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Dehors les chiens de Michaël Mention

Editeur : 10/18

Michaël Mention n’arrête pas de nous surprendre. Cet auteur que j’affectionne particulièrement s’essaie à tous les genres tout en ne sacrifiant pas son style personnel. Derrière ce Western dans la plus pure tradition se cache autant de thèmes contemporains qu’une formidable ambiance désertique d’un monde qui se créée.

2 juin 1886, Caroline du Nord. Brad O’Herlihy, colporteur, conduit son charriot sous un soleil de plomb. Il aperçoit une silhouette au loin, puis entend le galop d’un cheval, un appaloosa. Méfiant, il sort son fusil et enlève le cran de sureté. L’homme lui demande un bijou, pour un cadeau. Ils font affaire autour d’une broche, mais quand le cavalier lui donne de l’argent, il le braque avec son revolver. L’homme se nomme Crimson Dyke, agent secret au service du gouvernement, chargé de traquer les faux-monnayeurs. Crimson attache Brad à son cheval pour l’emmener à un juge à Gold Creek.

Ils parcourent des plaines désertiques pendant des jours et des jours, Brad à pied, Crimson monté sur Butch, avant d’arriver à Gold Creek. Crimson dépose Brad auprès du Marshal, en l’absence du Sheriff. Crimson repart à la recherche de son prochain trafiquant, après avoir biffé le nom de Brad, et passe devant ce projet fou de créer une ligne de chemin de fer traversant les Etats-Unis vers la Californie, pleine de promesses d’Or.

Arrivée à Providence avec un autre trafiquant. L’accueil est froid, armé aussi. Les armes sont prohibées et le sheriff George Kowalski et son adjoint Clarke y veillent. Crimson entre au bar, où les clients le regardent comme un étranger, comme une menace. Il prend une chambre, en profite pour se laver et aperçoit une belle jeune femme. Dorothy est institutrice et va de ville en ville pour enseigner aux élèves les rudiments de la lecture. Crimson, lui, ouvre Richard III, allongé sur son lit.

Michaël Mention est un touche à tout. N’abandonnant pas son style à la fois direct et imagé, il nous partage sa vision du Far-West, avec un souci de réalisme loin des fantasmes que nous montrent les films. Doté d’une documentation impressionnante mais sans faire le professeur hautain, l’auteur nous peint des paysages vides, des villes espacées de plusieurs jours de randonnée à cheval, les folies des hommes et le malheur des femmes, le silence tout juste troublé par le galop de voyageurs.

Crimson Dyke nous est présenté comme un homme droit, dont le but est de faire respecter la loi, mal payé et solitaire. Il rencontre les habitants de ces recoins perdus où la loi est celle du plus fort, du plus rapide à dégainer. Ce mélange d’hommes et de nature fonctionne à merveille, aidé en cela par un nombre incalculable de scènes marquantes, qui vont dérouler une intrigue magnifiquement menée.

Le Western en tant que genre n’est pas mon préféré, et pourtant, j’y ai trouvé ce que j’aime dans les films de Sergio Leone, ce petit plus de crasse qui fait la différence par sa volonté de toucher à une véracité historique. Et puis, on y trouve des personnages fantastiques, en particulier les Seasons Brothers, quatre assassins qui arpentent les villes pour éliminer les gênants et remplir les contrats qu’on leur a passés.

Sur la première page, on peut lire « Les errances de Crimson Dyke I ». Quelle joie de se dire qu’on aura droit à une suite ! car au-delà de cette histoire, Michaël Mention parle des thèmes qui lui sont chers, l’humanité telle qu’elle se construit, avec ses bons cotés et ses erreurs, ses crimes aussi, sur des sujets malheureusement encore contemporains. Avec cette première aventure foisonnante, il inaugure une série qu’il a écrite avec beaucoup de plaisir, que l’on partage sans aucune réticence. Vivement la suite !

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Un truand peut en cacher un autre de Samuel Sutra

Editeur : Flamant Noir

Il s’agit déjà de la sixième aventure de Tonton et je ne m’en lasse pas. Un Tonton en appelant un autre, Samuel Sutra nous ramène aux origine de ce ponte de la truande, un certain 10 mai 1981 pour une arnaque de haute volée.

Le roman commence début mai 1981, à Saint Maur, dans la propriété des Duçon (n’oubliez pas la cédille). Edmond Duçon a abandonné le milieu de la truande et commence même à perdre la tête ; c’est pour cette raison qu’il s’adonne au bricolage ou à balancer de la chevrotine aux canards qui parcourent sa mare. Lucette sa femme prépare son quintal de purée destiné à son fils Aimé, dit Tonton. Aimé annonce à sa mère qu’il ne mangera pas à la maison, car il a une arnaque sur le feu.

Aimé, la petite quarantaine galopante, affublé d’un front trop grand comme le désert de Gobie l’est des oasis, rêve de suivre son père dans sa carrière, de relever le challenge de dépasser sa réputation. Tonton veut être le plus grand, le meilleur, le point de repère indispensable de la truande. Avant de sortir, Aimé reçoit le conseil avisé de sa mère aimante : ne va pas prendre froid, traduisez : n’oublie pas ton calibre.

Un taxi l’attend dans la cour cailloutée auquel il lui demande de l’emmener rue Cambon, proche de la place de la Madeleine. Tonton monte les six étages en un temps record (deux heures) et un bruit effarant d’un bœuf qui a couru vers son auge. Il y retrouve son complice de toujours, Mamour, accordeur de pianos dans le civil, et aveugle dans le privé. Ton lui détaille son plan infaillible (comme les autres) : déposer un colis dans le coffre de Durrens le graveur puis voler l’usine de Longues, tout cela en une nuit. Pendant ce temps-là, Tonton se fera embastiller.

Samuel Sutra nous offre à nouveau une nouvelle aventure comique exemplaire de Tonton, dans laquelle le mot d’ordre est de se marrer. Il démontre que l’on peut allier un style littéraire à une intrigue formidablement construite, tout en y ajoutant le décalage et la dérision nécessaires pour que l’on puisse rire à chaque page. Et cela donne une histoire irrésistible qu’il faut que vous ne ratiez sous aucun prétexte.

Samuel Sutra utilise tous les codes de la comédie et toutes ses recettes : des personnages hilarants, des descriptions décalées, des bons mots qui pourraient remplir des dictionnaires de citations et des scènes d’un burlesque digne des Marx Brothers. Cela pourrait sombrer dans le ridicule, et il n’en est rien tant les scènes sont d’un réalisme tel qu’on pourrait croire que cela a existé.

Car rappelons-nous : Le 10 mai 1981, ils étaient deux à concourir pour le titre de Meilleur Truand de l’Univers. Samuel Sutra nous offre l’émancipation du Dieu français du casse génialement raté, la naissance d’un génie du Mal gâché. Quasiment toutes les scènes sont inoubliables, d’une drôlerie féroce, telles le diner au Maxim’s, le recrutement de la fine équipe (excellentissime chapitre 9) ou même le casse lui-même avec la grue. Et je n’oublie pas la chute avec le dévoilement du mystérieux concurrent en la personne de l’Epervier. Indubitablement (j’aime bien ce mot, ça fait sérieux !), cet épisode des aventures ratées de Tonton est à ne pas rater, contrairement aux exactions du sus (et non suce) nommé.