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Le blues des phalènes de Valentine Imhof

Editeur : Rouergue

Attention, Coup de Cœur !

Après Par les rafales et Zippo, voici le troisième roman de cette auteure au style si personnel. A l’instar des deux premiers, Le blues des phalènes va vous surprendre, empoigner vos tripes et les tordre dans et pour un élan d’humanité.

1935 – Milton. Il s’est exilé au milieu des montagnes, caché aux yeux du monde dans une mine désaffectée. Parce qu’on lui a refusé de faire des études d’art, il est parti, a tourné le dos à la civilisation, a tout laissé derrière lui, jusqu’à son identité, loin du bruit et du rythme du monde. Seul un morceau de métal planté dans sa jambe, souvenir d’une guerre passée, parvient à le maintenir sur la terre. C’est un son qui va le mettre aux aguets, le signe que quelqu’un approche …

1933 – Arthur. Quand il était jeune, Arthur collectionnait les bêtes mortes. Contre l’avis de son père, il s’est engagé dans l’armée. Sa mère Mary a fait une croix sur lui, jusqu’à ce qu’elle reçoive un télégramme lui annonçant qu’elle devait recueillir une jeune femme, au moment où l’explosion d’Halifax faisait des milliers de morts. Puis, il a disparu, veilleur de nuit et avide de pilules contre la douleur le jour. Pendant l’exposition universelle de Chicago, les affiches vantant le Troisième Reich trouvent un écho favorable parmi la population.

1931 – Pekka et Nathan. Bobbie est devenu violent envers Pekka et les gosses. Quand elle rentre un soir, elle le voit à terre, assommé par une bûche, vraisemblablement par Nathan qui est parti. Alors, elle tape encore et encore, jusqu’à ce que la tête ne soit plus qu’une bouillie rouge. Alors que Nathan va arpenter les routes pour trouver du travail et rencontrer Steve, une image paternelle qui remplace celle qui lui manque, Pekka part et change de nom comme de lieu.

Je ne m’attendais pas du tout à un roman de cette envergure, qui prend pour cadre les Etats-Unis mais surtout parle d’hommes et de femmes. Je ne m’attendais pas à vivre si loin, si fort la vie de ces quatre personnages, présentés longuement dans une première partie, représentant les témoins de l’évolution humaine dans le monde « moderne » et leur capacité d’adaptation à survivre. Je ne m’attendais pas à en apprendre autant, sur des événements historiques et sur la nature de l’Homme.

Après avoir présenté les quatre personnages centraux de ce roman, tous centraux, Valentine Imhof revient en arrière, en 1917, lors de l’explosion d’Halifax, la plus puissante explosion causée par l’Homme avant les bombes atomiques, qui a occasionné plusieurs milliers de morts. Cet événement va agir comme un cyclone pour nos quatre personnages et les expulser à travers le monde, chacun réagissant avec sa propre méthode, sa propre façon de s’adapter à un futur incertain. Tous présents à Hallifax, ils vont être expulsés à travers le monde.

Que ce soient Milton, Nathan, Pekka ou Arthur, ils font tous partie de la classe populaire, amenés à arpenter les routes à la recherche de travail pour se nourrir. Ils vont tous vivre dans des lieux glauques, chacun trouvant une lumière pour continuer à vivre. Et aussi dure que soit leur vie, ils vont nous montrer, nous apprendre à vivre, dans des situations aussi inhumaines que formidablement décrites. Valentine Imhof atteint dans ces moments des sommets d’évocation, semblant véritablement envoutée par son sujet.

On ressent une véritable passion dans ces scènes, une véritable tendresse pour ces personnages, un véritable talent de peintre, pour nous faire vivre cette époque. Car ce que Valentine Imhof nous dit, à travers cette fresque, ce qu’elle nous montre, c’est la capacité d’adaptation de l’Homme face aux pires situations que l’on puisse imaginer, mais qu’au final, rien ne change. Prenant comme exemple quatre laissés pour compte, quatre abandonnés du Rêve Américain, elle nous montre que, nés pauvres, ils mourront pauvres.

A travers ces pauvres gens, obligés de se tuer à la tâche, de vendre leur corps pour survivre, elle nous montre comment la société cherche à les masquer, à créer des artifices tels que l’exposition universelle de Chicago ou les Têtes du Mont Rushmore pour qu’on ne les voie pas. Et quand ils se rebellent, l’armée tire dans le tas. Et quand une catastrophe arrive, mettant en garde l’Humanité, les délaissés restent délaissés, les pauvres pauvres, les exploités exploités. Et l’espoir d’une vie meilleure apparait comme une chimère illusoire. Rien ne change.

Tout à tour expressive, empreinte de poésie, introspective ou descriptive, la plume de Valentine Imhof se glisse dans la peau de ses personnages, et nous immerge dans une autre époque qui rappelle certaines situations actuelles. Et quand elle les laisse parler, ces Arthur, ces Pekka, ces Nathan, on ressent toute sa rage, devant cette incapacité de cette société à tirer les leçons de ses erreurs passées, à chercher à améliorer la situation, juste à se battre pour un peu plus d’Humanité. Autant par ses personnages que par ses scènes hallucinantes, ce roman ambitieux et universel fait partie des lectures immanquables de ce début d’année.

Coup de cœur !

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Les lucioles de Jan Thirion

Editeur : Editions Lajouanie

Ce billet, s’il présente mon avis sur cet excellent polar, se veut aussi un hommage à Jan Thirion, qui a eu la mauvaise idée de nous abandonner le 2 mars 2016, alors que j’aurais tellement aimé parler avec lui de son roman, de ce sujet et de son choix dans la narration. Car Jan Thirion a décidé de faire parler un jeune garçon de 13 ans. Et il est bien difficile d’arriver à une simplicité de vocabulaire, une naïveté telle que l’on croit au personnage. C’est une franche réussite du début à la fin.

Il y fait bon vivre, à Lanormale-Les-Ponts. Tyrone Bradoux est un jeune garçon de 13 ans. Mais depuis qu’il a 7 ans, il a arrêté de grandir. Il a aussi arrêté de parler ou d’entendre. En effet, ce jour là, sa maman s’en est allée très loin. Ils ont eu beaucoup de peine, son père et lui. Et il a arrêté de parler et d’entendre. Son père l’a bien emmené voir tous les spécialistes mais chacun s’accorde à dire qu’il n’y a aucune raison pour que Tyrone ne parle ni n’entende pas. Tyrone est bien seul, alors il se console avec son chien Biscoto. Son père s’est remarié avec Chloé qui l’aime bien. Même ses deux enfants, Edgar et Saskia, sont gentils avec lui. Tyrone y a donc gagné un frère et une sœur.

Un nouveau parti politique, Les lucioles fait son apparition. Son emblème est le noir avec des points blancs. Il organise des fêtes et les gens des lucioles sont très gentils, offrant des bonbons et des ballons aux enfants. Puis, Les Lucioles se présentent aux élections, gagnent le pouvoir au niveau national … et Tyrone observe et nous décrit comment la société commence à changer.

La difficulté dans ce genre de narration, c’est-à-dire faire parler un enfant, est d’accrocher le lecteur dès le début du roman, et de savoir revenir à une logique simple et enfantine. Un enfant ne juge pas, il observe et interprète ce qu’il voit, entend ou vit, en fonction de quelques règles dont la principale est probablement de faire une confiance aveugle à ses parents. Et comme il sait que ses parents ne lui disent pas tout, il interprète aussi leurs réactions, leurs mimiques.

De ce point de vue là, ce roman est une franche réussite, car dès le départ, on entre dans le monde silencieux de Tyrone, et on le suit avec plaisir et avec sympathie. Et si le début peut prêter à sourire, la suite nous fait vite grincer des dents avant que nous basculions dans l’horreur, petit à petit mais inéluctablement. Et le fait que Tyrone nous décrive ce qui lui arrive avec tant de détachement, en ne restant finalement qu’un témoin de la folie des grands, est d’autant plus marquant pour nous qui assistons impuissants à ce qu’il faut bien appeler une véritable descente aux enfers.

Ce qui fait froid dans le dos, c’est cette logique dans ce qui est décrit, ce glissement vers un bouleversement de société qui vise à contrôler ses citoyens jusqu’à justifier que, pour leur bien, il faut leur dire quoi faire et supprimer leur liberté de faire, de dire, de penser. Et rien que pour ce message là, ce roman s’avère indispensable, un passage obligé pour toute personne sensée qui est abreuvée d’informations et qui ne comprend plus ce qui se passe. D’ailleurs, cela va même plus loin : A travers le regard de Tyrone, on se rend compte que nous, adultes, ne sommes même plus capables de voir les évidences que Tyrone nous montre. Et c’est écrit avec une telle simplicité, une telle évidence que cela parait évident.

A une époque où on préfère utiliser le 49-3 plutôt que le referendum, à une époque on porte aux nues des jeunes gens érigés au rang de star fiers d’étaler leur inculture dans tous les domaines, à une époque où on prône le « c’est pour votre bien » ou le « vous en avez rêvé, Machin l’a fait pour vous », ce roman est comme un joyau qui va vous ramener au stade de l’être humain : il va vous faire réfléchir. En tous cas, c’est une lecture importante, obligatoire avant les échéances électorales qui approchent. M.Jan Thirion, vous avez créé un livre important et je souhaite qu’il ne finisse jamais dans un autodafé comme vous le racontez si bien, mais que plein de gens l’achète et le lise.

Sur la quatrième de couverture, il est annoncé de 10 à 110 ans. Je pense plutôt qu’on peut le lire à partir de 15 ans. Pardon, que tout le monde doit le lire à partir de 15 ans.

La France tranquille de Olivier Bordaçarre (Fayard noir)

 

France tranquille

Quid de ce roman, qui fait partie de la rentrée littéraire noire de Fayard ? Un sujet bien noir, cynique sur la vie provinciale en proie aux affres d’un tueur en série, voilà de quoi allécher tout amateur de roman noir.

Nogent-les-chartreux a tout d’une ville de province paisible où il fait bon vivre. Il y a les petits commerces du centre ville, les usines qui permettent d’employer les ouvriers, les cités du quartier du Bas qui regroupent les pauvres, et les maisons bourgeoises qui abritent les … bourgeois. Bref, vraiment, c’est une vie somme toute classique qui coule comme un ruisseau sans remous.

La gendarmerie est sous la direction du commandant Paul Garand et est composée d’une cinquantaine d’hommes. Garand arbore une bonne cinquantaine d’années, est divorcé de Nadine mais doit s’occuper de son fils Gregory. Se laissant aller depuis le départ de sa femme pour un docteur parisien, il accuse plus d’un quintal sur la balance. Fainéant, aimant le calme, il aspire, à l’image de sa ville, à une tranquillité qui lui permet d’aller pêcher la carpe.

Alors qu’il est prêt pour sa partie de pêche, on lui signale un corps étranglé et brulé. Aucun autre indice ne permet d’aiguiller les gendarmes si ce n’est une indication : « SUGET 0 » avec une belle faute d’orthographe. Quand les cadavres continuent à s’accumuler dans les trois mois qui suivent, la ville devient folle et ressortent des tentations sécuritaires et extrémistes qui vont dérégler cette petite ville paisible de province.

Je serais tenté de dire que ce roman est un bijou de peinture d’une ville de province, avec ses petits on-dit, ses faibles, ses lâches, ses discussions de bistrot, ses honnêtes, ses malhonnêtes, tout un petit microcosme qui vit protégé de la grande délinquance de la ville, et qui s’adapte aux nouvelles règles du libéralisme actuel. Les usines ferment, les négociations syndicats patrons n’en ont que le nom, les gens s’enferment chez eux devant la télévision, les petits commerces ferment …

Quand tout va bien, l’équilibre est maintenu. Quand un caillou se glisse dans les rouages, l’homme redevient un loup pour l’homme, on cherche les coupables, on installe des caméras de surveillance, on fait venir l’armée, on met au pilori ceux d’en Bas, qui ne travaillent pas et donc sont des voleurs voire des assassins. Par cet aspect là, qui est traité avec beaucoup de cynisme, ce roman est une vraie réussite, et les dialogues une réelle bénédiction.

C’est aussi parce que le personnage central (plutôt que principal) est quelqu’un de désabusé, détaché qu’il va réussir à garder son calme, et trouver la solution d’une énigme à laquelle les autres, des commerçants aux policiers, des commerçants aux politiques, n’auraient pas pensé, plus occupés qu’ils sont à sauver leur petite image, leur petite vie, leurs petits avantages.

Je dois dire que, au début du roman, j’ai eu du mal, tant le style de l’auteur allie un cynisme de bon aloi avec une méchanceté et une agressivité pas forcément utile. C’est du moins ce que j’ai ressenti à cette lecture, avant de me faire emporter par cette histoire qui peut paraître absurde mais qui tient par la force de ses personnages et les situations décrites.

Vous voulez du noir, du tristement comique, du révoltant, voir la société par l’autre bout de la lorgnette comme l’aurait fait un Desproges, alors ce livre est pour vous. Car, Olivier Bordaçarre veut nous faire réfléchir, en prenant un peu de hauteur à notre vie de tous les jours. Cette ville paisible peut aisément être transposable à un pays tout entier, et tout le monde y passe. Il n’y a pas de héros ici, mais y en a-t-il dans la vraie vie ? Honnêtement, il serait bien dommage de ne pas lire ce livre car vous passeriez à coté d’une partie de rigolade bien jaune et grinçante.

D’ailleurs, mon ami Bruno a adoré et L’ami Claude le recommande fortement, sans oublier l’ami Yan. Que vous faut il de plus ?