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Les lumières de l’aube de Jax Miller

Editeur : Plon

Traducteur : Claire-Marie Clévy

Comme j’ai adoré Candyland ! Forcément, je me devais de lire Les lumières de l’aube, le dernier roman en date de Jax Miller.

Le 30 décembre 1999, La ville de Welch dans l’Oklahoma est balayée par un vent glacial. La famille Freeman habite un mobil-home à l’extérieur de la ville, que l’on peut rejoindre en suivant un chemin rocailleux. Ashley Freeman fête son dix-septième anniversaire. Pour l’occasion, elle a invité son amie Lauria Bible à passer la nuit chez elle, ainsi que deux copains, avec l’accord de ses parents Danny et Kathy. Ces deux-là partiront en fin de soirée, laissant les deux filles allongées dans le canapé devant la télévision.

Le lendemain matin, une fumée dense s’élève de la colline. Le mobil-home est en feu et les pompiers mettront plusieurs heures pour circonscrire l’incendie. A l’intérieur, ils découvriront un cadavre, allongé sur le lit, écrasé par des briques qui avaient été entassées sur le toit et qui sont tombées à cause de la chaleur, quand tout n’est devenu que ruine. On ne retrouve aucune trace de Ashley et Lauria. Le corps étant féminin, tout le monde pense que Danny a enlevé les filles et est responsable de l’incendie.

Le shérif boucle rapidement le périmètre mais les habitants, regroupés autour du sinistre voient bien que l’affaire est gérée avec du laisser-aller. Le lendemain, Lorene Bible, la mère de Lauria est surprise de voir que les flics ont levé le camp. En fouillant aux alentours du mobile-home, ils découvrent un autre corps, celui de Danny, à moitié brûlé et tué d’une balle dans la tête. De toute évidence, la police a fait de nombreuses erreurs, volontaires ou non, mais une question demeure : où sont les filles ?

Il m’aura fallu une cinquantaine de pages pour comprendre où Jax Miller voulait en venir (je ne lis que rarement les quatrièmes de couverture). Pourtant, la mise en place du scénario se conforme aux règles du polar, avec des chapitres très descriptifs et centrés sur la psychologie des personnages. L’auteure passe alors en revue les filles, les parents et les voisins en y insérant des anecdotes qui amènent de l’épaisseur à l’intrigue.

Puis, les mystères s’épaississent avec les négligences de la police, les rumeurs de vengeance liées à de potentiels trafics de drogue et la mort du frère dont on n’a pas parlé au début. Malgré cela, le ton employé m’a laissé comme un goût de manque, a marqué une trop grande distance … jusqu’à ce que je comprenne le livre : Jax Miller a été obsédée par cette affaire et a mené elle-même l’enquête en se rendant sur place en 2015. D’ailleurs elle se met elle-même en scène en parlant de ses obsessions.

Et donc, ce roman n’est pas un polar au sens premier du terme mais plutôt le compte rendu minutieux de plus d’une dizaine d’années de recherche. Ce procédé fort prisé chez nos amis anglo-saxons est dénommé True crime. Chez nous, francophones, il semblerait que nous préférions des émissions du genre Investigations et autres. Je ne pense pas utile de vous préciser que j’abhorre ces émissions et préfère la lecture.

Donc, nous avons affaire à un True Crime, que l’on pourrait traduire par roman d’enquête criminelle. Car des meurtres, il va y en avoir alors que le début du roman ne nous le laissait pas présager. Jax Miller a organisé le roman pour appâter le lecteur de polar, une construction qui fait une large place sur la vie de campagnards américains avec ce qu’il faut de rumeurs, de mauvaises langues et de policiers qui ne veulent pas s’emmerder. Et elle arrive à faire passer à la fois sa passion et son obsession pour cette affaire. Franchement, les essais (ou documents) ne sont pas ma tasse de thé. Mais je dois reconnaitre que l’auteur sait vous attirer dans ses griffes, pour vous plonger dans un monde rural brutal sans autre loi que celle du plus fort. Et puis, on sent dans ces lignes la passion de l’auteure pour cette affaire, on y ressent comme une connexion directe avec ce qu’elle est, comme une communion autour d’une affaire bigre

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La boussole d’Einstein de Gilles Vidal

Editeur : Zinedi

Chouette, voici le nouveau Gilles Vidal, une assurance de lire un polar emballant et surprenant. Je ressors de cette lecture une nouvelle fois emballé.

Félix Meyer revient dans sa ville natale pour une bien triste nouvelle. Sa sœur Carole vient de mourir. On a découvert son corps, renversé par une voiture alors qu’elle marchait vers chez elle en pleine nuit. On devrait plutôt dire qu’elle a été écrasée par une voiture, tant celle-ci s’est acharné sur elle, lui passant et repassant plusieurs fois dessus. D’ailleurs, Meyer n’arrive même pas à reconnaître sa sœur à la morgue.

Le lieutenant Aurélie Costa est en charge de cette affaire et reçoit Meyer, qu’elle ressent comme un personnage énigmatique et sans émotions. Elle est de la même façon étonnée de son absence de réactions devant le corps en charpie qu’elle lui présente à la morgue. Revenue dans son bureau, elle est bien obligée de lui avouer qu’elle n’a pas la moindre piste concernant ce qui doit être considéré comme un assassinat.

Apparemment, les habits du corps et les papiers correspondent bien à la sœur de Meyer. Meyer demande l’autorisation de visiter l’appartement de sa sœur. Et il n’y trouve là-bas aucun signe de personnalisation : il est quasiment vide, il n’y aucune photo, aucun ordinateur. De même, il n’y a rien dans la salle de bains, comme si personne n’y avait habité, ou que tout avait été soigneusement nettoyé.

Il y a un côté classique dans ce roman. Bien que l’intrigue suive deux personnages en parallèle, le roman démarre avec un mystère brouillardeux et continue comme cela jusqu’à son dénouement. Gilles Vidal n’étant pas un auteur débutant, ce roman est d’une maîtrise parfaite et l’auteur nous mène où il veut, en nous prenant par la main.

Il y a un côté fascinant dans l’écriture de Gilles Vidal, une façon remarquable de construire ses scènes sans être démonstratif, une manière particulière de bâtir la psychologie de ses personnages sans en dire trop. De cette écriture à la fois abstraite et visuelle, on a l’impression que le mystère de l’intrigue se complète par des personnages complexes, que l’on va chercher à comprendre sans jamais y arriver tout à fait.

Il y a un côté entêtant dans cette lecture, car Gilles Vidal nous oblige à continuer la lecture. Il nous donne au compte-gouttes les indices, nous assène parfois des scènes (dont une violente) que l’on a du mal à rattacher au reste avant de reconstruire petit à petit le panorama. Et même là, on ne découvre l’ensemble de l’histoire qu’à la toute fin du roman.

Il y a un côté hypnotique dans cette lecture, car le style, fait de légèreté et de simplicité est l’un de ses meilleurs atouts. C’est probablement un des romans de Gilles Vidal les plus abordables (par rapport à certains autres) mais c’est aussi le plus ludique comme un jeu de pistes et l’un des plus agréables à lire. Et enfin, quand on termine ce roman, on en sort heureux, heureux d’avoir lu un roman pas comme les autres et extraordinairement agencé.

Le vase rose d’Eric Oliva

Editeur : Taurnada

Parfois, je me demande pourquoi les éditeurs inscrivent Thriller sur leur couverture, sauf à attirer le regard du futur lecteur. Joël des éditions Taurnada m’a contacté et ma première réaction a été dubitative justement à cause de ce terme qui ma fait penser à une énième histoire de tueur en série avec des litres d’hémoglobine à la clé … enfin, à chaque page tournée. J’ai fait confiance à Joël … et j’ai eu raison. Le vase rose est un excellent polar.

Je ne connaissais pas Eric Oliva, ni sa plume, mais je ne peux dire qu’une chose : merci d’avoir écrit ce livre. Ce roman a pour lui une vraie recherche d’efficacité, comme le démontre le premier chapitre qui nous met directement dans le sujet. Et c’est bien ce premier chapitre, qui est dur, mais qui nous plonge dans cette histoire horrible. On tourne donc cette couverture mystérieuse, ce titre enchanteur de conte de fée et …

Frédéric Caussois a tout pour être heureux. Son travail de chef d’entreprise marche bien, sa femme Luan a une bonne place dans la communication. Leur fils Tao est un ange. Ce soir-là, Luan est retenue en réunion et Frédéric arrive au dernier moment à la garderie pour récupérer Tao. Il est aussi obligé de passer par la pharmacie récupérer des médicaments pour Tao, qui est sujet à des allergies rares et peut enfin démarrer sa fin de journée.

Frédéric prépare donc le repas du soir, ils mangent puis Tao rejoint sa chambre. Puis, Frédéric donne son médicament à son fils. Il tient absolument à lire une histoire à Tao tous les soirs, et ce soir, c’est Le vase rose. Soudain, Tao est pris de convulsions, il étouffe. Frédéric appelle à l’aide Luan, qui ne l’entend pas car elle est dans le garage. Après quelques minutes, il ne lui reste que le petit corps sans vie entre ses bras.

Sa vie s’effondre, à tel point qu’il devient un mort-vivant. Les gendarmes font leur travail, mais l’interrogatoire ne donne rien, évidemment. Frédéric va délaisser son entreprise, et Luan va prendre du recul et quitter le domicile conjugal. En lui, il ne restera qu’une seule question : Pourquoi ? Alors qu’il est accoudé dans un bar, il rencontre par hasard la préparatrice de la pharmacie.

Ce premier chapitre est terrible, en ce qu’il évite les aspects larmoyants de l’histoire pour adopter une attitude factuelle, presque froide. Et c’est d’autant plus marquant. En tous cas, on plonge directement la tête dans l’eau froide. Ensuite on entre dans l’enquête proprement dire, à la croisée du polar, du roman policier et du roman psychologique. Et dans ces cas-là, je suis exigent, très exigent.

Concernant l’intrigue, et même la fin, je dois dire que j’ai été surpris par la maîtrise. Et quand je vois que c’est le cinquième roman de l’auteur, je dois reconnaître qu’il y a une vraie volonté de coller à une certaine réalité. Frédéric n’est pas une copie de Bruce Willis, c’est un homme comme tout le monde qui veut aller au bout des choses qu’il entreprend. Et c’est une des grandes réussites de ce roman.

Mais il en est une autre que je voulais aborder, c’est l’aspect psychologique du personnage. Des auteurs auraient créé un personnage enquêteur amoncelant les indices et trouvant le dénouement grâce à son esprit de déduction. Ici, Frédéric va avancer grâce à des personnes rencontrées par hasard et avancer dans le noir, la plupart du temps. De même, l’aspect psychologique est très bien fait : on y voit un homme brisé qui se relève, qui a des moments de volonté incroyables mais aussi des moments de doute, des faiblesses qui le poussent presque à tout abandonner. C’est un personnage avec le moral en dents de scie, et c’est écrit d’une façon à la fois très réaliste et c’est remarquablement bien réussie.

C’est réellement une excellente surprise à propos de laquelle j’espère vous avoir donné envie de le lire. Car c’est un très bon polar, qui mérite d’être plus connu. Et sous ce titre enchanteur, il y a un polar avec un personnage que vous n’oublierez pas.

Ne ratez pas les avis de Fanny chez Geneviève et de Pauline

L’homme noir de Luca Poldelmengo (Rivages Noir)

Voici un nouvel auteur italien à découvrir. En plus, il s’agit d’un roman inédit en France, édité directement en format poche. L’occasion de découvrir un nouveau style à moindre cout.

Quatrième de couverture :

Fabiana, directrice d’un hôtel à Rome, roule en scooter sur une petite route de campagne lorsqu’elle est heurtée de plein fouet par une Punto conduite par un dénommé Filippo, manifestement en état d’ivresse avancée. L’accident se produit sous les yeux d’Alida, une enfant Rom de 10 ans. Il se trouve que Fabiana était la soeur de Marco, inspecteur de police sans gloire qui rêve de fuir le monde sur l’île de Pâques. Voulant prouver à son père, haut placé dans la hiérarchie policière, qu’il est capable de faire la lumière sur ce qui se révèle être un crime, Marco mène l’enquête…

Mon avis :

D’un fait divers banal, un accident frontal entre un scooter et une voiture, lauteur en profite pour nous montrer deux vies, deux hommes. L’un, Filippo, est chargé de famille et vient de perdre son travail. Pour trouver de l’argent, il décide de devenir dealer de rue. De cette petite délinquance, il va petit à petit s’enfoncer. L’autre, Marco, est un simple policier de la route. Il voue un culte sans limites à sa sœur qui a réussi dans sa vie. Peut-être est-ce du au fait qu’elle s’est éloignée de la famille, du père …

Nous allons voir ces deux hommes avant, pendant et après l’accident. Et tout est bien fait, pas formidable, mais mené de façon efficace, avec des phrases courtes et des chapitres ultra-courts. Ce va-et-vient nous montre un certain pan de la société, chacun du coté de la ligne blanche, qui sépare les bons des gentils, les hors-la-loi des policiers. Et que l’on soit d’un coté ou de l’autre, on trouve les mêmes ratés, les mêmes écorchés parce que, au bout du compte, il n’y a que des hommes.

J’ai l’impression que cet auteur a beaucoup de choses à dire, qu’il les dit bien, et que ce roman n’est que la naissance d’un auteur en devenir, qui sait montrer la vie des gens en Italie. C’est un roman très intéressant. A suivre …

Les harmoniques de Marcus Malte (Gallimard)

Voici donc le dernier roman noir de Marcus Malte en date. Et pour qui a lu Garden of love, cette lecture est forcément indispensable. Cette fois ci, il nous donne à lire un roman plus classique mais toujours écrit avec tant de classe.

Vera Nad était une jeune Yougoslave de 26 ans. Etait car son corps a été retrouvé carbonisé dans un hangar. Deux jeunes ont été arrêtés et ont avoué le meurtre. L’affaire est donc classée comme un règlement de comptes entre bandes rivales dealant de la drogue. En apparence, tout cela n’est rien d’autre qu’un banal fait divers comme il y en a tant dans les journaux.

Mister et Bob sont deux amis inséparables, à la vie, à la mort. Mister est pianiste de jazz dans un petit club Le Dauphin Vert, Bob est conducteur de taxi dans une 404 fondu de jazz. Mister connaît Vera car elle venait écouter des morceaux de jazz dans le club où il joue, ils ont échangé quelques mots, et la thèse officielle de la police ne colle pas avec le portrait qu’il se faisait de la jeune femme.

Mister, contre l’avis de son ami Bob, va donc voir au club de théâtre, où Vera prenait des cours. Le professeur, Madeleine Stein ne peut ou ne veut pas en dire plus sur Vera. Mais Mister rencontre là-bas une autre comédienne qui l’a très peu connue. Par contre, elle le met sur la piste d’une galerie d’art, où sont présentés 12 tableaux sur lesquels est peinte Vera nue. La seule piste de Mister réside donc dans le peintre dont il a récupéré le nom : Josef Kristi. Celui-ci accepte de les recevoir dans son château de Neauphle-le-Château.

Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par un coup de gueule : Mais qu’est-ce que c’est que cette couverture ? Que le fond soit noir, je veux bien, mais cette couleur jaune !!! A ce niveau là, ce n’est plus une faute de goût, c’est une faute professionnelle. On pourra toujours argumenter que nos deux héros sont passionnés de jazz, je ne bougerai de mon opinion que ce disque jaune est à vomir. Voilà, c’est fait et ça fait du bien !

Ce roman est très sympathique, à l’image de nos héros, deux justiciers n’ayant rien à perdre ni à gagner, et ne cherchant qu’à trouver la vérité : Bob chauffeur de taxi qui est la personne raisonnable du couple avec les pieds sur terre et Mister pianiste qui est le rêveur utopique. Nos deux comparses vont pédaler dans la semoule, vont nager dans la boue pour, au bout du compte perdre un peu plus les illusions qui les aidaient à rêver mais sûrement pas à vivre.

Si le roman repose entièrement sur eux, il ne faut pas oublier l’intrigue, fort bien menée, qui nous plonge dans tout ce que ce monde peut trouver de dégueulasse. Si certains indices tombent du ciel, et font avancer l’ensemble, j’ai lu ce livre rapidement et avec beaucoup de plaisir. Et Marcus Malte nous décrit une belle brochette de pourris, entre mercenaires et politiques, pour nous montrer ces horreurs perpétrées par ces horribles personnages avec suffisamment de tact pour ne pas arriver à la conclusion bateau : « tous des pourris ! » ou « la guerre, c’est pas bien !».

Le message passe bien grâce aussi au talent de Marcus Malte. Le style est fluide, très agréable à lire, le rythme est lent, les phrases mélodiques et cet ensemble fait penser à une ambiance jazzy (bien que je n’y connaisse pas grand-chose). Certains passages sont même empreints de poésie, surtout ceux qui décrivent la mer (au début) ou la nuit à Paris. J’ai aussi particulièrement apprécié les chapitres consacrés à Vera ainsi que l’absence de violence dans la narration alors que l’intrigue reste prenante du début à la fin.

Le seul bémol qui m’empêche de mettre un coup de cœur pour ce roman est d’avoir eu l’impression d’avoir une intrigue aidée par moments par des petits coups de pouce pas forcément justifiés. Ceci dit, c’est un livre que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, sans jamais m’ennuyer et qui est d’un très bon niveau. Mais c’est quand même du Marcus Malte, alors c’est normal, mais Garden of Love m’a paru meilleur.