dans une soirée crêpes, qu’il suffit de regarder jouer un enfant, ou bien de mettre un morceau de musique pour se mettre à danser, qu’il faudrait retrouver notre âme d’enfant pour que ce monde devienne un peu meilleur, un peu moins cruel et un peu moins injuste.

Malgré les informations qui tentent de ruiner le moral de cette troupe, la télévision branchée sur BFMTV (Syrie, les disparitions d’enfants, les journalistes, les experts autoproclamés …) pour nous rappeler les malheurs du monde, Sandrine Cohen, à travers ses personnages parsème son intrigue de morceaux de musique (dont Suzanne de Leonard Cohen, bien sûr), qui sont autant de bouffées d’air au milieu de la mélasse. Ce roman, c’est juste un écrin fragile, qu’il faut lire et relire pour retrouver le sourire, un souffle de renouveau, un appel à regarder le monde autrement même si la fin nécessite quelques mouchoirs. Magnifique deuxième roman !

Je vous signale que Rosine sort le 14 septembre chez J’ai lu et que cette une lecture immanquable :

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Betty de Tiffany McDaniel

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

Attention, Coup de Cœur !

Je vais me joindre à tous mes collègues blogueurs, à tous les libraires et à tous les lecteurs qui ont encensé ce roman. Et je pense sincèrement qu’il est impossible de résister à cette histoire racontée par une petite fille qui grandit et découvre le vrai monde alors que son père le lui a expliqué avec sa poésie indienne.

Betty est une petite fille quand elle s’allonge sur le capot de leur voiture à coté de Landon Carpenter, son père de sang indien. Il lui explique que son cœur est en verre, que si, un jour, il perd Betty, alors son cœur se brisera en mille morceaux, et que ce sont ces morceaux qui le tueront. Tout le monde a un cœur en verre.

Ses parents se sont rencontrés dans le cimetière de Joyjug dans l’Ohio. Landon a trouvé bizarre de voir une jeune fille croquer dans une pomme, assise sur une tombe. Tout dans son attitude, dans la couleur noire de sa peau était réuni pour qu’ils se trouvent et s’aiment sous un ciel immaculé.

Quelques mois plus tard, il n’est plus possible pour Alka de cacher son ventre qui grossit. Le père d’Alka Lark la frappe pour la punir, parce qu’une femme ne peut avoir d’enfant sans mari. Il frappe sur le ventre pour tuer le Mal. Mal en point, Alka va retrouver Landon à la sortie de l’usine. En voyant son état, il décide d’ôter l’âme au père Lark, car aucun homme n’a le droit de frapper une femme. Le laissant pour mort, Landon décide de partir avec Alka, et ils s’installent à Breathed.

Ils vont traverser nombre d’états, au fil des années, en fonction des emplois que Landon trouve pour nourrir sa famille qui grandit. L’aîné s’appellera Leland, un garçon blond comme les blés. Puis arrive Fraya, Yarrow qui mourra étouffé en avalant un marron, Waconda qui pleurait tout le temps jusqu’à ce qu’elle avale une boule de coton, Flossie qui s’est toujours vue comme une star du cinéma, puis Betty qui est venue dans une baignoire, la seule qui avait la chevelure d’une Cherokee. Les deux derniers s’appellent Trustin et Lint.

Après cela, Alka décide qu’il n’y aura plus d’enfants et que leur vie doit s’épanouir là où ils ont commencé à vivre, à Breathed dans l’Ohio.

Betty, la narratrice de ce formidable roman, fait partie des personnages que je n’oublierai jamais, tant ce roman est fort, par la fluidité du style, par la simplicité de raconter et par la puissance émotionnelle. Nous allons suivre la vie de Betty de l’âge de 6 ans jusqu’à sa majorité et son départ à l’université, en passant en revue ses joies et ses peines, les bons moments et les drames. Petite fille sensible, elle suit son père, l’écoute lui raconter la Vie et écrit des bouts de vie sur des papiers qu’elle enfouit dans les bois tout proches.

Betty trouvera les réponses à toutes ses questions auprès de son père, un indien rejeté de tous pour la couleur de sa peau, et qui aura la chance de fonder une famille. Travaillant sans cesse, ne se plaignant jamais, et parsemant ses histoires de légendes sur la nature, Landon est un des personnages centraux du roman avec Betty. J’aurais aimé avoir un père comme lui, j’aurais aimé être un père comme lui.

Malgré le grand nombre d’enfants, on arrive à les repérer tous, ce qui est un sacré tour de force. Tiffany McDaniel leur a certes donné à chacun un signe distinctif, mais surtout, elle les a fort intelligemment incrusté dans le roman grâce à des scènes inoubliables. Et tous vont subir leur lot de joies, mais aussi de peines, voire de drames. Car au travers de ces dizaines d’années traversées par l’auteure, c’est la peinture d’une société qu’elle nous montre.

Betty la petite indienne telle qu’elle est surnommée par son père se fait le témoin de la société, par les événements qu’elle va subir. On pense tout de suite au racisme, celui de tous les jours, à ces voisins qui éloignent leur fille de peut qu’elle attrape une maladie. Mais elle est aussi institutionnalisée quand la maitresse d’école annonce devant toute la classe que Betty est forcément plus idiote puisqu’elle vient d’une tribu de sauvages. On peut aussi ajouter les chantiers de la mine d’où Landon sort couvert de charbon sur la figure. En fait, il se peignait le visage en noir sale pour que les autres ouvriers ne voient pas la couleur de sa peau, sinon ils l’auraient chassé à coups de pied.

Betty la jeune enfant va grandir et découvrir le monde des grands. Petit à petit, la naïveté va faire place à une lucidité, le monde naturellement beau et magique se fissurer sous la méchanceté des hommes. Car la jeune fille va devenir adolescente puis jeune femme et affronter le monde des hommes, fait par des hommes pour des hommes. Tiffany McDaniel va revenir plusieurs fois sur la place qu’occupe la femme dans la société chrétienne, si marginale alors qu’elle est au centre de la société indienne. Le naturel avec lequel elle pose les questions de Betty et la brutalité simple martèlent un message d’autant plus fort.

Tour à tour enchanteur, drôle, magique, dramatique, rageant, triste, ce roman fait voyager dans un pays qu’on ne veut pas voir, même si ses messages sont universels. Tiffany McDaniel s’est largement inspirée de la vie de sa mère. Elle a surtout écrit un formidable plaidoyer pour la tolérance et l’égalité des sexes, porté par un personnage féminin qui vous accompagnera tout le long de votre vie. C’est juste magique, poétique et magnifique !

Coup de Cœur !

Riposte de David Albertyn

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Karine Lalechère

Voici un premier roman dont on lit beaucoup de bien sur les blogs, et cet argument était suffisant pour me tenter. Même si la trame est classique, cet auteur a un vrai talent pour créer des scènes visuelles impressionnantes.

Il y a quinze ans, ils étaient les meilleurs amis du monde. Ils étaient quatre, Tyron, Keenan, Antoine et Naomi.

Tyron Shaw s’est engagé dans les Marines et a combattu en Irak. Il est de retour avec des cauchemars plein la tête.

Keenan est entré dans la police et vient de tuer une jeune noir, une bavure qui déclenche des manifestations, d’autant plus qu’il vient d’être innocenté. Il s’est recyclé depuis dans le service d’ordre du Reef, le casino de Las Vegas qui doit recevoir la soirée de boxe.

Naomi a toujours eu une forte carrure et a fait de la boxe avant de se tourner vers le Basketball. Ne pouvant passer professionnelle, elle est devenue entraîneuse d’une équipe féminine. Elle est mariée avec Keenan mais a eu un faible pour tous les trois.

Antoine a mal tourné, il a fait de la prison, ce qui lui a donné l’occasion de devenir boxeur professionnel. Ce soir, il va affronter Kolya Konystin, classé parmi les cinq meilleurs mondiaux que personne ne veut combattre, tant il a des poings en parpaing.

Cette journée va leur donner l’occasion de se retrouver.

Ce roman se déroule sur 24 heures. Presque rythmé minute par minute, c’est une intrigue qui va passer de l’un à l’autre des personnages, faisant avancer l’histoire vers un dénouement que l’on ne verra pas arriver, puisque l’auteur va nous en dévoiler les dessous au fur et à mesure. La construction en est juste parfaitement maîtrisée.

Si le roman est minuté, il bénéficie aussi d’un style direct et remarquablement visuel. Ce nouvel auteur a un vrai don pour brosser des scènes en quelques phrases. On citera par exemple les cauchemars de Tyron et surtout le combat de boxe incroyablement réaliste où on se sent sectateur à l’intérieur du ring. Et je ne vous parle pas des scènes finales. Je resterai un peu plus mesuré sur les dialogues, trop basiques.

Enfin, c’est aussi l’intrigue et la façon dont elle est menée qui sorte ce roman du lot : l’intrigue est maligne, fort bien amenée. Le passé des quatre amis se découvre au fur et à mesure et on comprend comment une vengeance implacable est mise en place pour aboutir à une conclusion digne des hard-boiled américain.

On apprend dans la biographie de l’auteur, qu’il est né en 1983 (seulement !) et qu’il a toujours voulu écrire des histoires depuis l’âge de 6 ans. Effectivement, on ressent une assurance, une volonté de partager une histoire. Ce roman s’avère une très belle réussite venant d’un auteur sud-africain qu’il va falloir suivre à l’avenir.

Les ombres de Montelupo de Valerio Varesi

Editeur : Agullo

Traducteur : Sarah Amrani

Après le magnifique opus précédent, La pension de la Via Saffi, voici donc la troisième enquête du commissaire Soneri ; une nouvelle fois, cette série s’affirme comme indispensable pour tout amateur de romans policiers introspectifs ayant une base historique. Pour moi, après avoir lu les trois romans traduits à ce jour, c’est un sans-faute et ce roman est une nouvelle fois bouleversant.

Alors qu’il est à bout dans son métier de commissaire, Soneri décide de prendre des vacances et de se ressourcer dans son village natal au pied du Montelupo. Cette pause agrémentée de marches en forêt, à la recherche de champignons devrait lui permettre d’oublier la noirceur de la ville de Parme. Retrouver le décor de son enfance, rencontrer des visages d’antan, voilà un programme sympathique pour lui qui a quitté ce lieu depuis presque trente ans maintenant.

La tranquillité recherchée n’est pas au rendez-vous. Au village, tout le monde ne parle que de la disparition de Palmiro le père et Paride le fils de la famille Rodolfi, les propriétaires de l’usine de charcuterie qui fait vivre le village. Quand Soneri débarque au village, en plein mois de novembre, des affiches ont été placardées sur les murs indiquant que Paride va bien. Soneri, lui, se contente d’arpenter les bois mais la récolte de champignons est faible due à l’été qui a été trop sec. Lors d’une de ses escapades, un coup de feu est tiré mais il a été tiré en l’air.

Le lendemain, les discussions vont bon train. Les affiches ne font qu’ajouter au trouble ambiant. Si les habitants pensent que les coups de feu proviennent de braconniers, nombreux en cette saison, les camions qui vont et viennent à l’usine inquiètent plus qu’autre chose. Quand on retrouve Palmiro pendu à une poutre de sa grange, l’inquitéude grandit et les hypothèses vont bon train. Soneri qui ne veut pas se mêler de cette affaire va s’y retrouver impliqué malgré lui.

En ce qui concerne les descriptions d’ambiance, Valerio Varesi se pose comme un incontournable. Il trouve des sujets qui collent parfaitement à son talent d’écrivain. Et avec ce sujet, on se balade dans les bois, dévorés par le brouillard et éclairés par le soleil qui se lève. Il y a des passages d’une beauté confondante, de ces paragraphes que l’on prend même plaisir à relire, juste pour le bonheur du voyage.

De même, Valerio Varesi nous peint une ambiance de village, avec ses discussions autour du zinc du bar, avec ses informations vraies ou fausses, ses croyances, ses on-dit. En mettant en avant ses personnages secondaires, il leur laisse la vedette pour à la fois décrire le contexte mais aussi pour semer des indices sur la situation et les ressentiments de chacun.

Au milieu de ce brouhaha, on trouve Soneri qui ne veut pas se mêler des problèmes des autres. On est loin d’un Hercule Poirot qui, même en vacances, va vouloir résoudre des affaires de meurtres. Soneri promène son mal-être et ses doutes, et écoute les bruits alentour en étant détaché. Et même si l’auteur sème sur sa route nombre de mystères, sa priorité est de ne penser à rien, de faire le vide dans sa tête. Il va bien entendu s’y retrouvé plongé en plein cœur sans le vouloir.

Sa psychologie se précise aussi : on retrouve un Soneri qui a du mal à se trouver sa place dans la société moderne et sa course au profit facile. Et cela finit par être un des sujets premiers du roman, la mainmise d’une industrie sans scrupules sur les économies des pauvres gens du cru, en leur vendant des rêves de bénéfices, les poussant à donner leur argent sans espoir de le retrouver un jour. On retrouve aussi un Soneri en train de récupérer des informations sur son propre père, et découvrir qu’il lui a tourné le dos à tort. Valerio Varesi creuse un sujet qui apparemment lui tient à cœur : le poids du passé, les conséquences de nos actions ou décisions, et les moments de lucidité où on se rend compte que l’on a eu tort mais qu’on ne peut pas revenir en arrière.

Ce sont dans ces moments là où l’on se rend compte que la plume de Valerio Varesi est d’une précision et d’une acuité rare, qu’elle est d’une telle simplicité et d’une telle justesse qu’il arrive à toucher directement là où ça fait mal : entre les tripes et le cœur. On a l’impression qu’il y a dans ses romans un équilibre parfait entre narration et description, entre dialogues et introspection et cela rend ces romans à la fois intemporels et tout simplement magnifiques.

Ne ratez pas les avis de Velda, Garoupe, et de l’ami Jean le Belge.

En cadeau, voici l’interview de Valerio Varesi par Velda.

 

 

 

Au scalpel de Sam Millar

Editeur : Seuil

Traducteur : Patrick Raynal

Cela devient une bonne habitude : tous les ans, nous avons droit à la toute nouvelle aventure de Karl Kane, le personnage de détective récurrent de Sam Millar. Et personnellement, j’adore !

Un homme s’approche d’une maison et pénètre à l’intérieur. Sur son visage trône une cicatrice en forme de Z, d’où son surnom Scarman. Il sortit de sa camionnette un tapis, dans lequel est enroulé un fardeau. Il met le tout sur son épaule et entre dans la maison, quand quelque chose en dépasse : La main d’un enfant, celle de Tara.

Karl Kane essaie de dormir. Essaie car il est harcelé par des cauchemars, comme toujours. Son portable sonne. C’était Lipstick, la jeune prostituée qui lui a sauvé la vie. Elle l’appelle au secours depuis une chambre d’hôtel Europa. Un dénommé Graham Butler de Londres l’a frappée et veut lui faire des choses qu’elle ne veut pas. Karl débarque à l’hôtel, entre dans la chambre et dérouille Butler à coups de pieds dans la figure. Lipstick arrive à l’arrêter avant qu’il ne le tue. Puis Karl ramène Lipstick chez lui.

Scarman a observé la maison depuis quelque temps. Cette famille est composée d’ivrognes et de deux enfants. Ce qui l’intéresse, c’est la jeune fille Dorothy. Il attend que les parents soient abrutis par l’alcool avant de pénétrer dans la maison et de prendre la jeune enfant endormie au chloroforme. Puis il fait exploser la maison avec les bonbonnes de gaz entassées juste à coté.

Ce matin là, Naomi, la superbe secrétaire et amante de Karl lui demande de recevoir un homme pour une affaire. Son nom est Tommy Naughton. Il demande à Karl d’enquêter sur l’incendie de la maison de sa fille suite à l’explosion de bouteilles de gaz. La police conclut à un accident arguant que les parents ont du oublier d’éteindre leurs cigarettes en s’endormant. Sauf que les parents ne fument plus.

Les enquêtes de Karl Kane entrent dans la grande tradition des détectives de la littérature policière. Sam Millar y a ajouté sa patte, son originalité, en ayant créé un personnage noir et violent, en réaction à la violence de son environnement et de la société. A cela, il faut ajouter ce style si direct qui frappe sèchement comme des directs au foie, et un art des dialogues qui sonnent toujours justes.

Si on y trouve les obsessions de l’auteur, liées aux années de prison qu’il a passées en Irlande et une phobie de l’enfermement, la force évocatrice des descriptions en font une source de tension et d’angoisse pour le lecteur. Cette nouvelle enquête de Karl Kane ne fait pas exception à la règle, même si ici, Kark Kane va se retrouver personnellement impliqué dans son combat face à Scarman.

Au sens strict du terme, il ne s’agit pas d’un thriller, mais bien d’un roman noir violent, qui montre plus qu’il ne dénonce, le fait que l’on libère des cinglés assassins. Dans ce cas-là, l’auteur aurait pu faire apparaître son héros comme un justicier qui corrige les erreurs de la société, mais Sam Millar est bien plus intelligent que cela, nous proposant une fin qui ravira tout le monde, adeptes de romans noirs ou moralistes.

Il n’en reste pas moins que la peinture de la société reste toujours aussi noire et désespérante, même si ce n’est pas le sujet principal de l’enquête. Et par rapport aux précédentes enquêtes, le ton y est plus sur, les rebondissements nombreux, et l’humour hilarants, surtout dans les dialogues entre Karl et Naomi. Je trouve d’ailleurs que les romans de Karl Kane se rapprochent de l’univers de Jack Taylor, et ce n’est pas pour me déplaire. Bref, cet épisode est annoncé comme le meilleur de la série à ce jour, et je confirme : c’est excellent.

Les précédentes enquêtes de Karl Kane sont :

Les Chiens de Belfast

Le Cannibale de Crumlin Road

Un sale hiver26

Mauvaise compagnie de Laura Lippman

Editeur : Toucan

Traducteur : Thierry Arson

Les romans, c’est souvent une rencontre avec le lecteur, réussie ou ratée. Ce roman purement psychologique est tombé au bon moment, c’est ce dont j’avais besoin. Même s’il n’est pas parfait, il pose des questions importantes sur la présomption d’innocence.

Baltimore. Ça commence comme un drame qui n’aurait jamais du avoir lieu. Ronnie et Alice sont deux jeunes filles de 11 ans qui sont à la fois voisines et copines. La proximité de leur maison fait qu’on les voit souvent ensemble. Lors d’un anniversaire d’une fille de leur classe, la mère organisatrice reprend Alice, quand celle-ci jette une poupée Barbie dans une flaque de boue. Elle refuse de la ramasser, alors la mère prend le bras de la jeune fille … peut-être serre-t-elle trop ? Alice se dégage, mais ce faisant, elle met un coup de poing à la mère. Résultat : Alice et Ronnie sont gentiment priées de rentrer chez elle et elles insistent pour faire le trajet à pied. Errant dans un quartier qu’elles n’auraient pas du arpenter, elles voient un landau avec un bébé dedans. Elles frappent à la maison pour le signaler, d’autant plus qu’il fait soleil et très chaud. Personne ne répond, alors les deux filles emmènent le bébé. Quelques jours plus tard, le corps du bébé est retrouvé …

Sept ans plus tard, Ronnie et Alice ont purgé leur peine. Elles ont été enfermées dans des centres de délinquance juvénile différents. Elles vont revenir dans leur ville de Baltimore, chacune de leur coté, chacune avec ses propres moyens. Alice est devenue une jeune femme grassouillette, Ronnie est grande et maigre. La mère d’Alice retrouve son enfant, et cherche à la protéger. Ronnie se débrouille pour trouver un travail de vendeuse.

Cynthia Barnes, qui a perdu son bébé est excitée par le retour des deux jeunes femmes. Pour elle, c’est une aberration. Et elle a peur car elle a eu depuis un autre enfant. Sharon, l’avocate qui a défendu Alice, a un sentiment de culpabilité vis-à-vis de son échec et de la condamnation de sa cliente. Quant à la police, dont Diane Porter, elle ne s’occupe pas de cette situation … jusqu’à ce qu’un nouveau bébé disparaisse …

Si mon résumé est si long, c’est bien parce que le contexte est important dans cette histoire, et que l’auteure prend d’ailleurs son temps pour placer les différents personnages. Il existe des romans qui racontent le retour après un séjour en prison, et ce sont plutôt des romans noirs, durs. Ici, Laura Lippman nous livre plutôt un roman purement psychologique, et se permet de détailler, par chapitres alternés les réactions de chacun.

Donc il faut s’attendre à un rythme lent, et à une description fort judicieuse de chaque attitude, même si par moments, j’ai trouvé que les réactions étaient exagérées. Mais dans l’ensemble, le traitement du sujet, ou des sujets abordés est brillant, et très maitrisé. Car le sujet du roman est bien la présomption d’innocence, la dette payée à la société qui vous poursuit toute votre vie. Je parle de sujets au pluriel, car je dois ajouter que le bébé mort est noir alors que les deux jeunes filles Ronnie et Alice sont blanches ; qu’il faut condamner ces jeunes filles à une lourde peine, pour le calme de la ville, d’autant plus qu’elles sont issues de familles pauvres alors que la petite Barnes est issue d’une famille aisée.

Tous ces sujets forment les questions que pose l’auteure dans la première moitié de ce roman. Puis, après la disparition du deuxième bébé, on retrouve les mêmes thèmes avec, en plus, les a priori de la police lors de leur enquête, et les harcèlements de la presse. Du coup, l’enquête passe clairement au second plan pour mettre en lumière les réactions exacerbées des uns et des autres, comme une sorte de meute de loups qui s’acharnent sur deux jeunes filles innocentes … mais sont-elles innocentes ? Je ne vais quand même pas tout vous dire ! Vous l’aurez compris, les fans de romans psychologiques vont être ravis. Quant aux autres, posez-vous la question : Un criminel qui a purgé sa peine est-il dans l’esprit de tous innocenté ?

Coup de foehn de Franck Membribe (Editions Krakoen)

Voici un petit roman passionnant à bien des égards, publié par une petite maison d’édition réputée pour la qualité de ses titres. Celui-ci me permet d’ajouter un nouvel auteur à la liste des découvertes.

Sarah est une jeune fille juive de 16 ans, qui habite Marseille. Pour améliorer son niveau d’Allemand, rien de tel que des séjours linguistiques. Sa mère l’envoie donc en Suisse, dans la riche famille Gründlich, où elle sera jeune fille au pair. Pendant les deux mois de vacances estivales, elle s’occupera des jumeaux Max et Jonas. Si Sarah a été envoyée dans ce village, c’est parce que Samuel Seemann son arrière grand-père y vécut et y disparut pendant la seconde guerre mondiale.

La famille Grünglich est une riche famille de la Suisse allemande, qui règne en maître sur le village de Hübscherwald. Elle a fait fortune dans des domaines divers tels que le bois, le textile, et possède son propre journal local. Sarah va rencontrer l’un des journalistes Johann Kramer, dont elle va tomber amoureuse, alors qu’il a le double de son age.

Sarah veut juste en savoir plus sur son arrière grand père disparu, pour renouer avec ses racines, mais aussi pour faire plaisir à sa mère. Elle et Johann vont donc enquêter en douce, pour ne pas déranger l’ordre qui règne dans ce village suisse, balayé par le Foehn, le vent violent qui rend fou, et vont découvrir des vérités qu’il ne fait pas bon déterrer.

Parfois, il est utile de rappeler certaines choses que l’on a tendance à oublier trop vite. Prenez la Suisse : pays neutre par excellence, pays de la propreté, de l’ordre. Une fois que vous avez enlevé le vernis de surface qui rend tout joli, cela devient tout de suite moins beau. Le contexte est donc l’une des raisons qui font que j’ai lu ce roman avec avidité.

Mais l’intérêt ne s’arrête pas là : Franck Membribe a choisi de narrer cette histoire en se plaçant dans la tête de Sarah. Et là, j’adore ! Il nous montre toute la légèreté, l’insouciance, l’irresponsabilité des actes d’une jeune adolescente qui croit avoir tout compris à la vie, et qui est rattrapée par la lourde et pesante réalité de son passé. A aucun moment, je n’ai douté de ce que je lisais, j’avais l’impression d’avoir cette gamine (pardon, je vieillis !) devant moi, qui me racontait son histoire. Ce fut une lecture passionnante.

Alors, ne passez pas à coté de ce roman, prenant, passionnant, raconté par une jeune fille sympathique. C’est un roman plein de tendresse, de noirceur, sans violence (c’est à noter) sur la bassesse humaine, sur la traîtrise, sur l’héritage, sur les liens générationnels. Et n’oubliez pas de passer voir le catalogue des éditions Krakoen, au passage.