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Le parfum de Patrick Süskind

Editeur : Fayard (Grand Format) ; Livre de Poche (Format poche)

Traducteur : Bernard Lortholary

Attention, coup de cœur !

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

L’ayant acheté il y a une éternité, il me fallait une occasion d’aborder ce roman annoncé comme un monument littéraire, voire un chef d’œuvre.

L’auteur :

Patrick Süskind est un écrivain et scénariste allemand. Il est né le 26 mars 1949 à Ambach à côté du lac de Starnberg (am Starnberger See), en Bavière près de Munich. Il a grandi dans le village bavarois de Holzhausen. Il étudie l’histoire (histoire médiévale et contemporaine) et la littérature à Munich et à Aix-en-Provence. Il travaille ensuite comme scénariste pour la télévision.

Il écrit une pièce de théâtre à un personnage : La Contrebasse, qui sera jouée pour la première fois à Munich en 1981. Elle sera publiée en 1984. Depuis sa création, cette pièce est régulièrement jouée en Allemagne et a également été interprétée à Paris par Jacques Villeret dans le rôle-titre.

Le Parfum est son premier roman édité en 1985 à Zurich, sous le titre Das Parfum, Die Geschichteeines Mörders, puis publié en France en 1986 aux éditions Fayard dans une traduction de Bernard Lortholary. Il vaut à son auteur un succès mondial. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2006 : Le Parfum, histoire d’un meurtrier.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque.

Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille.

Sa naissance, son enfance furent épouvantables et tout autre que lui n’aurait pas survécu.

Mais Grenouille n’avait besoin que d’un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n’avait besoin de rien. Or ce monstre de Grenouille avait un don, ou plutôt un nez unique au monde, et il entendait bien devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l’univers, car « qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le cœur des hommes ».

C’est son histoire abominable… et drolatique, qui nous est racontée dans Le Parfum, un best-seller mondial.

Mon avis :

On entre dans ce roman comme un voyage dans le temps. On est projeté dans un marché parisien, sur un étal de poissonnerie. On est harcelé par les odeurs de puanteur, des égouts aux entrailles de poisson qui encombrent les rues. La vendeuse de poisson, enceinte, accouche et coupe le cordon ombilical avec son couteau avant de perdre connaissance. De toutes façons, elle l’aurait laissé mourir, ne pouvant le nourrir. Mais le bébé va survivre.

Récupéré par une nourrice, puis par un moine, il est finalement élevé par une femme qui touche de l’argent pour les nourrir. Outre son nez « parfait », qui lui permet de détailler n’importe quelle odeur, Jean-Baptiste Grenouille n’en dégage aucune dans ce monde de relents immondes. Il va être rejeté de tous, être comparé au Diable et trouver un travail chez un tanneur.

J’ai été impressionné, époustouflé par la faculté de l’auteur à nous faire vivre, voir, entendre et sentir la façon dont le peuple vivait au dix-huitième siècle. Dès les premières pages et pendant tout le roman, la multitude de détails mais aussi la justesse des descriptions vont nous emmener ailleurs, et suivre l’itinéraire de ce jeune homme doté d’un talent unique et la façon dont il va se transformer en monstre.

Nous allons ainsi le suivre de Paris au massif central, Montpellier, Grasse pour revenir enfin à Paris. On en apprend à chaque page sur les conditions de vie, les écarts entre les pauvres et les nobles, sur la fabrication des parfums, sur l’essor de cette manufacture mais aussi sur les ambiances. Toute la magie de ce roman repose sur sa capacité à nous immerger dans cette période lointaine.

L’aspect psychologique des différents personnages croisant Jean-Baptiste Grenouille est aussi remarquablement décrit sans jamais être pédant. Il est d’ailleurs original de constater que l’itinéraire de Grenouille est principalement décrit via les personnes qui le rencontrent ou avec qui il travaille. Cela laisse une aura de mystère quant à ce que Grenouille pense réellement et insiste sur la façon dont il est vu et interprété. Car il ne faut pas oublier que dans sa folie, il nous montre une logique implacable le menant à sa fin.

En parlant de fin, l’auteur n’entre jamais dans des descriptions horribles, alors que ses actes le sont. Il se situe plutôt à un niveau technique de parfumerie ce qui évite des scènes à vomir. Et je ne peux qu’insister sur l’issue de ce roman, d’une folie à la hauteur de ce meurtrier, avec un aspect humour noir terrible (c’est mon ressenti). Et alors que l’on peut éprouver de la compassion envers cet enfant que l’on a vu grandir, on termine cette lecture en étant effrayé de ce qu’il fait, avec une rage noire collé au ventre.

J’ai été tellement pris par ce roman que je suis allé chercher sur Internet si ce Grenouille avait existé ! Impressionné de bout en bout, moi qui ne suis pas un fan de romans historiques, je dois bien vous avouer que ce roman vient d’intégrer mon TOP20. Il n’est pas étonnant de constater qu’il se situe en 16ème place des lectures préférées des Français pour sa qualité d’écriture et son immersion dans la France du 18ème siècle. Un roman hors normes.

Coup de cœur, oh que oui, énorme coup de cœur !

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Le coffre de Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan

Editeur : La fosse aux ours

Traducteur : Jean-Louis Courriol

Quand j’ai lu la quatrième de couverture, c’est l’originalité de la démarche qui m’a intéressé et la curiosité. Même si ce roman est court, ce roman vaut le détour par sa construction, son humour et son efficacité.

Lyon, de nos jours. Sébastien Gendron est à trois mois de la retraite. Alors que tout le service est soit occupé, soit en vacances soit en maladie, il est chargé d’aller voir ce qu’il en est de cette bizarre affaire : le corps d’une dame âgée de 60 ans environ a été retrouvé dans un coffre de toit, lequel coffre de toit a été abandonné dans un terrain vague.

Il va être bien difficile de trouver l’identité de la vieille dame défunte. L’autopsie est faite par Gwenaëlle Délesté, une femme au regard plus froid que la mort. Un prélèvement ADN va être effectué mais il y a peu de chances qu’on trouve une piste dans le fichier FNAEG. La morte a reçu un coup violent derrière la tête, et elle a été positionnée dans le coffre les bras croisés, comme un rituel. La seule chose qui peut les aiguiller, c’est son implant dentaire qui est caractéristique d’un travail dentaire roumain. Gendron va donc prendre contact avec ses homologues roumains.

Roumanie, de nos jours. Marian Douca est stagiaire dans la police roumaine, et se démène pour faire son travail. La conséquence est que sa femme trouve qu’il passe trop de temps au boulot. Suite à la demande de la police française, il va se lancer dans cette enquête. Après quelques renseignements, il s’avère que l’implant dentaire a été réalisé par le cabinet du chirurgien dentiste Ilié Popa d’Alba Iulia. Voilà une piste à suivre.

2 auteurs, l’un français, l’autre roumain

2 personnages de flics, l’un français, l’autre roumain

2 pays, la France et la Roumanie

2 styles totalement différents, l’un humoristique, l’autre plus direct

Une même enquête menée de front, en parallèle, dans deux pays.

Chaque auteur fait avancer son intrigue, et s’amuse même à renvoyer la balle à l’autre. Il ne faut pas rater en particulier le passage où Marian Douca se fait masser par son collègue et il se fait surprendre par deux bouseux.

L’enquête française est déroulée par Jacky Schwarzmann, auteur connu pour son humour cynique. Il est fidèle à lui-même, se permettant même de donner à ses personnages des noms d’auteurs de polars. Tout le gotha du polar français est donc présent pour notre plus grand plaisir, de Varenne à Ledun, en passant par Villard, Pouy, Phillipon, Leroy, Oppel, Ferey, Dessaint, Delouche ou Claude Mesplède dit « Le vieux ». Je mettrais une mention particulière à Pouy et Villard, responsables du sous-marin.

L’enquête roumaine est plus classique, plus sérieuse, dans un style plus efficace. Elle se déroule en suivant des indices, qui ne coïncident pas les uns avec les autres. On n’a donc pas de fausses pistes mais un continuel questionnement sur ce qui a bien pu se passer.

Je ne connais pas de roman utilisant ce principe d’écriture à quatre mains en forme de ping-pong et c’est bien l’originalité du procédé qui retient l’attention, en même temps qu’un scénario fort bien mené et un hommage envers les grands auteurs contemporains. Finalement, sous des attraits originaux dans la forme, on se retrouve avec un polar fort divertissant. Une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire. Soyez curieux !

Hevel de Patrick Pécherot

Editeur : Gallimard

C’est un fait, je ne lis pas assez Patrick Pécherot, et je n’en parle pas assez. Tranchecaille m’avait très fortement impressionné, à tel point que je m’en rappelle encore. Pour d’autres romans, je dois dire que quand le coté historique prend le pas sur l’intrigue, j’accroche moins.

Avec ce roman là, le contexte est bien historique mais il ne sert qu’à illustrer une trame présentant le témoignage de Gus. Au début, on a l’impression de lire une confession, celle d’un homme qui a vécu la guerre d’Algérie et qui revenu de l’enfer devient chauffeur livreur avec son acolyte André. Puis, petit à petit, on se rend compte que Gus parle à quelqu’un, à un journaliste ou à un romancier qui veut avoir son avis.

D’ailleurs, dès le début du roman, on croit que l’auteur s’adresse à nous mais il s’agit bien de Gus :

« Soit, puisque vous y tenez, je vais vous raconter. Mais ce sera comme je l’entends. Quand j’en aurais fini, vous déciderez. Vous prendrez ou vous laisserez. Vous comprenez, tant mieux. Vous ne pigez pas, tant pis. »

Tout le début du roman est un pur joyau. Avec son parlé vrai, simple, direct, l’auteur et Gus nous emmènent dans les années 50, en province, dans le Jura, avec ses routes déglinguées qui maltraitent le camion en mauvais état. Les secousses viennent bercer les chauffeurs, et il faut un petit coup d’alcool pour se réveiller.

Puis, Gus va nous parler de son histoire, brièvement, et de ses ressentiments envers les étrangers, ceux qui les ont foutus dehors et qui se permettent de faire grève chez nous, mettant à genoux notre pays. Sans jamais dépasser la ligne jaune, en étant trop voyant, trop trivial, l’auteur insère des piques pour mieux expliquer la psychologie de son personnage. Et les pages vont petit à petit se remplir de sang.

Puis les souvenirs deviennent flous, parfois à dessein, les faits se contredisent, et les non-dits deviennent mensonges, les oublis des accusations. Et le roman témoignage d’une partie de cette génération devient psychologiquement passionnant et se transforme en dénonciation des oubliés de la guerre et des citoyens abandonnés. Ce qui n’était que quelques morceaux épars de porcelaine se transforme en mosaïque d’une population qui n’a pas compris ce qui se passait parce qu’on ne lui a rien expliqué.

C’est sur cet équilibre fragile que se construit le drame de ce roman, dans un exercice de style qui peut paraître hermétique, ou du moins pas facile à appréhender et qui se révèle réussi au sens où il remplit l’ambition que l’auteur s’était fixée au départ. Patrick Pécherot est un témoin primordial de la France et des Français et ce roman le démontre une fois de plus. Et ce roman, malgré son contexte très centré années 50 n’en devient que très actuel, terriblement actuel.

Ne ratez pas entre autres l’avis de Hannibal

Rouge parallèle de Stéphane Keller

Editeur : Toucan

J’ai un peu de mal à croire, après avoir tourné la dernière page de ce roman, qu’il s’agit d’un premier roman. Certes, l’auteur est un scénariste chevronné, pour la télévision et le cinéma. Mais de là à écrire un tel roman, il y a un pas. Et vous savez mon aversion vis-à-vis des films contemporains. Nous sommes dans un roman, un vrai roman, un grand roman, qui nous fait revivre les années 60 et en particulier l’année 1963.

3 janvier 1963. Son passeport le désigne comme un Corse, nommé Vincent Cipriani. Ancien di 1er REP, clandestin de l’OAS, il se nomme en réalité Etienne Jourdan. Il est accoudé au comptoir du café de la Tour de Nesle, dans l’anonymat le plus complet et est recherché par toutes polices de France. Son premier meurtre, ce fut un soldat allemand, le jour de ses 17 ans. Entré dans la maquis, il a participé à la libération, puis partit en Indochine, puis passerait par l’Algérie.

En sortant du café, il tombe sur deux jeunes flics. En fuyant, l’un d’eux, Norbert Lentz, glisse sur un toit, se retient à une gouttière. Jourdan va le sauver, mais va se faire arrêter. Après son interrogatoire, il va être transférer par fourgon, et un groupe de soldats va organiser son évasion. Le groupe est dirigé par un américain, le colonel Hollyman, qui fait officiellement partie de la CIA. Hollyman va fuir la France avec Jourdan, après s’être assuré qu’il accomplirait la mission secrète qu’il a à lui confier.

Hollyman est ce qu’on pourrait qualifier de pédophile psychopathe. Il a toujours eu des problèmes avec les femmes. Pour autant, il n’aime pas les hommes non plus. Il a toujours aimé les jeunes filles. Alors qu’il était soldat dans l’armée, détaché en Allemagne, il avait tué et violé une jeune fille de 12 ans, et avait connu sa plus grande jouissance. Mais personne ne connait sa part sombre, et on lui confie toujours des opérations délicates.

Norbert Lentz, le jeune policier, est âgé de 23 ans. Marié, père d’un bébé, il vit une vie tranquille avec sa femme Denise. Lors d’une de leur sortie au cinéma, elle est bousculée par un beau jeune homme, de type italien, et leur complicité est immédiate. Ils s’enferment dans les toilettes et font l’amour debout. Denise aime le sexe avec les inconnus et Norbert ne se rend compte de rien. Mais ce beau jeune homme pourrait changer leur vie à tous les deux.

Ah, les années 60 ! Les années bonheur, les années folles, les années yé-yé. Vu d’aujourd’hui, on peut éprouver de la nostalgie pour une époque où il y avait le plein emploi, où les gens savaient s’amuser et où les seuls souvenirs qui nous arrivent sont peuplés de fleurs et de sourires. Je ne vous cache pas que ce n’est pas complètement ce que Stéphane Keller nous décrit ici. Rouge parallèle, c’est la couleur du sang, qui va servir de trace de deux itinéraires, celui de Jourdan et celui de Lentz.

Dès le début du roman, le ton est donné et le parti-pris de l’auteur clairement affiché. Nous allons avoir la description d’une société qui n’a pas oublié la deuxième guerre mondiale et qui est embringuée dans des conflits locaux qui impliquent les plus grandes puissances mondiales. A travers ces deux personnages, Hollyman étant un peu en retrait comme un catalyseur, Stéphane Keller nous décrit deux pays en proie aux ressentiments et aux alliances de circonstance, aux grandes trahisons et aux grands mensonges.

Avec une belle lucidité, la France est montrée comme une nation dirigée par un personnage omnipotent, régnant sur la politique, la police et la presse, passant au travers d’attentats et ayant construit son pouvoir entre fascisme et communisme, en piochant un peu de ci, un peu de là. Les Etats Unis en sont au même point, ayant mis au pouvoir un homme porté par l’argent de la mafia et tournant le dos aux agences gouvernementales pour afficher son grand sourire devant les médias.

Deux hommes vont traverser cette période charnière, cette année 1963 qui va changer le monde, qui va faire atterrir le peuple et lui rappeler que nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours. Ces deux hommes ont perdu leurs illusions et avancent comme des spectres, semant les cadavres comme autant d’appels au secours du monde. Je ne suis pas en train de défendre ces deux figures qui vont tenir le roman au bout de leurs armes, mais juste essayer de vous donner envie de lire ce formidable roman.

Passant de Jourdan à Lentz, sans avoir de schéma établi, Stéphane Keller écrit là un roman qui doit lui tenir à cœur tant il y a mis de la passion, une passion qu’il nous transmet au travers de ces presque 400 pages, sans que l’on n’y ressente une once de lassitude. L’histoire est racontée avec une telle évidence, avec une telle fluidité qu’on ne peut qu’être ébahi devant le talent brut et époustouflé par cette histoire dans l’Histoire. S’il y avait sur Black Novel une palme du meilleur premier roman 2018, Rouge parallèle l’obtiendrait haut la main.

L’ami Claude a donné un coup de cœur à ce roman. Ne ratez pas son avis ici