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Shit ! de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Chaque roman de Jacky Schwartzmann est un pur plaisir de jouissance, par sa faculté à regarder un pan de notre société par le petit bout de la lorgnette, et toujours avec un humour légèrement cynique. J’adore !

Thibault Morel occupe un poste de CPE dans le collège du quartier de Planoise, dans la banlieue de Besançon. Il loge dans une cité et sa cage d’escalier sert de four au trafic de drogue au clan albanais Mehmeti. Cela ne le gêne pas plus que ça, si ce n’est qu’il doit montrer à Reda une quittance de loyer de moins de trois mois pour rentrer chez luitous les soirs. Et dès qu’il dit un mot, il a droit à une baffe sur l’oreille.

Une nuit, il entend un échange de coups de feu digne des meilleurs westerns. Le lendemain, il apprend que les frères Mehmeti se sont fait rectifier. Poussé par sa curiosité naturelle, il coupe les scellés sur l’appartement d’en face et découvre la réserve de pains de shit cachés derrière la baignoire montée sur vérins, ainsi que des jolis paquets de fric.

Sa voisine Madame Ramla le surprend en pleine visite et ils empruntent quelques liasses de billets. Thibault pourra aider quelques familles à payer un voyage scolaire en Espagne. Mais les deux compères savent bien qu’ils ne peuvent laisser cette fortune dormir sinon un autre clan va venir s’installer. A l’aide d’une connaissance de Madame Ramla, ils vont réembaucher Reda et remettre en route le four, ce qui leur permettra d’aider des familles dans le besoin ; une sorte de deuxième activité à hauts risques.

Comme à son habitude, Jacky Schwartzmann nous décrit des gens dont on n’entend jamais parler, et il déploie tout son talent pour rendre son intrigue bigrement réaliste et transformer un simple CPE en Robin des bois moderne. Il fait montre de son habituel humour cynique qui nous tire au minimum un sourire, et souvent des éclats de rire, dans une situation qui, il faut bien le dire, s’avère dramatique, quand on prend un peu de recul.

Basé sur un début d’intrigue proche de La Daronne de Hannelore Cayre, Jacky Schwartzmann va nous concocter une intrigue bigrement réaliste et farfelue dont le but est bien de montrer comment les gens vivent. Et avec son regard lucide, il ne se gêne pas pour envoyer des piques à tous les corps de métier et tout le monde en prend pour son grade, de l’éducation nationale aux révoltés, en passant par la police ou les racistes de tous poils… et j’en passe.

Et cela aboutit à une lecture jouissive, car il nous montre des facettes et des gens qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer ou qu’on n’a pas envie de voir. Evidemment, le roman est amoral et cela reste un roman noir, mais pas uniquement. Il y a derrière cette intrigue tout un aspect social et politique que tout le monde devrait lire car, avec son humour, il pose des questions, et se poser des questions, c’est devenir plus intelligent. Remarquable ! Le pied intégral !

D’ailleurs, ce roman me fait penser à une réflexion de haut vol signée par les Shadocks : « A tout problème, il y a une solution. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. ». Encore faut-il vouloir trouver une solution …

Shit ! c’est le pied !

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Ceci n’est pas une chanson d’amour d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo & Agathe Lauriot Dit Prévost

Suite au billet de Jean-Marc Lahérrère, j’avais acquis ce roman et l’ai mis de côté. Maintenant que les trois tomes sont sortis, nous commençons donc une semaine complète dédiée à Alessandro Robecchi et son personnage récurrent Carlo Monterossi.

A voir les célébrités (que l’on appelle « stars ») squatter les émissions de télévision et étaler leurs problèmes de cœur, Carlo Monterossi a l’idée de transposer le concept auprès des gens du public et créé l’émission « Crazy Love ». Grâce à des scenarii concoctés aux petits oignons, l’émission rencontre un succès immédiat dès lors qu’il s’agit de regarder les malheurs de la ménagère, aidé en cela par la présentatrice vedette que tout le monde s’arrache Flora de Pisis.

Sauf que Carlo Monterossi ressent de la lassitude et veut arrêter de produire son émission pour « l’Usine à merde ». Quand un homme frappe à sa porte en voulant lui coller une balle entre les deux yeux, Carlo va faire appel à des deux amis Nadia et Oscar pour résoudre ce mystère plus tôt que la police ne serait capable de le faire.

Un homme riche monsieur Finzi fait appel à deux tueurs à gages pour résoudre un petit problème. Afin de pouvoir réaliser son centre commercial, il fait appel à un intermédiaire pour déloger des gitans du terrain. Mais l’affaire tourne mal, avec tirs de coups de feu et lancers de cocktail Molotov. Le bilan est lourd, deux morts côté gitans dont un enfant, et des policiers blessés. Il veut donc se débarrasser de l’intermédiaire incompétent.

En parallèle, les gitans ne peuvent pas laisser impuni cet acte meurtrier envers les leurs. N’ayant aucune confiance envers la police, et ils ont raison, ils vont mandater Hego et Clinton pour retrouver les assassins et les faire disparaitre de la surface de la Terre, ce qui ne serait pas une lourde perte.

Si vous ne le savez pas, je nourris une véritable aversion envers la télévision. Je ne peux donc que louer Alessandro Robecchi quand il l’évoque sous le terme « Usine à merde ». Et je m’attendais à détester Carlo Monterossi avant même de tourner la première page. Par son métier, scénariste et producteur d’émission de bas-étage (c’est mon opinion), Carlo pourrait ressembler à un chasseur de primes sans âme, courant après le profit en créant des émissions voyeuristes sans limites pourvu que cela lui ramène du fric.

Sauf que Carlo Monterossi, après avoir rencontré un succès incommensurable, songe à changer d’orientation devant son « bébé » qui devient de plus en plus obscène. Vous l’aurez compris, loin d’être un personnage exempt de tout reproche, nous avons affaire à quelqu’un en quête de rédemption, d’autant plus qu’on va vouloir attenter à sa vie. En comparaison, ses acolytes Nadia et Oscar sont plus effacés … mais attendons la suite de la série.

Par contre, les deux autres groupes permettent de profiter pleinement de l’humour de l’auteur, très cynique et bien noir comme je l’aime. Autant Carlo nous montre un humour noir et désabusé sur le Système, autant les tueurs à gages nous offrent des répliques d’une drôlerie irrésistible. Même certaines scènes prêtent à rire surtout dans la dernière émission de Crazy Love, flirtant avec du burlesque.

Enfin, Alessandro Robecchi a construit une intrigue retorse à souhait. Au-delà de faire avancer trois groupes indépendants n’ayant aucun lien, il va bâtir son édifice petit à petit et faire se rencontrer tout le monde, d’une façon totalement naturelle. On ne peut qu’être ébahi par cette maitrise mais aussi par le rythme global, même si on peut regretter quelques passages inutilement bavards et la présence d’un groupe néonazi qui aurait mérité à lui seul une enquête supplémentaire.

En conclusion, j’ai envie de dire : « Chouette, un nouveau personnage récurrent à suivre. » Mais il faut aussi souligner la remarquable acuité du monde de la télévision, la description de groupes néonazis, le ton personnel parsemé d’humour caustique et des personnages attachants. Ceci n’est pas une chanson d’amour, qui rappelle un titre de Public Image Limited, est une très bonne entrée en matière dans les affaires de Carlo Monterossi.

Un coup dans les urnes de Julien Hervieux

Editeur : Alibi

Le précédent roman, Sur les quais, nous présentait Sam et Malik et leur façon de monter leur trafic de drogue de façon moderne, comme une vraie entreprise. Un coup dans les urnes poursuit donc l’histoire …

Sam Ramiro, ancien directeur marketing, a vite compris qu’il pouvait appliquer les règles du marketing au trafic de drogue. Avec son comparse Malik Rojas, il a monté un commerce de cocaïne Haut-de-Gamme à destination de la jet set parisienne, qu’ils ont nommée Cut It Yourself. A Sam le montage financier, à Malik la logistique. Pour couvrir cette activité, Malik dirige en parallèle la revente de shit dans la cité des Deux-Chênes.

Pour faire bonne mesure et s’acheter une tranquillité, ils ont passé un accord avec le capitaine Blanchard en lui servant un plateau des saisies et parfois de petits dealers … enfin, ceux qui commencent à être dangereux pour Malik. Officiellement, Sam gère sa société de marketing et Malik une galerie d’art où il vend des graffitis, ce qui fait vivre la cité et permet de blanchir les quantités colossales d’argent sale générées par la cocaïne.

Les élections municipales approchant, Madelon, sombre directeur de cabinet au ministère de l’intérieur, prend contact avec Sam. Il a mis des équipes pour mettre à jour le trafic des deux comparses et leur demande de l’aider à se faire élire maire à la place de Mme Grégeois grâce aux voix des habitants de la cité des Deux-Chênes. Les deux amis se retrouvent face à un chantage qui n’en porte pas le nom.

Moi qui n’ait pas lu Sur les quais, je n’ai ressenti aucune gêne dans ma lecture. Je dirais même que c’est intelligemment écrit pour présenter la situation sans en avoir l’air. En un chapitre, on a tout compris grâce à une scène intelligemment construite et des dialogues bigrement intelligents. Tout ceci nous permet de plonger directement, dès le deuxième chapitre, dans le cœur de l’intrigue.

Le sujet du roman se situe au niveau de la politique locale, des luttes intestines pour obtenir les clés d’une municipalité. Mais, rassurez-vous, tout cela est construit et mené comme un polar, avec juste ce qu’il faut de rebondissements et de solutions imaginatives, aidés en cela par un parfait équilibre entre la narration et les dialogues. Cela en devient juste savoureux, on se délecte des aventures de nos deux comparses et des solutions qu’ils trouvent pour s’en sortir.

Le livre est à la a fois rythmé par les étapes menant aux élections, premier et second tour, et par des chapitres venant en alternance et nous présentant les pensées de Sam ou Malik, ce qui permet de voir leur amusement devant ce qu’il faut bien appeler un gigantesque bordel orchestré pour en faire bénéficier quelques uns. La morale de l’histoire devient dès lors très simple : dès que vous obtenez le pouvoir, vous avez tous les droits … mais quelle lutte acharnée il faut mener au préalable !

Accompagné de quelques anecdotes, ou de précisions sur le règlement des lois régissant les municipalités, l’auteur en profite en grossissant le trait (parfois) pour laisser Sam et Malik s’en amuser et se moquer de ce qu’on appelle « la démocratie ». Alors, si je ne peux que conseiller ce roman qui m’a beaucoup amusé (parce que je suis un cynique de base), je ne suis pas sûr (du tout) qu’il donne envie à ses lecteurs d’aller voter. Et finalement, cela me donne furieusement envie d’aller lire les autres écrits de Julien Hervieux ! Excellent !

Nés sous X de Cicéron Angledroit

Editeur : Palémon

Après Sois zen et tue-le … voici le deuxième tome des aventures de Cicéron Angledroit (dit Claude Picq), René et Momo.

Margueron arrive à vivre en commettant de petits larcins avec un ou deux complices. Cette fois-ci, il a eu un bol pas possible. Suivant des braqueurs de banque, il les a vus se séparer et l’un d’eux cacher son butin dans une maison avant de ressortir. Margueron n’avait eu qu’à entrer par effraction et mettre la main sur quelques belles liasses, qu’il ne devrait pas partager pour une fois.

René vient déranger Cicéron alors qu’il garde sa fille, pour lui proposer une nouvelle affaire, une affaire pas ordinaire. Margueron déjà attablé au bar de l’Interpascher lui montre la une du Parisien, une rafle spectaculaire de la police à Mennecy. Bizarre que la police ait débarqué  une demi-heure après Margueron dans la maison où la braqueur a déposé son butin. Mais chose plus étrange encore, le braqueur que Margueron a suivi pose en photo, non pas avec les menottes aux mains mais en tant que policier ayant procédé à l’interpellation. Il y a du pourri dans l’air !

Cette affaire ne va pas lui mettre plus de beurre dans les épinards. Mourad N’Guyen, son peut-être futur potentiel client et connaissance de René, Il lui montre un extrait de journal des Yvelines où, lors d’une prise d’otages, le forcené a été tué. A première vue, ce n’est qu’un fait divers, mais l’homme en question est le sosie, trait pour trait, de Mourad. A Cicéron de trouver une potentielle possible lignée, pour un plein gratuit pour la Fiat, car Mourad tient la pompe à essence.

On retrouve donc nos trois compères dans de nouvelles aventures avec au centre Cicéron qui aimerait passer plus de temps avec sa fille. Mais entre l’envie de faire tomber des flics pourris pour aider le commissaire Saint Antoine (ce dernier n’avait pas de nom dans le premier tome, et puis avouez que c’est un bel hommage !) et cette mystérieuse histoire de ressemblance, il a de quoi faire !

Bref, ce que j’aime, c’est l’impression de suivre Cicéron dans ses pérégrinations, comme si elles étaient improvisées, de goutter à ses réflexions et ses détournements de la langue française (il y en a moins que dans le premier tome) et son ton toujours décontracté et humoristique (il n’y a que les contrepèteries où je passe au travers). Ajoutez-y une pincée de sexe, une grosse louchée de personnages frappés avec leurs descriptions à l’avenant et vous obtenez un bien agréable divertissement.

Plus bas dans la vallée de Ron Rash

Editeur : Gallimard – La Noire

Traducteur : Isabelle Reinharez

J’ai aimé, adoré, encensé tous les romans de Ron Rash. En guise de nouvelle parution, il nous offre juste avant Noël d’un recueil de nouvelles avec comme guest star, Serena qui nous fait un retour bref mais marquant.

Plus bas dans la vallée :

Serena Pemberton et Galloway descendent de l’hydravion en provenance du Brésil. Ils viennent superviser un chantier de déboisage qui risque de lui coûter cher. L’avenant signé de Meeks son responsable stipule qu’elle perdra 10% au moindre retard. Elle va haranguer ses troupes pour respecter ce délai dans des conditions inhumaines.

Les voisins :

Rebecca et son fils Brice vivent dans un ranch depuis que son mari est mort lors de la guerre de sécession quand elle voit des soldats débarquer. Les autres fermes brûlent et elle s’attend au pire.

Le baptême :

Le révérend Yates voit Gunter approcher de sa maison. Prévenant, il préfère avoir son fusil à portée de main, d’autant que Gunter a déjà tué sa première femme, et peut-être sa deuxième. En fait, Gunter vient demander au révérend de se faire baptiser.

L’envol :

Stacy tient le poste de garde-pêche depuis quatre mois seulement quand elle voit Hardaway sur le bord de la rivière. Celui-ci n’ayant pas de permis, elle lui dresse une amende qu’il s’empresse de jeter à l’eau. Son chef conseille à Stacy de ne pas chercher de noise à cet ancien repris de justice.

Le dernier pont brûlé :

Carlyle est en train de balayer sa boutique quand une jeune femme aux pieds nus tape à la vitrine. Méfiant, il se demande s’il doit lui ouvrir et prend son arme. Elle cherche son chemin pour aller à Nashville.

Une sorte de miracle :

Baroque et Marlboro ne font rien de leur vie et leur beau-frère Denton les oblige à le suivre : ils devront surveiller la voiture pendant qu’il a quelque chose d’important à faire, récupérer les pattes et la vésicule biliaire d’un ours.

Leurs yeux anciens et brillants :

Les trois vieux squattent la station-service de Riverside et personne ne les croient, ni eux ni les gamins qui affirment avoir vu un poisson énorme dans le plan d’eau sous le pont. Les trois vieux Creech, Campbell et Rudisell décident de leur montrer qu’il y a bien un monstre dans cette rivière.

Mon avis :

Bien entendu, les fans de Ron Rash vont acheter ce livre grâce au bandeau annonçant le retour de Serena. Et effectivement, dans la première longue nouvelle, elle est de retour et plus impitoyable que jamais. Il n’empêche que je suis resté sur ma faim car j’en aurais voulu plus, plus long, plus détaillé. Car cette nouvelle m’a donné l’impression d’un brouillon de roman où Ron Rash ne savait pas où aller.

Dans les autres nouvelles, on s’aperçoit du talent d’incroyable conteur, capable en une dizaine de pages de créer les personnages et le décor. Car ce recueil de nouvelles est surtout et avant tout une belle galerie de portraits, en les situant dans des époques diverses tout en racontant des morceaux de vie intemporels.

Certaines nouvelles m’ont paru anecdotiques, tels L’envol ou Le dernier pont brûlé, d’autres versent dans un humour noir et froid comme Le baptême, voire burlesque avec Une sorte de miracle et ses deux imbéciles (A ce niveau-là, on atteint le championnat du monde de la connerie). Mais ce sont surtout de terribles histoires noires, qui derrière une intrigue dramatique, montrent la violence implantée dans la culture américaine.

Oldies : L’heure des fous de Nicolas lebel

Editeur : Marabout (Grand Format) ; Marabout & Livre de Poche (Format Poche)

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Et je commence par un auteur que j’affectionne particulièrement et un personnage que j’adore, à savoir le capitaine Mehrlicht, pour sa première enquête qui est sortie il y a déjà 10 ans !

L’auteur :

Nicolas Lebel, né le 29 novembre 1970 à Paris, est un écrivain français.

Après des études de lettres et d’anglais, Nicolas Lebel voyage sur les cinq continents puis habite en Irlande où il enseigne le français. Rappelé en France pour faire son service national, il revient vivre à Paris où il habite aujourd’hui. Traducteur et professeur d’anglais, il publie son premier roman L’Heure des fous en 2013.

Amateur de littérature, de Côtes-du-rhône septentrionales et de whiskies Islay, Nicolas Lebel est aussi un pratiquant assidu de krav-maga.

Quatrième de couverture :

Paris : un SDF est poignardé à mort sur une voie ferrée de la gare de Lyon. « Vous me réglez ça. Rapide et propre, qu’on n’y passe pas Noël », ordonne le commissaire au capitaine Mehrlicht et à son équipe : le lieutenant Dossantos, exalté du code pénal et du bon droit, le lieutenant Sophie Latour qui panique dans les flash mobs, et le lieutenant stagiaire Ménard, souffre-douleur du capitaine à tête de grenouille, amateur de sudoku et de répliques d’Audiard…

Mais ce qui s’annonçait comme un simple règlement de comptes entre SDF se complique quand le cadavre révèle son identité.

L’affaire va entraîner le groupe d’enquêteurs dans les méandres de la Jungle, nouvelle Cour des miracles au cœur du bois de Vincennes, dans le dédale de l’illustre Sorbonne, jusqu’aux arrière-cours des troquets parisiens, pour s’achever en une course contre la montre dans les rues de la capitale.

Il leur faut à tout prix empêcher que ne sonne l’heure des fous…

Mon avis :

J’attendais la bonne occasion de lire la première enquête de Mehrlicht et son groupe, la seule qui me manquait à mon palmarès. Je comprends mieux ce qui m’a passionné avec ce personnage hors du commun, mélange de l’inspecteur Columbo, Paul Préboist et Kermit la Grenouille, mais avec un verbe à la hauteur d’un Audiard.

L’intrigue est menée consciencieusement, sa maitrise en ferait pâlir plus d’un. Le groupe des policiers ont tous une personnalité bien affirmée et on lit cette aventure sans jamais s’arrêter tant le style fluide de l’auteur fait des merveilles. Evidemment, il faut lire cette série de cinq enquêtes dans l’ordre pour les voir évoluer et s’enfoncer dans des problèmes personnels inextricables.

Et déjà, dans ce premier épisode, on ne se lasse pas du lieutenant Dosantos et de ses rappels des articles du code pénal, de Sophie Latour, la seule femme du groupe et la seule à avoir la tête sur les épaules, de Ménard malmené par le capitaine et Mehrlicht aux réparties cinglantes (on aura dans les volumes suivants, des envolées lyriques extraordinaires) et son téléphone aux sonneries rappelant les meilleurs phrases d’Audiard. Et le passage dans les catacombes vaut largement le détour.

Par la suite, le niveau des romans va monter en puissance avec Le jour des morts (Super !), Sans pitié ni remords (Extraordinaire !), et surtout De cauchemar et de feu (Mon préféré !) pour finir avec Dans la brume écarlate. D’ailleurs, je passe un message privé : Dis, Monsieur Nicolas, quand nous referas-tu une enquête de Mehrlicht and Co ?

La contrée finale de James Crumley

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Jacques Mailhos

Illustrateur : Baudoin

Mon petit plaisir de fin d’année ; mon grand, mon énorme nirvana ; mon incommensurable tristesse de se dire qu’il s’agit de la dernière aventure De Milo Milodragovitch, mais quelle aventure !

Alors qu’il a récupéré son héritage accompagné de plusieurs kilogrammes de drogues dérobés à des trafiquants, Milo s’est rangé des problèmes et a investi dans un bar, le Low Water Crossing Bar and grill qui marche bien. Après quatre mariages et quatre divorces, il vit maintenant avec Betty Porterfield dans un ranch au Texas et a délaissé son Montana. Mais il lui manque le rythme, l’adrénaline du danger et vient de recevoir sa licence de détective privé.

En route vers le comté de Travis, que les habitants eux-mêmes appellent Le Mauvais Coin, sa mission consiste à retrouver Carol Jean, la femme d’un timide professeur Joe Warren. Il la trouve sans difficultés dans un bar malfamé, nommé Over the Line, en train de jouer au billard. Après une échauffourée, il lui conseille de retrouver son mari plutôt que de déclencher des bagarres avec ses obus artificiels en silicone.

Il y fait la connaissance de Enos Walker, un type à chercher constamment la bagarre, qu’il ait bu ou non. Apparemment, il vient de tuer à bout portant un homme dans la salle du fond. Après avoir noté le nom de Sissy Duval, il voit Walker partir et appelle les flics. Le capitaine Gannon l’interroge et lui demande de retrouver Walker qui vient de sortir de prison mais Milo va le rechercher pour lui éviter d’autres ennuis, avec des truands ou la police. « Tout le monde, ici, est soit un étranger, soit une personne étrange ».

Et c’est parti … Comme il sait si bien le faire, James Crumley part d’une simple recherche pour créer une intrigue qui part dans tous les sens, pour aboutir dans les dernières pages à la résolution des énigmes en une seule phrase. On a droit à du grand art, à de la baston, des fusillades, du sexe et des visites de bas-fonds. Car où que l’on regarde, où que l’on aille, le Texas regorge d’endroits malfamés.

Et Milo ressemble à un aimant à emmerdes. Dès qu’il va quelque part, cela va mal tourner, et ces scènes incroyablement visuelles s’insèrent parfaitement dans l’intrigue. Et puis, dans un moment de calme, entre deux phrases de dialogue aux réparties saignantes et irrésistiblement hilarantes, la plume de James Crumley se fait légère, imagée, poétique et le lecteur fond.

James Crumley n’a pas son pareil pour nous faire croire à des rades miteux et poussiéreux, à nous faire vivre des bagarres mémorables, à nous asséner des fusillades bruyantes, à nous faire participer à des nuits enfiévrées dans une histoire tortueuse à souhait. On le suit dans ses pérégrinations avec un plaisir incommensurable et son histoire est bien plus compréhensible que celle des Serpents de la frontière.

Et puis, il faut se le dire, ce roman ressemble à un geste d’adieu. Milo subit sa soixantaine et ressent bien les affres de l’âge. Il ne peut plus prendre de l’alcool ou de la drogue sans en ressentir les conséquences le lendemain, il est plus lent, se prend plus de coups. On entend ses os craquer, sa fatigue prend le dessus et les dernières pages m’ont fait ressentir une immense tristesse, celle de quitter un personnage hors-norme. Le crépuscule d’un géant.

Petiote de Benoit Philippon

Editeur : Les Arènes – Equinox

Aussi étrange que cela puisse paraitre, j’ai acheté tous les romans de benoit Philippon en grand format et n’en ait lu qu’un (Cabossé) … et je n’ai aucune excuse. Il aura fallu l’insistance de mon ami du Sud pour me plonger dans cette prise d’otage formidable.

A le voir dans la rue, on sent bien que Gustave Sanson dit Gus porte la poisse comme un sac à dos. Sa ressemblance avec Droopy lui a permis de draguer Charlotte, devenue sa femme. Mais de mauvaises décisions aux simples conneries, Gus s’enfonce irrémédiablement en se trouvant toujours des excuses. Sa seule réussite se nomme Emilie, sa fille, l’étoile de sa vie pour qui il voue un amour sans borne.

Quand Charlotte demande le divorce sans droit de garde, Gus décide de se lancer pour défendre sa cause et exprimer l’amour pour sa fille à la Juge des Affaires Familiales. La larme à l’œil de la juge lui fait croire qu’il a enfin gagné une partie … mais il ne s’agit que d’une allergie au pollen et la sanction est immédiate : faute d’un logement décent, Gus perd la garde d’Emilie.

Gus loge dans un hôtel miteux, le « Love Hôtel », dont le V de l’enseigne au néon est en panne et pourrait être remplacé par un S. Gus n’accepte pas cette décision et décide de faire une prise d’otage pour que l’état lui fournisse 500 000 euros et un avion à destination du Venezuela pour sa fille et lui. Il profite d’ailleurs qu’elle vienne récupérer la pension alimentaire à l’hôtel pour mettre en branle son plan foireux.

Après avoir volé des armes à Sergueï, qui loge au 3ème étage, et l’avoir menotté, Gus se retrouve avec Cerise une jeune prostituée, Gwen et Dany deux amants de passage, George le patron de l’hôtel, Boudu un SDF qui fait me ménage, Fatou une immigrée clandestine enceinte. A cette petite troupe va s’ajouter Hubert, livreur de pizza Über (ça ne s’invente pas !). Le grand bordel peut commencer.

Il faut de sacrées couilles (excusez moi l’expression !) pour se lancer dans une histoire pareille, choisir de tels personnages et de tenir le rythme pendant 376 pages. Et pourtant, Benoit Philippon a ce talent rare de nous faire croire à ces êtres cassés et de nous faire rire en trouvant la petite remarque acide ou juste cynique qui va nous les faire adopter. De cette intrigue irréaliste, il va en tirer une grande fresque humoristique mais pas que …

Comme tout huis-clos, tout tient dans les personnages. Benoit Philippon va prendre consciencieusement son temps pour nous expliquer leur passé, et leur itinéraire jusqu’à cet hôtel miteux. Il va nous les peindre tous misérables dans leur vie, toujours burlesque dans leurs déconvenues mais toujours attachants sans jamais se montrer larmoyant, ce qui est un vrai tour de force.

Bons ou méchants, ils ont tous une bonne raison de se retrouver au Lose Hôtel (pardon, au Love Hôtel) ou dehors comme la capitaine Mia Balcerzak, chargée de la négociation ; celle-ci va d’ailleurs s’avérer remarquablement psychologue et se retrouver débordée devant la bordel qui va aller en s’amplifiant. Car ce roman déborde d’événements, de rebondissement et nous montre même une évolution des personnages qui fait penser à un roman réaliste tout en gardant ce coté décalé.

A la fois roman délirant et roman humoristique, Petiote s’ancre dans une réalité qui elle est inéluctable. Pour ridicules qu’ils soient, chacun de ces personnages a subi des événements qui l’ont amené là. Benoit Philippon, derrière ses atours de clown en chef, a construit une fresque sociale, qui charrie une énorme vague d’émotions quand à la fin, on verse sa petite (grosse en ce qui me concerne) larme. Vous croyez que ce roman n’est qu’une gigantesque et excellente blague ? Pas sûr …

Sur des Breizh ardentes de Stanislas Petrosky

Editeur : Eaux troubles

Pour les lecteurs peu avides d’humour en dessous de la ceinture, Stanislas met en introduction de son roman un avertissement :

« Dans cette époque où dès que l’un cause, l’autre se sent fortement offensé …

Dans cette époque où dès que tu poses un mot sur le papier, tu dois bien faire gaffe à ne blesser personne …

Dans cette époque où pour un vocable mal employé, tu peux être menacé de procès …

J’arrête ici cette liste, juste pour te dire que j’emmerde la bienséance, le politiquement correct et encore plus la censure !

De même, il me semble normal de te prévenir, à part mes amis, tous les personnages de ce roman sont fictifs. Si quelquefois il y avait un individu assez prétentieux et bas du front pour se prendre pour un des héros de cette aventure, qu’il se dégonfle l’ego et ferme sa gueule, ça lui évitera d’être ridicule.

Ton Requiem. »

Requiem, prêtre exorciseur des cons et malfaisants, membre du service secret du Vatican, doit résoudre une affaire de vol. L’héritage de Laurent Gérard, vieillard logé à l’EHPAD des Joyeux Macareux à Névez en Bretagne qui devait revenir à l’Eglise a été détourné au profit d’une sombre association. Le chanoine Pichon a alerté le Sodalitium Pianum et voici donc notre Requiem sur la terre des menhirs.

Faisant appel à son acolyte Falvo, il se présente à l’EHPAD avec un CV qui ferait rougir des fraises : maquilleur sur des films pornographiques gays, assistant d’un vétérinaire pour les inséminations artificielles puis garçon d’amphithéâtre. Son nouveau nom est du même ressort : Nikos Lebelle. Et c’est Rozenn, une superbe créature, aide-soignante qui le découvre. Devant le peu de candidatures, M. Guenanten l’embauche et Requiem peut commencer son enquête.

Mon Dieu, pardon Patron, comme dirait Requiem, que j’ai eu du mal à trouver ce roman. Et c’est bien dommage, tant je suis amateur des aventures de Requiem, pour son coté anticonformiste, anti-pourris. L’air de rien, derrière son coté « je défouraille les personnes bien-pensantes », il y a une intrigue, une vraie construites à base de scènes toutes plus drôles les unes que les autres, un mystère et un hommage au travail difficile des aide soignants.

Que vous dire de plus ? Sans même exagérer, ce roman comporte un éclat de rire garanti à chaque page … et encore je ne me suis pas forcé. J’ai trouvé aussi que Stanislas Petrosky, s’il rend hommage à Frédéric Dard, s’en démarque pour trouver son propre style, avec des expressions ou même des descriptions irrésistibles.

Evidemment, tout cela n’est pas sérieux, mais ce roman donne une vraie bouffée de bonne humeur, et garde le rythme du début à la fin, avec sa dose de clins d’œil à quelques auteurs, de réparties, de femmes belles à tomber, et de chansons issues du répertoire français et mentionnées en titres de chapitre. Requiem, c’est du dépoussiérage pour nous rappeler qu’il faut arrêter de se prendre au sérieux.

Aimez-vous les uns les autres ! de James Holin

Editeur : Editions du Caïman

James Holin nous a habitués à des romans humoristiques cyniques, avant de nous proposer Pleine balle l’année dernière qui penchait plutôt vers une course poursuite haletante. Il nous revient dans le registre de la comédie, et quelle comédie !

On ne peut pas dire que cela ressemble à un réveil idéal quand des flics fous furieux défoncent votre porte d’entrée à coups de bélier, le matin à 6 heures. Et pourtant, Nolan Dardanus, jeune homme de Bobigny, doit en faire l’expérience. Chimio, le chef de la BAC, demande après Fabrice, le frère de Nolan, pour une suspicion de trafic de drogue. Au grand dam de sa mère, Fabrice a découché, et Nolan refuse de dire où Fabrice cache ses produits.

Avant de partir au lycée, sa mère lui signale qu’il a reçu une lettre envoyée par un notaire : il s’agit d’une convocation pour un héritage. Sa mère lui apprend alors qu’il est le fils naturel de Marcel Bezouard, le propriétaire des verreries du même nom. La crémation est prévue à 10h30, suivie de la réunion familiale dans le bureau du notaire, à 12h30 à Laon. Nolan n’y a jamais mis les pieds et n’a pas l’intention d’y aller.

Sur le chemin du Lycée, Nolan se fait intercepter par Nacer, le caïd du quartier. Il détient Fabrice et le renverra en petits morceaux s’il ne trouve pas 10 000 euros, la somme que Fabrice lui doit. Nolan n’a pas d’autre choix que d’aller à Laon. Il rentre donc chez lui, ouvre la cachette secrète de son frère et prend les sachets de poudre et le liquide. En se dépêchant, il arrivera à temps pour le train de Laon.

A la gare du Nord, il tombe sur une patrouille de trois flics, pour un contrôle de faciès, pardon, de papiers. Heureusement, une jeune fille qui le défend contre de futures peut-être potentielles violences policières. Ils arrivent à s’en sortir et montent tous les deux dans le train. Elle se présente, Soizic Bézouard, journaliste.

A Laon, Nolan fait la connaissance des enfants du défunt : Arnaud liquidateur judiciaire qui dépense plus vite que son ombre dans son SUV, François dit Glinoc le curé directeur du séminaire Notre-Dame de la Recouvrance, Florine maître de conférences à l’université de Picardie, divorcée d’un chirurgien passionné de silicone et enfin la Michto la veuve qui veut spolier ses enfants pour son propre compte. Le notaire annonce que les héritiers devront se mettre d’accord pour le partage sinon l’intégralité reviendra à l’un d’eux dont le nom reste secret.

On ne peut pas franchement parler d’un roman policier, ni d’un polar. On n’y trouvera pas un seul meurtre, pas de goutte de sang ni de serial killer, juste un mort et une lutte entre les héritiers. Le ton est donné dès les premières pages, on se retrouve en plein dans une comédie, qui va à un rythme d’enfer et nous fait vivre une journée de folie avec de nombreux soubresauts et des dialogues tous plus drôles les uns que les autres.

La force de James Holin réside dans cette capacité de poser son contexte et de nous faire vivre cinq personnages, tous attirés par l’odeur de l’argent, qui n’ont aucun chagrin envers la perte de leur père. A travers les situations, on découvre ainsi le ton cynique, acerbe, envers les truands officialisés par l’état, les membres de l’église prêts à tout pour rénover le plafond de leur église, les femmes obsédées par leur physique, les extrémistes féministes, les prêtes à tout pour récupérer le fric, et le pauvre Nolan au milieu de ces tornades.

Je me rappelle Demain j’arrête de Gilles Legradinier, cette excellente comédie qui partait d’un personnage et nous emmenait dans sa folie hilarante à un rythme d’enfer. Aimez-vous les uns les autres n’a rien à envier à ce genre comique, par le talent que montre James Holin pour faire vivre ces six personnages et surtout par sa science des dialogues auxquels on ne peut pas résister. D’ailleurs, je verrais bien ce roman adapté en film, tant tout s’enchaine à la perfection pour nous faire rire du début à la fin. Excellentissime.