Archives du mot-clé Folie

Le jour des fous de Stéphane Keller

Editeur : Toucan Noir

Alors qu’il nous avait habitué à des polars racontant l’histoire contemporaine des années 50 aux années 80, dans Rouge parallèle, Telstar et L’affaire Silling, Stéphane Keller nous invite à un saut dans le futur en 2035, un voyage qui fait froid dans le dos.

Depuis 2033, la France a basculé dans la VIIème république, un régime presque dictatorial, fortement fascisant. L’Euro est oublié et a fait place au Franc Républicain. La moindre faute entraine la suppression des droits nationaux dont la carte d’identité bleue qui donne droits à des avantages sociaux. Le programme scolaire a été remodelé, avec la suppression des règles d’orthographe, de l’histoire, la géographie, la philosophie, le latin et le grec. Les médiathèques sont fermées, les livres et journaux interdits. Tout propos sexiste ou homophobe entraine une inscription sur le casier judiciaire. Les voyages à l’étranger sont prohibés à cause de l’empreinte carbone. Enfin, les effectifs de la police sont triplés et les criminels enfermés dans des cités surveillées par des gardes armés.

Le 17 avril 2035, Alexeï Ignatiev, premier violon à l’orchestre national de Paris étrangle un mendiant dans le métro. Le même jour, Mélanie Ribeiro, affublée d’un poids excessif, poignarde plusieurs personnes sur son lieu de travail. Au bois de Boulogne, un promeneur frappe à mort et noie un garçon qui l’a insulté. Porte de la Chapelle, un vieil homme déclenche une fusillade dans un bus, balayant plusieurs passagers. A Clichy, Kamel, ex-espoir raté du football devenu grutier, assassine toute sa famille.

Les journaux télévisés avaient débordé d’imagination pour nommer cette journée Le jour des fous. Krikor Sarafian, qui vient d’être nommé capitaine premier échelon de la brigade criminelle, est un être violent qui convient bien à cette époque. Il va hériter de l’affaire d’Alexeï Ignatiev et devra faire équipe avec une aspirante enquêtrice Illinka Bazevic. Il n’a aucune idée de l’engrenage dans lequel il vient de glisser un bras.

Le roman commence par nous présenter la Nouvelle Société Française puis le personnage de Krikor Sarafian. Et on le déteste, ce personnage de flic ultra-violent, du genre à tirer avant d’interroger, et de tuer pour tuer. Puis l’auteur forme le couple du vieux et de la jeune et on se dit naturellement que l’on a déjà lu ce genre de polar, qu’il soit situé aujourd’hui ou dans le passé ou dans le futur.

ERREUR !

Je suis sincèrement persuadé que l’auteur a voulu de début, a fait le pari qu’on accepterait de la suivre au-delà du deuxième chapitre. Et effectivement, il déroule son intrigue de façon tout à fait classique mais en y introduisant différents aspects sociétaux, sans en rajouter outre mesure. On citera pêle-mêle le fossé entre les riches et les pauvres, la nuisance des chaines d’information en continu, la déprime généralisée, la façon inhumaine de traiter les délinquants petits ou grands, la lutte contre l’homophobie qui est devenue une guerre Hommes contre Femmes, les hommes politiques peints comme des comédiens, l’insoutenable chaleur de la canicule omniprésente …

Et on se régale de petites phrases telles celle-ci : « La farce était toujours risible ou détestable, il en avait toujours été ainsi car l’homme ne savait que corrompre ce qu’il touchait, il changeait l’or en plomb, ses mains ne savaient que souiller et flétrir ».

Et plus on avance dans le roman, plus on est pris par le paysage qui y est décrit. Stéphane Keller a pris une photographie de notre monde d’aujourd’hui, et l’a déformé pour imaginer demain, en forme de cauchemar. Au niveau de l’intrigue, il la mène de main de maitre, et nous fait aller dans des directions inattendues, et il nous concocte même une fin bien noire qui nous démontre qu’il s’est bien amusé à écrire ce livre et que surtout, et c’est le plus important, on ressent qu’il y a mis sa passion, sa volonté de passer son message. Un excellent roman à ne pas rater.

Publicité

Défaillances de BA.Paris

Editeur : Hugo & Cie

Traducteur : Vincent Guilluy

Son premier roman, Derrière les portes, a fait beaucoup de bruit de ce coté-ci de la Manche, comme chez nos amis anglo-saxons. Derrière les portes s’avérait un thriller psychologique au scénario rondement construit, et dont le style simple participait à l’immersion du lecteur dans la peau de cette pauvre femme malmenée par un mari sans pitié.

Cassandra est professeur d’histoire au collège de Castle Height. En ce 17 juillet, elle termine ses cours et sort un peu tard après une petite fête avec ses collègues. Quand elle sort, il tombe des cordes et elle téléphone à son mari Matthew pour qu’il ne s’inquiète pas. Elle décide de prendre un raccourci qui passe par la forêt. Elle passe devant un petit parking et aperçoit une voiture garée et la tête blonde de la conductrice. Elle s’arrête, se disant que si elle a besoin d’aide, elle la rejoindra. Mais après 5 minutes d’attente, elle décide de reprendre sa route.

Le lendemain matin, son mari va mieux, sa migraine de la veille a disparu. Il lui amène même son petit déjeuner au lit. La télévision annonce qu’une femme a été retrouvée sauvagement assassinée dans la forêt. Soudain, elle se rappelle le visage qu’elle a entre-aperçu, et se rend compte que, non seulement elle connait la victime, mais en plus qu’elle ne l’a pas aidée.

Elle va essayer d’assumer sa culpabilité, gardant pour elle les détails de cette soirée, puisque personne ne sait qu’elle a pris ce raccourci. Mais elle va petit à petit craquer, d’autant plus que des coups de fils mystérieux commencent à la harceler. Et puis, elle va se rendre compte qu’elle oublie des choses, des actes, des phrases et cela augmente sa peur de finir comme sa mère qui fut atteinte d’une sénilité précoce, dès l’âge de 44 ans.

Ce deuxième roman est à la fois pareil et différent de son premier. Dans les deux cas, j’ai retrouvé le talent de cette jeune auteure de prendre le lecteur par la main et de l’emmener exactement là où elle veut. On entre dans le vif du sujet très rapidement, car en deux chapitres, le contexte est posé, les personnages placés et on attaque l’histoire. Si on peut penser qu’il s’agit d’une illustration de la culpabilité de Cassandra de ne pas avoir aidé la jeune femme garée sur le parking, l’intrigue oblique vite vers la maladie d’Alzheimer.

Car tout est raconté à la première personne par Cassandra et à coups de phrases simples, en ajoutant minutieusement de petits événements insignifiants, l’auteure va nous faire plonger dans la folie paranoïaque de Cassandra. Comme c’est elle qui raconte, elle va tirer des conclusions de tout ce qu’elle oublie, étant obsédée et effrayée de finir comme sa mère. Il n’y a aucun temps mort, les oublis, les coups de téléphone s’enchaînent, et comme elle n’assume pas sa culpabilité, elle va commencer une descente aux enfers, et entraîner le lecteur à sa suite.

Ce n’est que dans les cent dernières pages que BA.Paris va nous livrer l’explication de tout ce qu’elle a minutieusement décrit, nous livrant tous les indices qu’elle a parsemés ça et là. On pourrait reprocher un dénouement que l’on sent venir, mais personnellement j’ai été happé par la psychologie de Cassandra. On pourrait reprocher ce style simple voire simpliste de l’auteure. J’y trouve quant à moi une force, celle de se glisser dans la peau d’une jeune femme commune et de ne pas vouloir faire d’effets de style qui, dans ce roman, auraient été bien inutiles.

Une nouvelle fois, BA.Paris, dont ce n’est que le deuxième roman, est arrivée à me surprendre, moins au niveau de l’intrigue que par sa faculté à écrire un pur roman psychologique, nous décrivant une plongée dans la folie pure. Tenir presque 400 pages avec un tel sujet, enfermer le lecteur dans la tête d’une folle est un coup de force. Il faut bien reconnaître que ce roman est une nouvelle fois une bien belle réussite.

Psychose de Robert Bloch (Moisson rouge)

Coup de coeur ! Les éditions Moisson Rouge ont la très judicieuse idée de rééditer cet excellent polar qu’est psychose, dont le film est unanimement reconnu comme un chef d’œuvre. Courez acheter ce roman, sans aucune hésitation.

Est-il vraiment besoin de rappeler l’histoire, que tout le monde a vu au cinéma ou à la télévision ? Pour faire simple, Mary travaille dans un cabinet d’avocat et vole une enveloppe contenant 40 000 dollars qu’elle devait emmener à la banque. Elle part rejoindre son amoureux, Sam, qu’elle voudrait épouser mais qui est endetté avec la quincaillerie familiale. Sur la route, elle s’arrête dans un motel tenu par un jeune homme solitaire de quarante ans, qui vit avec sa mère. Norman Bates subit les attaques incessantes de sa mère qui est acariâtre, autoritaire et folle à lier. Dans la nuit, la mère tue Mary et Norman se retrouve obligé de faire disparaître le corps. Sam va chercher à comprendre où est passée Mary, aidé par Lila, la sœur de Mary.

Comme je le disais, vous avez sûrement vu le film, mais moins sûrement lu le livre. Quelle erreur ! Si la trame du film suit l’intrigue du livre, de nombreuses scènes ou dialogues viennent compléter l’œuvre de Sir Alfred Hitchcock. Le maître du suspense a su mettre en évidence toutes les qualités du livre, en apportant sa touche personnelle sur les scènes chocs. En lisant ce livre, je ne peux m’empêcher de penser qu’il était aisé de faire un chef d’œuvre cinématographique, car le roman est exceptionnel.

Car le roman est réellement fantastique. D’un fait divers réel, Robert Bloch a crée un roman à suspense, à haute tension, ménageant de façon extraordinaire une fin très inattendue. Il parsème les indices de façon à la fois minutieuse et pleine d’humour (noir bien entendu), qui donne envie de relire le livre une fois tournée la dernière page. Les scènes s’enchaînent, faisant monter et le mystère, et le stress, jusqu’à la dernière phrase …

La psychologie est minutieusement détaillée, surtout sur la base de réactions ou d’actes, sans oublier les dialogues, qui sont écrits avec une précision et une véracité diabolique. Chaque chapitre propose la vision d’un personnage influent de l’histoire, ce qui fait que l’intrigue avance sans heurts, et que l’on est littéralement projeté dans les personnages. C’est impressionnant de maîtrise, c’est aussi une expérience de lecture inédite.

C’est donc une riche idée d’avoir réédité ce roman, et il me reste à ajouter que la préface de Stéphane Bourgoin nous présente le cas de Ed Gein, le boucher de Plainfield qui a inspiré Robert Bloch et que c’est tout bonnement hallucinant. Enfin, il y a une interview inédite de l’auteur qui vaut le détour surtout pour les anecdotes concernant Sir Alfred. Ce roman n’est pas seulement un livre culte, c’est un roman fantastique.