Archives du mot-clé Franck Bouysse

L’homme peuplé de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Est-il seulement imaginable de ne pas acheter le nouveau roman de Franck Bouysse ? Est-il seulement imaginable de ne pas le lire et de ne pas en parler. Que nenni !

Caleb habite une petite maison dans une campagne perdue de France. Il se rappelle Sarah sa mère, qui prenait soin de lui, tous ces petits gestes qui font l’amour. Il se rappelle aussi quand il lui avait présenté sa première petite amie, comment elle l’avait presque insultée pour qu’elle s’éloigne de son fils. Par contre, Caleb ne connait pas son père, et d’ailleurs, Sarah n’en parle jamais.

Caleb se rappelle quand l’ambulance a débarqué, pour emmener la vieille Privat qui loge en face. Caleb la voyait nourrir ses poules, s’occuper de son jardin. La vieille était morte avant d’arriver à l’hôpital, contrairement à sa mère qui avait fait une crise cardiaque quand il avait parlé d’avoir une femme. Peut-être n’était-il pas fait pour avoir de femme, en tant que sourcier ? En attendant, Caleb voit un homme emménager dans la maison de la Privat.

Alors que son premier roman a été adulé par les critiques et le public, Harry a tenté d’écrire un deuxième opus. Mais il sent que la sincérité n’y est pas, il ne veut pas se mentir, donc mentir au lecteur. Il vient d’acheter une maison, dans un coin perdu, pour retrouver son âme, ou pour fuir l’effervescence des milieux littéraires. Peut-être va-t-il retrouver ici l’inspiration qui lui fait tant défaut ?

On se retrouve dans ce nouveau roman en territoire connu, dans une campagne isolée, avec deux hommes que tout oppose. L’un est issu du cru, issu de la Terre, matériel ; l’autre est étranger, spirituel ou à tout le moins intellectuel. On trouve d’ailleurs une belle image dans le livre où Caleb fouille dans le puits quand Harry visite son grenier, créant entre eux la distance égale de la Terre au ciel.

De même, on y retrouve cette vie dure, âpre, avec sa météo rigoureuse et ses habitants qui ne s’adressent pas plus d’un mot. On y retrouve Caleb, sorte de sourcier, que tout le monde craint car il serait capable de jeter des sorts. Ma foi, on a déjà lu ce genre de scénario chez Franck Bouysse, et on serait tenté de laisser tomber ce roman sous ce fallacieux prétexte. Sauf que quelques dérapages attirent l’œil, quelques reflexions semblent plus personnelles et la fin nous rassure.

Franck Bouysse utilise son terrain de prédilection pour parler de la création littéraire, pour se questionner que la page blanche, sur l’inspiration mais aussi et surtout sur la nécessité de ne pas se mentir, de rester honnête envers soi-même et donc envers son lectorat. A ceux qui pourraient lui reprocher de prendre tout le temps le même décor, les mêmes personnages, il leur répond par ce livre, il leur dit son intégrité, son refus de la compromission.

Et puis, il y a ce style qui n’appartient qu’à Franck Bouysse. On n’y trouve jamais un mot de trop dans une phrase, mais une nouvelle façon d’aborder les choses. Franck Bouysse nous invite à regarder le monde autrement, en s’aidant de la richesse de la langue et de la poésie dont il fait preuve. Comme le dit ma femme : « C’est très bien écrit, on n’est plus dans la littérature, on touche à la poésie … du Franck Bouysse, quoi ! ». Dont acte

Publicité

Buveurs de vent de Franck Bouysse

Editeur : Albin Michel

Après son transfuge de La Manufacture de livres à Albin Michel, ce roman était attendu avec beaucoup d’impatience mais aussi d’inquiétude. On retrouve dans ce roman toutes les qualités qui nous font craquer pour la plume magique de Franck Bouysse.

Au lieu-dit Le Gour Noir, la légende dit qu’un jour, un homme et une femme sont arrivés avec un enfant. Toujours est-il qu’Elie et Lina Volny furent parmi les premiers à habiter ce coin perdu, surmonté par un viaduc, laissant passer la voie ferrée. Les drames n’ont pas épargné cette famille ; Lina est morte trop rapidement et Elie fut amputé d’une jambe suite à un accident de travail à la centrale électrique. Alors, Elie essaya d’élever sa fille Martha du mieux qu’il put.

Martin est revenu de la guerre et il rencontre Martha dans un bal. Elle est sure qu’ils sont faits l’un pour l’autre. De leur union naît quatre enfants, Marc, Matthieu, Mabel et Luc. Chaque enfant va trouver un moyen d’échapper à ce lieu qui ressemble à une prison : Marc s’évade dans la lecture, Matthieu s’échappe dans la nature environnante, Mabel découvre les premiers plaisirs adolescents et Luc voyage dans sa tête plus lentement et est considéré comme un simplet.

Nul ne sait quand Joyce est arrivé au Gour Noir. Immensément riche, il a donné libre cours à son ambition, sa folie de possession. Il a racheté petit à petit tout le village, renommant les rues à son nom, et bâti la carrière, le barrage et la centrale électrique qui emploie tous les hommes du coin. Joyce est entouré d’hommes de main, Double et Snake, violents et sans morale ; même la police en la personne de Lynch lui rend des comptes.

Les quatre enfants, unis comme les doigts de la main, se réunissent au viaduc, et utilisent une corde attachée au viaduc pour prendre de la hauteur par rapport à la noirceur ambiante. De là-haut, ils voient la nature telle qu’elle est, la faune et la flore intouchées et intouchable, le vent ébouriffant leurs cheveux. Un drame va bouleverser la famille Volny et par voie de conséquence, le village.

Après l’extraordinaire Né d’aucune femme, on pouvait être inquiet quand à la suite qu’allait donner Franck Bouysse à son œuvre littéraire. Dès les premières phrases, on s’aperçoit vite qu’il a choisi de rester dans un environnement rural, dans le Massif Central, en pleine nature. Et la grande nouveauté est que nous avons là un roman avec de multiples personnages, ce qui va donner l’occasion de présenter beaucoup de thématiques.

Evidemment, grâce ou à cause de son précédent roman, beaucoup de lecteurs vont voir dans Mabel le personnage principal, et vont ressentir une certaine frustration quand ils vont voir défiler les autres personnes. Et pourtant, tous ont bien le même poids dans cette intrigue dramatique, qu’ils soient du coté des gentils ou des méchants. Et on a l’impression que c’est plus la vie du village qui intéresse l’auteur, que l’itinéraire de ses personnages.

Franck Bouysse va nous parler de fraternité, de loyauté, de l’adolescence et de la difficulté de passer à l’âge adulte, de la difficulté d’être parent, de lutte des classes, de la beauté de la nature, de la pureté des sentiments. J’ai plutôt eu l’impression que Franck Bouysse voulait nous raconter un conte, pour adulte certes, avec ce qu’il faut de magie dans les images, les décors, les événements, un conte moderne dans un monde intemporel. Et c’est toujours un plaisir immense de se laisser bercer par le style incomparable aussi subtil que poétique, digne des plus grands auteurs contemporains. J’en veux ce passage d’une simplicité évidente et d’une justesse

« La beauté est une humaine conception. Seule la grâce peut traduire le divin. La beauté peut s’expliquer, pas la grâce. La beauté parade sur la terre ferme, la grâce flotte dans l’air, invisible. La grâce est un sacrement, la beauté, le simple couronnement d’un règne passager. »

Si certains peuvent reprocher la dualité Gentils / Méchants, je l’explique surtout par la forme voulue de l’auteur de narrer un conte. Et dans cet exercice là, Franck Bouysse est un conteur hors pair. Seule la fin m’a laissé dubitatif, tant elle est en décalage par rapport à l’histoire et à la morale éventuelle qu’il a voulu mettre dans son histoire. Cela reste tout de même un roman à lire, comme tous les romans de Franck Bouysse.

Né d’aucune femme de Franck Bouysse

Editeur : Manufacture de livres

Attention coup de cœur !

Depuis quelques années maintenant, les amateurs de littérature dont je fais partie ont la chance de savourer un « nouveau Bouysse ». Avec Né d’aucune femme, j’ai eu l’impression qu’il allait encore plus haut, vers les sphères des auteurs classiques. Enorme !

Le Père Gabriel officie dans un petit village et voue son âme à aider les gens. Quand il reçoit une femme en confession, elle lui annonce qu’elle ne vient pas pour elle mais pour lui demander un service : Une femme vient de mourir au monastère voisin et il doit aller bénir le corps. Il doit surtout récupérer, caché dans sa robe, un manuscrit, un journal intime. Le Père Gabriel fait ce qu’on lui demande, et ne peut s’empêcher en revenant chez lui de lire ces pages : il va découvrir la vie de Rose.

Rose est une jeune fille de 14 ans. Elle habite dans la ferme de ses parents avec ses trois sœurs. Un jour, Onésime, le père, décide de vendre Rose au marché, comme on vend des bêtes. Un homme lui donne une bourse pleine d’argent ; ils vont pouvoir vivre une année avec cet argent, peut-être plus. Et voilà Rose emmenée dans une carriole sans réellement comprendre ce qui lui arrive.

Elle arrive aux Forges, emmenée par son nouveau « maître ». Elle va rencontrer une vieille dame, la Reine-Mère, qui va être extrêmement sévère. Elle va vite comprendre qu’elle est là pour faire le ménage, faire la cuisine, faire ce qu’on lui dit de faire. Elle est la nouvelle esclave de la maison. Mais son statut d’esclave va dépasser l’entendement …

Le seul terme qui me vient à l’esprit à l’idée d’évoquer le dernier roman de Franck Bouysse est : époustouflant ! On connaissait l’amour que porte cet auteur à la langue, à la puissance émotionnelle que peut évoquer une plume magique. Ce roman ressemble à un aboutissement de ce que peut nous offrir Franck Bouysse, de la création de personnages hors-norme jusqu’à un contexte hors du temps et de l’espace et hors du temps. Ce roman, c’est une formidable histoire, extraordinaire au sens où elle sort de l’ordinaire, qui vous emporte loin, en mettant en avant son intrigue ; il doit d’ores et déjà être considéré comme un classique de la narration, comme un grand roman littéraire.

Dès le début du roman, nous sommes plongés dans un nouveau lieu, une nouvelle époque, et l’immersion est totale. Les carrioles sont tirées par des chevaux, les outils sont d’un autre temps mais les tréfonds de l’âme humaine n’ont pas changé. Au premier plan, Rose, jeune adolescente de 14 ans, naïve et innocente, qui va se construire en guerrière, pour faire valoir son statut d’être humain. Voilà un personnage fantastique, qui va subir des horreurs mais qui va vouloir vivre, survivre, qui va nous faire passer par tous les sentiments, tous les espoirs, même ceux qui ne sont pas réalistes.

Autour d’elle, il n’y a que des personnages forts qui vont s’illustrer grâce aux chapitres qui leur sont consacrés. Du Maître à la Reine-Mère, qui représentent l’exécrable besoin de perpétrer une race forte et immonde par tous les moyens, il y a Edmond, l’homme à tout faire, jardinier qui voudrait tant sauver Rose mais qui n’ose pas. Il y a le Père Gabriel qui veut rendre un semblant de justice au nom des lois divines. Il y a aussi Onésime, le père de Rose, qui lutte pour faire vivre sa famille mais qui est pris de remords, et la mère, absente et qui n’a plus que le regret et la haine comme alliés.

Né d’aucune femme est le genre de roman qui vous emporte vers des contrées inexplorées, uniquement par la force des mots et du verbe. Les phrases ont la puissance d’un ouragan, vous transperçant d’émotions extrêmes. Et on se prend à regretter une fin un peu trop rapide tant on y trouve un pur plaisir de découverte, de se laisser emmener vers un autre monde, celui de la grande littérature. Je retiendrai aussi que les hommes ne changent pas avec le temps, ils sont et restent des animaux. Mais il ne faut pas forcément chercher un message, un combat, juste une histoire magnifique, racontée par une plume exceptionnelle, un grand, un énorme roman.

Coup de cœur, je vous dis !

Glaise de Franck Bouysse

Editeur : Manufacture de livres

Franck Bouysse est unique dans le paysage littéraire français. Il inscrit ses histoires dans la campagne française, et possède une plume faite de violence, de poésie et de couleur noire, comme la terre qu’il dessine si bien. Glaise est une nouvelle fois un excellent roman.

Aout 1914. A Chantegril, petite bourgade proche de Salers, la guerre vient s’imposer dans le quotidien des fermiers brutalement. Chez les Landry, la ferme est tenue par la grand-mère Marie puisque son mari a été foudroyé huit ans auparavant. Mathilde et son mari y habitent avec leur fils Joseph, âgé de 15 ans. Le père s’apprête à partir à la guerre, confiant la famille au dernier homme de la famille. Heureusement, Joseph pourra compter sur le vieux Leonard, qui habite à coté et qui vit avec sa femme Lucie.

Un peu plus loin, on trouve la ferme de Valette dont tout le monde a peur, tant c’est un violent de nature. Son physique aide aussi à ce qu’on le déteste avec une main réduite en bouillie. Sa femme Irène le supporte, subit ses colères, encaisse ses coups, surtout depuis que leur fils Eugène est parti à la guerre. L’équilibre de la petite bourgade va basculer quand la belle-sœur de Valette débarque avec sa fille Anna. Et l’histoire devenir un drame dont personne ne sortira indemne.

La plume de Franck Bouysse est magique. Les premiers chapitres décrivent le départ du père de Joseph pour la guerre et dès les premières pages, je peux vous dire qu’on en a la gorge serrée. Il ressort de ces mots une puissance émotionnelle qui s’avère universelle et plonge immédiatement le lecteur dans le contexte et dans ces décors campagnards. Ces pages sont tout simplement impressionnantes.

Dans cette histoire aux allures intemporelles, Franck Bouysse se place loin de front de la guerre et la vie continue son chemin en ayant bien peu d’informations sur ce qui se passe réellement. L’auteur va donc décrire un village, comme un huis-clos, et placer en pleine nature des familles avec leur histoire, leur rancune, leurs activités quotidiennes et leurs préoccupations minées par la menace d’un conflit qui leur parait empreint de mystère.

Franck Bouysse va dérouler une intrigue qui se situe entre drame familial, ressentiments passés, amours impossibles et émancipation d’un adolescent. Le personnage central va petit à petit découvrir les liens entre les différents fermiers et découvrir l’amour charnel avec Anna, entraînant des événements dramatiques en chaîne.

Même si le rythme est lent et suit celui des éleveurs de bêtes, c’est bien la force d’évocation de l’auteur qui en fait un roman fascinant et passionnant à suivre. Franck Bouysse arrive à insuffler dans sa prose des phrases d’une poésie envoûtante, des images incroyablement fortes, et il possède une capacité d’évocation des paysages qui font de ce roman exceptionnel en ce qu’il a su créer son propre univers avec son propre style. Franck Bouysse est énorme aussi bien dans le fond que dans la forme et il est unique. Glaise en est une nouvelle fois une excellente démonstration.

Ne ratez pas les avis de mon ami Bruno, de la Belette et de Bob tous unanimes.

Les novellas de la Manufacture de Livres

Editeur : Manufacture de livres

On voit de plus en plus apparaître de courts romans que les anglo-saxons appellent des novellas, qui sont entre le format du roman et celui de la nouvelle. Je vous propose de jeter un œil sur deux romans de la Manufacture de Livres :

Vagabond de Franck Bouysse :

vagabond

Présentation de l’éditeur :

Un homme dont on ne connaîtra pas le nom, ses soirées, il les passe à jouer du blues dans les cafés de Limoges, mais ce pourrait être ailleurs. Mais pas n’importe où : il faut que ce soit une ville avec des traces d’histoire, des ruelles sombres, des vieilles pierres. La journée, il marche dans les rues, voyant à peine les humains qui sillonnent d’un pas pressé les rues, ceux qui ont quelque chose à faire, une vie à construire alors que la sienne, de vie, ressemble à une ruine. Et voilà qu’un soir apparaît au bar une femme, une inconnue magnifique, pour laquelle il se met à jouer sa propre musique, à chanter ses propres mots. Ils boivent un verre, il la raccompagne au pied de sa demeure et rentre à son hôtel miteux. La reverra-t-il ? Saura-t-il qui elle est ? Il rentre à son hôtel pour dormir, pour rêver à Alicia, celle avec qui il y a quinze ans il partageait la scène, celle qui est partie et qui lui a brisé le cœur. Alicia est en ville. Elle chante au Styx. L’homme sera au Styx, bien sûr, pour Alicia. Ça n’est pas une bonne idée, et il le sait. L’apparition de ce fantôme va déclencher chez l’homme une plongée dans le passé, dans l’enfance et la douleur. Bouysse bascule alors dans la poésie, noire, violente, obsessionnelle, et achève son roman en beauté et en désespoir, emmenant avec lui un lecteur consentant, déconcerté, pris.

Mon avis :

Avec son style poétique et ses sujets noirs, il fallait bien que Franck Bouysse s’intéresse à la musique, et au Blues en particulier. Son personnage principal est guitariste et joue tous les soirs pour des ombres, celles de son passé. Jusqu’à cette apparition qui va le faire basculer vers une conclusion inéluctable.

Encore une fois, Franck Bouysse m’enchante. Et même si le format est court, même si le sujet est classique, je ne peux m’empêcher à chaque phrase de me dire que c’est très bien trouvé, que c’est très bien écrit. Je ne peux m’empêcher de me laisser bercer de plaisir, de plonger dans cette histoire noire et entêtante. C’est une nouvelle fois une grande réussite, le genre de romans que l’on a envie de lire plusieurs fois, juste pour le plaisir.

Albuquerque de Dominique Forma

albuquerque

Présentation de l’éditeur :

Décembre 2001, Albuquerque, Nouveau-Mexique, Jamie Asheton est gardien de parking. Voici l’instant qu’il redoutait depuis un après-midi poisseux de septembre 1990, lorsqu’ils avaient, sa femme Jackie et lui, déserté leur appartement de Manhattan. Une Pontiac firebird avec deux hommes à bord s’approche de sa guérite. Il va falloir faire vite, très vite pour s’échapper du traquenard et aller chercher Jackie. Ensuite il faudra fuir vers Los Angeles pour retrouver les hommes du programme fédéral de protection des témoins. Mais la route est longue jusqu’à la cité des Anges… longue pour un couple traqué, longue pour un homme que sa femme n’aime plus et qui est condamnée à partager sa vie.

Mon avis :

Entre Dominique Forma et moi, cela ressemble à un rendez-vous raté. Au sens où j’ai beaucoup de ses livres à la maison et je n’ai jamais trouvé le temps de les ouvrir. Je répare donc cette injustice avec ce court roman où il se passe beaucoup de choses en très peu de pages.

Si contrairement à Franck Bouysse, je ne suis pas emporté par le style, ici on se laisse porter par l’histoire, en regardant les miles défiler sur la célèbre route 66. Ce couple en fuite, poursuivi par des truands, cherche une protection avec une certaine naïveté. On va donc suivre cette histoire plutôt classique avec plaisir, et tourner la dernière page sur une bouffée d’optimisme teintée d’espoir vain. Cela nous donne un bon moment de lecture divertissante.

Le chouchou du mois de janvier 2015

Bon, allez, on réattaque une nouvelle année, après une année 2014 qui fut, à mon gout, exceptionnelle. Comme tous les ans, les chroniques de ce mois de janvier sont un mélange entre des nouveautés tout juste sorties et des séances de rattrapage de l’année dernière. Mais commençons par la rubrique Oldies, et un petit joyau noir insuffisamment connu. Il s’agit de Montana 1948 de Larry Watson (Gallmeister), qui avec une intrigue simple, se permet de creuser des thèmes importants de fort belle façon.

Ce fut aussi un beau hasard, celui de lire le diptyque de Marin Ledun, L’homme qui a vu l’homme et Au fer rouge (Ombres Noires). Je m’étais mis le premier de coté, ne trouvant pas le temps de l’insérer entre deux autres livres. Et quelques jours plus tard, j’enchainais avec le deuxième, qui en est plus ou moins la suite. Bref, avec ce diptyque, Marin Ledun trouve son rythme, ses sujets, sa construction ; pour moi, ce sont des romans d’action, ceux de la maturité, tout en parlant de sujets graves. J’adore, je suis fan.

A propos d’auteurs dont je suis fan, j’ai lu Le bazar et la nécessité de Samuel Sutra (Flamant noir), le dernier Tonton en date, avant le prochain, bien sur ! Dans celui-ci, Tonton se découvre un fils. Et finalement, si c’est un épisode un peu moins drôle que les autres, il n’en est que plus touchant par moments. Ceci dit, cela reste tout de même du divertissement comique de haut de gamme.

En parlant d’auteurs fétiches, le dernier Sam Millar est sorti. Ça s’appelle Le cannibale de Crumlin Road de Sam Millar (Seuil), c’est la suite des Chiens de Belfast. Et on se retrouve avec une enquête avec des scènes incroyablement visuelles comme seul Sam Millar est capable de les écrire aujourd’hui. C’est noir, c’est fort, c’est bon.

En parlant de roman noir, du coté violent, A mains nues de Paola Barbato (Denoël Sueurs froides) est un premier roman impressionnant, à la fois un roman d’initiation et un roman de survie. Psychologiquement impeccable, visuellement très réussi, On s’attache au personnage principal et on est surpris par le dénouement … jusqu’à la dernière ligne.

En proie au labyrinthe : La lutte de Marek Corbel (l@ liseuse) est le premier tome d’une trilogie. Si ce n’est pas à proprement parler un polar, on a affaire à un vrai roman politique d’anticipation qui met à la bouche pour la suite, une sorte d’entrée dans un menu dont on attend avec impatience le plat de résistance.

Le titre de chouchou du mois revient donc ce mois ci à un roman exceptionnel à la fois par son intrigue simple mais aussi à son ambiance des campagnes, qui le sort du lot par ses qualités d’écriture véritablement hors du commun. Il s’agit, bien sur, de Grossir le ciel de Franck Bouysse (manufacture de livres), l’un des romans noirs qui littérairement m’a le plus impressionné récemment. Et, bien entendu, je suis d’ors-et-déjà parti à la recherche des précédents livres de l’auteur. Comme quoi …

Je vous donne donc rendez vous le mois prochain et, en attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Grossir le ciel de Franck Bouysse (Manufacture du livre)

J’en avais beaucoup entendu parler, de ce roman, pour ses qualités stylistiques. Et pour ne pas gâcher mon plaisir, je l’ai pris sans regarder la quatrième de couverture. Je peux vous dire que ce roman est excellent, excellent, excellent.

« C’était une drôle de journée, une de celles qui vous font quitter l’endroit où vous étiez assis depuis toujours sans vous demander votre avis. Si vous aviez pris le temps d’attraper une carte, puis de tracer une ligne droite entre Alès et Mende, vous seriez à coup sûr passés par ce coin paumé des Cévennes. Un lieu-dit appelé Les Doges, avec deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres, de grands espaces, des montagnes, des forêts, quelques prairies, de la neige une partie de l’année, et de la roche pour poser le tout. Il y avait aussi des couleurs qui disaient les saisons, des animaux, et puis des humains, qui tour à tour espéraient et désespéraient, comme des enfants battant le fer de leurs rêves, avec la même révolte enchâssée dans le cœur, les mêmes luttes à mener, qui font les victoires éphémères et les défaites éternelles. »

Dans ce paysage perdu des Cévennes, deux hommes, Gus et Abel. Ils vivent tous les deux seuls, chacun dans leur coin. On est en janvier 2006, il fait froid, la terre est recouverte de neige et l’Abbé Pierre vient de mourir. Gus est en chasse avec son chien Mars. Un coup de feu déchire le silence des bois, puis un cri retentit. Il n’est pas sur de vouloir savoir d’où cela vient … cela attendra demain …

Il faut se laisser porter par le style de l’auteur, et apprécier ce ton bourru qui va nous accompagner tout au long de ce roman. Et je dois dire que c’est une sacrée découverte personnelle que ce roman, tant le rythme lancinant se fait calme, agrémenté de l’élevage des bêtes et des activités champêtres. Cela sent bon le cru, la campagne perdue où le téléphone n’arrive pas encore dans ces maisons isolées, perdues au milieu des bois. On y part à la chasse avec le chien, dans ce paysage enneigé, pour trouver la nourriture du jour. On va voir le voisin, et on partage le vin de bienvenue, même si ces gens-là ne sont réellement accueillants.

Il y a bien des gens qui passent pour vendre qui des bibles qui des choses dont on n’a pas besoin. On peut dire que Gus sait les recevoir. Car en plus d’être un bon éleveur, il a de la répartie, le Gus. Et on trouve là des scènes fort drôles qui aboutissent au découragement du visiteur. Mais il ne faut pas se mentir, ce roman est un roman noir, dont le fil dramatique va se construire doucement pour arriver à un dénouement à la fois inattendu et violent. Certains pensent que seuls les Américains savent écrire sur la nature et la dureté de la vie à la campagne. Erreur ! Ce roman est formidable, dur, âpre, et original.

Si on a l’impression de se laisser mener, dans cette visite de nos campagnes, c’est pour mieux se faire surprendre par les personnalités de ce roman. Ces hommes sont bourrus, mais pas dénués d’humanité quand il s’agit de se donner un coup de main. Ils ne sont pas attachants, mais ils savent se débrouiller au milieu d’une nature hostile. Et du style aux personnages, ce roman forme un ensemble cohérent et surtout un suspense prenant à propos duquel vous parlerez longtemps. Je suis sur que c’est un roman qui fonctionnera longtemps grâce au bouche à oreille car c’est un roman hors du commun, impressionnant de maitrise qui vous fera voir différemment nos vertes contrées.