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L’arbre aux morts de Greg Iles

Editeur : Actes Sud

Traductrice : Aurélie Tronchet

En tant que deuxième tome de la trilogie consacrée au Mississipi, L’arbre aux morts commence juste après les événements relatés dans Brasier noir et s’affiche comme un pavé presque aussi gros que son prédécesseur. Il est donc indispensable d’avoir lu Brasier noir avant de lire celui-ci.

Caitlin Masters et Penn Cage, qui doivent se marier, ont échappé à la mort après l’incendie de la résidence de Brody Royal, où ils étaient retenus prisonniers. Henri Sexton, le journaliste qui a enquêté sur les Aigles Bicéphales, groupuscule raciste anti-noir, s’est sacrifié pour les sauver et a emporté avec lui l’infâme Brody Royal dans les flammes. Mais Caitlin et Penn vont se séparer car la course poursuite n’est pas terminée.

Caitlin Masters veut à tout prix publier les recherches d’Henri Sexton dans le journal dont son père est le propriétaire, en forme d’hommage envers Henri qui lui a confié plus de trente années de documents. De son coté, Penn Cage doit retrouver son père, le vieux médecin Tom Cage, accusé du meurtre de l’infirmière noire Viola Turner, et déterminer une bonne fois pour toutes les zones d’ombre de son passé.

Tom Cage sait très bien qu’il ne peut compter sur personne, sauf Walt Garrity, un ancien Marines et son meilleur ami. Il se retrouve avec un tueur à gages, ligoté sur la baquette arrière, envoyé par Forrest Knox pour le tuer. Car Forrest, chef de la police d’état, veut se débarrasser du vieux docteur pour qu’il ne dise pas ce qu’il sait sur les rencontres qu’il a pu faire dans les années 60, suite aux meurtres de jeunes noirs.

Aussi imposant que le premier tome, ce pavé possède toutes les qualités qui ont fait le succès de Brasier Noir, à savoir une intrigue complexe basée sur un nombre important de personnages ayant chacun leurs chapitres, des rebondissements et des dialogues très bien faits. A la limite, ce deuxième tome, contrairement au premier, apparaît très calibré, et cela se ressent par moments, d’où une sensation de quelques longueurs.

Mais l’impression globale est très positive, et ce roman est à classer dans les polars historiques américains où des personnages fictifs côtoient les faits historiques pour expliquer des événements contemporains. Dans Brasier Noir, Greg Iles montrait comment les dirigeants politiques, économiques et policiers œuvraient contre les noirs, quitte à perpétrer des meurtres pour se débarrasser des personnes gênantes. Ici, Greg Iles décrit comment la mafia de la Nouvelle Orléans a mis la main sur l’économie et la politique, et tente de donner une explication de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Et il décrit aussi comment la mafia a renforcé sa position après l’ouragan Katrina.

Alors la construction est passionnante car faisant avancer les pions sur l’échiquier en fonction des différents événements, passant en revue les conséquences en décrivant les réactions des différents protagonistes. Et chacun va courir après un objectif qui lui est propre, Penn Cage après son père, Caitlin après son scoop, Tom pour sa survie, Forrest pour effacer les preuves et témoins l’incriminant à l’aide des membres des Aigles Bicéphales ; à cela, il faut ajouter John Kaiser du FBI et Walker Dennis le shérif qui représentent le coté de la loi.

Si ce deuxième tome m’a paru un ton en dessous de Brasier Noir, c’est parce qu’on arrive à voir la recette utilisée par Greg Iles pour construire son intrigue. J’ai eu l’impression qu’il en faisait trop, par moments. Pour autant, je l’ai lu avec un grand plaisir et je l’ai trouvé passionnant et convaincant dans sa démonstration des événements survenus en 1963 et j’ai beaucoup apprécié la fin, où certains personnages n’en sortent pas indemnes. Cela augure de belles heures de lecture pour la suite, car toutes les questions n’ont pas encore trouvé leurs réponses. A suivre … avec Le sang du Mississippi.

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Le chouchou du mois de janvier 2019

Allez, on redémarre pour une nouvelle année après une année 2018 fort réjouissante pour les découvertes de polars. Evidemment, je vous souhaite une excellente année 2019 pleines de lectures fantastiques !

Comme ont pu le constater les fidèles du blog, les chroniques de ce mois ont beaucoup concerné des romans au format de poche et des lectures de 2018. Le seul roman de cette rentrée littéraire étant Dix petites poupées de B.A Paris (Hugo & Cie), où cette auteure britannique arrive encore une fois à nous surprendre dans un polar psychologique ayant pour cadre la famille et le couple. Je suis fan !

L’année 2018 s’est bien mal terminée, avec la disparition soudaine de Claude Mesplède, le pape du polar, le père des blogueurs. J’ai décidé de lui dédier mes chronique Oldies de 2019, en les consacrant à la Série Noire de Gallimard, collection qu’il appréciait tant. J’ai chroniqué ce mois-ci La danse de l’ours de James Crumley, nouvellement réédité par les éditions Gallmeister, un roman qui commence simplement et qui s’avère une enquête furieuse.

Le mois de janvier, c’est aussi le mois de mon anniversaire. Je n’avais pas prévu de publier un billet mais mon amie Suzie m’a fait un cadeau en parlant des 7 jours du Talion de Patrick Senécal (Fleuve Noir), un thriller qui pose la question de la différence entre justice et vengeance, un roman à lire.

Je me lance des challenges dans mes lectures. J’ai décidé de lire La compagnie des glaces de GJ.Arnaud (French Pulp), et j’ai de quoi faire. Les tomes 7 et 8 s’appellent Le gnome halluciné et La compagnie de la banquise et ce sont deux excellents romans à la fois foisonnants et passionnants, qui relancent la série vers des contrées inexplorées. J’ai hâte de continuer !

J’ai aussi fini de lire les aventures de Charlie Parker, le détective récurrent inventé par John Connolly. Je suis à jour de ses romans quant à leur parution en format poche avec mon avis sur Le chant des dunes de John Connoly (Pocket). Encore une fois c’est un très bon thriller, où notre héros, mal en point, a affaire avec des nazis.

Je me suis lancé dans un nouveau challenge, aussi : lire ou relire les aventures de Bob Morane. Comme il y en a beaucoup, je vais me limiter au combat entre notre héros préféré et l’Ombre Jaune, l’un de ses ennemis les plus marquants. La couronne de Golconde d’Henri Vernes (Marabout) est un roman d’aventure exotique qui vaut surtout pour la première rencontre entre les deux personnages et son style imagé, simple et passionnant.

Je continue mon implication dans le Grand Prix des Balais d’Or, en tant que juré, organisé par mon ami Richard Contin. Dans ce cadre, j’ai chroniqué deux excellents polars, très différents, mais qui valent très largement le détour. Etoile morte d’Ivan Zinberg (Points) possède un scénario redoutablement bien construit et nous montre l’envers du décor du cinéma pornographique extrême, avec deux personnages principaux que l’on a envie de suivre. L’essence du mal de Luca d’Andrea (Folio) est un premier roman attachant, à l’atmosphère énigmatique et stressante qui met en scène un scénariste de reportages documentaires en train de se reconstruire et aux prises avec un mystérieux massacre dans les montagnes italiennes ; c’est une grande réussite.

Pour rester dans le noir, Enfermé-e de Jacques Saussey (French Pulp) est un roman orphelin de cet auteur prolifique que j’adore. Depuis quelques romans, Jacques Saussey vire dans une veine plus noire et plus violente. Ce roman parle et défend la cause des Trans-genres, en ne nous épargnant pas les tortures subies par son personnage principal. Lêle s’il faut s’accrocher, c’est un roman important.

Dans le veine Violence à gogo, quoi de mieux que de placer une intrigue en Afrique du Sud, l’un des pays les plus meurtriers du monde ? Avec La mort selon Turner de Tim Willocks (Sonatine), l’auteur nous montre grâce à une intrigue simple, la lutte entre les riches et les pauvres avec un personnage de flic droit et intègre. Duel au sommet et au soleil, si on peut penser à une aventure d’un Rambo moderne, il n’en reste pas moins que la tension est omniprésente.

Une secrétaire de Jérémy Bouquin (French Pulp) est le dernier roman en date de cet auteur que je défends. Conçu comme un hommage envers ses auteurs fétiches (Dantec, Palaniuck, Orwell) mais aussi envers les petites gens qui construisent leur vie comme ils le peuvent, ce roman à l’intrigue mi-policière, mi-fantastique se lit comme du petit lait.

Santiago Quinones, voilà un personnage que je suis grâce à la plume magique de son auteur. Sa troisième enquête La légende de Santiago de Boris Quercia (Asphalte) est d’une noirceur sans fond, et elle nous montre la descente aux enfers de notre inspecteur favori. C’est un roman noir énorme, rare. Et c’est mon premier chouchou !

Mon deuxième titre de chouchou revient à Brasier noir de Greg Iles (Actes sud), le pavé du mois. 1040 pages pour une intrigue se déroulant en 2005 dans le Sud des Etats-Unis. Le format ne doit pas rebuter tant le savoir faire pour passionner le lecteur est impressionnant. Quel talent pour démontrer l’importance et la puissance du Ku Klux Klan encore de nos jours, quel plaisir on prend à dévorer, quelle force émotionnelle passe à chaque chapitre. J’ai été totalement bluffé par ce roman.

Deux chouchous pour bien démarrer l’année, que demander de mieux ?

J’espère que mes avis vous auront aidé dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Brasier noir de Greg Iles

Editeur : Actes Sud

Traductrice : Aurélie Tronchet

Le Père Noël est une des personnes que je vénère le plus au monde. Il a le bon goût de me ramener chaque année des kilogrammes de pages à lire. Cette année, si la masse était aussi imposante que les autres années, le nombre de romans était moins important, à cause ou grâce au Brasier noir de Greg Iles. Presque 1050 pages vont nous plonger dans les années 60, au Mississipi et nous montrer l’importance et l’influence du Ku Klux Klan sur la vie américaine.

Natchez, Mississipi, 1964. Après avoir servi comme cuisinier pendant la seconde guerre mondiale, Albert Norris est revenu dans sa ville natale et y a ouvert un magasin d’instruments de musique. Noir de peau, son activité est respectée de tous et il accueille des jeunes pour qu’ils s’entraînent ou pour accorder leurs instruments. Albert permet aussi à des « couples illégitimes » noir/blanc de profiter de la petite pièce au fond de la boutique, au nom de l’amour.

C’est un bruit de verre cassé qui le réveille cette nuit là. En descendant à la boutique, il voit deux hommes en train de déverser des bidons d’essence dans la boutique. Ils veulent qu’il leur disent où est le jeune noir Pooky Wilson, qui retrouve parfois Katy Royal, la fille du magnat du pétrole et propriétaire de la compagnie d’assurances du coin. Albert ne sait que répondre. Alors les deux jeunes mettent le feu et retrouvent un troisième homme dehors : ils regardent la boutique partir en fumée et Albert mourir dans les flammes.

22 jours plus tard, Frank Knox, Sonny Thornfield, Glenn Morehouse et Snake Knox travaillent à l’usine de piles Triton. Ils en ont marre des noirs, des juifs et de la politique des Etats Unis qui part à vau l’eau. Ils décident de créer un groupe extrémiste plus violent encore que le Ku Klux Klan, les Aigles Bicéphales, qui sera financé par Brody Royal. Leur signe distinctif sera une pièce de monnaie trouée d’une balle pour la porter autour du cou. La cible finale des Aigles est JFK, son frère Robert Kennedy et Martin Luther King.

Natchez, Mississipi, 31 mars 1968. Cela fait deux ans que Frank est mort au Vietnam, mais les Aigles Bicéphales sont plus que jamais vivants. Snake, son frère en a pris la tête. Sonny et Snake kidnappent deux activistes noirs Luther Davis et Jimmy Revels pour les droits civiques et les emmènent vers un endroit appelé L’arbre des morts où ils les assassinent. Ils est vrai qu’ils n’en sont pas à un méfait près, puisqu’ils comptent à leur compteur plusieurs meurtres et le viol de Viola Revels, la secrétaire du docteur Tom Cage.

Trente sept ans plus tard, en 2005. Viola Turner (elle s’est mariée à Chicago et a eu un enfant) qui a fui à Chicago suite à son viol revient dans sa ville natale pour y mourir ; elle est atteinte d’un cancer incurable. Tom Cage va rendre visite à son ancienne secrétaire tous les jours. Le fils de Tom est maire de Natchez depuis quelques années. Ancien avocat, il essaie d’être juste pour sa population, et prend soin de son père, qui a fait une crise cardiaque quelques années auparavant.

Le corps de Viola est retrouvé dans sa chambre. Elle a fini par succomber à son cancer. Shad Johnson, le pire ennemi de Penn Cage l’appelle et lui annonce qu’il a dans son bureau un homme qui veut qu’on arrête son père pour meurtre. Cet homme n’est autre que Lincoln Turner, le fils de Viola, et assure que Tom a aidé Viola à terminer sa vie par un suicide assisté. Cette affaire va remuer de bien vieilles affaires monstrueuses …

La taille du roman ne doit pas vous faire peur. Ce n’est pas parce que ce roman fait 1050 pages que vous devez passer votre chemin. Au contraire, ce roman, par son format, va permettre de montrer la force et l’emprise du Ku Klux Klan sur la vie du Sud des Etats Unis, à tous les niveaux, à un point que l’on peut envisager mais ne surement pas croire. Avec ce roman là, vous allez perdre vos illusions et vos espoirs devant l’ampleur de l’intrigue et de ce qu’elle nous montre.

Je ne connaissais pas Greg Iles, n’ayant jamais lu un de ses romans, mais je dois dire que cet auteur est très doué pour planter un décor et décrire la psychologie humaine. Et avec un sujet pareil, son roman devient passionnant et, en un mot, impossible à lâcher. Car la force et la grande qualité de ce roman, c’est d’avoir descendu son intrigue au niveau des personnages, et d’en faire un roman humain plus qu’un simple polar mené par son scénario.

Et des personnages, on va en suivre un certain nombre dans ce roman, dont tous sont formidables. Au centre, on trouve Penn Cage, qui va se débattre comme un beau diable pour sauver son père, puis sa famille. Penn est en ménage avec Caitlin, grande reportrice qui a remporté le Prix Pulitzer. Tom Cage, quant à lui, va choisir de garder le silence, comme il en a le droit, mais il va semer le doute sur son innocence. Henry Sexton, reporter local, mène sa croisade personnelle contre les Aigles bicéphales et va voir dans cette affaire l’occasion de dénicher l’erreur qui lui permettra de faire tomber Brody Royal. Brody, en voilà un méchant extraordinaire, auquel on peut rajouter les Aigles vivant encore en 2005. Il y a aussi Shad, le procureur, obstiné dans sa quête de faire tomber Tom et par là même Penn ou bien subit-il des pressions ? Et je pourrais continuer cette liste longtemps …

Car la force de ce roman est là : un scénario en béton armé mais surtout une histoire que Greg Iles a choisi de raconter à hauteur d’homme, enchaînant les chapitres consacré à un personnage (sans en faire un roman choral), en décidant de rester humain. Et peu importe le nombre de chapitres, le nombre de pages ou le nombre de rebondissements, quand c’est humainement écrit, c’est passionnant et impossible à lâcher. C’est incroyable, le nombre de scène dont la puissance de force émotionnelle vous arrache des larmes, des sourires ou même des cris de rage.

Car le sujet est aussi révoltant que la forme est émotionnelle : Les arrangements entre amis, le racisme évidemment et les actions du Ku Klux Klan. Mais il y a bien plus encore : Ces exactions existent encore aujourd’hui. Et ces hommes ont tous les pouvoirs, presque jusqu’à la plus haute marche (quoiqu’on puisse se demander qui a fait élire Donald Trump !). Ces gens là détiennent la police, ou plutôt les polices, les médias, la justice et les politiciens. C’est un roman à l’ampleur rare, d’une ambition démesurée, qui a été rendu possible grâce à la passion que l’auteur a su y insuffler. Un roman à ranger aux cotés de ceux de James Ellroy dont il n’a pas à rougir. Oui, oui, à ce point là.

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