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Le silence de Dennis Lehane

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

Chaque nouveau roman représente un événement, tant il nous a procuré des sensations inoubliables. Il suffit de se rappeler les enquêtes de Gennaro et McKenzie (Gone, baby gone), Mystic River, Shutter Island ou Un pays à l’aube. Même si ses derniers romans marquaient le pas, on ne peut que se jeter sur ce Silence, dans lequel il revient à un très bon niveau.

1974, Boston. Afin d’améliorer le mélange racial, un juge fédéral modifie la répartition des élèves dans les écoles, collèges et lycées. Des jeunes des quartiers blancs poursuivront leur éducation dans des lycées noirs et inversement, ce qui va nécessiter la mise en place de bus pour les transporter dans des écoles situées potentiellement loin de leur maison. D’un côté comme de l’autre, le mécontentement est grand et cela va aboutir à de violentes manifestations.

Mary Pat Fennessy travaille dans une fabrique de chaussures et habite South Boston, dans la cité Commonwealth, le quartier irlandais. Son mari est parti vivre avec une autre femme plus jeune et son fils est mort d’une overdose, à peine revenu du Vietnam. Il ne lui reste que Julie que tout le monde surnomme Jules. Son travail l’oblige à laisser beaucoup d’autonomie à sa fille, alors que l’effervescence monte dans la ville de Boston à l’approche de la rentrée scolaire et du busing (transport par bus des élèves) imposé.

Quand elle se réveille ce matin-là, Mary Pat trouve la chambre de Jules vide. Le lit n’a même pas été défait. Aux informations, on annonce qu’un jeune noir a été assassiné dans une gare toute proche. Elle va donc voir son petit ami Ronald « Rum »Collins qui lui annonce qu’ils étaient au bord du lac et qu’ils se sont quittés aux environs de minuit. Jules serait donc rentrée seule à pied. Mary Pat va donc voir la police puis le chef de la mafia irlandaise locale. Comme elle n’obtient pas de réponse satisfaisante, elle va mener sa croisade seule.

Ce roman de Dennis Lehane, le dernier a priori puisqu’il a annoncé vouloir se consacrer à sa famille, repose sur trois piliers : Mary Pat tout d’abord, femme forte que rien ne peut arrêter dès lors que l’on touche à la chair de sa chair, Le flic Bobby Coyne et Boston. Et c’est bien Mary Pat qui occupe l’essentiel de la scène tant sa présence illumine ce roman par sa présence et sa volonté. A côté, Bobby m’a paru bien pâle et trop propre sur lui. Je me suis même demandé l’intérêt de l’avoir inséré dans son histoire en parallèle tant l’intrigue se tient parfaitement sans lui. Enfin, Boston, sa vie, ses bruits, ses gens servent de décor de fond, et on sent tout le talent de Dennis Lehane pour nous plonger dans cette époque.

Car malgré mes quelques réserves indiquées ci-dessus, on ne peut que se passionner pour cette période, cet événement que l’auteur a vécu quand il avait neuf ans, et on reste une nouvelle fois abasourdi par son art des dialogues, qui sont juste fantastiques. Il nous fait vivre les quartiers ouvriers, les mécontentements mais surtout la vie quotidienne et la dureté de la vie des employés.

Dennis Lehane aborde aussi clairement les lois arbitraires et unilatérales, qui sous couvert de mixité raciale, ne font qu’exacerber la haine. Sa démonstration du racisme sous-jacent, que j’appellerai « tranquille », est éloquente : Tant que chacun vit dans son coin, tout va bien ; les blancs dans leur quartier, les noirs dans le leur. Dennis Lehane sait aussi montrer la dérive, les panneaux demandant le retour des noirs en Afrique ! Les gens se révoltent aussi contre des règles qu’on leur impose alors que les dirigeants, eux, enverront leurs enfants dans des écoles privées presque réservées aux blancs. Sans se montrer partisan, il montre de façon éloquente les différentes scissions de ce pays.

Enfin, Dennis Lehane nous décrit ce monde dans lequel on peut y voir des échos bien contemporains. La police fait ce qu’elle peut, doit gérer la population mais aussi la mafia irlandaise qui bénéficie de la confiance des gens. Les manifestations se révèlent calmes et pacifiques contrairement à ce que l’on a pu voir dans Un pays à l’aube par exemple, on n’y trouve pas le bruit et la fureur mais une protestation ferme. Et au milieu de tout cela, on voit Mary Pat essayant de creuser son chemin, de trouver sa fille envers et contre tous, seule contre tous. Et tout cela se terminera par une scène finale mythique, ce qui donnera à ce roman une fin digne des très bonnes fresques américaines.

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La contrée finale de James Crumley

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Illustrateur : Baudoin

Mon petit plaisir de fin d’année ; mon grand, mon énorme nirvana ; mon incommensurable tristesse de se dire qu’il s’agit de la dernière aventure De Milo Milodragovitch, mais quelle aventure !

Alors qu’il a récupéré son héritage accompagné de plusieurs kilogrammes de drogues dérobés à des trafiquants, Milo s’est rangé des problèmes et a investi dans un bar, le Low Water Crossing Bar and grill qui marche bien. Après quatre mariages et quatre divorces, il vit maintenant avec Betty Porterfield dans un ranch au Texas et a délaissé son Montana. Mais il lui manque le rythme, l’adrénaline du danger et vient de recevoir sa licence de détective privé.

En route vers le comté de Travis, que les habitants eux-mêmes appellent Le Mauvais Coin, sa mission consiste à retrouver Carol Jean, la femme d’un timide professeur Joe Warren. Il la trouve sans difficultés dans un bar malfamé, nommé Over the Line, en train de jouer au billard. Après une échauffourée, il lui conseille de retrouver son mari plutôt que de déclencher des bagarres avec ses obus artificiels en silicone.

Il y fait la connaissance de Enos Walker, un type à chercher constamment la bagarre, qu’il ait bu ou non. Apparemment, il vient de tuer à bout portant un homme dans la salle du fond. Après avoir noté le nom de Sissy Duval, il voit Walker partir et appelle les flics. Le capitaine Gannon l’interroge et lui demande de retrouver Walker qui vient de sortir de prison mais Milo va le rechercher pour lui éviter d’autres ennuis, avec des truands ou la police. « Tout le monde, ici, est soit un étranger, soit une personne étrange ».

Et c’est parti … Comme il sait si bien le faire, James Crumley part d’une simple recherche pour créer une intrigue qui part dans tous les sens, pour aboutir dans les dernières pages à la résolution des énigmes en une seule phrase. On a droit à du grand art, à de la baston, des fusillades, du sexe et des visites de bas-fonds. Car où que l’on regarde, où que l’on aille, le Texas regorge d’endroits malfamés.

Et Milo ressemble à un aimant à emmerdes. Dès qu’il va quelque part, cela va mal tourner, et ces scènes incroyablement visuelles s’insèrent parfaitement dans l’intrigue. Et puis, dans un moment de calme, entre deux phrases de dialogue aux réparties saignantes et irrésistiblement hilarantes, la plume de James Crumley se fait légère, imagée, poétique et le lecteur fond.

James Crumley n’a pas son pareil pour nous faire croire à des rades miteux et poussiéreux, à nous faire vivre des bagarres mémorables, à nous asséner des fusillades bruyantes, à nous faire participer à des nuits enfiévrées dans une histoire tortueuse à souhait. On le suit dans ses pérégrinations avec un plaisir incommensurable et son histoire est bien plus compréhensible que celle des Serpents de la frontière.

Et puis, il faut se le dire, ce roman ressemble à un geste d’adieu. Milo subit sa soixantaine et ressent bien les affres de l’âge. Il ne peut plus prendre de l’alcool ou de la drogue sans en ressentir les conséquences le lendemain, il est plus lent, se prend plus de coups. On entend ses os craquer, sa fatigue prend le dessus et les dernières pages m’ont fait ressentir une immense tristesse, celle de quitter un personnage hors-norme. Le crépuscule d’un géant.

L’un des nôtres de Larry Watson

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Elie Robert-Nicoud

J’avais adoré Montana 1948 et j’ai donc acquis tout naturellement le roman paru cette année mais qui date de 2013 en réalité. Si le scénario est d’une simplicité extrême, les personnages et la façon de les présenter m’ont impressionné.

1951, Dakota du Nord. George Blackledge a occupé le poste de sheriff et profite d’une semi-retraite en compagnie de sa femme Margaret. Ils déplorent la mort de leur fils, dans un accident de cheval, qui a laissé une veuve Lorna, et son fils Jimmy. Lorna a quitté le ranch de ses beaux-parents au bras de Donnie son amoureux, et a rejoint sa nouvelle famille, le clan Weboy, dans le Montana.

Margaret se rend compte que son petit-fils n’est pas bien considéré dans le clan Weboy, laissé de côté. Il n’est pas dans des conditions acceptables pour s’épanouir. Cette situation devient insoutenable pour elle, et un matin, elle décide de voyager dans le Montana et de le ramener chez eux, coûte que coûte.

George sait très bien que Margaret ne changera pas d’avis. Quand elle a décidé quelque chose, elle prend les choses en main. Elle a tout préparé, des affaires à la nourriture, a récupéré l’argent disponible, et lui présente la situation : avec ou sans lui, elle ira récupérer Jimmy. George connait sa femme ; il décide de l’accompagner dans son long voyage vers l’inconnu.

Avec un tel sujet, on aurait pu s’attendre à la description d’une itinérance de nos deux sexagénaires à travers les Etats-Unis pour rejoindre le Montana et affronter le clan Weboy. Larry Watson préfère s’attarder sur la psychologie des deux personnages principaux et nous concocte des dialogues remarquables qui vont nous en dire bien plus sur George et Margaret que de longs discours.

Nous allons donc vivre avec George et Margaret, plus que les suivre, en appréciant la ténacité féminine et l’amour fou de George pour sa femme. Nous allons aussi voir leur attitude, leurs réactions évoluer dans trois scènes marquantes, la première rencontre avec le clan Weboy, la deuxième rencontre à l’hôtel et enfin la scène finale. Assurément vous n’oublierez pas ce roman avec ses pièces angulaires si émotionnellement fortes.

Larry Watson nous présente donc, avec son style personnel, sa façon d’en dire le moins possible laissant son lecteur interpréter ses personnages, avec sa faculté de créer une tension insoutenable en une phrase, avec son talent d’alterner la douceur avec l’agression extrême (non explicite) l’Amérique rurale, faite de clans, de groupes dans lesquels on n’accepte pas les étrangers et où la seule façon de réagir est de se replier derrière un mur de violence.

Malgré des personnages caricaturaux, on s’attache à George et Margaret ainsi qu’à tous ceux qui gravitent autour d’eux et les aident dans leur entreprise. Outre son scénario simple, on retiendra son traitement original et surtout cette plume unique capable de d’entrer dans la tête des protagonistes grâce à une phrase de dialogue géniale. Et puis, il faut bien s’avouer que le portrait de l’Amérique rurale fait froid dans le dos, d’autant plus qu’il a des accents intemporels qui nous permettent de faire le parallèle avec la situation d’aujourd’hui.

L’illusion du mal de Piergiorgio Pulixi

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Dans L’île des âmes, nous faisions la connaissance de Mara Rais et Eva Croce, la première sarde et mutée aux affaires non élucidées et la deuxième milanaise ayant demandé sa mutation suite à la mort de sa petite fille. Autant L’île aux âmes faisait la part belle aux paysages et aux légendes de la Sardaigne, autant nous nous retrouvons dans un pur thriller qui respecte à la lettre les codes du genre. Un thriller de haut vol, 600 pages avalées en trois jours seulement.

Le verdict vient de tomber dans le procès d’un pédophile avéré et stupéfie l’assistance. Le beau-père ayant abusé de la jeune fille est acquitté parce qu’à force de faire trainer en longueur les délais d’enquête, les faits qui lui sont reprochés sont devenus prescrits. La présidence du tribunal ne peut que commencer son annonce par des excuses : « Je vous demande pardon au nom du peuple italien pour cette grave injustice dont nous avons tous conscience… »

Après avoir remercié son avocat, Daniele Truzzu rentre chez lui. A son domicile, un homme l’attend et l’endort. Plus tard, ce jour-là, une vidéo est postée sur Whatsapp. On y voit Truzzu attaché sur une chaise, les dents arrachées, la bouche ensanglantée. Puisque la justice ne peut faire son travail, le peuple devra voter sur le sort du violeur. Le ravisseur donne trois heures aux gens pour entre la vie et la mort.

Eva, en pèlerinage sur ses terres natales à Belfast, reçoit un appel de Mara. Elle doit vite revenir pour retrouver le violeur, dont les dents ont été offertes dans un sac en plastique à la victime de Truzzu, sa belle-fille. Quand la vidéo déferle sur les réseaux sociaux, tout le monde ne parle que de cela. En haut lieu, à Milan, tout le système judiciaire est sur les dents (désolé, je n’ai pas pu m’empêcher de la faire !). On dépêche sur place un excellent policier habitué aux cas difficiles, Vito Strega.

« En Italie, le meurtre vend plus que le cul. » Luana Rubicondi a commencé comme simple journaliste avant d’arriver devant les écrans pour les informations télévisées. Approchant de la cinquantaine, après un passage au télé-achat, elle a profité du regain d’intérêt pour les faits divers et créé son émission Verdict. Quand elle apprend l’existence de la video du Dentiste, elle change son programme et improvise une émission spéciale qui va mettre le feu aux poudres.

Les qualités qu’attendent les fanas du thriller peuvent se résumer en quelques mots : des personnages forts, une histoire prenante et du rythme. Ce que j’attends des thrillers, c’est une belle écriture et un thème qui permet d’élever le débat au dessus d’une simple course poursuite après un serial killer. Avec ce roman là, les fanas du genre vont être comblés et j’ai été happé, ébloui par ses qualités et les différences avec le premier roman.

On retrouve avec une joie non dissimulée nos deux inspectrices dont tous les traits de caractère sont aussi opposés que l’eau et le feu. Malgré cela, elles forment un duo imparable, implacable et redoutablement efficace. A la limite, on n’avait pas besoin de Vito Strega sauf pour les scènes finales. S’il n’est pas nécessaire d’avoir lu L’île des âmes auparavant, je vous conseille tout de même de la faire, pour deux raisons : vous appréhenderez mieux les personnalités de Mara et Eva ainsi que la Sardaigne ; et il vient de sortir au format poche.

L’histoire est implacablement menée, avec ses morts toutes les deux cent pages, le passage d’un personnage à l’autre, les dialogues qui claquent, des phrases courtes, les chapitres qui ne dépassent que rarement les quatre pages. Toutes ces qualités font que cela nous pousse à aller toujours plus loin, à vouloir connaitre la suite et ne pas le lâcher. De ce point de vue là aussi, ce roman est une grande réussite.

Enfin le sujet qui se rapproche de 7 milliards de jurés ? de Frédéric Bertin-Denis, fera forcément réagir beaucoup de gens. L’état étant le garant du progrès de la société, il est inadmissible que les budgets de la justice soient sabrés, que les procès trainent en longueur et que des coupables évidents s’en sortent avec des dessous de table ou juste un avocat doué. Piergiorgio Pulixi s’en sort remarquablement bien en abordant tous les points de vue et en cela, ce roman s’avère bigrement passionnant aussi.

Allez, je vais chipoter un peu, alors que ce thriller est réellement un excellent roman. Tout d’abord, comme je l’ai dit, le personnage de Vito Strenga n’était pas nécessaire, sauf pour la fin. Ensuite, il a tendance à insister sur le mal-être de Mara, sur la dureté d’Eva, et cela se voit, même si j’apprécie Eva. Enfin, les événements, c’est à dire chaque kidnapping, interviennent de façon un peu trop rythmé (toutes les 150 pages environ) et j’aurais aimé un peu plus de surprise. Mais au regard du plaisir que j’ai eu à le lire, je chipote.

Ne ratez pas cet excellent thriller, il en vaut largement le coup.

L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel

Editeur : Gallmeister

Traducteur : François Happe

A la suite du succès rencontré par son roman Betty, les éditions Gallmeister ressortent le premier roman de Tiffany McDaniel, initialement sorti chez les éditions Joëlle Losfeld, dans une nouvelle traduction. On retrouve avec plaisir cette plume poétique dans cette histoire entre réalité et fantastique.

La petite ville de Breathed, Ohio, est écrasée par la chaleur lors de cet été 1984. Fielding Bliss, le narrateur, passe ses vacances avec son grand frère Grand qui excelle au lancer au baseball, sa mère Stella qui ne sort pas de la maison par peur de l’eau, Autopsy, son père qui a la charge de procureur, et Granny leur vieux chien. A la suite d’un procès qu’il a gagné, Autopsy, toujours dans le doute, fait publier dans un journal l’annonce suivante :

« Cher Monsieur le Diable, Messire Satan, Seigneur Lucifer, et toutes les autres croix que vous portez, je vous invite cordialement à Breathed, Ohio. Pays de collines et de meules de foin, de pêcheurs et de rédempteurs.

Puissiez-vous venir en paix.

Avec une grande foi.

AutopsyBliss »

Quelques jours plus tard, Fielding rencontre un petit garçon noir qui dit être le Diable. Il ne connait pas son nom, et se surnomme lui-même Sal, contraction de SAtan et Lucifer. Personne ne le croit et le shérif va rechercher des enfants ayant disparu dans les environs. Et dans cette ville à majorité blanche, on regarde bizarrement ce petit être, surtout quand des phénomènes dramatiques se succèdent.

Fielding se présente comme un vieil homme quand il raconte cette histoire et à chaque début de chapitre, il se raconte au présent quand un détail le ramène dans ses souvenirs, dans ce passé maudit de 1984. Le procédé, classique s’il en est, fonctionne à merveille ici et on ne peut qu’être ébahi devant la maitrise montrée par Tiffany McDaniel pour son premier roman, d’autant qu’elle a commencé son écriture à l’âge de 15 ans.

L’auteure va donc nous faire vivre cette ville, ces gens simples, qui respectent les autres, qui croient en la police et la justice, qui croient aussi aux légendes et à la religion. Et Sal va petit à petit concentrer toutes les craintes, toutes les peurs surtout dans un contexte propre à faire monter la tension et exciter tout le monde. Il fait chaud, il fait lourd, le ciel est bleu à n’en plus finir, et le vendeur de glaces a détruit son stock ! A cela, s’ajoute le racisme ambiant qui va aboutir à la création d’une communauté anti-noire … pardon … anti-Diable.

Il n’est pas une page qui nous rappelle le contexte, et je ne compte plus le nombre de verres bus pendant cette lecture, tant la chaleur est palpable, tant la sécheresse agressive. Et si on a l’impression de rester spectateur au début du roman, Tiffany McDaniel arrive à nous impliquer dans son histoire par de petits événements que l’on a forcément connus, et cela finit par créer une sorte d’intimité, ce qui va rendre la fin d’autant plus dramatique et horrible.

Et puis, Tiffany McDaniel nous étale déjà son talent d’écrivaine, sa poésie venue d’ailleurs (je parlais de poésie issue de ses racines indiennes lors de mon avis sur Betty). Elle a l’art de glisser des remarques, de faire des comparaisons dont nous n’aurions même pas eu l’idée, elle a le talent de montrer les sentiments des gens, de nous faire ressentir la souffrance de la nature et des animaux, et de pointer la nature de l’homme dans une vaste réflexion sur le Bien et le Mal de façon totalement original. On se laisse bercer, on voyage en compagnie de Fielding, et plus les pages filent, plus l’horreur monte. Un premier roman impressionnant.

Le chouchou de l’été 2022

Allez, finies les vacances ! Il va falloir retourner au boulot. Avant que les nouveautés ne débarquent, même si quelques-unes sont déjà sorties, voici un petit récapitulatif des avis publiés cet été qui devrait vous permettre de trouver votre bonheur. Comme les autres années, j’ai classé les titres par ordre alphabétique de leur auteur et trouvé un court descriptif pour qualifier chacun d’eux. A vous de choisir :

Carlos de Jérémy Bouquin (Cairn) : une visite des bas-fonds de Pau, explicite

L’eau du lac n’est jamais douce de Giulia Caminito (Gallmeister) : De l’importance de l’éducation, un roman qui me parle

L’affaire Myosotis de Luc Chartrand (Seuil) : Thriller dans la bande de Gaza

Un monde merveilleux de Paul Colize (HC éditions) : L’Homme sait-il faire autre chose que détruire ? Très bon

Tapas nocturne de Marc Fernandez (LdP) : Prequel de la trilogie Diego Martin, pour les fans

Alliance Palladium de Stéphane Furlan (Cairn) : un polar prometteur

Rattrape le ! De Jake Hinkson (Gallmeister) : Un roman noir impeccable sur l’hypocrisie de la religion

Jesus’ son de Denis Johnson (10/18) : Recueil de nouvelles halluciné

Le jour des fous de Stéphane Keller (Toucan) : Dénonciation de l’industrie pharmaceutique dans un monde futuriste, prenant

Un voisin trop discret de Iain Levison (Liana Levi) : Levison à son niveau, excellent

Blackwater – La maison / La guerre / La fortune / Pluie de Michael McDowell (Monsieur Toussaint Louverture) : Suite et fin de cette saga familiale fantastique et populaire

Traqués d’Adrian McKinty (Mazarine) : une famille chassée par des cinglés, divertissant

Venture de Philippe Paternolli (Editions du Caïman) : Dernier tome des enquêtes de Vincent Erno, très bon

La mécanique du pire de Marco Pianelli (Jigal) : un polar impeccable

Last exit to Brooklyn de John Selby Jr (10/18) : un monument de la littérature. COUP DE COEUR !

Skaer de Philippe Setbon (Editions du Caïman) : un scénario implacable

Usual victims de Gilles Vincent (Au Diable Vauvert) : Un polar vicieux

Le titre du chouchou de l’été 2021 revient donc à L’eau du lac n’est jamais douce de Giulia Caminito (Gallmeister)  parce que c’est un roman qui me parle, parce que je me suis retrouvé dans cette jeune femme qui subit la pression de sa famille pauvre pour réussir, parce que la plume de l’auteure est juste magique, poétique.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous souhaite un bon courage pour la reprise et vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Rattrape-le ! de Jake Hinkson

Éditeur : Gallmeister

Traducteur : Sophie Aslanides

De tous les romans de Jake Hinkson, j’apprécie particulièrement sa faculté de créer des intrigues noires tout en ayant la volonté de dénoncer l’hypocrisie de la religion. Ayant été élevé dans un environnement familial fortement religieux, il mène ce combat avec beaucoup de cœur voire de vaillance, en nous ayant habitué à des intrigues du type « rentre dedans ». Du coup on peut se trouver surpris par ce roman qui semble s’être beaucoup assagi, même si le sujet est fort bien traité et le message d’autant plus clair qu’il est frappant.

Lily Stevens est une jeune fille de 18 ans qui se présente au commissariat. Elle est enceinte de Peter Cutchin et est venue déclarer sa disparition. En tant que fille du pasteur de l’église pentecôtiste unitaire, le shérif respecte parfaitement sa demande et va même jusqu’à convoquer Cynthia la mère de Peter pour savoir si elle sait où se trouve son fils.

Évidemment pour une église aussi rigoriste que celle de son père, la situation de Lily est fortement embarrassante. Le fait qu’elle ait fait convoquer Cynthia la fleuriste au commissariat est un scandale supplémentaire à tel point que lors de la messe du dimanche, la petite communauté, poussée par Sœur Drinkwater, envisage de remettre en cause le poste de pasteur du père de Lily. Lily se retrouve donc sous pression et doit retrouver Peter avant la fin de la semaine.

N’écoutant que son courage mais aussi son insouciance due à sa jeunesse, elle décide de rendre visite à Allan, un collègue de travail de Peter mais aussi le frère de sa mère que cette dernière a répudié à cause de son homosexualité. Lily guidée par Alan va découvrir un monde ultra violent fait de drogue de prostitution et de violence.

Par rapport à ses précédents romans Jake Hinkson ne va pas attaquer frontalement la religion mais prendre comme personnage principal la fille d’un pasteur. Lily va donc ressembler à un mouton que l’on va lâcher au milieu d’une horde de loups ou devrais-je dire dans un monde parallèle dont elle n’avait aucune idée quant à sa réelle nature noire. Ce qu’elle va découvrir m’a beaucoup fait penser à Blue Velvet de David Lynch.

De la psychologie de tous les personnages, qu’ils soient au premier plan ou bien secondaires, tous sont formidablement croqués et vont contribuer à faire avancer cette intrigue de façon remarquablement logique, et nous offrir de nombreux rebondissements, ce qui va donner un roman formidable à suivre et un roman noir digne des meilleurs polars américains actuels.

Petit à petit, Jake Hinkson va construire son scénario à l’aide de nombreux événements et avancer dans la description de ce monde obscur, avec le seul objectif de mettre en avant l’hypocrisie de l’église pentecôtiste et d’une façon plus générale de la religion et de ceux qui la pratiquent. La démonstration se révèle éloquente, voir frappante et la morale de cette histoire se résume dans cet adage familier : « faites ce que je dis pas ce que je fais ». Il est aussi à souligner que la fin du roman ajoute à sa qualité globale tant elle est formidablement réussie.

L’eau du lac n’est jamais douce de Giulia Caminito

Editeur : Gallmeister

Traductrice : Laura Brignon

Après Un jour viendra, le premier roman traduit de cette jeune auteure, on sentait une puissance de son écriture capable d’emporter tout le monde. GiuliaCaminito nous propose de suivre la vie d’une enfant devenant adulte, à travers ses réactions et les événements qu’elle va vivre.

Gaïa est née dans une famille pauvre. Sa mère Antonia fait des ménages et son père est handicapé suite à un accident de travail sur un chantier, où il travaillait au noir. Cloué sur son fauteuil roulant, il ressemble plutôt à une plante verte qu’on a abandonnée au salon. Son grand frère, né d’une précédente liaison, est laissé à part et tous les espoirs d’Antonia résident dans la réussite de Gaïa.

Toute la famille vit dans une cave et Antonia a demandé un appartement aux services sociaux. L’inertie de ceux-ci fait que le dossier n’avance pas. Mais Antonia ne se laisse jamais abattre, ne baisse jamais les bras et fait le siège des bureaux pour avoir le dernier mot. Il faudra l’arrivée d’un nouveau chef de service pour qu’ils aient l’autorisation de déménager dans un grand appartement situé juste à côté d’un lac.

Pour Gaïa, sa vie est à refaire. Elle va entrer à l’école et côtoyer des enfants tous plus riches qu’elle. Sa mère lui répète, lui serine qu’elle n’a pas d’autre choix que de travailler dur pour réussir à l’école. Alors elle se bat tous les jours avec les faibles moyens dont elle dispose, considérant ses camarades comme des ennemis, ou au moins des concurrents. Antonia, avec sa volonté de se battre pour ses enfants afin qu’ils obtiennent une meilleure vie, ne se rend pas compte de la pression qu’elle leur met au-dessus de leur tête.

La première partie du roman m’a réellement impressionné, par son style imagé et poétique, par le ton sec, par la psychologie de Gaïa la narratrice et par le sujet, l’éducation d’une enfant et son passage à l’âge adulte, avec les déboires que cela entraine et la pression que l’on reçoit de ses parents. Et j’ai plongé, j’ai aimé suivre Gaïa, son esprit de battante, sa volonté de ne rien lâcher, malgré sa rigueur, sa méchanceté.

Et comme l’immersion dans cette vie d’une famille pauvre italienne me parle, comme ce roman fait écho à mon propre passé, j’ai poursuivi Gaïa comme une sœur imaginaire, l’aidant dans les moments difficiles, subissant les moqueries des camarades et ne trouvant comme réplique que la méchanceté (dans son cas) ou l’autodérision (dans le mien), comme un rempart devant ce qui nous a manqué.

Quand on ne nait pas dans une famille aisée, on va le dire comme ça, il s’avère bien compliqué de ne pas éprouver de complexe d’infériorité devant des habits de marque, ou même de ne pas changer d’habits tous les jours. Il y a 40 ans, quand on était boursier, on n’avait pas le droit de redoubler en classe; je vous laisse imaginer la pression. Tous ces aspects là m’ont touché, forcément.

Comme nos choix de vie entre Gaïa et moi furent différents, sa fin de l’adolescence m’a moins touché, voire j’y ai trouvé des longueurs tout en reconnaissant la justesse des événements et des réactions. Et puis, n’oublions pas que c’est un roman dramatiquement, follement beau et qu’il faudra à Gaïa des morts parmi ses proches pour se rendre compte de ses erreurs. Un roman à part pour moi.

Le chouchou du mois de juin 2022

Le mois de juin se termine, et j’ai envie de dire : Déjà ? L’impression que le temps file à la vitesse d’une formule 1, qu’il faut penser aux vacances, ce qu’on va faire et ce qu’on va lire !

Eh bien, justement, je vous propose un récapitulatif des billets sortis ce mois-ci afin de vous aider dans vos choix de romans qui vous accompagneront soit sur la plage, soit à la campagne, soit chez vous allongé sur votre canapé.

J’en profite pour vous signaler que Black Novel est passé sur un rythme estival, avec (seulement) deux billets par semaine pour que je me repose un peu. Je vous souhaite de bonnes vacances, reposantes et instructives.

Commençons par le Oldies du mois qui est aussi un coup de cœur pour moi. L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde (10/18) est un roman différent, sorte d’uchronie, de voyage dans le monde des livres. Imaginez que vous puissiez pénétrer les pages de votre roman favori et vivre avec vos personnages préférés, voire changer ou altérer l’intrigue. D’un humour loufoque totalement anglais, ce roman vous emporte ailleurs et fait preuve d’une imagination débordante.

Pour ceux qui aiment les sagas au long cours, j’ai continué La compagnie des glaces de GJ.Arnaud Intégrale tome 5 (Fleuve Noir) avec quatre romans (les épisodes 17 à 20) qui clôturent le premier cycle de cette saga de Science-Fiction incroyable. Pour revenir à quelque chose de plus actuel, Blackwater – La crue & La digue de Michael McDowell (Monsieur Toussaint Louverture) sont les deux premiers tomes d’une fresque jamais publiée en France, mélange de saga familiale et de fantastique, du roman populaire comme on les aime.

Pour ceux qui aiment les romans français, Et dire qu’il y a encore des cons qui croient que la Terre est ronde de Maurice Gouiran (Jigal) est le dernier roman en date de cet auteur prolifique. Derrière ce titre comique et sa couverture géniale, il renferme un roman policier emballant et nous instruit sur les complôtistes avec un Clovis Narigou en pleine forme. On classera Chez paradis de Sébastien Gendron (Gallimard) dans la catégorie Roman Noir, et propose une belle galerie de pourris dans un décor de station-service isolée qui va déboucher sur un final de western en guise de feu d’artifice.

L’un des meilleurs conteurs contemporains s’appelle Don Winslow, et il a toujours dit que le polar tirait ses sources d’inspiration des tragédiens grecs et de William Shakespeare. Dans La cité en flammes de Don Winslow (Harper & Collins), il oppose deux clans de mafieux à la suite de l’apparition d’une femme superbe qui va faire office d’étincelle dans un entrepôt d’explosifs. Ce roman est juste impossible à lâcher.

Je voulais tester un roman de cet auteur dont on parle tant. C’est donc fait avec Orphelin X de Gregg Hurwitz (H&O). On se situe plutôt dans le domaine du roman d’action pure et l’auteur arrive, avec beaucoup de clins d’œil, à nous tenir en haleine en faisant référence à beaucoup d’auteurs du genre, qu’ils soient issus du cinéma ou de la littérature. A suivre …

Le titre du chouchou du mois revient donc à Les gens des collines de Chris Offutt (Gallmeister), auteur rare mais toujours passionnant. Son intrigue est un régal, un exemple de simplicité mais aussi d’efficacité dans son déroulement. Quant au style, chaque phrase nous parait d’une évidence remarquable. Du grand art, un roman à ne pas rater.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures estivales. Je vous donne rendez-vous fin aout pour un titre tant envié de chouchou de l’été. En attendant, je vous souhaite à nouveau de bonnes vacances et surtout, n’oubliez pas le principal, lisez !

Les gens des collines de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Chris Offutt publie trop rarement des romans, et cela attire forcément l’œil du fan de polar quand il aperçoit un de ses titres. Etant écrivain pour des séries télévisées, on comprend que son emploi du temps soit chargé. Mais quand on lit ses romans, on regrette qu’il n’en sorte pas plus souvent.

Mick Hardin est de retour dans son village du Kentucky. En tant que militaire de carrière, il a arpenté le monde dans tous les endroits ensanglantés du monde (Afghanistan, Irak, …) et travaille actuellement dans la Police Militaire. Alors qu’on lui accorde une permission, son retour va lui permettre de voir Peggy sa femme enceinte et de ressouder son couple qui bat de l’aile à cause de ses absences.

Sa sœur, Linda Hardin, a récupéré le poste de shérif après la mort du précédent titulaire du poste. Dans des contrées rurales, il est bien difficile de se faire une place lorsqu’on est une femme. Mais Linda n’est pas du genre à se laisser faire.

Quand un vieil homme retraité, qui a l’habitude de partir à la recherche de racines de ginseng, retrouve le corps d’une jeune femme en bas d’une falaise, Le corps ne comporte pas de culotte, ce qui ouvre toutes les possibilités quant au mobile du meurtre. Linda va faire appel à son frère pour qu’il l’aide, car de toute évidence, beaucoup de gens connaissent l’identité du meurtrier et veulent faire leur justice eux-mêmes.

Cette intrigue simple permet à l’auteur de faire de formidables portraits des habitants des campagnes américaines. Mick et Linda vont surtout nous servir de guide pour rencontrer des gens mutiques, plus occupés à protéger leurs affaires et leurs terres qu’à aider les autres. Chris Offutt ne juge jamais personne, il déroule son intrigue, et nous montre ce que sont les vrais américains du cru et de ses problèmes culturels. J’en veux pour exemple l’accueil fait à Mick quand il approche d’une masure, accueilli par un homme armé d’un fusil.

Chris Offutt en profite aussi pour montrer le clivage de cette société, le fossé se creusant entre les pauvres et les riches, les hommes de pouvoir (qui peuvent convoquer le FBI pour une affaire locale, juste par un coup de fil) et le commun des mortels qui doivent se débrouiller. Dans une région calme en apparence, il oppose en permanence la nature calme et sereine à la violence des hommes. Car avec cette affaire, se cache aussi les élections de shérif et tout le monde aimerait que Linda les perde, parce qu’elle est une femme.

Chris Offutt développe tous ces thèmes avec un style simplifié, limpide, en y ajoutant des traits d’humour dans les dialogues. Mais surtout, il ressort de cette lecture un plaisir immense devant l’évidence de la narration. Chaque phrase, chaque événement paraissent évidents, minimalistes et pourtant si expressifs. Un excellent roman, un polar exemplaire de la part d’un auteur qui fait montre d’un sacré savoir-faire. Du grand art !